Du roman de chevalerie au roman picaresque : la rupture du lignage

DOI : 10.58335/filiations.95

Résumés

Après un demi-siècle de succès, le roman de chevalerie est concurrencé par de nouveaux genres. Dans cette filiation textuelle, tout comme dans la reconstitution d’une généalogie, les descendants affichent une identité propre tout en conservant un élément « génétique » permettant de les rattacher à la lignée dont ils sont issus. Le voyage et l’aventure rattachent le roman byzantin au roman de chevalerie ; l’amour et la tendance à l’idéalisation rattachent les romans pastoraux au genre chevaleresque. Le Lazarillo, considéré comme le texte fondateur du roman picaresque, s’éloigne radicalement du roman de chevalerie. La noblesse du comportement ne trouve pas sa place dans l’œuvre, les personnages de sang royal ont disparus au même titre que les combats et que les sentiments amoureux. Pourtant, l’organisation du début de l’œuvre ainsi que l’insistance particulière accordée à la généalogie et aux circonstances de la naissance établissent un lien étroit avec le roman de chevalerie. Ces points communs ne font que mettre en évidence la distance qu’adopte par la suite l’auteur anonyme. Lazarillo, en affichant la bassesse de ses origines, tourne le dos à une société qui, en dépit des difficultés qui se présentent à elle, conserve un penchant immodéré et déplacé pour la généalogie. En prenant directement la parole et en retraçant ses origines modestes, voire infamantes, le héros picaresque réclame le droit d’exister et d’aspirer à mieux dans une société où, en définitive, les plus démunis sont suffisamment nombreux pour qu’une telle requête soit considérée comme pleinement légitime. Nul besoin, dans ces circonstances, d’afficher son appartenance à une lignée prestigieuse. Le culte des apparences ne suffit plus à masquer la priorité des priorités : avoir quelque chose à se mettre sous la dent.

After being popular for half a century, the novel of chivalry was challenged by new genres. As far as textual lineage and a recreated genealogy are concerned, its descendants asserted identities of their own while keeping a “genetic” element that still linked them with their origins. Travels and adventures relate the byzantine novel to the chivalry novel while love and a tendency towards idealization relate the pastoral novel to the chivalry genre. Lazarillo, which is regarded as the founding text of the picaresque novel, moves away from the novel of chivalry completely. Noble demeanours are absent from the work — royal blood characters have disappeared, and so have fights and love feelings. However, the way the novel starts and the particular emphasis on genealogy and on birth circumstances establish a close link with the novel of chivalry. These common points only testify to the distance then taken by the anonymous author. When he shows his low social origins, Lazarillo turns his back on a society which, in spite of the difficulties it has to face, has still an excessive bent for genealogy. In addressing people directly and in retracing his humble — even infamous — origins, the picaresque hero claims a right to his own existence and to a better situation in a society in which destitute people are numerous enough for such a request to be considered fully legitimate. In such circumstances, no need then to show a prestigious line of descent. The cult of appearances is no longer enough to mask the utmost priority — have something to eat.

Plan

Texte

La littérature chevaleresque présente la particularité de rendre compte de hauts faits militaires qui mettent en scène des personnages valeureux et vertueux dont le comportement respecte à la lettre les principes de l’ordre dont ils sont les représentants. Le traitement littéraire des personnages est largement conditionné par les codes en vigueur. L’axe thématique de la filiation se révèle extrêmement fécond si l’on se propose de retracer la genèse des textes exaltant l’esprit chevaleresque en Castille. Tout d’abord, un premier niveau de filiation s’établit entre la chevalerie institutionnelle, historique, réelle et sa transposition sur un plan littéraire. Par ailleurs, les premiers textes médiévaux qui élèvent des chevaliers au rang de modèles de vertu sont encore loin d’appartenir au genre que nous identifions aujourd’hui comme le roman de chevalerie. La consolidation de ce genre littéraire sera le résultat d’un long processus de filiation que nous allons reconstruire. Les romans de chevalerie ainsi constitués placent le lignage au cœur de la fiction. Le héros n’est jamais un élément autonome, déconnecté de toute influence. Il appartient à un lignage préalablement présenté et agit en tant que membre de cette lignée prestigieuse. Si les codes chevaleresques sont fixés dès le XIIIe siècle et les héros chevaliers se font connaître dans des poèmes épiques dont le plus ancien conservé est le Cantar de mio Cid, le genre du roman de chevalerie relève du XVIe. On considère que la matrice du genre est le roman Amadís de Gaula. Vers la moitié du XVIe, l’engouement pour ce type de littérature commence à décliner, si bien que le Lazarillo de Tormes composé en 1554 constitue le maillon qui conduit radicalement vers une tout autre orientation. Certains éléments ne sont pourtant pas sans rappeler les étapes de la construction du héros chevaleresque. La confrontation de textes nous permettra de commenter cet aspect.

Du chevalier historique au chevalier littéraire

Le statut de chevalier

La chevalerie s’impose plus particulièrement vers la fin du XIe siècle. L’acquisition de richesses, de gloire et de prestige pouvait difficilement s’effectuer par une voie autre que celle des armes. Les croisades en Orient stimulent largement l’esprit chevaleresque. La chevalerie est une institution sociopolitique et idéologique de l’Europe occidentale chrétienne. La chevalerie est très hiérarchisée : les ricos hombres y représentent la catégorie la plus élevée (la haute noblesse) alors que les infanzones représentent l’autre extrémité de l’échelle nobiliaire. L’action armée était pour cette basse noblesse le moyen idéal de renforcer son prestige. Le lien qui unit chevalier et seigneur reste particulièrement contraignant. La relation entre le chevalier et le seigneur dont il dépend est d’ordre personnel. Le chevalier ne pourra en aucun cas intervenir contre les intérêts du seigneur et surtout pas contre sa personne. Ce rapport vassalique implique les obligations de service désignées par les notions d’auxilium et de consilium. Comme le signale Carlos Alvar :

Los caballeros de la narración cortés son el resultado de la idealización de los guerreros feudales operada en la segunda mitad del siglo XII, con el objeto de controlar una clase social armada y desestabilizadora y reconducir sus fuerzas en favor de los nuevos núcleos de concentración del poder político […]1.

L’investiture comprenait le serment de fidélité au roi ou au seigneur. Les chevaliers s’engageaient à défendre le roi ou le seigneur. Tous les membres devaient être fidèles à leur serment et mener, parfois au prix de leur vie, la mission confiée.

La chevalerie fascine par la force et le pouvoir qu’on lui associe, par la noblesse dont elle se fait l’emblème, par le statut privilégié du chevalier2. Combattre à cheval n’est pas anodin. Le cavalier en ressort grandi dans tous les sens du terme. Il domine physiquement lors du combat et affiche par la même occasion sa domination sociale puisqu’il est en mesure d’acquérir une monture et de pourvoir aux frais qui en découlent. La qualité de la monture est le reflet de la valeur de son propriétaire. À l’inverse, être dépourvu de cheval, même momentanément, n’est jamais sans conséquence. La littérature exploite fréquemment cet aspect fondamental. En renonçant à sa monture et en montant sur la charrette du nain, Lancelot fait un sacrifice qui révèle son attachement à la reine. Il n’est plus identifié comme Lancelot ni même comme un chevalier et sa tâche n’en sera que plus ardue :

Le chevalier, à pied, sans lance, s’approche derrière la charrette. Il voit un nain sur les limons, qui tenait, en bon charretier, une longue baguette à la main, et le chevalier dit au nain :
— Nain, au nom du ciel, dis-moi donc si tu as vu passer par ici ma dame la reine.
L’infâme nain [...] n’a pas voulu lui en donner des nouvelles, mais s’est contenté de lui dire :
— Si tu veux monter sur la charrette que je conduis, tu pourras savoir d’ici demain ce que la reine est devenue3.

Un autre exemple permettra d’apprécier à quel point l’absence de cheval constitue un handicap considérable. Zifar, qui perd régulièrement son cheval, se trouve systématiquement placé dans une situation embarrassante :

Dize el cuento que este Cauallero Zifar fue buen cauallero de armas e de muy sano consejo a quien gelo demandaua, e de grant justiçia quando le acomendauan alguna cosa do la oviese de fazer, e de grant esfuerço, non se mudando nin orgullesçiendo por las buenas andanças de armas quando le acaesçian, nin desesperando por las desauenturas fuertes quando le sobrevenian. [...]. E por todas estas buenas condiçiones que en el auia amauale el rey de aquella tierra, cuyo vasallo era e de quien tenia grant soldada e bienfecho de cada dia. Mas atan grant desventura era la suya que nunca le duraua cauallo nin otra bestia ninguna de dies dias arriba, que se le non muriese, e avnque la dexase o diese ante de los dies dias4.

