Les politiques linguistiques et l’immigration au xxie siècle : langue commune ou langue universelle ?

  • Language policies and immigration in the 21st century: common language or universal language?

DOI : 10.58335/sel.367

Résumés

Pour les Nations Unies, la langue est un « Instrument de communication orale et écrite propre aux membres d’une même communauté linguistique », mais la migration modifie les communautés. En 1887, l’espéranto fut proposé comme langue internationale ; en 1940, une langue contrôlée, le BASIC, limitait l’anglais à un lexique de 850 mots. Dès 1960, on recherchait des universaux linguistiques. En 2009, on voyait les langues comme des systèmes adaptatifs complexes et on développait le système Facile à Lire et à Comprendre (FALC). En 2020, le Cadre européen commun de référence (CECR) pour les langues évolue pour intégrer ces développements, notamment l’accessibilité. Le rôle du CECR dans les instructions officielles concernant le niveau de langue à atteindre pour obtenir le statut de résident est étudié pour trois pays géographiquement et économiquement proches : l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Adapter certains documents administratifs selon les critères du FALC pourrait étayer le développement linguistique des migrants apprenants.

For the United Nations, language is an “instrument of oral and written communication specific to members of the same linguistic community”, but migration modifies communities. In 1887, Zamenhof proposed Esperanto as an international language; in 1940, a controlled language, BASIC by Ogden and Richards, limited English to a lexicon of 850 words. In the 1960s, Greenberg sought to identify linguistic universals. In 2009, the Five Graces Group defined languages as complex adaptive systems. The same year, Easy-to-Read languages were developed by Inclusion Europe. The 2020 version of the Common European Framework of Reference (CEFR) for languages has evolved to integrate recent changes, including accessibility. We investigate how the CEFR affects the official instructions concerning the language level required for resident status in three geographically and economically close countries: France, Germany, and the United Kingdom. Following Easy-to-Read criteria to adapt administrative documents for migrants could scaffold language development for such learners.

Plan

Texte

Introduction

Pour cartographier le monde dans les six langues officielles des Nations Unies1, la terminologie toponymique est définie par le Groupe d’experts des Nations Unies pour les noms géographiques (GENUNG). Pour cartographier les politiques linguistiques dans le cadre de l’immigration, nous adoptons certaines définitions proposées dans la version française du Glossary of Toponymic Terminology2. La notion de langue officielle est définie ainsi :

Langue ayant un statut légal au sein d’une communauté politique légalement constituée, tels un État ou une partie d’État, et utilisée comme langue de l’Administration. La langue officielle peut être choisie ou non parmi les langues nationales du pays.

La définition de langue commune, associée à langue standard, est la suivante :

Forme écrite, forme parlée ou les deux d’une langue donnée, considérée comme la forme correcte de référence, et qui, pour des raisons culturelles, sociales ou politiques, prévaut sur les autres parlers de son domaine d’extension et se superpose à ceux-ci3.

Depuis le début du xxie siècle, le flux migratoire international a augmenté de plus de soixante pour cent4. D’après les chiffres de 2020, si la destination première de la migration reste les États-Unis, l’Europe est de plus en plus prisée. L’Allemagne arrive actuellement en deuxième position ; le Royaume-Uni et la France sont classés respectivement cinquième et septième5. Quel est le rôle des langues au sein de l’Europe aujourd’hui ? L’un des obstacles auxquels sont confrontés de nombreux migrants est l’acquisition de la langue nationale de leur pays d’adoption, si elle ne fait pas déjà partie de leur bagage langagier. Même si beaucoup de migrants comprennent plusieurs langues, ce public ne possède pas forcément de langue commune, encore moins une langue universelle, ce qui complique la tâche de la personne chargée d’enseigner la langue du pays d’accueil. Une bonne maîtrise de la langue du pays où le migrant souhaite s’installer lui permet d’accéder à plus d’autonomie. Par ailleurs, elle constitue souvent l’une des conditions préalables à un titre de séjour et l’obtention d’un statut juridique permettant l’accès à l’emploi. L’aspect juridique est de première importance : la géopolitique accorde un statut différent aux langues nationales officielles et aux langues régionales.

Depuis 2016, le parcours académique des migrants est bien plus hétérogène qu’avant. Une proportion importante affiche de faibles compétences en littératie : de nombreux migrants ne savent ni lire ni écrire dans leur(s) langue(s) d’origine. L’administration tient rarement compte de ce qui est pourtant un sérieux handicap linguistique et exige le même niveau de réussite quel que soit le parcours individuel du migrant. L’utilisation de tests de langue normés comme référence universelle va de pair avec la notion qu’il existe un idéal universel de compétence linguistique par rapport à laquelle seraient évaluées les performances de locuteurs individuels. L’une des solutions potentielles de ce problème serait d’adapter à destination des migrants (qui sont souvent en situation de handicap linguistique) les règles établies pour chaque langue européenne par Inclusion Europe6 pour faciliter l’accès à l’information.

Notre terrain d’étude est composé de trois pays géographiquement proches, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, doté chacun d’une langue nationale de grande diffusion et assez similaire par rapport à la gouvernance et à l’indice de qualité de vie7. Nous proposons d’étudier les informations fournies par les sites officiels gouvernementaux concernant le niveau de langue exigé pour obtenir le droit de séjour dans ces trois pays.

Le système de mesure et d’évaluation actuellement utilisé est celui du Cadre Européen Commun de Référence, créé pour s’appliquer de manière universelle à toutes les langues enseignées en Europe.

Le CECR définit les compétences en langues en six niveaux, de A1 à C2, qui peuvent être regroupés en trois niveaux généraux (utilisateur élémentaire, utilisateur indépendant et utilisateur expérimenté) ou subdivisés selon les besoins du contexte local. Ils sont définis à l’aide de descripteurs « je peux faire »8.

L’échelle du CECR est utilisée de manière quasi-universelle aujourd’hui. L’une des plus grandes organisations privées de mesure et d’évaluation éducative au monde, Educational Testing Service (ETS), organisme à but non lucratif fondé aux États-Unis en 19479, propose une grille de corrélation pour le TFI (Test de Français International) entre leur système de mesure par points et les quatre niveaux centraux du CECR, de A2 à C110.

Pour faciliter l’intégration sociale du plus grand nombre, il serait souhaitable d’adopter un système d’évaluation des compétences prenant en compte le parcours linguistique de chaque personne, à utiliser comme outil diagnostique plutôt que comme sanction d’une formation mal-adaptée.

Langues, communication, adaptation

Pour exprimer la notion centrale de cette étude, nous préférons l’emploi du mot Sprache pour l’allemand, langage pour l’anglais et langue pour le français.

