Féminités scandaleuses : Delphine de Germaine de Staël et Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir

  • Scandalous Femininities: Delphine by Germaine de Staël and Le Deuxième sexe by Simone de Beauvoir

DOI : 10.58335/sel.156

Résumés

Quel est le lien entre l’hystérisation et l’utérus ? Pourquoi la question féminine déchaîne-t-elle toujours des résistances et des passions qui paralysent le débat ? Deux ouvrages en témoignent : Delphine de Germaine de Staël (1802) et Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1949). Leur réception hostile, ajoutée au fait que les autrices soient des femmes et que leurs textes mettent en lumière le problème moral et social de la liberté féminine (divorce, sexualité) déclenche le ressentiment. Staël et Beauvoir sont-elles même encore des femmes pour se détacher ainsi de leur condition ?

What is the link between hysteria and the uterus? Why does the feminine question always unleash resistances and passions that paralyze the debate? Two works testify to this: Germaine de Staël’s Delphine (1802) and Simone de Beauvoir’s Le Deuxième sexe (1949). Their hostile reception, added to the fact that the authors were women and that their texts highlighted the moral and social problem of female freedom (divorce, sexuality), triggered resentment. Are Staël and Beauvoir even still women to detach themselves from their condition?

Plan

Texte

Que cherchons-nous dans n’importe quel texte philosophique, si ce n’est l’appui théorique d’un ou d’une aîné.e ? Quitte, bien sûr, à ne pas l’y trouver.
Michèle Le Dœuff, L’Étude et le rouet, Paris, Seuil [1989], réed. 2008, p. 145.

De quoi l’hystérisation est-elle le nom, sinon des passions qui accompagnent quasi systématiquement la réflexion sur la place des femmes et sur leur autonomie physique, morale et politique ? L’étymologie le rappelle qui assigne à ce néologisme, récemment attesté et généralisé dans les médias1, une origine à la fois physiologique et sexuellement déterminée. L’utérus, organe traditionnel des vapeurs et de l’obscurcissement des facultés intellectuelles depuis les traités d’Aristote2, traduit aujourd’hui encore, par extension, la virulence excessive de débats dominés par l’emportement au détriment de la raison et de la réflexion. Il ne s’agit cependant pas d’une simple métaphore : le terme d’hystérisation s’entend aussi au sens littéral tant les prérogatives biologiques de l’utérus – la sexualité, la maternité – et leurs répercussions sociales sous l’Ancien Régime – le mariage ou la difficulté voire l’impossibilité, pour une femme, d’exister hors du couple – déclenchent elles aussi, à chaque tentative de les discuter, de spectaculaires polémiques. N’est-ce pas là l’ambiguïté symptomatique du terme d’hystérisation et des connotations qu’il charrie ? Peut-on qualifier ainsi les pathologies du débat public sans réveiller, au moins implicitement, la très ancienne et pourtant toujours vive « querelle des femmes3 » ?

En témoigne le bruit particulièrement assourdissant que provoquent en leur temps, sur la scène littéraire et médiatique, deux des plus célèbres ouvrages écrits par des femmes et consacrés à la féminité : Delphine de Germaine de Staël et Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Leur parution, respectivement sous le Consulat et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, provoque de tels scandales dans la presse, assortis de violentes attaques contre la personne des autrices, qu’elle emblématise la conjonction toujours possible, et même souvent féconde, entre l’emballement des discours et l’objet féminin. Et Staël et Beauvoir en ont pleinement conscience. La première en anticipant l’accueil complexe qui attend son roman en 1802 : « La plupart des jugements littéraires que l’on publiera en France, ne seront, pendant longtemps encore, que des louanges de parti, ou des injures de calcul4 », prévient-elle dans sa préface ; la seconde en 1949 lorsqu’elle souligne, dès l’introduction, le caractère éminemment subversif de son projet : « J’ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme ; le sujet est irritant, surtout pour les femmes5 ». Or c’est précisément la nature de cet « irritant » qui mérite ici d’être interrogée. Pourquoi un « livre sur la femme » serait-il davantage prédisposé au vacarme et à la polémique ? L’utérus, pour le dire autrement, augmente-t-il le risque d’hystérisation, c’est-à-dire de déchaînement aveugle des critiques et d’impossibilité de débattre sereinement ?

L’analyse croisée de Delphine et du Deuxième sexe semble une piste particulièrement stimulante pour tenter de répondre à ces questions6. D’abord parce que ces deux ouvrages essuient de graves reproches au moment de leur parution si bien que leur réception, spectaculairement clivée7, constitue un cas paradigmatique de l’hystérisation qui intéresse ce numéro. Ensuite parce que le déchaînement passionnel qui déferle sur le roman de Staël et sur l’essai de Beauvoir naît, pour chacune d’entre elles, de leur choix subversif de placer la féminité au centre de la réflexion : la question du divorce occupe en effet le cœur de l’intrigue dans Delphine8, entraînant avec elle celle des mœurs et de la liberté amoureuse des femmes, tandis que leur « initiation sexuelle9 », objet d’un des chapitres le plus controversés et les plus crus du Deuxième sexe, défraie aussitôt la chronique10. Enfin parce que Delphine et Le Deuxième sexe inventent tous deux une nouvelle voix littéraire, à la frontière de la fiction et de la réflexion et qui naît d’une même difficulté, chez Staël et Beauvoir, à concilier le féminin et le philosophique. La femme philosophe ou l’acte de philosopher au féminin pourrait bien, dès lors, constituer l’autre problématique du débat : non pas seulement parce qu’une femme « philosophe » défie outrageusement l’ordre social, en 1802 comme en 1949, ainsi que plusieurs travaux l’ont déjà bien montré11, mais parce que Staël et Beauvoir échouent paradoxalement, l’une et l’autre, à accorder un véritable crédit à leur parole ou à leur éthos philosophiques. La confrontation de Delphine et du Deuxième sexe révélerait ainsi, en les cristallisant, la complexité des liens qui unissent la féminité au scandale et l’utérus à l’hystérisation.

La « chiennerie française12 »

Parler d’hystérisation pour Delphine et Le Deuxième sexe, malgré l’anachronisme du terme, suppose d’abord que la parution de ces deux ouvrages ait fait à leur époque événement : en termes quantitatifs – le roman de Staël et l’essai de Beauvoir ont dû être des succès qui ont touché un très large public – et en termes qualitatifs – leur contenu a déclenché de vives polémiques qui ont donné lieu aux analyses les plus contradictoires dans la presse. L’hystérisation désigne en effet un double bruit, au sens de notoriété et de scandale. Or c’est bien cette singulière déflagration qui caractérise la publication de Delphine et celle du Deuxième sexe.