Cette situation inexpliquée provoque la ruine du chevalier et lui vaut la disgrâce du roi. Une autre des formes de rupture imposée par le roman picaresque consiste à priver systématiquement le héros de monture. S’il est inconcevable que le chevalier ne se déplace pas à cheval, il est tout aussi naturel de ne laisser au personnage de romans picaresques que ses pieds comme unique moyen de déplacement. Il s’agit de rapprocher le pícaro du sol. Les premières chaussures offertes par le quatrième maître de Lázaro suggèrent que le personnage se déplaçait jusqu’à présent pieds nus5. Ceci revient à placer le personnage au plus près du sol qui est en définitive la place qui lui revient.

Sa fonction de porteur d’eau lui vaudra de se déplacer accompagné d’un âne, mais ce dernier ne lui sert pas de monture et l’âne est bien loin d’impliquer un prestige semblable à celui du cheval : « [...] púsome en poder de un asno y cuatro cántaros […] »6. Bien plus tard, Pablos ne sera guère plus favorisé. Sa volonté de s’engager dans une aventure galante le pousse à vouloir se montrer sous son meilleur aspect et donc à cheval (« [...] alquilé mi caballico [...] »)7. Le diminutif est significatif, et le verbe « alquilar » (louer) souligne davantage la dépossession que la possession effective. La même association (verbe « alquilar » suivi d’un diminutif) était déjà présente dans le Lazarillo afin de mettre en évidence la situation de précarité de la mère de Lázaro : « [...] alquiló una casilla [...] »8. L’expérience équestre de Pablos qui emprunte un cheval à un laquais qui attend son maître se soldera par une chute humiliante9 comme si cette usurpation de statut méritait une sanction. Le personnage face contre terre dans une flaque que l’on imagine boueuse rappelle que l’ordre naturel des choses doit être préservé et que l’on ne bouscule pas impunément la norme.

Les textes juridiques tels que Las Siete Partidas soulignent le prestige concédé au groupe des combattants à cheval. Le titre XXI de la Seconde Partie10 réunit un nombre considérable de lois relatives aux codes chevaleresques. Ce travail est assimilable à un véritable projet de propagande destiné à diffuser les valeurs de la chevalerie.

L’avènement de la dynastie Trastamare à l’issue d’une guerre civile et de l’assassinat de Pierre I en 1369 par son demi-frère Henri II (1369-1379) marque une rupture qui va déboucher sur un grand bouleversement au sein de la noblesse. La vieille noblesse affichait clairement sa position dominante sur l’ensemble de la société. Jean I (1379-1390), Henri III (1390-1406), Jean II (régence 1406-1419, 1419-1454), Henri IV (1454-1474) s’efforcèrent de ne pas entrer en conflit avec ce groupe puissant en multipliant les privilèges :

La victoria final de Enrique II en Montiel, en la primavera de 1369, fue el punto de partida de la puesta en práctica de una política de amplias concesiones a la nobleza que había colaborado en su triunfo. [...] Villas, rentas, tierras y derechos jurisdiccionales fueron otorgados con amplia generosidad a los poderosos por Enrique II y sus sucesores11.

Les privilèges des membres de la chevalerie se multiplient, si bien que ce statut hors du commun se transforme en objectif à atteindre pour accéder à la noblesse. Annie Frémaux-Crouzet considère que le groupe des caballeros hidalgos se trouve à l’origine du lignage : « […] hommes libres, financièrement capables d’acheter et d’entretenir un cheval et des armes, et dont la couronne permit l’anoblissement. Ce fut, avec la succession des générations, l’origine de la constitution des lignages »12. Le prestige du lignage est donc étroitement lié à la possession d’un cheval. Lázaro et Pablos ne pourront pas accéder à un tel privilège.

Le XVe siècle est une période historique au cours de laquelle les chroniques officielles se multiplièrent. Ces textes furent à l’origine de la fascination exercée par l’univers chevaleresque. Cela nous conduit à considérer le processus de transposition des codes de l’univers chevaleresque dans le domaine littéraire.

Le traitement littéraire de personnages historiques

Les grands poèmes épiques dont on constate l’éclosion au XIIe siècle présentent la particularité de prétendre transposer sur un plan purement littéraire ce qui à l’origine était une réalité historique. Les chevaliers célèbres et, de façon générale, les combattants prestigieux du temps passé étaient glorifiés jusqu’à accéder au rang de figures emblématiques. La propagande religieuse et politique devait les transformer en héros irréprochables, véritables modèles à suivre pour préserver les valeurs fondamentales de la Castille. Les adaptations opérées ne sont nullement la conséquence d’une méconnaissance du contexte exploité mais bel et bien la volonté de doter l’œuvre d’une portée didactique assimilable à de la propagande. Les personnages combattent sans répit, affrontent les difficultés les plus diverses ainsi que des ennemis nombreux et avertis. Les combats armés se multiplient à loisir sans que ne s’émousse la bravoure du chevalier qui sort systématiquement vainqueur de chaque aventure :

Por las torres de Valencia salidos son todos armados,

mio Cid a los sos vassallos tan bien los acordando;

dexan a las puertas omnes de grant recabdo.

Dio salto mio Cid en Babieca, el so cavallo,

de todas guarnizones muy bien es adobado.

La seña sacan fuera, de Valencia dieron salto,

cuatro mill menos treinta con mio Cid van a cabo,

a los cincuaenta mill vanlos ferir de grado.

[...]

Mio Cid enpleó la lança, al espada metió mano,

atantos mata de moros que non fueron contados,

por el cobdo ayuso la sangre destellandoa.

Par les tours de Valence, tous armés ils paraissent,

Ses vassaux par Mon Cid étaient bien accordés.

Ils ont laissé aux portes hommes qui font bon guet.

Sur son cheval Babieca Mon Cid s’est avancé ;

De toutes garnisons fort bien est adoubé.

Sortirent de Valence l’enseigne déployée.

Quatre mille moins trente a Mon Cid aux côtés ;

Les cinquante mille hommes vont frapper de bon gré.

[...]

Mon Cid employa sa lance, mit la main à son épée.

De Maures tue si grand nombre que ne furent comptés.

Par son coude en bas le sang (qui) lui gouttait […]b.

a. Cantar de Mio Cid, Éd. Alberto Montaner, Barcelona, Crítica, 1993, p. 208, v. 1711-1724.
b. Chanson de mon Cid, Trad. Georges Martin, Paris, Aubier, 1996, p. 173.

Les deux exemples les plus caractéristiques de la portée idéologique de ces textes sont les poèmes élaborés autour de Fernán González et du Cid. Le Comte Fernán González est un chevalier du Xe siècle à qui l’on attribue traditionnellement la fondation du royaume de Castille. La documentation historique le situe comme un noble de petite noblesse qui a su se hisser au plus haut de l’échelle sociale. En revanche, rien ne permet de confirmer ses hauts faits militaires clamés dans le Poema de Fernán González. S’il doit surtout son ascension spectaculaire à son ambition, le poème offre une vision du personnage radicalement différente. Le texte est rédigé entre 1250 et 1252. Le début du poème présente le Comte comme un maillon facilitant la continuité de la monarchie wisigothique. Le héros incarne l’idéal féodal qui marie harmonieusement pouvoir et religion :

174

Ovo nombre Fernando esse conde primero

nunca fue en el mundo otro tal cavallero;

este fue de los moros un mortal omiçero,

dizien le por sus lides el vueitre carniçero.

175

Fizo grandes batallas con la gent descreida,

e les fizo lazrar a la mayor medida,

ensancho en Castiella una muy grand medida,

ovo en el su tienpo mucha sangre vertidaa.

174

Fernando fut le nom de ce comte premier

il n’y eut jamais au monde semblable chevalier ;

il fut pour les Maures un fatal meurtrier,

surnommé pour sa force le rapace carnassier.

175

Contre les mécréants de grandes batailles il fit,

leur infligeant des pertes autant qu’il fut permis,

en grande proportion la Castille il agrandit,

en son temps, abondamment le sang se répandit.

a. Poema de Fernán González, Éd. Juan Victorio, Madrid, Cátedra, 1998, p. 83.

C’est le service de la foi qui motive le Comte et c’est au profit de celle-ci qu’il place son savoir et ses qualités de stratège. Les apparitions dont il est gratifié font de lui le bras armé du Christ :

408

El Criador te otorga quanto pedido le has,

en los pueblos paganos grant mortandat faras,

de tus buenas conpañas muchas y perderas,

pero con todo el daño, tu el canpo vençeras.

409

Aun te dize mas el alto Criador:

que tu eres su vassallo e el es tu señor,

con los pueblos paganos lidiaras por su amor,

manda que te vayas lidiar con almançora.

408

Le Créateur t’accorde ce que demandé tu lui as,

chez les infidèles de lourdes pertes tu infligeras,

parmi les tiens de nombreux hommes tu perdras,

en dépit de tous ces maux, la bataille tu vaincras.

