Serge Audier, La pensée anti-68. Essai sur les origines d'une restauration intellectuelle. Paris, Éditions La Découverte, 2008. 380 p.

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Intellectuels, Philosophie

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Serge Audier cherche, dans cet essai, à comprendre pourquoi et comment le violent réquisitoire de Sarkozy contre mai 68 n'a pas suscité le rejet généralisé ou, à défaut, l'hilarité devant tant de méconnaissance et de mauvaise foi. Son hypothèse est que ce type de discours s'inscrit dans tout un courant de la pensée française qui s'est construit en relation et, surtout, en réaction à mai 68. Le livre étudie la généalogie de cette « pensée anti-68 plurielle » en montrant les passerelles, parfois étonnantes, entre les États-Unis et la France, et entre la gauche (extrême) et la droite (extrême). Ainsi, l'auteur rappelle que, dès 1968, des groupes antagonistes - des communistes, autour de La Nouvelle Critique, à la droite conservatrice – se sont retrouvés dans une commune condamnation et réduction du Mai français à un « psychodrame ». L'angle d'attaque est le même : le mouvement social disparaît sous le parcours de quelques intellectuels, censés incarnés toute une génération, par leur trahison ou stratégie carriériste ; génération qui a consciemment ou non, plus ou moins volontairement, libéré le capitalisme de tout ce qui l'entravait encore et lui a permis une formidable accélération.

L'auteur revient en détail sur des livres et des penseurs, qui ont servi de fer de lance à la liquidation de ces « évènements » : Lipovetsky, Debray, Gauchet, « La Pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain », de Ferry et Renaut, etc. Il dénonce la faiblesse théorique et l'absence de rigueur de ces ouvrages, qui couvrent le plus souvent une légitimation idéologique du capitalisme. De manière plus générale, Audier montre que le noyau de cette « opération de liquidation » consiste à « dépolitiser radicalement mai 1968 pour l'aplatir sous une logique qui n'était pas la sienne » (p. 358).

Dommage que le livre ne consacre pas plus de pages à la « pensée anti-68 », à gauche et à l'extrême gauche du spectre politique (il évoque brièvement Pasolini, Hocquenghem et, un peu plus longuement, Bourdieu, largement passé à côté de mai 1968). Il est possible, en effet, d'émettre l'hypothèse que l'ampleur de la réussite de la restauration intellectuelle étudiée par l'auteur est aussi, en partie, le résultat de la faible résistance qu'elle a rencontrée de ce côté-là.

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Frédéric Thomas, « Serge Audier, La pensée anti-68. Essai sur les origines d'une restauration intellectuelle. Paris, Éditions La Découverte, 2008. 380 p. », Dissidences [Online], Mai 68 : les comptes rendus, 26 August 2012 and connection on 29 March 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=554

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Frédéric Thomas

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