Le roman de Germaine de Staël, publié les 8 et 14 décembre 1802 à Lausanne, puis à Paris, sort immédiatement de la seule scène littéraire pour bouleverser l’intégralité du champ social – « Savez-vous pourquoi les fiacres se plaignent de n’avoir rien à faire depuis deux jours […] ? C’est que tout Paris est renfermé pour lire le nouveau roman de Mme de Staël-Holstein13 » – et « suscit[er] une quantité considérable de paroles et d’écrits en France et hors de France14 ». Non seulement la première édition s’écoule en quelques mois, mais l’intense circulation du livre – « Le roman de Delphine a été enlevé de chez le libraire. Tout le monde l’a lu ou veut le lire15 », précise Benjamin Constant dans son compte rendu du Citoyen français – s’accompagne de réactions particulièrement antagoniques, aussi bien sous la plume des critiques que parmi les lecteurs. Staël ne s’y trompe pas qui souligne elle-même dans sa correspondance, le 23 mars 1803, le « grand bruit qu’il fait en tout sens16 ». La formule explicite, dans ses propres termes, une conscience du vacarme exceptionnel provoqué par un premier roman si contesté qu’il devient, davantage qu’un enjeu esthétique, l’objet d’une querelle idéologique : « Les journaux l’ont bien attaqué, mais je n’ai pas trouvé une seule critique où ce que je crois de bien et de mal dans le roman fût discuté17 », précise-t-elle le 2 février 1803. Ce gauchissement des débats, figés en joutes dogmatiques, s’explique en grande partie par un contexte politique particulier. Bonaparte, « vulnérable18 » en ce début de Consulat, cherche à asseoir une autorité encore fragile et surveille plus étroitement que jamais l’opinion publique en censurant, grâce à de puissants relais dans la presse, toute contestation du régime autoritaire qu’il met progressivement en place : sur le plan politique – l’opposition doit rester minoritaire – sur le plan culturel – la suprématie française doit s’affirmer aussi par-delà les frontières, à travers un patrimoine et un canon chargés de transmettre la grandeur nationale19 et sur le plan moral – le Code civil circonscrit rigoureusement, à partir de 1804, la place et les devoirs de chacun des deux sexes20. Or Delphine, véritable bréviaire libéral, revendique à la fois l’éloge de l’étranger21, la liberté d’expression et l’autorisation du divorce22. Un programme aussi subversif, associé à cette frange irréductible que Staël nomme, dès sa préface, « la France silencieuse23 », transforme inévitablement la réception du livre en tribune politique, voire en plébiscite pour le nouvel homme fort. Personne n’analyse donc objectivement le roman de Staël. Tout le monde en revanche, face à lui, choisit son camp : pour ou contre les Lumières, pour ou contre la Révolution, pour ou contre le programme politique du Consulat.

Cette polarisation franchit un degré supplémentaire lorsque paraît Le Deuxième sexe en 1949. L’essai de Beauvoir, qui rencontre un succès considérable en librairie – « Le premier volume fut bien reçu : on en vendit vingt-deux mille exemplaires dans la première semaine24 » – affronte lui aussi un climat spectaculairement clivé. L’accueil polémique qui lui est réservé dans la presse, notamment la plus conservatrice, pervertit d’emblée les enjeux du débat : Le Deuxième sexe, à peine rendu public, devient un objet de haines ou de fantasmes. L’« indignation phénoménale25 » qu’il suscite, pour reprendre la formule d’Élisabeth Roudinesco, naît moins d’une discussion contradictoire des qualités littéraires et philosophiques du livre, souvent passées sous silence, que de ses valeurs scandaleuses. La déconstruction inédite des préjugés sociaux à laquelle se livre Beauvoir26, son évocation sans tabou des réalités sexuelles et les nouvelles références littéraires qu’elle convoque pour étayer ses analyses – étrangères, contemporaines et souvent non canoniques – déclenchent en effet l’hostilité de la droite catholique, des communistes27 ainsi que d’une partie des milieux féministes28. Pour Beauvoir elle-même, la sphère publique perd alors la raison. Si elle n’emploie pas le terme d’hystérisation dans ses mémoires au moment d’évoquer la réception complexe du Deuxième sexe, elle n’en diagnostique pas moins, sous la charge dont il fait l’objet, un inquiétant mélange de rancœur et de cruauté :

La violence de ces réactions et leur bassesse m’ont laissée perplexe. Chez les peuples latins, le catholicisme a encouragé la tyrannie masculine et l’a même inclinée vers le sadisme ; mais si elle s’allie chez les Italiens à de la muflerie, chez les Espagnols à de l’arrogance, la chiennerie est proprement française29.

La « chiennerie », autrement définie comme « la vieille grivoiserie française, reprise par des mâles vulnérables et rancuneux30 », désigne bien un acharnement passionnel, nourri par la peur et les préjugés et qui substitue à la réflexion l’invective ou la menace. Et Beauvoir et Staël y sont férocement exposées : la première en conserve un souvenir cuisant dans La Force des choses – « Insatisfaite, glacée, priapique, nymphomane, lesbienne, cent fois avortée, je fus tout, et même mère clandestine31 » –, après que la seconde se découvre, dans la presse, sous les traits d’« une étrangère laide comme le péché mortel, intrigante comme une orléaniste, hardie comme un page et sensible comme un jacobin32 ». Ces insultes, autre symptôme traditionnel de la « chiennerie », prolifèrent, au-delà de la question féminine, à chacune des attaques portées contre un certain ordre moral conservateur ou rigoriste33. Sa remise en cause provoque alors, sous l’effet de la crainte, comme Staël et Beauvoir en font toutes deux l’épreuve, une croisade mue par l’indignation et dans laquelle la pensée, paralysée ou aveuglée par les affects, a disparu. Si elle ne s’appelle pas encore « chiennerie » en 1802, lorsque B. Constant prend la défense de Delphine contre la réaction qui s’empare du livre, « la clique des cagots, des fanatiques, des apostats de la philosophie34 » qu’il évoque mobilise, sous sa plume, les mêmes images inquiétantes d’une horde à la fois violente et dogmatique.

Le malheur d’être une femme

L’hystérisation a cependant besoin d’un élan spécifique. Elle ne se déploie pas avec la même intensité selon qu’elle dénonce des positions idéologiques, religieuses ou morales. Or parmi les cibles qui décuplent sa violence, la féminité joue incontestablement un rôle majeur. Sa mise au centre des débats, qu’il s’agisse de définir une femme, de penser sa condition, ses mœurs ou plus généralement les contours de sa liberté, aggrave très souvent la frénésie des échanges. Parler d’hystérisation met par conséquent en lumière la spécificité passionnelle de la féminité : sa faculté d’enrayer la pensée et de démultiplier la puissance du préjugé.