Un bref aperçu de la notion de langue internationale

Au cours de l’histoire, plusieurs langues ont pu prétendre au titre de langue internationale, notion proche de celle de langue véhiculaire, définie ainsi :

Langue servant d’instrument de communication entre les membres de différentes communautés linguistiques. Dans un sens un peu plus restrictif, on appelle langue véhiculaire toute langue utilisée dans les relations commerciales ou autres, par des populations dont les idiomes respectifs ne permettent pas de se comprendre11.

C’était le cas du latin, aujourd’hui considéré comme langue morte, mais dont le lexique subsiste dans la terminologie de plusieurs disciplines, de la médecine à la botanique12, et qui fait encore partie des langues officielles du Vatican :

Bien que l’italien soit la lingua franca, le Saint-Siège utilise le latin comme langue officielle. Le français est aussi parfois utilisé comme langue diplomatique. Dans la Garde suisse, le suisse allemand est utilisé pour donner les ordres, mais les gardes prêtent leur serment de fidélité dans leur propre langue13.

L’ordre proposé au sein du plus petit état du monde semble classer les langues par rapport au nombre de locuteurs. Cette politique linguistique pourrait-elle s’adapter au contexte actuel des migrations, où la lingua franca fait parfois cruellement défaut ?

En 1887, le titre français du manuel d’apprentissage rédigé par Louis Lazare Zamenhof sous le pseudonyme de Dr. Esperanto était Langue internationale14. La couverture porte aussi l’avertissement suivant : « Pour qu’une langue soit universelle – il ne suffit pas de lui en donner le nom. » Sébastien Moret suggère que l’espéranto aurait été conçu comme « une langue auxiliaire visant à faciliter la communication internationale15. » En 1922, l’adoption de l’espéranto en tant que langue auxiliaire internationale aurait pu être votée par la Société des Nations (en plus de ses trois langues officielles : l’anglais, l’espagnol et le français), sans le véto de Gabriel Hanotaux, le délégué français16.

De nos jours, l’anglais, considéré à tort ou à raison comme langue internationale, est souvent la première langue étrangère étudiée en Europe mais ne figure pas parmi les langues nationales officielles de la plupart des pays européens touchés par la migration au xxie siècle ; de plus, l’anglais n’est pas forcément bien maîtrisé par l’ensemble des migrants.

Pour faciliter la communication, adapter une langue existante ?

Plutôt que d’inventer une nouvelle langue, une autre approche consistait dans la création d’une version simplifiée d’une langue existante. Le vocabulaire du BASIC (acronyme pour British, American, Scientific, International, Commercial) proposé en 1930 était limité à 850 mots17, mais cet ensemble présente néanmoins de nombreuses difficultés potentielles pour les utilisateurs, y compris par le rapport graphie-phonie si peu transparent de certains mots, notamment la série cough, enough, though, through et thought.

Pour pallier cette difficulté, une rationalisation du système d’écriture de l’anglais britannique (i t a : Initial Teaching Alphabet) proposée par James Pitman fut mise en place dans beaucoup d’écoles en Angleterre à partir de 196118. L’expérience fut malheureusement un échec, non seulement parce que l’enfant devait apprendre à lire d’abord avec le nouveau système puis faire le transfert vers l’orthographe traditionnelle, mais aussi parce qu’il n’existait pas beaucoup de livres qui employaient cet alphabet.

La langue comme instrument de communication

Nous adoptons ici la théorie qui considère chaque langue humaine comme « a Complex Adaptive System »19. Dans un récent article, Jacques François a démontré la validité de cette théorie en analysant plusieurs exemples en français et propose la conclusion suivante :

Au final, ce qui est surprenant ce n’est pas que les langues soient à considérer comme des systèmes complexes adaptatifs, c’est plutôt que cette vision ait pu être occultée pendant un siècle entier par deux écoles successives, structuraliste puis générative20.

L’un des objectifs de l’école générative a été d’identifier les éléments d’une grammaire universelle. Robert Martin définit ainsi l’idée d’universalité : « Au cœur de la linguistique générale figurent les universaux du langage : un universel du langage est un trait commun à toutes les langues.21 » Pour Nicolas Evans et Steven C. Levinson cependant, il s’avère difficile d’identifier de tels universaux : « languages differ so fundamentally from one another at every level of description (sound, grammar, lexicon, meaning) that it is very hard to find any single structural property they share.22 » Pour pallier cette difficulté, ils proposent d’adopter « a new approach to language and cognition that places diversity at centre stage.23 »

Si la langue sert à communiquer, le geste communicatif se situe à plusieurs niveaux. Au niveau micro, le locuteur et l’interlocuteur coopèrent pour atteindre l’objectif à communiquer. Au niveau méso, la communication est soutenue par le terrain d’entente immédiat partagé par le locuteur et l’interlocuteur, qui implique des aspects tels que le registre et le thème. Enfin, au niveau macro, la diversité linguistique est liée aux divers contextes – géographique, historique et culturel – auxquels chaque langue est soumise, qui façonnent l’identité d’une langue en tant que système complexe adaptatif, à l’échelle de l’idiolecte, à celle des discours spécialisés et, au-delà, à des variétés régionales, nationales et internationales. La diversité des contextes culturels peut être mise en lumière par l’analyse de très grands corpus comparables, tels ceux fournis avec l’outil SketchEngine24. Ancrer le contexte de communication dans des contextes de situation communs, tout en tenant compte des différents contextes de culture d’un public d’apprenants multilingue, devrait contribuer à l’apprentissage réussi de la langue du pays d’accueil.

Les politiques linguistiques et l’Europe

Quelle place est accordée aux langues au sein de l’Europe au xxie siècle ? L’aspect juridique est important, car il s’agit d’identification nationale ; la géopolitique accorde un statut différent aux langues officielles et aux langues régionales. Le CECR place la notion de compétences linguistiques au cœur d’un système universel de mesure et d’évaluation qui doit pouvoir s’appliquer à toutes les langues.

La position juridique de la langue

Examinons tout d’abord le concept juridique actuel de la langue en tant que bien commun à travers un rapport de recherche publié en 2021 sous le titre L’échelle de communalité : Propositions de réforme pour intégrer les biens communs en droit25. Dans ce mini-corpus, le substantif le plus fréquent est droit et l’adjectif le plus fréquent est commun. Le lexème patrimoine occupe le 6e rang parmi les substantifs les plus fréquents. L’aspect humain est représenté notamment par les lexèmes propriétaire, personne, et citoyen. Le singulier prédomine clairement, sauf dans le cas de personnes où le singulier reste presque aussi fréquent que le pluriel.