409

Par ailleurs, le grand Créateur te dit :

que son vassal c’est toi et ton seigneur c’est lui,

par amour pour lui tu combattras les infidèles sans répit,

il veut que par les armes Almanzor tu défies.

a. Poema de Fernán González…, p. 121.

Le cas de Rodrigo Díaz de Vivar révèle un processus comparable de décalage lié à l’instrumentalisation idéologique du personnage. Rodrigo se consacre aux armes et sera armé chevalier par le futur roi Sancho. Lorsque Sancho accède au trône, Rodrigo intègre la cour et y assume des responsabilités dans le domaine des armes. Il perd le privilège de ses fonctions à la mort du roi. La rumeur l’accuse par la suite de fraude et le chevalier est proscrit en 1081. Il devient mercenaire et combat alors aux côtés des musulmans. Plus tard encore, entre 1089 et 1092, il est accusé de trahison. Son audace militaire lui vaudra de conquérir Valence, qu’il tiendra jusqu’à sa mort en 1099. Le tableau est plus nuancé que dans le poème et il ressort essentiellement de ce bref parcours que Rodrigo vivait de son épée et qu’il la plaçait au service de qui voulait bien le payer. Le Cid du poème est le plus fidèle des vassaux. Son bannissement est présenté comme le résultat des commérages de personnes envieuses. Malgré cette injustice, il reste fidèle au monarque qu’il couvre de présents à chaque victoire remportée. Le rapport au religieux est très présent puisque Rodrigo prie et invoque Saint Jacques avant le combat. Il est bien sûr l’ennemi juré des Maures qui le craignent et le respectent. C’est donc bien l’esprit de croisade que l’auteur prétend diffuser en chantant les prouesses du héros.

Une fois observée la transition permettant de passer du chevalier historique au chevalier idéalisé de la littérature épique, nous pouvons à présent étudier le processus qui va permettre de déboucher sur le roman de chevalerie. C’est donc un cas de filiation textuelle qui va nous intéresser.

La filiation textuelle

Le développement de la chevalerie en Castille et la diffusion de la matière épique constituaient un terreau plus que favorable à ce type de littérature. Toutefois, une étape supplémentaire doit être franchie afin de transformer le chevalier épique en héros de roman de chevalerie.

Les origines étrangères

En 1136, Geoffrey de Monmouth compose l’Historia regum Britanniæ. Son histoire retrace les règnes des rois de Bretagne jusqu’au successeur du roi Arthur. Le personnage du roi Arthur s’impose rapidement comme un véritable modèle chevaleresque. Ses aventures facilitent la diffusion de la matière bretonne en Europe. Par ailleurs, Chrétien de Troyes (1135-1190) élabore des œuvres qui contribuent à fixer l’essentiel des codes et des conventions qui seront à nouveau exploités dans ce que l’on appellera plus tard les romans de chevalerie : les règles de comportement, l’accumulation d’aventures, le principe de la quête, le déplacement constant du héros, le thème de l’amour. Dans l’œuvre de Chrétien de Troyes, l’aventure armée est indissociable de l’aventure amoureuse, et le chevalier est généralement tenu de se soumettre à la dame. Lancelot se bat avec vigueur au cours des joutes mais accepte, sur ordre de la dame de ses pensées, de recevoir les coups de l’adversaire sans réagir :

Monseigneur, madame la reine vous mande ceci par ma bouche : que ce soit au pis !
À ces mots, il lui répond : oui, de grand cœur ! Il se porte alors contre un chevalier de tout l’élan de son cheval, et, maladroit, manque son coup. Depuis ce moment jusqu’à la tombée du soir il fit tout pis qu’il pouvait, puisqu’ainsi le voulait la reine. [...] Et la reine, attentive à regarder, s’en est vivement réjouie, car elle sait, se gardant d’en rien dire, qu’il s’agit bien de Lancelot. Ainsi il s’est fait passer pour un lâche tout le jour jusqu’au soir13.

Le concept de quête, avec ce que cela implique de déplacement et d’enchaînement d’aventures, sera réactivé dans les romans de chevalerie espagnols. C’est également de l’œuvre de Chrétien de Troyes que provient la tendance au merveilleux : la Dame du Lac, la fausse Guenièvre qui trompe la sagacité du roi Arthur grâce à des philtres, par exemple.

La matière arthurienne en Castille

La diffusion de la matière arthurienne est particulièrement perceptible en Castille aux XIVe et XVe siècles. Au milieu du XIVe, par exemple, Juan Ruiz se réfère dans son Libro de Buen Amor au personnage de Tristan :

Ca nunca fue tan leal Blanca Flor a Flores,

nin es agora Tristán con todos sus amores;

que faze muchas vezes rrematar los ardores,

e si de mí la parto, nunca me dexarán doloresa.

Car Blancheflor ne fut pas plus loyale à Flore

ni aujourd’hui Tristan et toutes ses amours ;

elle sait la manière d’éteindre mes ardeurs

et si je l’éloignais, j’en souffrirais toujoursb.

a. ARCIPRESTE DE HITA, Libro de Buen Amor, Éd. G. B. Gybbon-Monypenny, Madrid, Castalia (Clásicos Castalia), 1988, p. 465, strophe 1703.
b. Juan RUIZ, Livre de Bon amour, Trad. dir. Michel Garcia, Paris, Stock/Moyen Âge, 1995, p. 345.

Toutefois, cette pénétration culturelle avait déjà été amorcée au XIIe siècle :

La matière de Bretagne en fait avait pénétré les cercles restreints de la haute noblesse dès le XIIe siècle par la Catalogne, la Galice et le Portugal. Les troubadours catalans avaient introduit la lyrique courtoise provençale en Navarre et en Aragon et la matière arthurienne qui s’y trouvait mêlée. Eux-mêmes avaient manifesté les premiers une certaine familiarité avec les héros arthuriens, Arthur, Tristan, Iseult, Lancelot, Perceval. […] Alphonse X citait Arthur dans ses Cantigas, et dans une chanson d’amour il évoquait Tristan pour traduire l’excès de sa passion14.

Au début du XIVe siècle est composé le Libro del caballero Zifar. Cette œuvre est considérée comme le premier corpus paru dans un contexte péninsulaire : « Se trata del primer libro de caballerías, aun con sus componentes didáctico-morales, considerado como autóctono castellano, relacionado con el ciclo bretón »15. Cependant, Paul Zumthor affirme :

Durant les années mêmes où Colomb, au nom des Rois Catholiques, prend pied au Nouveau Monde, se répand puis est imprimé le roman-modèle Amadís de Gaula, véritable apologie du chevalier errant, qui lança pour un demi-siècle la mode romanesque dont se moquera Cervantès16.

Les romans de chevalerie en Castille reproduisent généralement les aventures d’un grand chevalier quittant un espace qui lui est familier afin de vivre diverses aventures. Le récit est donc essentiellement structuré par le voyage entrepris par le protagoniste confronté de la sorte à de multiples difficultés à surmonter. La notion de voyage associée au thème de la quête est un moteur essentiel de l’action dans tous les récits de chevalerie : quête de la renommée par le prestige des victoires remportées, quête de soi (recherche d’une identité comme dans le cas d’Amadís), recherche d’un royaume comme pour le chevalier Cifar, quête de l’amour. Il est traditionnellement admis que le roman Amadís de Gaula ouvre la voie au genre à partir du remaniement textuel proposé par Montalvo en 1508. L’intérêt pour le lignage est une constante du genre dont nous allons maintenant analyser les manifestations.

Le lignage au cœur de la fiction

Les circonstances de la naissance

Amadís de Gaula est considéré comme la référence en matière de littérature chevaleresque. Né d’une relation secrète entre le roi Perión et la reine Elisena, Amadís est abandonné sur les eaux avec un anneau et une épée qui faciliteront ultérieurement son identification. Il est recueilli sur la mer par Gandales, chevalier écossais. Amadís tombe amoureux d’Oriane, fille du roi Lisuarte, et il en est aimé de retour. Il est armé chevalier par son propre père sans que les personnages ne se reconnaissent. Il sera plus tard reconnu par la reine et par le roi comme leur fils. C’est alors que commence une série d’aventures chevaleresques parallèles à celles de son frère Galaor. Dans le second livre, le héros prend possession de la Ínsula firme. Oriane, jalouse à tort, rejette le chevalier, qui se retire alors dans la Peña Pobre. Il se réconcilie avec Oriane mais perd la faveur du roi Lisuarte à cause des manœuvres de mauvais conseillers. Dans le Troisième Livre, Oriane est accordée par son père en mariage à l’empereur de Rome. Amadís s’empare d’elle et la ramène à la Ínsula firme. De ce couple naît un descendant : Esplandián. Ce fils caché est élevé par un ermite. Le Quatrième Livre centre son action sur l’affrontement entre Amadís et Lisuarte. Amadís est vainqueur. Lisuarte accepte le chevalier à sa cour.