Pourquoi ? Et Delphine et Le Deuxième sexe en font douloureusement l’épreuve : analyser la trajectoire féminine et les obstacles qui pèsent sur son libre épanouissement suppose de démêler un écheveau de représentations si profondément sédimentées qu’elles ont fini par s’essentialiser. Le féminin serait cette vérité forgée par l’usage et condamnée à reproduire éternellement la même fatalité : « Vous savez bien que je suis une femme, avec les qualités et les défauts que cette destinée faible et dépendante peut entraîner35 », prévient l’héroïne de Staël. Le concept même de « destinée » explicite ici la clôture irréversible d’une existence privée d’avenir tant les déterminismes qui pèsent a priori sur elle – naturels, religieux, sociaux et politiques – sont devenus à la fois une norme et une identité. Delphine est une femme avec toute l’évidence mélancolique que le terme charrie : « Mais les femmes, grand Dieu ! Les femmes ! Que leur destinée est triste36 ! » Or cette fixité, le roman de Staël entend précisément la déconstruire. C’est le sens du projet esquissé dans sa correspondance en 1800 : « Je continue mon roman, et il est devenu l’histoire de la destinée des femmes présentée sous différents rapports37 ». Le terme d’« histoire », comme celui de « rapport », revêt ici une valeur stratégique : introduisant une dimension temporelle dans la genèse de Delphine, il relativise de facto le concept de « destinée ». Une femme est-elle encore prisonnière d’un sort immuable dès lors que ce dernier redevient l’étape chronologique d’un processus ou le fruit de circonstances ponctuelles ? Parler de « rapport » souligne même, chez Staël, le caractère dialectique d’une existence féminine qui ne se définirait plus en soi, mais en relation avec le milieu, l’autorité et les codes qui la constituent. Rendant à l’identité des femmes son extériorité et son temps long, Staël minore par conséquent l’hypothèse d’une nature dont toutes les créatures du même sexe seraient inévitablement captives. Non que la vie de ses héroïnes échappe à la fatalité du premier pas, de la bonne éducation ou du mariage :

Si l’enfant que je porte dans mon sein est une fille, ah ! Combien je veillerai sur son choix ! Combien je lui répéterai que, pour les femmes, toutes les années de la vie dépendent d’un seul jour ! Et que d’un seul acte de leur volonté dérivent toutes les peines ou toutes les jouissances de leur destinée38.

Mais cette dépendance, si impérieuse soit-elle, ne les enferme pas tout entières. Il leur reste, si elles ont le courage de se l’accorder ou la chance d’en bénéficier, un champ des possibles : une vie autonome lorsqu’à l’image de Delphine, veuve à vingt et un ans, elles se trouvent « à l’abri de toutes les peines que peut faire éprouver la privation de la fortune39 », un mariage choisi grâce à la loi qui autorise le divorce depuis septembre 1792 – c’est le parti courageusement pris par le personnage d’Élise de Lebensei – ou une indifférence vis-à-vis de l’opinion qui fait de Delphine une « philosophe », avec toutes les connotations péjoratives de cette étiquette à l’époque.

Ces alternatives desserrent considérablement l’étau de la « destinée ». Le roman staëlien, sans affranchir encore les femmes de l’hypothétique essence qui les caractérise, dénonce le poids tout aussi crucial des préjugés dans leur aliénation : « Mais les femmes sont mises, par l’ordre social, dans la noble impossibilité de se soustraire aux malheurs causés par les torts40 ». Une telle analyse, et le changement de valeurs qu’elle implique, ne pouvaient que scandaliser en 1802 : la responsabilité du malheur féminin, dès lors qu’elle est partagée et non plus seulement imputable à la prétendue infériorité des protagonistes ou à leur faute, renvoie l’opinion à la violence dont elle se rend coupable chaque fois qu’elle punit une transgression à la norme arbitraire qu’elle impose41. La puissance aveugle de cette communauté, que Staël nomme « l’esprit de corps42 », pervertit alors la morale et transforme la scène publique en un tribunal aussi injuste qu’impitoyable : sa « personnalité collective43 », au lieu de réguler les rapports humains, les exacerbe au contraire en les jetant sur une arène cruelle, au service de l’égoïsme – « la société […] juge les actions des hommes seulement dans leurs rapports avec son intérêt44 » – et sur laquelle la créature vertueuse n’est plus coupable, aux yeux de Staël, mais victime de l’hypocrisie et de la menace que représente son honnêteté au milieu des âmes corrompues : « Il n’y a plus de sûreté pour personne, si toutes les actions reprennent leur nom, et toutes les paroles leur sens45 ». La proscription de Delphine, exclue des salons et blâmée pour la liberté de ses opinions comme pour l’audace de ses choix, sanctionne donc moins la faute de l’héroïne que la violence du conformisme social et sa lâcheté. La femme libre, telle que Staël choisit de la représenter, n’incarne plus une anomalie, ni une transgression, mais le prix à payer de l’innocence dans les cercles cyniques du grand monde :

Ces vérités générales s’appliquent aux femmes d’une manière bien plus forte encore : il est convenu qu’elles doivent respecter toutes les barrières, porter tous les genres de joug ; et comme il y aurait de l’inconvénient pour le bonheur de la société en général à ce que le plus grand nombre des femmes eussent des sentiments passionnés ou même des lumières très étendues, il n’est pas étonnant qu’à cet égard la société redoute tout ce qui fait exception, même dans le sens le plus favorable46.

Le prisme staëlien et son autopsie sans complaisance du présent – le roman, rappelle la préface de Delphine, doit être si vrai que « vous croyez assister à la vie réelle en le lisant47 » – redéfinissent par conséquent le malheur d’être une femme : imputant une part essentielle de ses souffrances à l’injustice du milieu et à ses jeux d’influence, il tend à la France consulaire l’insupportable miroir de ses contradictions48. Dix ans après la Révolution et son élan progressiste, dont l’autorisation du divorce constitue l’une des mesures phares, que reste-t-il de la liberté féminine ? C’est en partie pour répondre à cette question, et rendre visible l’un des principaux angles morts de son époque, que Staël choisit un contexte stratégiquement décalé : l’intrigue de Delphine, si le livre paraît en décembre 1802, se déroule en réalité dix ans plus tôt, entre le 12 avril 1790 et octobre 1792 précisément. Or cette analepse, outre qu’elle évite l’approche documentaire de la Révolution49, souligne surtout la persistance, et plus encore l’infondé des préjugés sous le Consulat. Ces derniers empoisonnent en effet, plus que jamais, le débat sur le divorce50. Or depuis la loi promulguée le 20 septembre 1792, la légitimité de ce dernier est acquise : une femme qui divorce ne commet plus un crime, mais échappe au contraire à ce que les personnages de Delphine dénoncent comme l’un des pires fléaux de l’Ancien Régime, « l’union mal assortie51 ». Les mœurs résistent cependant, au point qu’elles tardent à entériner cette nouvelle liberté. Le divorce a beau exister légalement en 1802, il suscite encore de profondes réticences et les femmes qui en font le choix, à l’image d’Élise de Lebensei, se voient ostracisées par l’opinion :

En prenant la résolution de faire divorce avec mon premier mari, et d’épouser quelques années après M. de Lebensei, j’ai parfaitement senti que je me perdais dans le monde, et j’ai formé, dès cet instant, le dessein de n’y jamais reparaître52.