Table 1 : Fréquence des mots analysés

Lexème singulier pluriel
patrimoine 818 19
propriétaire 453 130
personne 308 330
citoyen 50 17
langue 9 1
langage 3 1

Le lexème langage, très peu fréquent dans ce mini-corpus, fait toujours partie d’une expression figée lorsqu’il est employé au singulier : « langage économique », « langage courant » et « langage binaire de l’informatique ». Cette dernière expression est associée à la notion de traduction ; pour les deux autres formules, le contexte est fourni par des exemples. La seule occurrence au pluriel cite un article de Communication et Langages, contextualisé par le titre « La théorie de l’information vingt ans après ».

Parmi les dix occurrences du lexème langue se trouvent trois expressions figées : « langue française » (3 occurrences, dont deux en notes de bas de page), « langue de la République » (1 occurrence), et « langues régionales » (la seule occurrence au pluriel). Ces trois expressions sont chacune associée une fois dans le cadre des « lois sur la langue » à la notion de « patrimoine de la France26 », alors que l’expression « patrimoine commun de la nation », associée deux fois au lexème langue, comprend également la culture, l’environnement, le territoire, puis aussi l’eau27.

Les deux dernières occurrences concernent la notion de discrimination. Regardons d’abord la version initiale de l’article 225-1 du Code pénal de la République française, qui date de 1994 :

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée28.

Cette première version, assez succincte et sans aucune référence à la notion de langue, a déjà été modifiée huit fois, témoignant ainsi de l’évolution rapide de la notion culturelle de « discrimination » au cours du xxie siècle en France. La version citée dans le corpus d’étude date de novembre 2016 ; elle est deux fois plus longue que la version initiale. Les seules différences avec la version précédente, en date de juin 2016, sont soulignées ci-dessous :

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée29.

La phrase contenant le mot langue est assez ambiguë : s’agit-il de discriminer les plurilingues, les monolingues, les francophones, les non-francophones ? Ce n’est pas clair.

Comparons avec la dernière occurrence du lexème langue dans le corpus d’étude. Il s’agit d’une traduction de l’article 3 de la Constitution italienne, citée en annexe :

Tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions personnelles et sociales. Il appartient à la République d’éliminer les obstacles d’ordre économique et social qui, en limitant de fait la liberté et l’égalité des citoyens, entravent le plein développement de la personne humaine et la participation effective de tous les travailleurs à l’organisation politique, économique et sociale du pays30.

Il s’agit probablement de la version du 22 décembre 194731, mais le mot entravent est remplacé par empêchent et Pays remplace pays. La notion de discrimination linguistique y est clairement exprimée, plus d’un demi-siècle avant son inclusion dans la loi française.

Partant de l’analyse de ce mini-corpus, nous proposons les définitions suivantes.

  1. Le langage représente une forme spécifique de langue, très éloignée de l’universalité.
  2. La langue est un bien commun appartenant au patrimoine du citoyen, liée à l’origine et même à la nationalité ; elle ne doit jamais servir à discriminer les individus.

Le statut géopolitique de la langue

Si la langue officielle d’un pays est un bien commun, de nombreuses langues régionales peuvent également enrichir son patrimoine linguistique. Depuis 2008 « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France32 » mais leur nombre n’est pas précisé. Le site du ministère de la Culture propose une carte ainsi qu’une longue liste des langues régionales en métropole33. Pour la France des Outre-Mer, la situation est encore plus complexe :

Plus d’une cinquantaine de langues sont couramment pratiquées dans les territoires ultramarins. Ces langues sont encore largement transmises dans le cadre familial et bien présentes dans la sphère sociale. Si le français reste la langue de l’administration, des services publics et des médias, il s’agit souvent d’une langue seconde, peu voire pas du tout pratiquée par certaines catégories de populations34.

La situation linguistique à l’échelle européenne est également complexe35 : le luxembourgeois est la seule langue officielle d’un pays membre qui ne figure pas sur la liste des 24 langues officielles de l’UE ; le maltais a été adopté en 2004 ; l’irlandais a été rajouté en 2007. Le maintien de l’anglais au sein de l’UE depuis le Brexit est donc une anomalie, car chaque pays membre ne peut proposer que l’une de ses langues officielles. La politique linguistique européenne défend très clairement le multilinguisme : « L’Union européenne se caractérise par sa diversité culturelle et linguistique, et les langues parlées dans les pays de l’UE constituent un élément essentiel de son patrimoine culturel36 ». Toutefois, de manière pragmatique, l’UE conserve l’anglais parmi ses langues officielles, reconnaissant ainsi de manière implicite sa qualité de langue internationale.

Le cadre européen pour les langues : commun et/ou universel ?

Compte tenu du nombre des langues parlées au sein de l’Union européenne, des travaux de recherche menés par le Conseil de l’Europe ont conduit à la publication en 2001 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues : Apprendre, Enseigner, Évaluer37, qui proposait « une base commune pour l’élaboration de programmes de langues vivantes, de référentiels, d’examens, de manuels, etc., en Europe38 ». Le sigle le plus souvent utilisé en français actuellement est CECR : le site du Conseil de l’Europe liste environ 980 occurrences de ce sigle avec seulement 55 occurrences pour le sigle CECRL39. Pour plus de clarté, nous proposons d’employer le sigle CECR 2001 pour la première version et CECR 2021 pour la version la plus récente de ce cadre commun.

La notion d’universalité est mentionnée à quatre reprises dans le CECR 200140 (Table 2), mais n’est envisagée de manière positive que dans une seule de ces occurrences, liée à la notion de culture. Le modèle universel et la grammaire universelle sont rejetés ou jugés sans intérêt.

Table 2 : La notion d’universalité dans le CECR 2001

p. 16 Les multiples domaines du savoir varient d’un individu à l’autre. Ils peuvent être propres à une culture donnée ; ils renvoient néanmoins à des constantes universelles
p. 24 un large consensus (encore que non universel) sur le nombre et la nature des niveaux appropriés pour l’organisation de l’apprentissage en langues et une reconnaissance publique du résultat
p. 87 En fait, on a rejeté la possibilité d’un modèle universel unique de description des langues. Un travail récent sur les universaux n’a pas encore produit de résultats directement utilisables pour faciliter l’apprentissage, l’enseignement et l’évaluation des langues.
p. 108 « Acquisition » peut ainsi être utilisé au sens général ou se réduire
a. aux interprétations de la langue des locuteurs étrangers en termes des théories actuelles de la grammaire universelle. Ce travail est presque toujours une branche de la psycholinguistique théorique et n’a guère ou pas d’intérêt pour les praticiens, notamment puisqu’on y considère que la grammaire reste inconsciente

Le niveau de langue est évalué à travers cinq compétences communes : la compréhension de l’oral et de l’écrit, l’expression orale et écrite, et l’interaction, sans autre précision sur la forme de celle-ci. Le CECR 2001 propose une échelle de six niveaux, classés par lettre puis par chiffre, depuis A1, le niveau le plus bas, jusqu’à C2, le niveau le plus élevé (Table 3). Le choix des termes est parfois justifié en faisant référence à des classifications existantes, mais reste quelque peu opaque. Voici les descripteurs utilisés dans l’échelle de niveaux du CECR 200141 :

