Pierre Daum est un journaliste, descendant du fondateur de la célèbre cristallerie lorraine, qui livre avec cet ouvrage une précieuse étude, extrêmement vivante, avec un récit bien mené, en plus d'être solidement documentée1. Il existait en effet déjà certains travaux sur ce sujet, en particulier celui de Benjamin Stora pour le CERMTRI ( Cahiers du CERMTRI n°28, avril 1983) ou encore celui de Anh Van alias Hoang don-Tri2, mais aucun livre en langue française. Le travail de Pierre Daum présente en outre l'atout d'être à la fois basé sur les archives écrites et sur les témoignages, qu'il est allé chercher jusqu'au Viêtnam, profitant sans doute de l'aide institutionnelle à laquelle il a eu droit. Vingt-cinq entretiens ont ainsi été réalisés (11 en France et 14 au Viêtnam), avec des acteurs dont l'âge est désormais compris entre 80 et 100 ans. L'auteur a choisi, pour permettre au lecteur de les mémoriser plus facilement, de leur attribuer à tous un surnom individualisé, imitant en cela Homère… L'épilogue du livre est d'ailleurs tout entier dédié au déroulement de chaque entretien et à l'itinéraire de chacun des témoins au-delà de la période retenue, avec leurs photographies.
Pierre Daum réussit ainsi à nous plonger de plein pied dans l'histoire de ces Indochinois, recrutés de force en 1939 afin de remplacer la main-d'œuvre masculine mobilisée : si les plus instruits d'entre eux, bombardés surveillants ou interprètes, étaient généralement volontaires, il n'en était pas de même pour les ouvriers non qualifiés, sélectionnés parmi les familles paysannes disposant de plusieurs garçons. Au total, près de 20 000 Vietnamiens firent le voyage jusqu'en France, où ils furent affectés dans un premier temps aux poudreries, puis, après la défaite, à diverses autres tâches, dont une des plus étonnantes n'est autre que l'implantation réussie de la riziculture en Camargue. Gérés par la MOI (Main-d'œuvre indigène), ils étaient soumis à une discipline proprement militaire, mal nourris, littéralement exploités par les entreprises françaises et rétribués largement en dessous de ce que touchaient les Français ; leur indemnisation a posteriori n'est d'ailleurs toujours pas réalisée. Les relations avec la population allaient de la curiosité à l'hostilité, mais la plupart de ces témoins notent la distance nettement moins grande ressentie avec les métropolitains comparativement aux colons français.
Après la fin de la Seconde Guerre , ces travailleurs furent rapatriés très progressivement, entre 1946 et 1952, pendant qu'un millier d'entre eux environ faisait le choix de demeurer en France (après l'armistice de 1940, environ 5000 avaient déjà pu faire le voyage de retour avant la mise en place du blocus britannique). Pierre Daum évoque également le climat d'ébullition politique qui s'est manifesté à la fin du conflit, avec l'instauration d'une autogestion partielle des camps et les progrès du trotskysme, incarné ici par la figure de Hoang Khoa Khoi. Toutefois, n'étant pas le sujet direct de la recherche, cet aspect ne bénéficie pas d'analyse approfondie, au-delà de la répression de l' é tat et des attaques du PCF3. Parmi les rares regrets, notons celui de ne pas disposer ni d'une carte de l'Indochine coloniale, ni d'une carte de la France, présentant l'implantation des différents camps. Une jolie réussite, qui remplit parfaitement l'objectif proclamé, celui de collationner des sources avant qu'elles ne disparaissent…