Cette violence sociale et les réticences morales dont elle s’accompagne, intéressant prioritairement le roman staëlien, devaient par conséquent être mises en lumière. Quoi de plus efficace alors qu’un décalage chronologique ? Où voit-on mieux l’aveuglement des esprits que lorsqu’ils n’ont plus aucune raison objective de s’opposer à la réforme des mœurs ? Delphine, embrassant une séquence temporelle stratégique puisqu’elle relie la Révolution au Consulat, autrement dit l’ouverture libérale de la société à sa difficile négociation par Bonaparte, retrace, pour reprendre la formule de Béatrice Didier, « la présence et l’affrontement de deux mondes53 » : l’émancipation et la réaction, le progrès et le conservatisme, la fatalité et les constructions sociales, politiques et morales qui agissent encore trop souvent en son nom.

La route est par conséquent déjà tracée lorsqu’en 1949, Beauvoir substitue à la définition essentialiste du féminin l’importance des représentations dont il fait l’objet :

On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine : c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin54.

Cette célèbre formule, outre qu’elle rétablit elle aussi une dialectique entre l’être femme et la réalité politique et sociale d’un « monde qui appartient aux hommes55 », prend également acte de l’inaccomplissement, voire de l’inachèvement féministe de la Révolution, « respectueuse des institutions et des valeurs bourgeoises ; et […] faite à peu près exclusivement par les hommes56 ». Le Deuxième sexe, en d’autres termes, n’invente pas le problème féminin – « il n’est pas neuf57 », précise Beauvoir à l’ouverture de son essai –, pas plus qu’il ne prétend éclairer pour la première fois ses enjeux. Il révèle en revanche, du fait de la vaste mémoire historique et littéraire sur laquelle ses réflexions s’appuient, l’impensé qu’il constitue – « D’où vient en la femme cette soumission ? […] Il y a toujours eu des femmes ; elles sont femmes par leur structure physiologique ; aussi loin que l’histoire remonte, elles ont toujours été subordonnées à l’homme : leur dépendance n’est pas la conséquence d’un événement ou d’un devenir, elle n’est pas arrivée58 » – et l’insupportable décalage entre les attentes suscitées par deux siècles d’émancipation et la réalité des verrous qui persistent en 1949 : « Même lorsque des droits lui sont abstraitement reconnus, une longue habitude empêche qu’ils ne trouvent dans les mœurs leur expression concrète59 ».

Beauvoir, revenant alors sur les figures qui ont précédé et nourri son analyse, marche notamment sur les pas de Staël, mentionnée à plusieurs reprises dans Le Deuxième sexe. Elle reste en revanche silencieuse sur ses romans et leurs portraits de femme, se contentant d’évoquer la personne réelle de l’autrice à travers quelques anecdotes biographiques aussi inexactes que lourdes de préjugés : « Mme de Staël ne rechercha que tardivement, dans ses amants, jeunesse et beauté : dominant les hommes par la vigueur de son esprit, accueillant avec orgueil leur admiration, elle ne devait guère se sentir une proie entre leurs bras60 ». Cette méconnaissance apparente est d’autant plus préjudiciable, voire explicitement troublante que Beauvoir, comme Staël, traque moins ici les faits qui ont pesé sur l’émancipation des femmes, que la dimension irrationnelle de leur relégation. Alors que Delphine voit le jour sous l’Empire, soit « en temps de dictature militaire61 », pour reprendre une formule du Deuxième sexe, au cœur même d’une séquence politique si régressive qu’elle retarde objectivement de plusieurs décennies la liberté des femmes, à l’époque de Beauvoir en revanche plusieurs progrès, à commencer par le droit de vote récemment accordé, en plus de leur timide autonomie sociale et financière, auraient dû rendre anachronique jusqu’au projet du Deuxième sexe :

Cependant il ne faudrait pas croire que la simple juxtaposition du droit de vote et d’un métier soit une parfaite libération : le travail aujourd’hui n’est pas la liberté. C’est seulement dans un monde socialiste que la femme en accédant à l’un s’assurerait l’autre. La majorité des travailleurs sont aujourd’hui des exploités. D’autre part la structure sociale n’a pas été profondément modifiée par l’évolution de la condition féminine ; ce monde qui a toujours appartenu aux hommes conserve encore la figure qu’ils lui ont imprimée62.

La liberté des femmes, en d’autres termes, a beau être un principe ou un possible pour une partie du monde civilisé, elle n’a pas réussi à en modifier la structure. Elle y existe en théorie, mais elle ne se traduit pas concrètement. « Tout est réglé, et pourtant rien ne l’est63 », souligne encore Michèle Le Dœuff.

Beauvoir introduit ici une précision capitale : c’est en effet l’écart entre les signes objectifs de l’émancipation féminine et sa réalité qui l’intéresse et qu’elle entend démasquer. Si l’aliénation effective du « deuxième sexe » est désormais connue tant les exemples et les études abondent, deux cents ans après la Révolution, l’archéologie des préjugés qui la sous-tendent, elle, reste encore à écrire. Le Deuxième sexe quitte donc la seule scène de l’histoire pour explorer davantage la face cachée de la pensée : pour débusquer l’invisible et l’indicible, voire le déni dont se nourrissent, parfois à l’insu des protagonistes, la peur des femmes et leur minoration. C’est le sens de l’épigraphe, empruntée à Kirkegaard, qui ouvre significativement le deuxième tome de son essai : « Quel malheur que d’être une femme ! et pourtant le pire malheur quand on est une femme est au fond de ne pas comprendre que c’en est un64 ».