Table 3 : L’échelle de niveaux avec les descripteurs utilisés en français

A Utilisateur élémentaire  A1 Introductif ou découverte  A2 Intermédiaire ou de survie
B Utilisateur indépendant  B1 Niveau seuil  B2 Avancé ou indépendant
C Utilisateur expérimenté  C1 Autonome C2 Maîtrise

Les descriptions plus détaillées fournies pour ces niveaux communs de référence n’étaient pas toujours bien adaptées aux besoins des enseignants et aux auteurs de manuels. Des descriptions de niveaux de référence spécifiques à une langue donnée (DNR)42 ont donc été élaborées à partir de 2004 pour plusieurs langues, dont l’allemand, l’anglais43 et le français. La compétence est exprimée par la notion de pouvoir plutôt que par la notion de savoir. Actuellement, les descripteurs des DNR44 sont disponibles en vingt-deux langues, mais seulement dix-huit d’entre elles ont le statut de langue officielle de l’Union Européenne. Le catalan est l’une des quatre langues officielles de l’Espagne ; l’espéranto se présente aujourd’hui comme « la langue internationale45 » ; le russe et le turc ont le statut de langue officielle de pays aux frontières de l’Europe.

En 2020, une nouvelle version du CECR était proposée pour actualiser le cadre commun, en intégrant les langues des signes, les notions de plurilinguisme et de médiation, ainsi qu’une nouvelle compétence devenue quasi-universelle :

Au moment de l’élaboration du CECR, la notion d’interaction écrite n’était pas universellement reconnue et n’a donc pas été très développée. Avec le recul, on peut constater que l’interaction écrite (écrire comme on parlerait, comme un dialogue au ralenti) a acquis un rôle de plus en plus significatif au cours des 20 dernières années. Alors, plutôt que de développer davantage l’échelle pour l’interaction écrite, une nouvelle catégorie a été créée : l’interaction en ligne46.

Bien que la capacité à utiliser une ou plusieurs langues pour communiquer soit une propriété quasi-universelle de l’humain, il reste néanmoins nécessaire de tenir compte de la spécificité du contexte, de la culture et de l’expérience de la personne migrante pour faciliter et optimiser son apprentissage de la langue du pays d’adoption. Les DNR du CECR 2020 semblent mieux adaptées à la diversité des contextes et à la réalité du monde d’aujourd’hui.

Ceux-ci comprennent désormais des descripteurs pour la médiation, l’interaction en ligne, la compétence plurilingue/pluriculturelle et les compétences en langue des signes. Les descripteurs illustratifs ont été adaptés avec des formulations incluant des modalités pour les langues des signes et tous les descripteurs sont désormais neutres en termes de genre47.

L’Étude de cas : les informations officielles disponibles en ligne

Il n’y a pas de réglementation universelle au niveau de l’Europe concernant l’obtention du statut de résident. Le CECR joue-t-il un rôle de dénominateur commun dans l’évaluation des langues ou est-ce un mètre étalon universel pour les tests de langue ? Notre hypothèse est que la comparaison des recommandations actuelles en France et en Allemagne, deux pays fondateurs de l’Union européenne, avec l’évolution des recommandations au Royaume-Uni depuis le Brexit pourrait aider à identifier le rôle joué par ce système de mesure de l’acquisition de la langue du pays d’accueil dans l’attribution d’un titre de séjour. Les préconisations, comportant souvent une dimension culturelle et linguistique, sont généralement accessibles en ligne, parfois en plusieurs langues. La sitographie des sources officielles des données analysées est présentée sous forme de tableau (Table 4).

Table 4 : Sites officiels pour les trois pays. *Il s’agit des sigles utilisés dans cette étude

Pays Langues Site Sigle*
France 2 Site officiel de l’administration française FrSP
service-public.fr
3 Portail Étrangers en France Site du ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer FrEF
administration-etrangers-en-france.interieur.gouv.fr
6 Site du ministère de la Culture FrMC
culture.gouv.fr
Allemagne 6 Bundesamt für Migration und Flütlinge DeBMF
bamf.de/FR
7 Auswärtiges Amt DeAA
auswaertiges-amt.de/fr
4 +2 +15 Make it in Germany DeMiiG
make-it-in-germany.com
Royaume-Uni 1 +1 + 20 Government services and Information GBGov
gov.uk

Langues proposées sur les sites officiels

Les sites des organisations internationales comme les Nations Unies ou l’UNESCO sont proposés en six langues de grande diffusion, avec quatre systèmes d’écriture : l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français, et le russe48. L’allemand n’y figure pas, mais serait pourtant la langue ayant le plus grand nombre de locuteurs natifs au sein de l’Europe49. Le nombre de langues proposées en traduction sur les sites officiels d’information pour les immigrants et/ou les migrants varie considérablement entre les trois pays étudiés (Table 4).

En France, sur le site officiel de l’administration française, FrSP, la version anglaise comporte un avertissement : « This page has been automatically translated. Please refer to the page in French if needed. » Le portail Étrangers en France, FrEF, qui fait partie du site du ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer, propose une version chinoise en plus de la version anglaise, mais les pages ne sont pas encore toutes traduites. Le site du ministère de la Culture, FrMC, est disponible en six langues : l’allemand, l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, et le français. Aucun avertissement ne prévient qu’il s’agit de traduction automatique, mais la page pour la Direction des Affaires Culturelles (DAC) de la Réunion porte le titre suivant en anglais : « Dac of the Meeting » !

En Allemagne, le site Bundesamt für Migration und Flüchtlinge50, DeBMF, est également proposé en six langues, mais le choix est légèrement différent : l’allemand, l’anglais, l’arabe, le français, le russe, et le turc. D’autres sites gouvernementaux allemands proposent d’autres choix de langues. Le site Auswärtiges Amt51, DeAA, propose sept langues ; le turc n’apparaît plus, mais l’espagnol et le portugais ont été rajoutés. Le site DeMiiG est proposé en quatre langues : l’allemand, l’anglais, l’espagnol et le français. Il existe également une version courte en quinze autres langues, et aussi un accès spécifique pour le Brésil et pour le Mexique. Le slogan du site « Make it in Germany » est écrit partout en anglais, mais le sous-titre est écrit en allemand puis traduit pour les versions en anglais, en espagnol et en français. Pour le français, le sous-titre est « Travailler en Allemagne : le site web officiel pour la main-d’œuvre qualifiée ». Dans les versions courtes, ce sous-titre est toujours présenté en anglais. Dans les versions en allemand et en anglais, il existe deux chemins d’accès, l’un pour les ouvriers qualifiés et l’autre pour les employeurs. Les versions en espagnol et en français ne sont proposées que pour les ouvriers qualifiés, ce qui laisse supposer qu’un employeur en Allemagne doit comprendre l’allemand ou, à défaut, l’anglais, langue internationale.