À propos des circonstances de la naissance, soulignons que l’éloignement imposé au héros marque le début de ses aventures, le début des péripéties, des obstacles à surmonter, des rencontres diverses. Le destin favorise le héros en le protégeant des dangers qu’il encourt. Recueilli, élevé, il sera armé chevalier et ce n’est qu’ultérieurement que la phase de reconnaissance aura lieu entre le héros et ses parents. L’éloignement du nourrisson est lié aux circonstances clandestines de sa naissance. Dans un contexte où l’union matrimoniale relevait essentiellement de la négociation et était surtout perçue comme une possibilité de choix pour consolider un lignage, la naissance de l’enfant en dehors des liens du mariage est ressentie comme le fruit d’un amour véritable et sincère. Par ailleurs, cet éloignement s’organise avec un certain nombre de précautions. Le coffre dans lequel vogue le nouveau-né le protège des eaux et plusieurs accessoires lui apportent une protection symbolique : la lettre, l’anneau, l’épée. Ces instruments faciliteront en outre l’identification du personnage, qui garantira sa réinsertion dans le lignage qui est le sien.

La généalogie du héros

À partir du moment où le héros retrouve son identité et peut revendiquer son appartenance à un lignage prestigieux, la phase d’élaboration du personnage est achevée. Les aventures qu’il entreprend ne peuvent que le conduire à la victoire. Les aventures menées avant la reconnaissance du chevalier présentent un tout autre intérêt. À défaut d’affirmer une identité, le chevalier se construit par ses actes. C’est sa bravoure, sa détermination, son sens de la justice, ses multiples vertus qui permettent son identification. L’identité et le lignage viendront confirmer de façon définitive la qualité du sang déjà perceptible lors de la quête d’identité menée par le personnage. Les premières aventures d’Amadís soulignent l’importance du lignage dont il relève mais dont pour le moment il ne sait rien. Il accède au prestige par ses propres actes et pas uniquement par un nom. C’est l’ascendance royale du chevalier qui le pousse à agir de façon irréprochable et parallèlement ses actes consolident sa lignée. Les actes sont donc placés au service d’une généalogie déterminante et la bravoure annonce par anticipation la valeur du lignage. Ils agissent donc comme un révélateur du lignage, de la même façon que le lignage conditionne les actes du héros. La question du lignage est également en relation directe avec le thème de l’amour. Le sang royal rend possible des alliances officielles condamnées à l’échec ou, dans le meilleur des cas, à la clandestinité. Ce n’est pas un hasard si la lettre attestant de son identité est remise à Amadís sur initiative de la dame de ses pensées. L’alliance avec la fille du roi Lisuarte est désormais envisageable.

Juan Manuel Cacho Blecua considère que « les personnages sont conditionnés par leur appartenance à des lignages spécifiques ». Il ajoute : « Los personajes están determinados por su pertenencia a determinados linajes. Saber la genealogía de un personaje es conocer la naturaleza a la que deberá hacerse acreedor. Las acciones de los héroes sirven para atestiguar y consolidar su pertenencia a un estrato social cuyas funciones son sublimadas mediante la creación artística »17.

L’absence d’identité constitue systématiquement une difficulté. Elle oblige le héros à se surpasser dans chacun de ses actes et plus particulièrement au combat. Le nom est l’essence même de la personne et sa connaissance précise permet au chevalier de compléter la construction de sa propre personnalité et de s’affirmer par rapport au reste de la communauté. Le nom reflète la personnalité de l’individu à tel point qu’il convient de le protéger. On ne déclare pas son identité au premier adversaire venu, on ne tolère aucune insulte associée au nom, on ne divulgue pas celui de la dame aimée. Les précautions prises à ce sujet sont significatives. Don Florestán, fils du roi Perión et frère d’Amadís, fait le choix de ne pas révéler le lignage dont il est issu sans avoir fait au préalable la preuve de sa bravoure. Le refus de déclarer cette identité peut conduire aux affrontements les plus acharnés :

— No toméis porfía −dixo don Galaor−, que yo vos juro por la fe que de Dios tengo de os no dexar hasta que sepa quién sois y por qué os encubrís assí. -Ya Dios no me ayude -dixo el caballero- si lo por mí sabéis, que antes querría morir en la batalla que lo dezir […]18.

L’apparition de ce nouveau personnage, qui de surcroît est un nouveau maillon de la chaîne lignagère, implique un rappel généalogique ainsi qu’une rapide mise au point sur les circonstances de la naissance. Alors que le jeune roi Perión rejoignait ses terres après s’être couvert de gloire, il fait étape chez le comte de Selandia. La nuit venue, le roi sent une présence à ses côtés. Son premier réflexe est d’exiger une identité :

— ¿Qu’es esto, señor; no folgaréis mejor conmigo en esse lecho que no solo?
El rey la cató a la lumbre que en la cámara había, y vio que era la más hermosa mujer de cuantas viera, y díxole:
— Dezidme quién sois.
— Quienquiera que sea −dixo ella−, ámoos gravemente y quiero daros mi amor.
— Esso no puede ser si antes no me lo dezís19.

Bien sûr, les codes chevaleresques ne prévoient pas que l’on couche avec la fille de son hôte, mais certaines circonstances exigent que l’on réagisse vite et dans l’intérêt d’autrui. C’est ainsi que, face à la menace de suicide de la jeune fille, l’affaire se conclut en une phrase unique : « Y sacando la espada de la mano, la abrazó amorosamente y cumplió con ella su voluntad aquella noche, donde quedó preñada, sin que el rey más la viesse […] »20.

C’est ce qui s’appelle être efficace et avoir le sens du sacrifice. Par ailleurs, les changements d’identité d’Amadís correspondent à des phases de l’aventure qui exigent du chevalier que soit confirmée à nouveau l’adéquation entre les qualités du héros et la lignée royale dont il est issu. Le reproche qui lui est fait d’avoir séjourné trop longuement en Gaule – à la demande d’Oriane – lui vaut de reprendre ses aventures sous le nom de Caballero de la verde espada ou de Caballero del Enano. Or, l’épée fut gagnée par amour et le nain fut responsable indirect de la séparation des amants. Le prestige du nom se mérite, tout comme celui du lignage. Don Florián y tient plus que tout et s’en explique face à son frère : « — Señor, perdonadme, que si vos erré en me combatir con vos no lo sabiendo, no fue por ál sino porque sin vergüença me pudiesse llamar vuestro hermano, como lo soy, pareciendo en algo al vuestro gran valor y gran prez de armas »21. Pour Amadís, la valeur se transmet par le sang. À son frère Galaor qui s’obstine à considérer qu’il ne peut prétendre l’égaler, le chevalier rétorque : « — Agora dexemos esto […], que en lo vuestro y mío de razón, según la gran bondad de nuestro padre, no deve aver ninguna diferencia »22.

Le chevalier des romans de chevalerie est donc le descendant et l’héritier des héros de la littérature épique. Ces produits de la littérature disposent d’une généalogie que l’on peut retracer et qui renvoie parfois à des personnages historiques. Le culte du lignage auquel ils sont soumis est très présent surtout dans les chapitres consacrés à l’élaboration du personnage avant même que celui-ci ne se lance dans l’aventure, de sorte que l’ascendance de ces chevaliers conditionne pleinement leurs agissements. Une dernière remarque reste à effectuer concernant l’importance concédée au lignage. Les héros établissent entre eux, et d’un roman à l’autre, de puissants liens de parenté affichés avec insistance. Amadís de Gaula, publié en 150823, est devenu le fondateur d’une lignée prolifique. Montalvo se chargera d’ajouter un livre supplémentaire aux exploits du chevalier qui retrace les aventures d’Esplandián (Las sergas de Esplandián), fils d’Amadís. À Las sergas de Esplandián fait suite, en 1510, Don Florisando, le neveu d’Amadís. En 1514, Lisuarte de Grecia relate les aventures du fils d’Esplandián. En 1526, Juan Díaz publie un second Lisuarte. En 1530 Florisel de Niquea prolonge la descendance d’Amadís. Don Rogel de Grecia (fils de Florisel) met un terme à la saga en 1546.