« Si j’étais née homme65 »

Rien d’étonnant alors si Staël et Beauvoir, fortes d’une telle ambition, incarnent une féminité paradoxale : comment ne pas se méfier d’une appartenance sexuelle dont et Delphine et Le Deuxième sexe déconstruisent méthodiquement les préjugés ? La question, chez ces deux autrices, engage aussi bien leur identité – qui être ? Et qu’est-ce qu’une femme critique de la féminité66 ? – que leurs choix littéraires. Comment surmonter l’extériorité qu’implique le geste d’analyser ? La complexité d’une telle voix, à la fois empathique avec une condition féminine connue parce qu’elle est intimement partagée, et détachée pour mieux dénoncer les insuffisances ou les défaillances de cette dernière, confère à ces deux femmes une posture intenable. Non seulement Staël et Beauvoir prétendent éclairer la trajectoire féminine et l’affranchir des différents jougs qui l’entravent, mais elles le font en étant elles-mêmes des femmes, autrement dit en se séparant d’un modèle et d’une culture dont la considération philosophique exige qu’elles leur deviennent provisoirement étrangères. Une telle indépendance nourrit forcément la suspicion, quand elle ne constitue pas un élément majeur du scandale et de l’hystérisation déclenchée par leurs ouvrages : Staël et Beauvoir n’auraient-elles pas trahi les femmes, sous couvert de révéler leurs aliénations ? En témoigne la difficulté, sous la plume de Beauvoir elle-même au moment où s’élabore Le Deuxième sexe, de concilier la féminité et l’approche philosophique du féminin :

Je suis donc revenu à mon essai sur les femmes. Je vous l’ai dit, jamais je n’ai souffert d’être une femme, et parfois même je m’en félicite. Cependant quand je regarde les femmes autour de moi, je constate qu’elles vivent des problèmes spécifiques et qu’il vaudrait la peine de les analyser dans leur particularité67.

Souvent interprétée comme une désolidarisation68, voire comme un symptôme de misogynie tant Beauvoir, dépourvue de la moindre complaisance dans l’autopsie de ce qu’elle nomme significativement les « tares de la féminité69 » ou « l’angoisse d’être femme70 », met à nu les opacités douloureuses de ses congénères, cette distance heurte les lecteurs et menace jusqu’à la réception de son essai. « Je souhaite que Le Deuxième sexe soit compris tel que je l’ai écrit71 », précise-t-elle dans La Force des choses, répondant alors au reproche de n’avoir ni accepté, ni assumé le fait d’être une femme. Seule la honte, voire l’humiliation expliquent en effet, pour la plupart de ses détracteurs, l’ambition et la virulence du Deuxième sexe.

Or Beauvoir, comme elle s’en justifie dans des termes troublants, prétend n’avoir aucun problème avec sa féminité ou ne l’avoir jamais auparavant perçue comme une composante explicite de son identité :

J’avais beaucoup d’amis masculins dont le regard, loin de m’enfermer dans des limites, me reconnaissait comme être humain à part entière ; ces chances m’avaient défendue, contre tout dépit et toute rancœur : on a vu que ni mon enfance ni ma jeunesse ne m’en avaient non plus infectée. Des lecteurs plus subtils ont considéré que j’étais misogyne et que, prétendant prendre le parti des femmes, je les exécutais ; c’est faux : je ne les exalte pas et j’ai décrit les défauts qu’engendre leur condition, mais j’ai montré aussi leurs qualités et leurs mérites72.

L’animosité déclenchée par son essai tiendrait par conséquent, plutôt que de sa situation ou de sa réticence à se percevoir elle-même en tant que femme, de sa faculté d’éclairer l’inconscient de sa condition. Il existe en effet pour Beauvoir, chez toute femme et donc chez elle aussi, une part d’ombre qui préfère la souffrance à l’émancipation73 et le mensonge à la vérité :

En effet, à côté de la prétention de tout individu à s’affirmer comme sujet, qui est une prétention éthique, il y a aussi en lui la tentation de fuir sa liberté et de se constituer en chose : c’est un chemin néfaste car passif, aliéné, perdu, il est alors la proie de volontés étrangères, coupé de sa transcendance, frustré de toute valeur. Mais c’est un chemin facile : on évite ainsi l’angoisse et la tension de l’existence authentiquement assumée. L’homme qui constitue la femme comme un Autre rencontrera donc en elle de profondes complicités. Ainsi, la femme ne se revendique pas comme sujet parce qu’elle n’en a pas les moyens concrets, parce qu’elle éprouve le lien nécessaire qui la rattache à l’homme sans en poser la réciprocité, et parce que souvent elle se complaît dans son rôle d’Autre74.

Ces passions négatives, qu’elles se nomment ignorance, peur ou déni, exigent cependant de l’autrice qui les met en lumière un double courage et un double geste paradoxal : celui de les dénoncer et celui, plus troublant encore, de les avoir auparavant identifiées et donc éprouvées. Comment Beauvoir aurait-elle pu reconnaître et décrire avec une telle acuité cette haine de soi, ce dégoût et cette « misère originelle d’être corps75 » si elle ne les avait pas d’abord rencontrés ? La Force des choses explicite, à différentes reprises, l’origine personnelle du Deuxième sexe – « Voulant parler de moi, je m’avisai qu’il me fallait décrire la condition féminine76 » – et sa vertu thérapeutique pour Beauvoir, jusqu’ici aveugle sur son sort et à qui ses recherches et sa réflexion rendent salutairement la vue :

Je m’étais mise à regarder les femmes d’un œil neuf et j’allai de surprise en surprise. C’est étrange et c’est stimulant de découvrir soudain, à quarante ans, un aspect du monde qui crève les yeux et qu’on ne voyait pas77.

Cet aveu, présenté ici en toute transparence, apporte deux informations capitales pour la juste compréhension du Deuxième sexe : il en brouille d’abord les contours génériques puisque le « livre », comme Beauvoir le nomme du terme délibérément le plus vague, devient le fruit du hasard – il fut conçu « presque fortuitement78 » – et non d’une maturation philosophique ; et il révèle ensuite l’aveuglement de Beauvoir elle-même, femme autre, pour reprendre son vocabulaire existentialiste, passive et partiellement incapable de clairvoyance et de liberté avant l’écriture de son essai.

Pire encore, ce dernier présente pour elle d’incontestables faiblesses, sur lesquelles elle insiste rétrospectivement – « découvrant mes idées en même temps que je les exposais, je n’ai pas pu faire mieux79 » –, au point qu’elle en minore l’ambition :

En gros, je demeure d’accord avec ce que j’ai dit. Je n’ai jamais nourri l’illusion de transformer la condition féminine ; elle dépend de l’avenir du travail dans le monde, elle ne changera sérieusement qu’au prix d’un bouleversement de la production. C’est pourquoi j’ai évité de m’enfermer dans ce qu’on appelle « le féminisme ». Je n’ai pas non plus apporté de remède à chaque trouble particulier. Du moins ai-je aidé mes contemporaines à prendre conscience d’elles-mêmes et de leur situation80.