Au Royaume-Uni, sur le site officiel, GBGov, l’anglais prédomine, mais certains documents sont disponibles en plusieurs langues, tel le Civil penalty accreditation scheme (Système d’accréditation des peines civiles pour les clandestins), qui est proposé en 20 langues, classées par ordre alphabétique en anglais52. Toutefois, cette liste inclut le turc et le gallois, mais ne comprend que 18 des 24 langues officielles de l’Union Européenne53, dont l’anglais, toujours inscrit sur la liste des langues officielles de l’UE, malgré le retrait du Royaume-Uni. Le gallois est une langue officielle du Pays de Galles, mais au lieu d’un bouton en haut pour basculer d’une langue à l’autre, le lien Rhestr o Wasanaethau Cymraeg54 (Liste des services de langue galloise) se trouve en bas de chaque page du site et mène à la liste des pages traduites en gallois. Il est par ailleurs précisé qu’il est possible de demander par courriel la traduction d’une page spécifique en gallois.

L’accessibilité par la langue

Dès la première page, le CECR 2020 se décrit ainsi : « Ce volume présente les notions clés du CECR sous une forme plus accessible, et contient tous les descripteurs du CECR.55 » L’expression plus accessible est employée onze fois en tout : cinq fois dans le texte et six fois dans les nouveaux descripteurs, dont quatre fois pour le niveau B2. La capacité à rendre un message plus accessible fait partie de compétences nouvelles intégrées dans le CECR 2020.

La comparaison des informations concernant l’accessibilité sur les sites officiels permet de mieux cerner les préoccupations clés de chacun des trois pays étudiés.

Pour ce qui concerne la France :

Sur le site FrSP, sous le titre Handicap : une nouvelle charte d’accessibilité pour la communication de l’État, il est précisé :

Les contenus diffusés par les institutions et les administrations publiques sur l’ensemble de leurs supports, et notamment sur leurs sites Internet, doivent être adaptés en fonction de leur forme d’origine : langue des signes, sous-titrage, description orale d’un document, d’une image, d’un schéma, ou encore traduction en « Facile à lire et à comprendre » (FALC), pour être accessibles aux différents types de handicap56.

Le site FrMC fait mention des difficultés d’accès liées à une situation de handicap en y rajoutant la notion de difficultés linguistiques.

Tous les citoyens en situation de handicap, tout comme les personnes ne maîtrisant pas le français, doivent pouvoir accéder intégralement et en temps réel aux messages adressés à la Nation, qu’il s’agisse de consignes d’alertes, de recommandations ou d’informations57.

Le site FrMC définit ainsi le français facile à lire et à comprendre (FALC) et l’envisage comme solution potentielle aux problèmes liés à différentes situations de handicap, y compris linguistique.

Le facile à lire et à comprendre (FALC) est une méthode qui a pour but de traduire un langage classique en un langage simplifié. Le FALC permet de rendre l’information plus simple et plus claire et est ainsi utile à tout le monde, notamment aux personnes en situation de handicap, dyslexiques, âgées ou encore maîtrisant mal la langue française58.

Pour ce qui concerne l’Allemagne :

Dans ses mentions légales, présentées en six langues, le site DeBMF se préoccupe surtout de respecter la parité et le genre (sauf dans la version anglaise où ce paragraphe ne figure pas). Voici la version française, telle qu’elle a été publiée sur le site :

Nous accordons également un [sic] importance particulière à la diversité et bien entendu aussi, à cet égard, à la parité hommes-femmes. Nous nous efforçons par conséquent de procéder dans ce sens dans le langage textuel et imagé. Dans l’optique d’une transmission claire, facilement compréhensible et conforme aux groupes cibles de contenus et du respect des aspects de parité en terme [sic] de genres, il peut arriver que cela ne nous réussisse pas toujours de manière suffisante. N’hésitez donc pas à attirer notre attention, au cas par cas, sur d’éventuelles disparités59.

La présence de quelques erreurs (« un importance », « en terme de ») laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’une traduction automatique, ou alors il doit s’agir d’erreurs introduites en recopiant une telle traduction. L’outil Google Traduction produit une version française sans ces erreurs à partir du même paragraphe en version originale allemande sur le site DeBMF. Pour améliorer l’accessibilité de la version française du site DeMiiG, un lien en bas de chaque page renvoie vers une version en langue des signes française et une version en français simplifié (proche du FALC).

Pour ce qui concerne le Royaume-Uni :

Le site du gouvernement britannique, GBGov, bien que majoritairement monolingue, a pour objectif prioritaire de proposer des informations accessibles à un maximum de personnes, rédigées de manière claire et simple. Aucune catégorie de personne n’est mentionnée de façon spécifique. La démarche part du principe qu’un texte suffisamment simple sera compris par tout le monde. Certaines pages ou documents à télécharger peuvent éventuellement ne pas atteindre cet objectif louable, mais une remédiation est en cours.

This website is run by the Government Digital Service. It is designed to be used by as many people as possible. The text should be clear and simple to understand. Parts of this website are not fully accessible. For example: some pages and document attachments are not written in plain English60.

Cette dernière expression est le slogan d’une organisation britannique, Plain English Campaign61, qui cherche à promouvoir l’utilisation d’une langue claire et concise : une traduction possible serait « anglais sans fioritures ».

Il existe une autre organisation à l’échelle européenne, Inclusion Europe62, qui cherche à promouvoir une écriture accessible à tous. L’expression easy-to-read est l’équivalent anglais du FALC. Les normes sont proposées en dix-huit langues, dont seize langues officielles de l’UE63. Les deux langues supplémentaires sont le serbe et l’albanais ; il s’agit de langues de pays candidats à l’adhésion.

Le niveau de langue requis pour l’intégration

Les règles gouvernant l’accès au statut de résident permanent et à la naturalisation n’ont rien d’universel, ni même de commun. Au contraire, elles varient considérablement d’un pays à l’autre. Dans la plupart des cas, le niveau d’intégration culturelle et linguistique du candidat est évalué par des épreuves standardisées sur l’échelle de niveaux du CECR 2001, souvent identifié par le sigle CECRL.

Le site FrSP précise également les exigences linguistiques pour obtenir le statut de résident :

Si vous faites une 1re demande de carte de résident, vous devez prouver que votre maîtrise du français est supérieure ou égale au niveau A2 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) du Conseil de l’Europe.

  • Test ou attestation linguistique
  • Tout test ou attestation délivré par un organisme certificateur, reconnu au niveau national ou international et attestant la maîtrise globale de l’ensemble des compétences écrites et orales du niveau A2 du CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues).
    Le test doit avoir été passé dans un centre d’examen agréé et l’expression orale validée lors d’un entretien en présentiel64.

