Les éditions Le mot et le reste rééditent un classique pour qui s’intéresse au mouvement ouvrier. Un classique, souvent cité, toujours dans les bibliographies, mais rarement lu, faute de rééditions. Dans sa préface militante, Charles Jacquier souligne ce paradoxe d’un ouvrage de référence dont l’édition présente n’est que la quatrième, la première datant de 1953.
L’ouvrage vaut d’abord pour son auteur, Maurice Dommanget. Instituteur, militant syndicaliste, communiste devenu rapidement dissident, il embrasse l’histoire du premier mai de ses origines à 1951, livrant là, par la richesse des extraits et des documents présentés, une fine chronologie. M. Dommanget conçoit son objet d’un point de vue internationaliste. L’essentiel réside alors dans son abord du 1er mai. Succédant à Amédée Dunois qu’il connut, Maurice Dommanget s’empare du 1er mai armé de sa culture et de ses convictions syndicalistes révolutionnaires. Ses remerciements précisent sa dette à l’égard de Pierre Monatte et Alfred Rosmer ; ses notes se nourrissent de l’ensemble de la littérature grise ouvrière, singulièrement sa presse syndicale. Il faut ainsi appréhender la démonstration de l’auteur au titre de cette culture syndicale. Elle rend compte de sa thèse principale : le 1er mai naît de la revendication des huit heures, il s’institutionnalise ensuite, aux lendemains de la première guerre mondiale. Le 1er mai s’affadit ensuite, jusqu’en 1934 où il retrouve, aux feux d’un antifascisme structurant l’ensemble des relations politiques en Europe, tout son lustre. Pour autant, il a cessé d’être une manifestation ouvrière se muant en kermesse. A l’appui de cette description, Maurice Dommanget cite Georges Dumoulin chroniquant le 1er mai 1937, déplorant une défiguration, une parodie de festivités bourgeoises.... Pour le Temps, c’est la fin d’une mystique. Ces citations importent. Elles soulignent une écriture documentée et structurée par le syndicalisme révolutionnaire, la grève générale, la défiance envers le politique au nom de l’autonomie syndicale. Tout le sel de la première partie de l’ouvrage (le 1er mai des origines à 1953) tient à cette lecture à la fois internationaliste, syndicale et révolutionnaire de l’histoire du mouvement ouvrier.
La seconde partie de l’ouvrage questionne l’aspect fête du travail du 1er mai. Elle s’adjoint de l’évocation de sa place dans la poésie et la chanson populaire (J.-B. Clément, Clovis Hugues, Charles Gros, Gaston Couté, Marcel Martinet….). On y retrouve la culture syndicaliste révolutionnaire, l’attention prêtée à la culture prolétarienne. Ici, Dommanget paraît proche d’Henry Poulaille et de Nouvel âge littéraire, comme dans sa première partie son travail s’apparentait à celui d’Alfred Rosmer (Le mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale). Le paradoxe de cet ouvrage, qui s’ancre ainsi dans une tradition, tient également à ce qu’il annonce de l’histoire du mouvement ouvrier. Ecrit dans la perspective tracée par Amédée Dunois, il devient un ouvrage d’histoire ouvrant sur la question des mentalités. D’ailleurs, Maurice Dommanget déclare s’efforcer d’écrire cette histoire du 1er mai comme s’il s’agissait d’une personne (p. 24). A la sèche chronologie des faits, il ajoute des considérations de psychologie sociale, une investigation plus poussée sur les racines du 1er mai. Toute proportion gardée, il enrichit son objet des multiples dimensions de l’histoire économique et sociale. En ce sens, et à la date de 1953, l’ouvrage préfigure le renouvellement de l’histoire du mouvement ouvrier par l’IFHS et ses revues (L’Actualité de l’histoire, Le Mouvement social) que Maurice Dommanget fréquenta. S’il est un classique, L’histoire du 1er mai l’est dans toute l’acceptation du terme. Il demeure encore novateur, puisqu’il n’eut pas de postérité hors Danielle Tartakowsky qui circonscrit son enquête à la France, puisqu’il se comprend en miroir de L’histoire du drapeau rouge, bientôt rééditée dans la même collection.
Il est donc plusieurs manières de lire cette Histoire du 1er mai ; toutes établissent la nécessité de se réapproprier l’œuvre de son auteur.