Incomplet, immature ou inefficace à une autre échelle que celle des lectrices individuelles, dont Beauvoir reçoit les nombreux témoignages, Le Deuxième sexe apparaît ainsi comme un livre paradoxal et philosophiquement mutilé81. En ajoutant que s’il « a aidé les femmes, c’est qu’il les exprimait82 », l’autrice suggère peut-être même une troublante ressemblance entre l’impuissance conceptuelle et politique de son essai83 et le sort féminin, amputé lui aussi de sa transcendance du fait de sa trop grande dépendance84. Là résiderait l’autre motif – non plus moral, mais philosophique – du scandale déclenché par Le Deuxième sexe : en y livrant ses propres réticences, ses failles et en louant surtout, au cœur d’un livre consacré à la destinée féminine, « cette situation privilégiée85 » qui l’autorise ponctuellement à ne plus être une femme, notamment quand elle écrit, Beauvoir ose une démarche à la lisière du masochisme. Cette pulsion, qui consiste à rechercher les situations humiliantes, à s’interdire la liberté ou à se punir de l’avoir prise ou analysée, inspire de nombreuses pages du Deuxième sexe. Beauvoir l’approche donc de très près et le définit même comme une voie psychiquement plus facile, voire séduisante pour les femmes libres, qui rivalisent d’audace le jour pour mieux s’autoriser, la nuit, l’aliénation consentie :

Il y a un chemin qui semble pour la femme beaucoup moins épineux : c’est celui du masochisme. Quand pendant le jour on travaille, on lutte, on prend des responsabilités et des risques, c’est une détente que de s’abandonner la nuit à des caprices puissants. Amoureuse ou naïve, la femme en effet se plaît souvent à s’anéantir au profit d’une volonté tyrannique86.

La voix complexe du Deuxième sexe crée donc une féminité divisée87 et pour le moins scandaleuse : à la fois assumée et niée, revendiquée et détestée, lucide et entravée.

Peut-être ces voiles empêchent-ils alors Beauvoir de lire authentiquement Delphine88 et d’y voir une même dissociation douloureuse avec le féminin. Non seulement Staël, qui place pourtant l’histoire des femmes au cœur de son intrigue, privilégie l’échec de ces dernières et leurs trajectoires malheureuses89 – combien d’héroïnes enfermées, malades ou chassées des lieux publics à cause de leur différence dans Delphine ? –, mais elle invente encore, avec Delphine, une figure éminemment contradictoire. D’abord « philosophe » émancipée, comme elle le revendique fièrement90, Delphine rêve ensuite de ne plus être une femme – « si j’étais un homme, il me serait aussi impossible de ne pas aimer la liberté91 », déclare-t-elle à Léonce lors de leurs discussions politiques –, avant de se voir sévèrement condamnée par l’autrice elle-même dans la postface du roman :

Je n’ai jamais voulu présenter Delphine comme un modèle à suivre ; mon épigraphe prouve que je blâme Léonce et Delphine, mais je pense qu’il était utile et sévèrement moral de montrer comment avec un esprit supérieur on fait plus de fautes que la médiocrité même, si l’on n’a pas une raison aussi puissante que son esprit92.

Ces « Quelques réflexions sur le but moral de Delphine », ajoutées à la réédition du texte suite aux violentes critiques suscitées par ce dernier, ont certes une fonction modératrice qui jette le doute sur la sincérité de Staël en la circonstance. Mais cette dernière outrepasse cette prudence stratégique en avouant la profonde réprobation que suscite chez elle son personnage, trop libre et justement châtié à ses yeux : « Je ne lui ai pas pardonné les imprudences que l’entraînement de son caractère lui a fait commettre, et j’ai présenté tous ses revers comme en étant la suite immédiate93 ». Le martyre de la femme philosophe, s’il pose par conséquent la question toujours délicate du « féminisme » staëlien94, révèle ainsi le scandale d’une femme explicitement en guerre contre les préjugés – c’est l’un des enjeux de l’épigraphe –, tout en entérinant leur pouvoir. L’hésitation générique de Delphine, écartelé entre la confession intime et le traité philosophique95, traduit littérairement l’incapacité staëlienne à s’assumer à la fois comme femme, et comme philosophe.

Notes

1 « Les termes “ hystérie ”et “ hystérique” sont aujourd’hui passés dans le langage courant. Ils sont régulièrement utilisés par des journalistes et occasionnellement par des hommes politiques », écrit Sabine Arnaud dans L’Invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820), Paris, Éditions de l’EHESS, 2014, p. 9. Retour au texte

2 Voir Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 1992, p. 49. Retour au texte

3 Voir Éliane Viennot (dir.), Revisiter la « Querelle des femmes ». Discours sur l’égalité-inégalité des sexes, de 1750 aux lendemains de la Révolution, avec la collaboration de Nicole Pellegrin, St Étienne, Presses de l’Université de Saint-Étienne, 2012. Retour au texte

4 Germaine de Staël, Delphine [1802], réed. Simone Balayé et Lucia Omacini, Œuvres complètes de Madame de Staël, série II, t. II, Paris, Champion, 2004, p. 15. Cette édition servira de référence pour cette contribution. Retour au texte

5 Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949, t. I, p. 11. Toutes les références renverront désormais à cette édition. Retour au texte

6 Elle a pourtant été peu frayée jusqu’ici, malgré de précieuses suggestions : celle de Françoise d’Eaubonne dans « L’autonomie philosophique de Simone de Beauvoir », Simone de Beauvoir Studies, vol. 19, 2003, p. 14 (« On pourrait aisément évoquer Germaine de Staël ») et celle de Geneviève Fraisse, « Étude, souffrance, jouissance », L’Homme et la société, n° 179-180, 2011, p. 123 (« Si on regardait en arrière [de l’œuvre de Beauvoir], on penserait aux deux héroïnes des romans de Germaine de Staël, Delphine et Corinne… »). Retour au texte

7 Voir Simone Balayé, « Delphine de Madame de Staël et la presse sous la Consulat », Romantisme, n° 51, 1986, p. 39-48 et Ingrid Galster, Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Mémoire de la critique, Paris, Presse de l’Université Paris-Sorbonne, 2004. Quelques voix favorables s’élèvent bien sûr en faveur de chacun des ouvrages, en 1802 comme en 1949. Mais elles restent minoritaires dans le concert des attaques. Retour au texte

8 Voir Gérard Gengembre, « Delphine, ou la Révolution française : un roman du divorce », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 105-112 et Paul Kompanietz, « Le divorce en débat dans le roman du tournant des Lumières », dans Stéphane Gougelmann et Anne Verjus (dir.), Écrire le mariage en France au xixe siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2016, p. 37-53. Retour au texte