Pour obtenir la nationalité française, un niveau de langue plus élevé est requis :

Pour obtenir la naturalisation française, vous devez justifier une connaissance de la langue française à l’oral et à l’écrit au moins égale au niveau B1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CERL). Toutefois, certaines personnes en sont dispensées65.

Dans ce dernier extrait, l’aspect commun a disparu du sigle. Cette erreur typographique, faute de frappe ou acte manqué, témoigne de manière implicite que le niveau B1 n’est pas commun à tous les candidats.

En France, si une dispense ou aménagement de l’épreuve peut être accordée aux personnes âgées (65 ans et plus) ou en situation de handicap (sur avis médical), aucune adaptation n’est proposée pour pallier des difficultés liées à la langue d’origine du candidat. Il est pourtant logique de penser qu’une personne dont la langue d’origine utilise le même alphabet que le français aura moins de mal à apprendre à écrire en français que quelqu’un dont la langue utilise un système d’écriture très différent, ou qui est analphabète dans sa langue maternelle.

Ailleurs sur le site FrSP, en réponse à la question « À quoi correspondent ces niveaux de langue ? » une brève description est fournie pour chaque niveau du CECR. Toutefois, le niveau de langue utilisé pour les descripteurs ne correspond pas forcément au niveau décrit. Dans cette description du niveau A2, l’emploi du pronom vous suggère que le message s’adresse à un lecteur du niveau décrit, mais la transition entre la 2e personne au début et l’emploi de la 3e personne pour les déterminants possessifs à la fin pourrait perturber un lecteur de niveau A2 qui ne maîtrise pas suffisamment le français à l’écrit.

A2 correspond à un niveau d’utilisateur élémentaire (niveau intermédiaire ou usuel).
Cela signifie que vous avez les capacités suivantes :
Comprendre des phrases isolées et des expressions fréquemment utilisées en relation avec des domaines de l’environnement quotidien (par exemple, informations personnelles et familiales simples, achats, travail)
Pouvoir communiquer lors de tâches simples et habituelles ne demandant qu’un échange d’informations simple et direct sur des sujets familiers et habituels
Savoir décrire avec des moyens simples sa formation, son environnement immédiat et évoquer des sujets qui correspondent à des besoins immédiats66

L’outil DeepFLE67 propose l’analyse automatique d’un échantillon de texte selon les niveaux du CEFR. Le résultat d’analyse pour l’extrait cité ci-dessus est une répartition parfaitement équilibrée entre les niveaux A2, B1, B2 et C1, avec 25 % pour chacun d’entre eux, indiquant que le public visé ne comprendrait qu’un quart de la définition proposée.

En Allemagne, les informations concernant le niveau de langue requis pour un titre de séjour se trouvent sur le site DeMiiG68, destiné surtout aux ouvriers qualifiés. Dans la version française du site, le CECR est référencé avec le sigle plus long, CECRL. Un tableau en format PDF précise le niveau de langue exigé pour chaque type de visa69. Pour sept d’entre eux, aucun niveau de langue spécifique n’est requis ; le « Visa pour la reconnaissance des qualifications professionnelles étrangères » n’exige que le niveau A2. En revanche, le « Visa pour recherche d’une place de formation » requiert le niveau B2, tout comme le « Visa pour études ». Pour obtenir un titre de séjour permanent, il faut prouver que :

Vous disposez de connaissances suffisantes en allemand (niveau B1 du cadre européen commun de référence pour les langues [CECRL]) ainsi que de connaissances fondamentales de l’ordre juridique et social et des conditions de vie en Allemagne. Cela peut être prouvé en général avec le test Vivre en Allemagne70.

Au Royaume-Uni, la situation continue à évoluer depuis que le pays ne fait plus partie de l’Union européenne71. Le CECR est néanmoins toujours d’actualité sur le site GBGov. Pour obtenir un visa d’ouvrier qualifié : « You must prove you can read, write, speak and understand English to at least level B1 on the Common European Framework of Reference for Languages (CEFR) scale72. » Le niveau requis pour le statut de résident est également le B1, sauf pour les plus de 65 ans, les personnes en situation de handicap, et les citoyens de 19 pays : les États-Unis, l’Irlande, et 17 pays membres du Commonwealth, dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande73.

Le rapport entre langues, origine géographique, et niveau de lecture

En 202274, l’anglais était la langue la plus parlée (un milliard et demi de locuteurs natifs et non-natifs) ; le français était classé cinquième (274,1 millions) ; l’allemand n’était que douzième (134,6 millions, dont 100 millions de locuteurs natifs75). Il est possible que l’importance accordée à d’autres langues soit inversement corrélée avec le rang international de la langue de chacun des trois pays étudiés.

En France, des règles différentes s’appliquent en fonction de la nationalité du demandeur. Le site FrSP propose quatre catégories76 pour la réponse à la question Quelle est votre situation ? :

Vous êtes européen ou membre de famille d’un Européen
Vous êtes britannique ou membre de famille d’un Britannique
Vous êtes de nationalité algérienne
Vous avez une autre nationalité

En Allemagne, pour les titulaires de la carte bleue européenne, les exigences linguistiques pour un titre de séjour permanent sont moindres. Il faut seulement prouver que :

Vous disposez de connaissances de base en allemand (niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues [CECRL]). Si vous pouvez justifier de connaissances en allemand de niveau B1, la durée minimum d’exercice d’une activité professionnelle qualifiée ne s’élève alors qu’à 21 mois au lieu de 3377.

Par ailleurs, une étude pluriannuelle sur les compétences linguistiques et l’intégration des réfugiés78 constatait que leur connaissance de l’allemand était quasi-inexistante aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. La répartition de cette population par rapport à l’écriture était la suivante : analphabète, 15 % ; lecteur-scripteur d’une langue utilisant l’alphabet latin, 34 % ; lecteur-scripteur d’une langue ayant un alphabet autre que latin, 51 %79. Les résultats constataient que les lecteurs-scripteurs de l’alphabet latin réussissaient mieux que les lecteurs-scripteurs d’autres alphabets, et que les plus mauvais résultats étaient obtenus par les analphabètes.

Au Royaume-Uni, en regardant la carte du Commonwealth80, on constate que la géographie joue un rôle dans la répartition des dispenses du niveau B1 : aucun pays membre situé en Afrique ou en Asie ne bénéficie de cette dispense, même lorsque la langue officielle du pays est l’anglais.