Vers la généalogie indésirable de Lazarillo

Le processus de dégénérescence

Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du roman fondateur et de son héros, en d’autres termes, au fur et à mesure que l’on descend l’arbre généalogique ainsi établi, des mutations inévitables surgissent. La pureté générique du modèle est ainsi progressivement altérée. Dans Don Florisando, composé en 1510 par Páez de Ribera, l’auteur se permet même de porter un coup sévère à son prédécesseur en critiquant le traitement excessivement artificiel à ses yeux du personnage d’Esplandián. Cette trahison qui vient s’inscrire au sein même de la lignée marque un premier tournant sensible. Dans son Amadís de Grecia de 1530, l’auteur se laisse séduire par des orientations littéraires différentes et intègre dans la trame des péripéties qui relèvent davantage du roman pastoral à venir. Vers la moitié du XVIe siècle, de nouveaux genres littéraires viennent concurrencer très sérieusement les romans de chevalerie. Ces nouvelles formes naissent de l’évolution des romans de chevalerie que nous venons de constater, d’une nouvelle orientation des goûts des lecteurs probablement lassés de ces successions d’aventures très ressemblantes, de la critique qui se cristallise autour de ces romans. En relevant les carences attribuées aux romans de chevalerie, Marcel Bataillon recense les points suivants : « [falta de] verosimilitud, verdad psicológica, ingeniosidad de la composición, sustancia filosófica, respeto de la moral »24. Juan de Valdés considère les défauts de ce genre littéraire, qu’il expose en ces termes : « [...] demás de ser mentirosíssimos, son tan mal compuestos, assí por dezir las mentiras muy desvergonçadas, como por tener el estilo desbaratado, que no ay buen estómago que los pueda leer »25.

Les genres nouveaux en question sont essentiellement les romans byzantins, les romans pastoraux et le picaresque. Cependant, si chacun à sa manière propose de nouvelles orientations, une charge génétique permet de les relier, ne serait-ce que de façon ténue, au roman de chevalerie. Le roman byzantin développe également la thématique de l’aventure et de l’amour. La voie est ouverte en Espagne avec la Historia de los amores de Clareo y Florisa d’Alonso Núñez de Reinoso (1552). Le roman byzantin met en scène un couple animé d’un amour sincère et mutuel. Des circonstances malheureuses les séparent. Le voyage génère alors les aventures jusqu’à ce que le couple soit à nouveau réuni. Rien ne saura entamer leur fidélité. Les thèmes de l’amour et du voyage sont bel et bien réactivés mais dans une autre perspective. L’aventure sépare les amants dans le cas du roman byzantin et les déplacements visent à retrouver l’être aimé. L’aventure et les déplacements, dans les romans de chevalerie, favorisaient l’exaltation du héros et le rendaient digne de son lignage.

Le roman pastoral apparaît en Espagne en 1559 avec Los siete libros de la Diana de Jorge de Montemayor. Des bergers idéalisés occupent un espace idyllique dans lequel ils se consacrent à chanter leurs amours. Le lien génétique qui unit le roman pastoral au roman de chevalerie est le développement du thème de l’amour ainsi que la tendance constante à l’idéalisation. Le merveilleux y trouve également sa place. En revanche, les combats disparaissent et les personnages ne descendent plus d’une lignée royale.

Susana Gil-Albarellos souligne cette ramification du genre sans pour autant considérer ce que nous avons qualifié de charge génétique. Curieusement, elle renonce à englober dans ce processus le roman picaresque. Bien que le Lazarillo de Tormes (1554) fasse son apparition dans la même période, elle considère que rien ne peut rapprocher le roman de chevalerie du roman picaresque :

Plantear la existencia de alguna relación entre la novela de caballerías y la picaresca resulta a todas luces tarea vana […]. La novela picaresca presenta en su propia concepción genérica un rechazo evidente hacia lo anterior, hacia lo que en su tiempo había triunfado con fuerza casi ilógica26.

Mais rejeter ce qui précède revient précisément à prendre appui sur ce qui précède, ne serait-ce que pour mieux s’en détourner. En fait, c’est la revendication de la généalogie qui unit la picaresque aux romans de chevalerie. Pour quelle raison présenter de façon détaillée dès l’ouverture de l’œuvre une parenté qui ne favorisera pas le personnage, qui ne le grandira pas, qui ne lui imposera pas de réaliser des prouesses ? Le lecteur du Lazarillo est contemporain du lecteur de romans de chevalerie et, même si le contenu de la trame s’éloigne considérablement des aventures de chevaliers errants et si le milieu évoqué est loin d’être la cour d’un quelconque monarque, le rituel d’ouverture de roman axé sur les circonstances de la naissance et sur la présentation des ascendants ne pouvait que rappeler le genre qui amorçait son déclin. Une confrontation de quelques extraits nous permettra de confirmer ce lien.

Le principe incontournable de la généalogie

Aussi bien Amadís de Gaula que le Lazarillo de Tormes proposent une ouverture de roman permettant de faire découvrir au lecteur le héros principal dès sa naissance. Dans le cas du roman de chevalerie, ce procédé n’a d’autre but que de mettre en évidence la noblesse du lignage. Ceci n’est pas indifférent puisque, comme nous l’avons déjà souligné, le lignage conditionne le personnage de façon déterminante. Dans le courant picaresque, l’une des ruptures provient de la transformation du personnage en personnage narrateur. Ce principe a pour effet de limiter le récit relatif aux ascendants de la lignée. Le Lazarillo présente une ouverture de roman qui reprend la tradition des romans de chevalerie, mais ce procédé vient se placer au service d’un personnage qui se situe à l’autre extrémité de l’échelle sociale. Toutefois, dans les deux cas, le récit s’ouvre sur l’exposé généalogique du personnage éponyme et ses ascendants sont caractérisés par leurs œuvres. Les premières lignes du roman de Montalvo regorgent d’indications permettant, si l’envie nous en prenait, d’élaborer un arbre généalogique précis et détaillé :

[…] fue un rey cristiano en la Pequeña Bretaña por nombre llamado Garínter, el cual, seyendo en la ley de la verdad, de mucha devoción y buenas maneras era acompañado. Este rey ovo dos fijas en una noble dueña su muger, y la mayor fue casada con Languines, Rey de Escocia, y fue llamada la Dueña de la Guirnalda, porque el rey su marido nunca la consintió cubrir sus fermosos cabellos sino de una muy rica guirnalda, tanto era pagado de los ver. De quien fueron engendrados Agrajes y Mabilia, que ansí del uno como caballero, y della como donzella en esta gran historia mucha mención se haze. La otra fija, que Helisena fue llamada, en gran cuantidad mucho más hermosa que la primera fue. Y como quiera que de muy grandes príncipes en casamiento demandada fuesse, nunca con ninguno dellos casar le plugo; antes su retraimiento y santa vida dieron causa a que todos beata perdida la llamassen, considerando que persona de tan gran guisa, dotada de tanta hermosura, de tantos grandes por matrimonio demandada, no le era conveniente tal estilo de vida tomar27.

Nous découvrons ainsi le lignage royal d’Helisena, la terre d’origine du personnage, l’identité de son père, le nom de sa sœur, le lien qui unit cette sœur au roi d’Écosse et l’identité ainsi que la fonction des enfants nés de cette union. Helisena brille par ses qualités morales et les propositions des meilleurs partis ne parviennent pas à lui faire accepter le mariage. Le père d’Helisena est un roi qui se caractérise par sa dévotion et son comportement de bon chrétien. Les réticences d’Helisena semblent pour l’instant freiner le développement de la lignée. Il n’en sera rien puisqu’elle mettra au monde l’élément le plus prestigieux de cette généalogie déjà prometteuse. Cette insistance sur la chasteté est peut-être destinée à empêcher un jugement trop sévère de la part du lecteur qui ne va pas tarder à découvrir les conditions secrètes de la conception d’Amadís. D’autres précautions sont prises pour que ne soit pas entachée la renommée d’Helisena. L’enfant est conçu après une promesse de mariage :

— Mi señor, si vos me prometéis como rey […] de la tomar por muger cuando tiempo fuere […].
— Yo juro en esta cruz espada con que la orden de caballería recebí eso que vos donzella me pedís […]28.

Le prestige plus limité de Lazarillo ne permet pas un développement aussi prononcé mais le rappel généalogique s’impose en guise d’ouverture avant quelque aventure que ce soit : « Pues sepa Vuestra Merced, ante todas cosas, que a mí llaman Lázaro de Tormes, hijo de Tomé González y de Antona Pérez, naturales de Tejares, aldea de Salamanca »29. Bref, mais finalement très dense. Le lecteur est ainsi renseigné sur l’identité du personnage principal qui constitue déjà tout un programme : Lazare renvoie au milieu modeste fréquenté par le narrateur et le diminutif supprime toute possibilité de prestige. Cette présentation généalogique annonce également les circonstances de la naissance, l’identité des géniteurs, le lieu de résidence de la famille. On remarquera à quel point le personnage narrateur tient absolument à transmettre ces données généalogiques et à commencer le récit par ces données (« ante todas cosas »). Le nom, qui contribuait à proclamer la grandeur du lignage, est associé dès le XIIIe siècle à un lieu, un domaine familial prestigieux. Il est significatif que, dans le cas du Lazarillo, la référence spatiale associée à l’identité ne renvoie pas à la terre mais à l’eau. La notion d’enracinement du lignage est ainsi écartée. La mère du personnage, meunière de métier, devra se consacrer à d’autres activités à la mort de son époux : « […] y vínose a la ciudad y alquiló una casilla, y metióse a guisar de comer a ciertos estudiantes, y lavaba la ropa a ciertos mozos de caballos del Comendador de la Magdalena, de manera que fue frecuentando las caballerizas »30.