9 Le Deuxième sexe, t. II, p. 146. Retour au texte

10 « Nous avons littérairement atteint les limites de l’abject », écrit François Mauriac dans Le Figaro le 30 mai 1949, Le Deuxième sexe de S. de Beauvoir, p. 22. Retour au texte

11 Voir Florence Lotterie, « Un aspect de la réception de Delphine : la figure polémique de la “femme philosophe” », Cahiers staëliens, n° 57, 2006, p. 119-138, Le Genre des Lumières. Femme et philosophe au xviiie siècle, Paris, Garnier, 2013, p. 270-280, Margaret A. Simons, « L’indépendance de la pensée philosophique de Simone de Beauvoir », Les Temps modernes, n° 619, 2002/3, p. 43-52 et Michel Kail, Simone de Beauvoir philosophe, Paris, PUF, 2006. Retour au texte

12 Simone de Beauvoir, La Force des choses, Paris, Gallimard, 1963, t. I, p. 259. Retour au texte

13 Pierre Louis Rœderer, Journal de Paris, cité par Lady Blennerhasset, Madame de Staël et son temps [1890], réed. Genève, Slatkine, 2002, t. II, p. 500. Retour au texte

14 Cahier staëlien, n° 26-27, 1979, « La réception de Delphine », p. 1-2. Retour au texte

15 Benjamin Constant, compte rendu de Delphine paru le 16 janvier 1803 dans Le Citoyen français, Recueil d’articles (1795-1817), éd. Ephraïm Harpaz, Genève, Droz, 1978, p. 59. Retour au texte

16 Germaine de Staël, Lettre du 23 mars 1803 à Nils von Rosenstein, Correspondance générale, éd. Béatrice W. Jasinski, Genève, Slatkine, 2009, t. IV, p. 600. Désormais abrégé en CG. Retour au texte

17 G. de Staël, CG-IV, p. 591. Retour au texte

18 Voir S. BalayÉ, « Delphine de Madame de Staël et la presse sous la Consulat », p. 39. Retour au texte

19 Voir Jean-Claude Bonnet (dir.), L’Empire des Muses. Napoléon, les arts et les lettres, Paris, Belin, 2004. Retour au texte

20 Voir Anne Verjus, Le bon mari. Une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire, Paris, Fayard, 2010. Retour au texte

21 « En lisant les écrits d’une nation dont la manière de voir et de sentir diffère beaucoup de celle des Français, l’esprit est excité par des combinaisons nouvelles », écrit-elle dans la préface : Delphine, p. 10. Retour au texte

22 « En interdisant le divorce, la loi n’est sévère que pour les victimes, elle se charge de river les chaînes sans pouvoir influer sur les circonstances qui les rendent douces ou cruelles », déclare Henri de Lebensei : Delphine, IV-17, p. 446. Retour au texte

23 Delphine, p. 15. Retour au texte

24 La Force des choses, t. I, p. 259. Retour au texte

25 Élisabeth Roudinesco, « Soudain, Le Deuxième sexe… », Les Temps modernes, 2008/1, p. 193. Retour au texte

26 Voir Ingrid Galster, « Relire Beauvoir. Le Deuxième sexe soixante ans après », Sens public, I, 2013 : « En séparant le sexe biologique du rôle social, Beauvoir définit ce qui, plus tard, sera nommé “gender” », p. 5. Retour au texte

27 Voir l’article publié par Marie-Louise Barron dans Les Lettres françaises et analysé dans Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. « En choquant la droite et la gauche avec ses thèses, Beauvoir était indéniablement en avance sur son époque », ajoute I. Galster dans sa préface, p. 13. Retour au texte

28 Voir Sylvie Chaperon, « Haro sur Le Deuxième sexe », Christine Bard (dir.), Un Siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999, p. 269-283. Retour au texte

29 La Force des choses, t. I, p. 261. Retour au texte

30 La Force des choses, t. I, p. 262. Retour au texte

31 La Force des choses, t. I, p. 260. Retour au texte

32 Joseph Fiévée, article paru dans Le Mercure de France le 1er janvier 1803, cité par Simone Balayé, « Un émissaire de Bonaparte, Fiévée critique de Mme de Staël et de Delphine », Cahiers staëliens, n° 26-27, 1979, p. 105. Retour au texte

33 E. Roudinesco, évoquant les attaques contre Le Deuxième sexe, parle d’une « chasse aux ennemis de l’ordre moral », art. cité, p. 194. Retour au texte

34 B. Constant, Recueil d’articles, p. 61. Retour au texte

35 Delphine, I-3, p. 28. Retour au texte

36 Delphine, V-11, p. 550. Retour au texte

37 G. de Staël, Lettre du 10 septembre 1800 à Mme Pastoret, CG-IV, p. 322. Retour au texte

38 Delphine, II-7, p. 176. Retour au texte

39 Delphine, I-1, p. 19. Retour au texte

40 Delphine, p. 721. Retour au texte

41 C’est le sens de l’épigraphe du roman, empruntée aux Mélanges de Suzanne Necker : « Un homme doit savoir braver l’opinion, une femme s’y soumettre ». Retour au texte

42 Delphine, p. 715. Retour au texte

43 Ibidem. Retour au texte

44 Delphine, p. 716. Retour au texte

45 Ibidem. Retour au texte

46 Delphine, p. 717. Retour au texte

47 Delphine, p. 7. Retour au texte

48 Voir notamment le réquisitoire contre les Lumières de Joseph Fiévée à travers sa recension à charge de Delphine le 1er janvier 1803 dans Le Mercure : « Madame de Staël […] a révélé le secret de trois caractères nés de la philosophie du dix-huitième siècle : le premier qui se compose d’égoïsme et d’exaltation ; le second, de commérage et de prétentions morales et politiques ; le troisième, de niaiserie et d’instruction » : Le Spectateur français au xixsiècle, Cinquième année, Paris, Librairie de la Société typographique, 1808, p. 50. Analysant la violence de cette attaque, Simone Balayé souligne « l’antiféminisme évident » de Fiévée qui « s’en prend au roman, mais encore à l’auteur […], à la femme, à l’étrangère, à l’anglophile » et à l’héritière des Lumières : « Un émissaire de Bonaparte. Fiévée critique de Madame de Staël et de Delphine », art. cité, p. 100-103. Retour au texte

49 « J’ai mis du soin à retrancher de ces lettres, autant que la suite de l’histoire le permettait, tout ce qui pouvait avoir rapport aux événements politiques de ce temps-là » : Delphine, p. 15. Retour au texte

50 Voir notamment Louis de Bonald, Du Divorce considéré au xixe siècle relativement à l’état domestique et à l’état public de société, Paris, Le Clere, 1801. Sur cette question, voir Flavien Bertran de Balanda, « Louis de Bonald et la question du divorce, de la rédaction du code civil à la loi du 8 mai 1816 », Histoire, économie & société, 2017/3, p. 72-86. Retour au texte