Promouvoir l’accessibilité en adaptant les supports

Ne pas maîtriser la langue du pays où l’on vit est un handicap qui peut ralentir ou même empêcher l’intégration. L’accessibilité linguistique universelle reste problématique au xxie siècle, malgré l’efficacité grandissante des outils souvent gratuits de traduction automatique. Une publication récente de l’OCDE81 (disponible uniquement en anglais) propose des pistes de réflexion. Il est important de proposer des cours d’alphabétisation ciblés ; il faut également tenir compte du temps nécessaire à l’acquisition de l’écrit par les immigrés et migrants allophones analphabètes. Concernant les documents administratifs, il est important de mieux cibler le niveau de langue employé, avec un outil tel que DeepFLE82. Les documents officiels devraient viser le niveau B1, nécessaire pour le titre de résident en Allemagne et au Royaume-Uni, mais qui donne accès à la naturalisation en France. Pour les publics en plus grande difficulté, des documents conformes au modèle FALC d’Intégration Europe pourraient être adaptés pour chaque langue et pour chaque type de handicap, y compris linguistique, en visant le niveau A2, nécessaire pour obtenir le titre de résident en France. Fournir une version orale du document pour les non-lecteurs faciliterait aussi leur intégration. Ces préconisations sont valables pour tous les publics en difficulté, qu’ils soient allophones ou locuteurs natifs.

Conclusion

L’un des objectifs lors de la création du CECR en 2001 était de développer le plurilinguisme au sein de l’Europe. Ce cadre commun était conçu au départ comme outil pour protéger la diversité culturelle et linguistique de l’Europe, tout en encourageant la mobilité intra-européenne. Pour être utilisé comme outil universel, il a besoin de dépasser le cadre des langues et des cultures européennes. Notre analyse de la politique linguistique des trois pays étudiés suggère qu’il reste encore des efforts à fournir pour assurer l’accessibilité des informations nécessaires à l’intégration linguistique et culturelle des immigrés et des migrants. Sans viser l’utopie d’une langue universelle, pour promouvoir l’accès à l’information en tant que bien commun de l’humanité, il serait souhaitable que toute communication officielle ne dépasse la valeur seuil de compréhension du public visé.

Notes

1 Depuis 1973, les langues officielles des Nations Unies sont l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe. https://ask.un.org/fr/faq/225001, languages N.B. : Toutes les ressources en ligne ont été consultées et vérifiées le 25 septembre 2023. Retour au texte

2 Glossaire de la terminologie toponymique. Traduction et adaptation de Naftali Kadmon, Glossary of Toponymic Terminology, réalisées par la Commission de toponymie de l’Institut Géographique National de France et par la Commission de toponymie du Québec, 1997, ici, p. 17. http://www.toponymiefrancophone.org/DivFranco/pdf/kadmon.pdf. Retour au texte

3 Glossaire de la terminologie toponymique, 1997, p. 15. Retour au texte

4 Données provenant des Nations Unies, https://www.un.org/development/desa/pd/content/international-migrant-stock. Retour au texte

5 Organisation internationale pour les migrations (OIM), État de la migration dans le monde 2022, p. 27. https ://worldmigrationreport.iom.int/wmr-2022-interactive/?lang=FR. Retour au texte

6 Inclusion Europe, 2021. https ://www.inclusion-europe.eu/easy-to-read-standards-guidelines/. Retour au texte

7 Indicateurs de gouvernance mondiale, 2021 http ://info.worldbank.org/governance/wgi/ ; Indice de qualité de vie, 2023. https://fr.numbeo.com/qualité-de-vie/classements-par-pays. Retour au texte

8 https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages/level-descriptions. Retour au texte

9 https://www.etsglobal.org/fr/fr/content/qui-sommes-nous. Retour au texte

10 https://etswebsiteprod.cdn.prismic.io/etswebsiteprod%2Fd55e39e9-94c5-4ede-a22d-4a2e6685f65b_corrélation+des+scores+tfi+sur+le+cecrl.pdf. Retour au texte

11 Glossaire de la terminologie toponymique, 1997, p. 17. Retour au texte

12 Françoise Waquet, Le Latin ou l’empire d’un signe : xvie-xxe siècle, Paris, Albin Michel, 2009, p. 104. Retour au texte

13 https://www.thevaticantickets.com/fr/vatican-city/. Retour au texte

14 Image de couverture disponible en ligne : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Unua_Libro_fr_001.png. Retour au texte

15 Sébastien Moret, « Comment enseigner une langue qui vient d’apparaître : le cas de l’espéranto », Cahiers du Centre de Linguistique et des Sciences du Langage, 2020, 62, p. 141-174, https://doi.org/10.26034/la.cdclsl.2020.953. Retour au texte

16 Le document est disponible en ligne : https://www.sat-amikaro.org/1922-la-sdn-et-l-esperanto. Retour au texte

17 Charles K. Ogden, Basic English: A General Introduction with Rules and Grammar, Londres, Paul Treber, 1930, http://zbenglish.net/sites/basic/isl.htmlg. La liste des mots se trouve ici : http://zbenglish.net/sites/basic/isl322.html. Retour au texte

18 https://omniglot.com/writing/ita.htm. Retour au texte

19 “Five Graces Group”, Clay Beckner, Richard Blythe, Joan Bybee, Morten H. Christiansen, William Croft, Nick C. Ellis, John Holland, Jinyun Ke, Diane Larsen-Freeman et Tom Schoenemann, « Language is a complex adaptive system: Position paper », Language Learning, 2009, 59, p. 1-26, https://doi.org/10.1111/j.1467-9922.2009.00533.x. Retour au texte

20 Jacques François, « Pourquoi les langues sont des systèmes complexes adaptatifs », Linx, 2022, 85, p. 1-20. https://doi.org/10.4000/linx.9670. Retour au texte

21 Robert Martin, « Sur les universaux du langage », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2014/2, 158, p. 843-874, ici, p. 843. https://doi.org/10.3406/crai.2014.95026. Retour au texte

22 Nicolas Evans et Steven C. Levinson, « The myth of language universals: Language diversity and its importance for cognitive science. », Behavioral and Brain Sciences, 2009/5, 32, p. 429-448, ici p. 429. https://doi.org/10.1017/S0140525X0999094X. Retour au texte

23 Evans et Levinson, 2009, p. 429. Retour au texte

24 L’outil SketchEngine permet d’accéder à plus de 40 très grands corpus monolingues d’environ 10 milliards de mots, d’où le nom de TenTen (1010) https://www.sketchengine.eu/documentation/tenten-corpora/. Retour au texte

25 Judith Rochfeld, Marie Cornu et Gilles J. Martin (dir.) L’Échelle de communalité : Propositions de réforme pour intégrer les biens communs en droit, avril 2021, http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2021/06/Rapport-17-34-final-Juin-2021.pdf. Retour au texte

26 Rochfeld, Cornu et Martin, 2021, p. 97. Retour au texte

27 Ibid., p. 94 et p. 151. Retour au texte

28 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417828/1994-03-01/. Retour au texte