L’absence d’espace personnel (« alquilar »), les activités manuelles (« lavar », « guisar ») et le diminutif (« casilla ») soulignent le caractère misérable de la situation. Le plus important est de constater que les activités de la mère supposent la présence d’étrangers dans la maison. L’ancienne activité de meunière ne plaide pas en faveur d’Antona Pérez. Les métiers en rapport avec la fabrication du pain sont connotés péjorativement depuis le Moyen Âge. Il n’est donc pas surprenant qu’Antona finisse par « fréquenter les écuries ». Du vivant de son époux, sa bonne conduite n’allait déjà pas de soi. En effet, elle présente son fils à l’aveugle en le qualifiant de « hijo de buen hombre »31 (« fils d’un homme de bien »). Selon Francisco Rico, cette même expression désigne un mari trompé. Ce personnage féminin tourne ainsi le dos à la tradition chevaleresque au sein de laquelle « la femme a [...] la valeur d’un être exemplaire » et assume la fonction de « gardienne des valeurs »32. Les cas de relations adultérines (Lancelot/Guenièvre, Tristan/Iseult) constituent des écarts de conduite largement atténués par la beauté des amants ainsi que par la force de la passion qui les rapproche. Ce n’est nullement le cas de la meunière et encore moins celui de l’épouse de Lázaro qui partage accessoirement sa couche avec un homme d’Église.

Considérons à présent le père d’Amadís ainsi que celui de Lazarillo. Le roi Perión est accueilli chez le roi Garínter à la suite d’une rencontre purement fortuite. Au cours d’une partie de chasse Garínter assiste au combat que livre Perión avec deux de ses vassaux. Le combat se soldera par la mort des deux hommes qui ne sauront résister bien longtemps aux assauts de Perión. La victoire remportée par un homme seul contre deux assaillants valorise dès sa première apparition le personnage. De plus, en provoquant la mort des deux adversaires, Perión libère Garínter de deux chevaliers qui ne constituent en rien un modèle de comportement. Leur orgueil les a condamnés et leur sort est donc pleinement justifié : « […] vio a su siniestra una brava batalla de un solo cavallero que con dos se combatía; él conosció los dos cavalleros que sus vassallos eran, que por ser muy soberbios y de malas maneras, muchos enojos dellos avía recebido »33.

Le roi Perión agit avec courage, brille par sa façon de combattre qui lui permet d’affronter plusieurs ennemis, rétablit l’ordre en châtiant des chevaliers indignes. La déférence avec laquelle il s’adresse par la suite à Garínter complète cette image de perfection qui accompagne le personnage qui deviendra le père d’Amadís. Afin de pousser plus avant cette présentation prestigieuse, la rencontre avec le lion donnera au héros l’occasion de reprendre les armes et de faire bon usage de son épée. Cette nouvelle prouesse conduit Garínter à exprimer son admiration en ces termes : « No sin causa tiene aquél fama de mejor cavallero del mundo »34.

Tomé González est également expert dans le maniement de la lame, mais les prouesses qu’il réalise à l’arme blanche ne lui apportent aucun prestige et le conduisent tout droit dans les bras de la justice :

[…] achacaron a mi padre ciertas sangrías mal hechas en los costales de los que allí a moler venían, por lo cual fue preso, y confesó y no negó, y padesció persecusión por justicia […]. En este tiempo se hizo cierta armada contra moros, entre los cuales fue mi padre, que a la sazón estaba desterrado por el desastre ya dicho, con cargo de acemilero de un caballero que allá fue; y con su señor, como leal criado, fenesció su vida35.

Tomé González semble confirmer la réputation déjà bien ternie des meuniers. Son activité illicite est clairement énoncée et sa confession spontanée débouche sur sa condamnation. Meunier, voleur (presque un pléonasme) et condamné, voilà qui dépare dans la généalogie de Lazarillo et ce, d’autant plus que certaines ambiguïtés pourraient entacher davantage la présentation du père, comme dans « […] los moros, entre los cuales fue mi padre » : l’interprétation de fue comme prétérit de ser (« dont était mon père ») ou de ir (« où alla mon père ») n’est pas indifférente. La pureté de sang de la famille est donc suspecte.

Dans un cas comme dans l’autre, les deux héros principaux intègrent un demi-frère dans leur généalogie. Don Florestán est né des circonstances valorisantes que nous avons déjà relevées. Le demi-frère de Lazarillo est le fruit de la reconnaissance du ventre. L’amélioration sensible des conditions de vie conduit Antona et Lázaro à apprécier la présence de Zaide :

Ella y un hombre moreno de aquellos que las bestias curaban vinieron en conoscimiento. […]. […] de que vi que su venida mejoraba el comer, fuile queriendo bien, porque siempre traía pan, pedazos de carne y en el invierno leños […]. De manera que, continuando la posada y conversación, mi madre vino a darme un negrito muy bonito […]36.

Par ailleurs, Zaide connaîtra lui aussi des démêlés avec la justice pour des raisons semblables à celles qui avaient causé la perte de Tomé González.

L’exposé relatif aux circonstances de la naissance est un autre des points communs qui unit les deux œuvres. Lázaro apporte les précisions suivantes :

Mi nascimiento fue dentro del río Tormes por la cual causa tomé el sobrenombre; y fue desta manera: mi padre, que Dios perdone, tenía cargo de proveer una molienda de una aceña que está ribera de aquel río, en la cual fue molinero más de quince años; y estando mi madre una noche en la aceña, preñada de mí, tomóle el parto y parióme allí. De manera que con verdad me puedo decir nascido en el río37.

Concernant Amadís, le narrateur précise : « Havía en aquel palacio del rey Garínter una cámara apartada, de bóveda, sobre un río que por allí passava, y tenía una puerta de fierro pequeña por donde algunas vezes al río salían las donzellas a folgar, y estava yerma que en ella no alvergava ninguno »38.

Dans les deux cas l’espace est celui du secret. Le moulin met le couple de meuniers à l’abri car nul n’y pénètre la nuit. La pièce où Amadís voit le jour est à l’écart du palais et n’est pas associée à une fonction précise. Elle est d’ailleurs inoccupée. C’est l’espace où peut se produire ce que l’on souhaite cacher aux yeux des autres : l’activité frauduleuse des meuniers et la naissance en dehors des liens du mariage. Enfin, la proximité du fleuve est essentielle. Le fleuve construit l’identité de Lázaro et permet l’éloignement du jeune Amadís, tout en contribuant à forger son identité puisqu’il est recueilli sous le nom de Donzel del mar. Les actes de bravoure dont se rend responsable le personnage qui ignore son identité prouvent que la qualité du sang reste une valeur fondamentale et que le nom se mérite. Lázaro, pour sa part, n’a rien à prouver, rien à gagner non plus. Aucun secret ne plane autour de son identité ni de son origine. Les deux romans respectent une même tradition. Les enfants sont éloignés du milieu familial et leur formation est assurée par un personnage de moindre rang : Gandales dans le cas d’Amadís et un ermite dans le cas d’Esplandián. Le formateur de Lázaro ne pouvait donc être qu’un mendiant. Une différence considérable doit être relevée concernant les réactions des mères respectives. Au déchirement de la mère d’Amadís s’oppose la froideur de la négociation menée par Antona Pérez. D’autres liens peuvent être établis comme le rôle de la rumeur qui fragilise momentanément le héros. Les conseillers du roi Lisuarte, Grandandel et Brocadán, le mettent en garde contre un éventuel soulèvement d’Amadís qui prend trop d’importance à leurs yeux. De même, la rumeur oblige Lázaro à se justifier auprès de son destinataire. Les prophéties d’Urganda la desconocida sont remplacées par les prédictions de l’aveugle. Nous ne les exploiterons pas davantage car ces liens sont sans rapport avec la généalogie.

Le chevalier médiéval, dont on retrouve la trace dans les documents historiques, est donc l’ancêtre du chevalier littéraire. Le filtre de la littérature a su faire de ces héros des modèles de vertus et de comportement destinés à réactiver l’idéologie chevaleresque. Le héros épique croise également la route des héros traditionnels de la matière arthurienne. Cette généalogie textuelle dessinera le profil du chevalier des romans de chevalerie dont le modèle de référence est l’Amadís proposé par la version de Montalvo. Après un demi-siècle de succès intense, d’autres genres viennent concurrencer le roman de chevalerie. Mais, dans cette filiation textuelle, tout comme dans la reconstitution d’une généalogie, les descendants affichent une identité propre, voire très personnelle, tout en conservant un élément « génétique » permettant de les rattacher à la lignée dont ils sont issus. Les romans byzantins et pastoraux se développent au moment où l’engouement pour le roman de chevalerie s’émousse. Le voyage et l’aventure rattachent le roman byzantin au roman de chevalerie tout comme l’amour et la tendance à l’idéalisation rattachent les romans pastoraux au genre chevaleresque.