51 Delphine, V-18, p. 571. Retour au texte

52 Delphine, II-7, p. 168. Retour au texte

53 Germaine de Staël, Delphine, réed. Béatrice Didier, Paris, Garnier-Flammarion, 2000 t. I, p. 29. Retour au texte

54 Le Deuxième sexe, t. II, p. 13. Retour au texte

55 Le Deuxième sexe, t. II, p. 21. Retour au texte

56 Le Deuxième sexe, t. I, p. 186. Retour au texte

57 Le Deuxième sexe, t. I, p. 11. Retour au texte

58 Le Deuxième sexe, t. I, p. 17-18. Retour au texte

59 Le Deuxième sexe, t. I, p. 21. Retour au texte

60 Le Deuxième sexe, t. II, p. 201. Retour au texte

61 Le Deuxième sexe, t. I, p. 189. Retour au texte

62 Le Deuxième sexe, t. II, p. 598. Retour au texte

63 Michèle Le Dœuff, « Introduction », Ingrid Galster (dir.), Simone de Beauvoir : Le deuxième sexe Le livre fondateur du féminisme moderne en situation, Paris, Champion, 2004, p. 30. Retour au texte

64 Le Deuxième sexe, t. II, p. 7. Retour au texte

65 Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren, 2 janvier 1948, Paris, Gallimard, 1997, p. 209. Retour au texte

66 Voir Toril Moi, Simone de Beauvoir : conflits d’une intellectuelle, Paris-New-York-Amsterdam, Diderot Éditeur Arts et Sciences, 1995. Retour au texte

67 Ibidem. Retour au texte

68 Voir, outre l’article de S. Chaperon déjà cité note 25, Marie-Jo Bonnet, Simone de Beauvoir et les femmes, Paris, Albin Michel, 2015 et Michèle Le Dœuff, « Comment a-t-elle pu écrire Le Deuxième sexe ? », dans L’Étude et le rouet. Des femmes, de la philosophie, etc., Paris, Seuil, 1989, réed. 2008, p. 117 et sq. Retour au texte

69 Le Deuxième sexe, t. II, p. 30. Retour au texte

70 Le Deuxième sexe, t. II, p. 95. Retour au texte

71 La Force des choses, t. I, p. 263. Retour au texte

72 Ibidem. Retour au texte

73 C’est l’une des thèses de l’ouvrage de Manon Garcia, On ne naît pas soumise, on le devient [2018], rééd. Paris, Flammarion, 2021. Voir le chap. 8, « Délices ou oppression : l’ambiguïté de la soumission », p. 191-210. « Beauvoir montre qu’il y a un plaisir positif pris à la soumission », lit-on notamment p. 207. Retour au texte

74 Le Deuxième sexe, t. I, p. 21. Retour au texte

75 Le Deuxième sexe, t. I, p. 129. Retour au texte

76 La Force des choses, t. I, p. 257. Retour au texte

77 La Force des choses, t. I, p. 258. Retour au texte

78 La Force des choses, t. I, p. 257. Retour au texte

79 La Force des choses, t. I, p. 266. Retour au texte

80 La Force des choses, t. I, p. 267. Retour au texte

81 « Le Deuxième sexe en témoigne, il est clair que Beauvoir n’envisage pas de défier les critères “ d’excellence” en, vigueur dans son champ intellectuel », précise T. Moi : S. de Beauvoir. Conflits d’une intellectuelle, p. 312. Retour au texte

82 Ibidem. Retour au texte

83 « Le livre présente la libération comme une exigence », rappelle M. Le Dœuff dans L’Étude et le rouet, p. 123. Retour au texte

84 Beauvoir définit la femme qui aime, faute d’une vraie liberté, comme « la femme enfermée dans l’univers féminin, la femme mutilée, incapable de se suffire à soi-même » : Le Deuxième sexe, t. II, p. 581. Retour au texte

85 La Force des choses, t. I, p. 263. Retour au texte

86 Le Deuxième sexe, t. II, p. 612. Retour au texte

87 Voir Sylvie Chaperon, « Simone de Beauvoir, entre le naturalisme et l’universalisme, entre le sexisme et le féminisme », La Place des femmes. Les enjeux de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1995, p. 347-351. Retour au texte

88 C’est l’une des stimulantes hypothèses de T. Moi : « Beauvoir admet donc que rares, en effet, sont les grandes figures féminines dans la philosophie, la peinture, la sculpture et la musique. Mais son insistance à démontrer qu’il n’y a jamais eu de grands écrivains parmi elles est particulièrement troublante. Qu’en est-il de George Eliot ? de Virginia Woolf ? de Dame Murasaki ? de Madame de Staël ? Madame de Lafayette ? » : S. de Beauvoir. Conflits d’une intellectuelle, p. 312. Retour au texte

89 Voir, sur cette propension à la douleur, Gilles Castagnès, « Delphine de Mme de Staël ou la quête du malheur », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 2013/1, p. 71-86 et Stéphanie Genand, « Delphine ou les malheurs de la vertu : une lecture ‘paradoxale’ de Germaine de Staël », dans L’Atelier des idées. Mélanges offerts à M. Delon, dir. Jacques Berchtold et Pierre Frantz, Paris, PUPS, 2017, p. 475-485. Retour au texte

90 « Si c’est être philosophe que penser ainsi, je vous avoue que je pourrais me croire des droits à ce titre » : Delphine, I-3, p. 28. Retour au texte

91 Delphine, III-23, p. 362. Retour au texte

92 Delphine, p. 717. Retour au texte

93 Delphine, p. 717-718. Retour au texte

94 Voir Madelyn Gutwirth, Madame de Staël, Novelist. The Emergence of the Artist as a woman, Urbana, Chicago, London, University of Illinois Press, 1978 et Stéphanie Genand, « Germaine de Staël », dans Dictionnaire des féministes. France, xviiie-xxisiècles, dir. Christine Bard et Sylvie Chaperon, Paris, PUF, 2017, p. 1372-1374. Retour au texte

95 Qu’il nous soit permis de renvoyer, sur cette question impossible à développer ici, à notre essai : Sympathie de la nuit, Paris, Flammarion, 2022. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Stéphanie Genand, « Féminités scandaleuses : Delphine de Germaine de Staël et Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir », Savoirs en lien [En ligne], 1 | 2022, publié le 15 décembre 2022 et consulté le 23 novembre 2024. Droits d'auteur : Les textes seuls sont sous Licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.. DOI : 10.58335/sel.156. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/sel/index.php?id=156

Auteur

Stéphanie Genand

Université de Paris-Est Créteil

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