29 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165298/. Retour au texte

30 Rochfeld, Cornu et Martin, 2021, Annexe 2, p. 498. Retour au texte

31 Constitution de la République italienne du 22 décembre 1947. https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article263. Retour au texte

32 Article 75.1 de la Constitution https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241104. Retour au texte

33 Liste des langues régionales en France métropolitaine : alsacien ; basque ; breton ; catalan ; corse ; flamand occidental ; francique (sous ses différentes formes : francique luxembourgeois, francique mosellan, francique rhénan) ; francoprovençal ; langues d’oïl : bourguignon-morvandiau, champenois, franc-comtois, gallo, lorrain, normand, picard, poitevin-saintongeais, wallon ; occitan (sous ses différentes formes : auvergnat, gascon, languedocien, limousin, provençal, vivaro-alpin) ; parlers du Croissant ; parlers liguriens. https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Agir-pour-les-langues/Promouvoir-les-langues-de-France/Langues-regionales. Retour au texte

34 https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Agir-pour-les-langues/Promouvoir-les-langues-de-France/Langues-regionales. Retour au texte

35 Il s’agit de langues suivantes : allemand, anglais, bulgare, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, grec, hongrois, irlandais, italien, letton, lituanien, maltais, néerlandais, polonais, portugais, roumain, slovaque, slovène, suédois, tchèque. https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/languages_fr#. Retour au texte

36 https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/languages_fr#. Retour au texte

37 Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues : Apprendre, Enseigner, Évaluer, traduit par Simone Lieutaux, 2001. https://rm.coe.int/16802fc3a8. Retour au texte

38 CECR 2001, p. 9. Retour au texte

39 https://publicsearch.coe.int. Retour au texte

40 CECR 2001, p. 16, p. 24, p. 87 et p. 108. Retour au texte

41 Ibid., p. 25. Retour au texte

42 https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages/reference-level-descriptions-rlds-developed-so-far. Retour au texte

43 La version anglaise est disponible en ligne : http://www.englishprofile.org. Retour au texte

44 Disponible en 22 langues. https://www.coe.int/en/web/common-european-framework-reference-languages/official-translations-of-the-cefr-global-scale. Retour au texte

45 https://esperanto.net/fr/esperanto-la-langue-internationale/. Retour au texte

46 https://rm.coe.int/cadre-europeen-commun-de-reference-pour-les-langues-apprendre-enseigne/1680a4e270. Retour au texte

47 https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages. Retour au texte

48 https://www.un.org/fr/ ; https://www.unesco.org/fr. Retour au texte

49 https://www.auswaertiges-amt.de/fr/newsroom/-/2347530#:. Retour au texte

50 Office fédéral pour la migration et pour les réfugiés. Retour au texte

51 Ministère fédéral des Affaires étrangères. Retour au texte

52 https://www.gov.uk/government/publications/civil-penalty-accreditation-scheme. Retour au texte

53 https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/languages_fr. Retour au texte

54 https://www.gov.uk/cymraeg. Retour au texte

55 CECR 2020, p. 4. Retour au texte

56 https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16024. Retour au texte

57 https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16024. Retour au texte

58 https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Developpement-culturel/Culture-et-handicap/Facile-a-lire-et-a-comprendre-FALC-une-methode-utile. Retour au texte

59 https://www.bamf.de/FR/Service/Impressum/impressum-node.html. Retour au texte

60 https://www.gov.uk/help/accessibility-statement. Retour au texte

61 https://www.plainenglish.co.uk/about-us.html. Retour au texte

62 https://www.inclusion-europe.eu/easy-to-read-standards-guidelines/. Retour au texte

63 https://www.inclusion-europe.eu/wp-content/uploads/2017/06/FR_Information_for_all.pdf. Retour au texte

64 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34501. Retour au texte

65 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F11926. Retour au texte

66 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34739. Retour au texte

67 Simona Ruggia et Laurent Vanni, « DeepFLE : la plateforme pour évaluer le niveau d’un texte selon le CECRL », Dialogues et cultures, 2021, 66, p. 235-254, https://hal.science/hal-03494844v1. Retour au texte

68 Die Bundesregierung, Le Gouvernement fédéral make-it-in-germany.com. Retour au texte

69 https://www.make-it-in-germany.com/fileadmin/1_Rebrush_2022/a_Fachkraefte/PDF-Dateien/3_Visum_u_Aufenthalt/Visagrafik_FR/2023_Jan_Erforderliche_Deutschkenntnisse_FR.pdf. Retour au texte

70 https://www.make-it-in-germany.com/fr/visa-sejour/residence-permanente/titre-sejour-permanent. Retour au texte

71 Les conditions précises sont indiquées ici : https://www.gov.uk/english-language. Retour au texte

72 https://www.gov.uk/skilled-worker-visa/knowledge-of-english. Retour au texte

73 https://www.gov.uk/english-language/exemptions. Retour au texte

74 https://www.ethnologue.com/insights/ethnologue200/. Retour au texte

75 https://www.auswaertiges-amt.de/fr/newsroom/-/2347530#:. Retour au texte

76 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N110. Retour au texte

77 https://www.make-it-in-germany.com/fr/visa-sejour/residence-permanente/titre-sejour-permanent. Retour au texte

78 Jana A. Scheible, Literacy training and German language acquisition among refugees: Knowledge of German and the need for support among integration course attendees learning an additional alphabet and those with no literacy skills, Nuremberg, Migration, Integration and Asylum Research Centre of the Federal Office for Migration and Refugees, 2018, https://www.ssoar.info/ssoar/handle/document/67560. Retour au texte

79 https://www.bamf.de/SharedDocs/Anlagen/EN/Forschung/Kurzanalysen/kurzanalyse10_iab-bamf-soep-befragung-gefluechtete-alphabetisierung.pdf. Retour au texte

80 https://thecommonwealth.org/map. Retour au texte

81 OCDE, Introduction Measures for Newly-Arrived Migrants, Making Integration Work, Paris, Éditions OCDE, 2023, https://doi.org/10.1787/5aeddbfe-en. Retour au texte

82 L’outil DeepFLE est accessible en ligne : http://deeptext.unice.fr/FLE/. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Yulia Edeleva et Carmela Chateau-Smith, « Les politiques linguistiques et l’immigration au xxie siècle : langue commune ou langue universelle ? », Savoirs en lien [En ligne], 2 | 2023, publié le 15 décembre 2023 et consulté le 02 mai 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. DOI : 10.58335/sel.367. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/sel/index.php?id=367

Auteurs

Yulia Edeleva

Institut für Germanistik, TU Braunschweig

Martin Luther University Halle-Wittenberg

Carmela Chateau-Smith

Université de Bourgogne-CPTC

Droits d'auteur

Licence CC BY 4.0