Le Lazarillo considéré comme le texte fondateur du roman picaresque s’éloigne radicalement du roman de chevalerie. La noblesse du comportement ne trouve pas sa place dans l’œuvre, les personnages de sang royal ont disparu au même titre que les combats et que les sentiments amoureux. Pourtant, l’organisation du début de l’œuvre ainsi que l’insistance particulière accordée à la généalogie et aux circonstances de la naissance établissent un lien étroit avec le genre littéraire dont le déclin est amorcé. Ces points communs qui ne pouvaient pas échapper aux lecteurs contemporains de l’œuvre ne font que mettre en évidence la distance qu’adopte par la suite l’auteur anonyme. C’est que les temps ont changé. La critique des romans de chevalerie est au plus haut lorsque paraît le Lazarillo de Tormes. Les lecteurs changent sensiblement de goût et la satire sociale s’imposera au XVIe siècle. La multiplication des marginaux inquiète les autorités de l’époque. Lazarillo, en affichant la bassesse de ses origines tourne le dos à une société qui, en dépit des difficultés qui se présentent à elle, conserve un penchant immodéré pour la généalogie. Francisco Rico considère à ce sujet que : « […] la figura del pícaro, libre de corsés sociales, sin duda expresaba aspiraciones que la España de los Austrias, atormentada por el fantasma de las genealogías y por el imperativo de las apariencias honrosas, no osaba confesar más que arropadas en ironías y burlas, vestidas de paradoja »39.

Manuel Montoya signale cette rupture que prétend amorcer le roman picaresque : « Le roman dit picaresque réagit à sa façon contre d’autres genres romanesques qui ont connu un succès immense, même après la parution du Lazarillo. Il s’agit du roman pastoral et du roman de chevalerie dont les thèmes et les structures sont d’après Mateo Alemán obsolètes et dignes d’une autre époque »40.

Par ailleurs, la situation de misère rendait grotesque l’attachement au prestige généalogique. Le personnage du troisième maître de Lázaro est un bon exemple de ce comportement caricatural. La préoccupation quotidienne est désormais de survivre et cet objectif constitue déjà une aventure à part entière. En prenant directement la parole et en retraçant ses origines modestes, voire infamantes, le héros picaresque réclame le droit d’exister et d’aspirer à mieux dans une société où, en définitive, les plus démunis sont suffisamment nombreux pour qu’une telle requête soit considérée comme pleinement légitime. Le héros picaresque « impose son propre point de vue, choisit d’assumer sa vocation à la déviance »41. Nul besoin, dans ces circonstances, d’afficher son appartenance à une lignée royale. Le culte des apparences ne suffit plus à masquer la priorité des priorités : avoir quelque chose à se mettre sous la dent.

Notes

1 Carlos ALVAR, El rey Arturo y su mundo. Diccionario de mitología artúrica, Madrid, Alianza editorial, 1991, p. 69. Sauf mention contraire, les traductions des citations castillanes sont de nous ; elles seront indiquées en note entre parenthèses. (Ici : « Les chevaliers de la narration courtoise sont le fruit de l’idéalisation des guerriers féodaux opérée dans la seconde moitié du XIIe siècle dans le but de contrôler une classe sociale armée et déstabilisante, et de replacer ses forces au service des nouveaux centres de concentration du pouvoir politique […]. »). Retour au texte

2 La chevalerie implique une grande diversité. Certaines catégories de chevaliers sont sans rapport avec la noblesse : les cavalleros de privilegio et les cavalleros villanos. Voir Ghislaine FOURNÈS, L’univers de la chevalerie en Castille à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, Paris, Éditions Messene, 2000, p. 14-15. Retour au texte

3 CHRÉTIEN DE TROYES, Le chevalier de la charrette, Trad. Charles Méla, Paris, Classiques médiévaux, 1996, p. 26. Retour au texte

4 Libro del Caballero Zifar, Éd. Cristina González, Madrid, Cátedra, 1998, p. 75. (« L’histoire raconte que ce chevalier nommé Cifar fut un chevalier fort habile dans le maniement des armes, de bon conseil pour qui s’en remettait à lui, d’une grande justice lorsqu’on lui confiait une charge qui l’amenait à la dispenser, et d’une grande force, restant lui-même et ne cédant pas à l’orgueil face aux succès armés lorsqu’ils advenaient, et ne perdant pas l’espoir si de sérieuses mésaventures survenaient. [...]. Ainsi, pour toutes ces qualités qu’il réunissait, il était aimé du roi de ce pays dont il était le vassal et dont il recevait une solde généreuse et des faveurs au quotidien. Toutefois, sa malchance était telle que jamais cheval ni autre bête ne demeurait en sa possession plus de dix jours sans mourir, y compris s’il abandonnait ou donnait l’animal avant ces dix jours. ») Retour au texte

5 Les références au Lazarillo (1554) sont issues de l’édition suivante : Lazarillo de Tormes, Éd. Francisco Rico, Madrid, Cátedra, 2005. Pour cet épisode, voir Lazarillo…, Quatrième Traité, p. 111. Retour au texte

6 Lazarillo…, Sixième Traité, p. 125-126 (« Il me confia un âne et quatre cruches [...] »). Retour au texte

7 Francisco de QUEVEVEDO, La vida del Buscón llamado don Pablos, Éd. Domingo Ynduráin, Madrid, Cátedra (Letras Hispánicas), (1980) 2005, Livre iii, chap. 7, p. 269 (« […] je me louai un petit cheval […] »). Retour au texte

8 Lazarillo…, Premier Traité, p. 15 (« […] elle loua une maisonnette […] »). Retour au texte

9 F. de QUEVEDO, El Buscón…, Livre iii, chap. 7, p. 267. Retour au texte

10 Las Siete Partidas (entre 1256 et 1265), Madrid, Boletín oficial del estado, 1985. Retour au texte

11 Manuel TUÑÓN DE LARA, Historia de España, IV Feudalismo y consolidación de los pueblos hispánicos (Siglos XI-XV), Barcelona, Labor, 1982, p. 126 (« La victoire finale remportée par Henri II à Montiel, au cours du printemps 1369, constitua le point de départ de la mise en application d’une politique de larges concessions faites à la noblesse qui avait contribué à son triomphe. [...] Villes, rentes, terres et droits juridictionnels furent très généreusement accordés aux puissants par Henri II et ses successeurs. »). Retour au texte

12 Annie FRÉMAUX-CROUZET, La chevalerie dans la couronne de Castille du XIe au XVe siècle, Paris, Ellipses, 2001, p. 21. Retour au texte

13 CHRÉTEN DE TROYES, Le chevalier…, p. 124-125. Retour au texte

14 A. FRÉMAUX-CROUZET, La chevalerie…, p. 132. Retour au texte

15 Textos medievales de caballerías, Éd. José María Viña Liste, Madrid, Cátedra, 2000, p. 210 (« Il s’agit, malgré son contenu didactico-moral, du premier livre de chevalerie considéré comme production autochtone castillane en rapport avec le cycle breton »). Retour au texte

16 Paul ZUMTHOR, Poétique, Paris, Seuil, 1991, « De Perceval à Don Quichotte », p. 259. Retour au texte

17 Amadís de Gaula, Edición de Juan Manuel Cacho Blecua, Madrid, Cátedra, 1987, p. 176 (« Avoir connaissance de la généalogie d’un personnage revient à connaître la nature dont il devra être le représentant. Les actes du héros servent à attester et à consolider son appartenance à un milieu social dont les fonctions sont sublimées par le biais de la création artistique »). Retour au texte

18 Amadís…, p. 623 (« “Ne vous obstinez pas − dit don Galaor −, car je jure sur la foi que je professe pour Dieu de ne pas vous laisser de répit avant de savoir qui vous êtes et pour quelles raisons vous vous dissimulez de la sorte.” “Que Dieu ne me vienne plus en aide − dit le chevalier − si vous l’apprenez de ma bouche, car je préférerais mourir au combat plutôt que de faire cette révélation. ” »). Retour au texte

19 Amadís…, p. 626 (« “Comment donc, mon seigneur ? Le plaisir ne serait-il pas plus grand si vous partagiez ce lit avec moi plutôt que d’y rester seul ?” Le roi la regarda à la lumière du feu qui brûlait dans la chambre et vit qu’elle était plus belle que toutes les femmes qu’il avait vues auparavant et il lui dit : “Dites-moi qui vous êtes.” “Qui que je sois − dit-elle −, je vous aime profondément et désire vous offrir mon amour.” “Ceci est impossible si vous ne me révélez pas au préalable votre identité.” »). Retour au texte

20 Amadís…, p. 627-628 (« Et lui ôtant l’épée des mains, il la serra amoureusement dans ses bras et exhaussa son désir cette nuit même au cours de laquelle elle demeura enceinte alors que le roi n’eut plus l’occasion de la revoir. »). Retour au texte

