Gérard Bloncourt et Michael Lowy, Messagers de la Tempête. André Breton et la Révolution de janvier 1946 en Haïti, Pantin, Le Temps des Cerises, 2007, 181 p.

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Décolonisation, Intellectuels

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Le surréalisme serait mort à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les études, les histoires du mouvement ne cessent de le répéter. Déjà, en 1944, dans Histoire du surréalisme , Nadeau distinguait « l'état d'esprit surréaliste », éternel, et le mouvement surréaliste « dont la naissance coïncide, en gros, avec la fin de la Première Guerre mondiale, la fin avec le déclenchement de la Deuxième ». Ce livre allait ouvrir, dans les années 1944 – 1948, la voie à un règlement de compte généralisé envers le surréalisme, condamné à disparaître en raison de sa prétendue inactualité, de sa soi disant impuissance. Ironiquement, c'est justement à cette époque, où la majorité des intellectuels français de gauche, de Sartre à Tzara, de Lefebvre à Aragon, le jugent cliniquement mort, que le surréalisme va d'une manière éclatante, démontrer sa vivacité et sa disponibilité révolutionnaire.

Invité pour une série de conférences, André Breton, quitte les États-Unis où il vivait en exil depuis 1940, pour se rendre à Haïti. Or, ces conférences vont coïncider avec l'explosion sociale dite des « Cinq Glorieuses de 1946 ». C'est cette « coïncidence » que raconte et analyse le livre de Gérald Bloncourt et de Michael Löwy.

Début décembre 1945, Breton arrive à Haïti. Un groupe de jeunes intellectuels révoltés haïtiens publie l'une de ses conférences, dans un numéro spécial de La Ruche , en son hommage. La confiscation du journal et l'arrestation de plusieurs membres du groupe seront à l'origine du soulèvement général des cinq journées du 7 au 11 janvier 1946, les « Cinq Glorieuses », qui mettront fin au régime autoritaire de Lescot. Malheureusement, le pouvoir sera vite confisqué par les élites en place, et Breton sera prié, en février 1946, de quitter le territoire, soupçonné de complicité avec l'insurrection.

Le livre est composé en trois parties : l'étude de Michael Löwy ; le récit de Gérald Bloncourt, l'un des principaux organisateurs de la révolution ; et des annexes reprenant documents, poèmes et tableaux autour de ces événements. Démarche riche et originale, le livre croise une analyse contextuelle du surréalisme et de la situation haïtienne – « une poudre sèche et inflammable » – avec une étude des conférences de Breton – « les étincelles ». Löwy se base sur ses études précédentes pour aller directement à l'essentiel. D'une part, il cerne l'importance de cette « rencontre unique », de cette convergence « entre la parole surréaliste et l'action subversive » qui peut seulement être comparée, mais de manière indirecte et plus diffuse, avec la conjonction du surréalisme et de la révolution autour des événements de mai-juin 1968 en France. D'autre part, il restitue le surréalisme dans sa dimension globale de révolte anticolonialiste et romantique où la révolution poétique se lie intimement à la révolution sociale. Dans un second temps, le récit des journées révolutionnaires de janvier 1946 par Gérald Bloncourt et l'analyse des conférences de Breton par Löwy mettent en lumière les idées du poète surréaliste « qui ont eu prise » sur la situation explosive et sur la jeunesse haïtienne. L'hypothèse fondamentale qui se dégage du livre est l'existence d'affinités entre le surréalisme et les révolutionnaires haïtiens. Or, ces affinités vont être activées, se développer par les venues successives sur l'île du poète Aimé Césaire, du peintre Wilfredo Lam, de Pierre Mabille et, enfin, par la rencontre et les conférences de Breton.

Si le livre est riche en analyses, récits et documents, le lecteur ne peut s'empêcher malgré tout de rester un peu sur sa faim. La partie de Michael Löwy aurait mérité d'être plus développée sur le réseau de rencontres affinitaires entre Mabille, Lam, Césaire, Breton et les jeunes de La Ruche , un peu à l'image de ce que l'auteur avait fait dans son livre Rédemption et Utopie où était étudiée l'éclosion, au sein d'une génération d'intellectuels – Lukacs, Benjamin, Landauer… – de l'entre-deux-guerres, en Europe centrale, d'une double configuration du romantisme utopique et du messianisme révolutionnaire. De plus, une chronologie plus longue et les textes des conférences de Breton auraient donné une vue d'ensemble plus fouillée des événements. Ces « insuffisances » ne sont néanmoins que le pendant d'un essai aussi nouveau que riche. A travers la mise en avant de la rencontre de la poésie et de l'insurrection, du surréalisme et des révoltés haïtiens, le livre bouscule la périodisation et la compréhension établies du surréalisme. Par-là même, alors que le peuple de Haïti continue à se débattre entre misère et néocolonialisme, et que le surréalisme est ramené aux proportions étroites d'un mouvement artistique défunt, l'essai de Bloncourt et Löwy jette une lumière crue sur l'actualité des matières inflammables et sur la grâce de quelques étincelles.

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Frédéric Thomas, « Gérard Bloncourt et Michael Lowy, Messagers de la Tempête. André Breton et la Révolution de janvier 1946 en Haïti, Pantin, Le Temps des Cerises, 2007, 181 p. », Dissidences [En ligne], Intellectuels, publié le 06 décembre 2012 et consulté le 28 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=543

Auteur

Frédéric Thomas

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