21 Amadís…, p. 625 (« Mon seigneur, pardonnez-moi, car si j’ai commis l’erreur de combattre avec vous sans savoir qui vous étiez, c’est uniquement dans le but de me réclamer sans honte votre frère, puisque je le suis, en vous ressemblant quelque peu de la sorte par le courage et par l’honneur acquis en maniant les armes »). Retour au texte

22 Amadís…, p. 476 (« — Laissons cela à présent [...], en effet, compte tenu des qualités de notre père, il est juste qu’il n’y ait point de différence de vous à moi »). Retour au texte

23 Les aventures du chevalier étaient connues avant cette édition et ce, dès le XIVe siècle. Martín de Riquer a recensé les principales références au texte antérieures au travail de Montalvo dans : Martín de RIQUER, Estudios sobre el Amadís de Gaula, Barcelona, Sirmio, 1987, p. 11-35. Retour au texte

24 Marcel BATAILLON, Erasmo y España, México-Madrid-Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1991, p. 622 (« [manque de] vraisemblance, [de] vérité psychologique, [d’]ingéniosité de la composition, [de] substance philosophique, [de] respect de la morale »). Retour au texte

25 Juan de VALDÉS, Diálogo de la lengua, Éd. Juan M. Lope Blanch, Madrid, Clásicos Castalia, 1986, p. 168 (« [...] en plus d’être extrêmement fallacieux, leur composition est de si mauvaise qualité, aussi bien par rapport aux mensonges éhontés qu’ils contiennent que par rapport à leur style confus, qu’ils sont indigestes même pour le meilleur des estomacs »). Retour au texte

26 Susana GIL-ALBARELLOS, Amadís de Gaula y el género caballeresco en España, Valladolid, Universidad de Valladolid, 1999, p. 152 (« Poser le problème d’un quelconque rapport entre le roman de chevalerie et la picaresque est de toute évidence une entreprise inutile puisqu’ils n’offrent que peu de points communs [...]. Le roman picaresque présente dans sa propre conception générique un rejet évident de ce qui précède, de ce qui avait triomphé en son temps avec une puissance quasi illogique »). Retour au texte

27 Amadís…, p. 227-228 (« Il y eut dans la Petite Bretagne un roi chrétien nommé Garinter. Comme il se consacrait au dogme véritable, on percevait en lui une grande dévotion et de bonnes manières. Ce roi eut deux filles d’une noble dame qui fut son épouse. L’aînée épousa Languines, roi d’Écosse et fut surnommée la dame à la guirlande, car son mari le roi ne consentit jamais qu’elle couvrît ses magnifiques cheveux d’autre chose que d’une guirlande, tant le plaisir qu’il éprouvait à voir sa chevelure était fort. Elle mit au monde Agrajes et Mabilia dont il est respectivement fait mention dans cette histoire en tant que chevalier et que damoiselle. L’autre fille, Helisena, fut largement plus belle que la première. Pourtant, bien qu’elle fût demandée en mariage par de grands princes, jamais elle ne souhaita épouser l’un d’entre eux ; au contraire, sa réserve ainsi que la vie exemplaire qu’elle menait lui valurent de tous le surnom de béate égarée, car tous considéraient que pour une personne de cette qualité, dotée d’une telle beauté et demandée en mariage par de si grands prétendants, il ne seyait pas d’adopter ce style de vie »). Retour au texte

28 Amadís…, p. 233-234 (« “Mon Seigneur, si vous me donnez votre parole de roi [...] de la prendre pour épouse le moment venu [...].” “Je fais le serment sur la croix de cette épée par laquelle j’ai été ordonné chevalier d’accomplir, damoiselle, ce que vous exigez de moi” »). Retour au texte

29 Lazarillo…, p. 12 ; La vie de Lazarillo de Tormès, Trad. Alfred Morel-Fatio, Introd. Marcel Bataillon, Paris, Aubier (Flammarion Bilingue), 1968, p. 83 : « Or, monsieur, sachez avant toute chose qu’on me nomme Lazare de Tormès, fils de Thomas Gonzalès et d’Antoinette Perès, natifs de Téjarès, village voisin de Salamanque ». Retour au texte

30 Lazarillo…, p. 15 ; La vie de Lazarillo…, Trad. Morel-Fatio, p. 83 : « Elle vint demeurer à la cité, loua une maisonnette et se mit à faire la cuisine de certains écoliers et à laver le linge de certains palefreniers du commandeur de la Madeleine. De manière que, fréquentant les écuries [...] ». Retour au texte

31 Lazarillo…, p. 21. Retour au texte

32 Carlos HEUSCH, p. 158 dans son étude : « L’amour et la femme dans la fiction chevaleresque castillane du Moyen Âge », in Georges Martin (Dir.), La chevalerie en Castille à la fin du Moyen Âge, Paris, Ellipses, 2001, p. 145-189. Retour au texte

33 Amadís…, p. 228 (« [...] il vit sur sa gauche une vigoureuse bataille qui opposait un chevalier seul à deux combattants ; il reconnut les deux chevaliers qui étaient ses vassaux et qui avaient maintes fois provoqué son courroux à cause de leur orgueil et de leurs mauvaises manières »). Retour au texte

34 Amadís…, p. 229 (« Ce n’est pas sans raison que cet homme est réputé être le meilleur chevalier du monde »). Retour au texte

35 Lazarillo…, p. 14-15 ; La vie de Lazarillo, Trad. Morel-Fatio, p. 83 : « […] on accusa mon père de certaines saignées mal faites aux sacs de ceux qui venaient moudre au moulin. Il fut pris, avoua et ne nia point et souffrit persécution à cause de la justice. [...] En ce temps on leva une armée contre les Mores, où mon père, pour lors banni en raison dudit désastre, alla comme muletier d’un gentilhomme, et là-bas, aux côtés de son maître, comme loyal serviteur, finit ses jours »). Retour au texte

36 Lazarillo…, p. 16-17 ; La vie de Lazarillo…, Trad. Morel-Fatio, p. 83, 85 : « [...] elle y fit la connaissance d’un homme More, de ceux qui pansent les bêtes. [...]. [M]ais lorsque je m’aperçus qu’avec sa venue le manger s’améliorait, je me pris à l’aimer bien, car toujours il apportait du pain, des tranches de viande et, en hiver, du bois [...]. Tant durèrent cette hospitalité et ce commerce que ma mère finit par me donner un moricaud bien gentil [...] ». Retour au texte

37 Lazarillo…, p. 13-14 ; La vie de Lazarillo…, Trad. Morel-Fatio : « Je naquis dans la rivière de Tormès, en raison de quoi me fut imposé ce surnom. Voici ce qui advint. Mon père (que Dieu absolve) avait charge de pourvoir la mouture d’un moulin sis au bord de cette rivière, où il fut meunier plus de quinze ans. Une nuit que ma mère, grosse de moi, se trouvait au moulin, le mal d’enfant la prit et elle me mit au monde là, de sorte qu’en vérité je me puis dire né dans la rivière ». Retour au texte

38 Amadís…, p. 243-244 (« Àl’intérieur du palais du roi Garinter se trouvait une salle à l’écart, voûtée, donnant sur une rivière qui coulait en ce lieu, et accessible par une petite porte en fer par laquelle les damoiselles sortaient parfois pour aller prendre du bon temps près de la rivière ; cette pièce était vide car nul n’y habitait »). Retour au texte

39 Francisco RICO, La novela picaresca y el punto de vista, Barcelona, Seix Barral, 1973, p. 104 (« […] la figure du pícaro, libéré des contraintes sociales, exprimait sans doute les aspirations que l’Espagne des Habsbourg, tourmentée par le fantôme des généalogies et par l’exigence d’apparences honorables, n’osait avouer que sous le voile de l’ironie et de la raillerie et en les recouvrant de paradoxe »). Retour au texte

40 Manuel MONTOYA, « Yo, señor…, l’impossible roman picaresque », in Jean-Pierre Sánchez (Dir.), Le roman picaresque, Nantes, Éditions du Temps, 2004, p. 112. Retour au texte

41 Michel CAVILLAC, Gueux et marchands dans le Guzmán de Alfarache (1599-1604), Bordeaux, Institut d’Études Ibériques et Ibéro-Américaines, Université de Bordeaux, 1983, p. 15. Retour au texte

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Référence électronique

Gilles del Vecchio, « Du roman de chevalerie au roman picaresque : la rupture du lignage », Filiations [En ligne], 2 | 2011, publié le 05 avril 2011 et consulté le 19 avril 2024. DOI : 10.58335/filiations.95. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/filiations/index.php?id=95

Auteur

Gilles del Vecchio

MCF, Celec, EA 3069, Université Jean Monnet, 35 Rue du 11 novembre, 42023 Saint-Etienne cedex 02