Benjamin Péret, Je na mange pas de ce pain-là, Paris, Éditions Syllepse, 2010, 154 p. ( Les archipels du surréalisme).

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Littérature contemporaine, Littérature

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Réjouissons-nous tout d'abord de la publication de ce recueil de Benjamin Péret par les éditions Syllepse. Il est accompagné d'une judicieuse présentation de Gérard Roche, de notes, et d'une enquête de Heribert Becker.

Dans sa présentation, Roche insiste sur le caractère particulier et déroutant de ce livre, paru en 1936, dans l'œuvre du poète surréaliste. D'ailleurs, lors du travail de réédition en 1945-1946 (jamais abouti), Péret écrivait qu'il n'avait « jamais considéré cela comme des poèmes à proprement parler » (pages 9-10), et voulait les faire précéder d'une note pour ne pas avoir l'air de se contredire par rapport à sa charge contre la poésie de la Résistance dans Le Déshonneur des poètes . Commentant l'enquête en fin de volume, Roche souligne tout ce qui distingue Je ne mange pas de ce pain-là de la poésie « engagée » et insiste, avec raison, sur le fait que « c'est encore l'humour qui [le] sauve (…) du contingent et du circonstanciel » (page 19)1.

Un humour en effet énorme et jubilatoire (comme l'évoquent plusieurs réponses à l'enquête), qui fait sourire ou rire à la lecture de Le Pacte des quatre  ; é pitaphe sur un monument aux morts de la guerre  ; Condamine de la Tour (sujet proposé par l'Académie française pour le prix de poésie de 1927) ; … Bien sûr, l'ensemble est très inégal ; la majorité des poèmes est loin d'atteindre la puissance des autres œuvres de Péret. Cependant, des images apparaissent ici ou là, chargées tout à la fois d'humour et de dénonciation : « les hosties gardent leur goût de cadavre » (page 30) ; et les deux poèmes sur les « anciens combattants » où le début de la Petite chanson des mutilés - « Prête-moi ton bras / pour remplacer ma jambe » (page 61) - semble faire écho à la fin de l' Hymne des anciens combattants patriotes - « Je suis un ancien combattant / regardez comme je suis beau » (page 58). Il reste, malgré tout, quelques bijoux où le lecteur retrouve toute la verve du poète. Ainsi, Le tour de France cycliste:

« L'édredon de la nuit s'est assis sur la selle
et les puces voltigent tout autour comme des
poissons dans l'aquarium de leur tête
Les bornes kilométriques leur lancent
des flèches de curare
et les poteaux indicateurs sont des ours
qui croissent à tort et à travers comme des flics
Ah si les rayons étaient des jets d'eau
chacun figurerait le bassin des Tuileries
ou la double bosse du chameau
Mais voici que dieu a craché sur la route
et traînant sa sottise comme un parapluie
a tracé des ornières jonchés de crucifix » (pages 26-27).

Enfin, comment ne pas rire au début de Jeanne d'Arc  où Péret recouvre son ivresse contagieuse, sa démoralisation joyeuse :

« Les petits oiseaux n'ont pas de roulettes
mais Jésus a les pieds gelés
confia un jour à Jeanne d'Arc
une bouse de vache auréolée de mouches
voisine d'un vieux bout de bois pourri
que les crapauds s'exerçaient à franchir en sautant
Et chacun au passage se nommait
Saint Jean Saint Paul Saint Louis Sainte Thérèse Saint Trouduc
Alors Jeanne comprit qu'elle était en face de Dieu
et avala la bouse comme une relique » (page 35).

L'enquête qui suit s'adressait presque uniquement à d'anciens surréalistes ou sympathisants. Il s'agissait de voir la cohérence d'un tel recueil par rapport au surréalisme, et d'en juger la force et l'actualité. Malheureusement, la grande majorité des réponses - si on excepte celles de José Pierre, Claude Courtot et Guy Prévan - sont un peu fades, comme en retrait et n'apportant guère d'éléments nouveaux. La raison principale tient à ce que la plupart défendent avant tout une sorte de « surréalisme orthodoxe » aux dépends de l'état d'esprit surréaliste, biaisant de la sorte leur jugement sur Je ne mange pas de ce pain-là . Heureusement, Courtot rappelle bien à propos que l'année même où Péret sort ce recueil, il publie un ensemble de poèmes d'amour, Je sublime , qui constitue comme le pendant de Je ne mange pas de ce pain-là et déploie tout le spectre du surréalisme ; de la révolte à l'amour, de la révolution à la poésie dans un monde où tout est contre l'amour, où tout est contre la poésie.

Certaines réponses proposent d'intéressants rapprochements : avec le groupe de théâtre de Prévet, Octobre  ; avec Aimé Césaire ; et, en peinture, avec Brauner et Grosz. Il me semble par ailleurs que cet écrit peut également être rapproché de la période « vache » de Magritte. L'étroitesse des réponses réside semble-t-il dans la non interrogation du terme « poèmes de circonstance ». Non seulement, il existe un autre exemple - la plaquette Violette Nozières, comme le rappelle Prévan -, mais, plus radicalement, le surréalisme a moins rejeté que creusé et réinventé les circonstances - et, à partir de là, la « poésie de circonstance » -, faisant prévaloir une éthique bouleversante sur toute « technique » surréaliste pour juger une œuvre. C'est en ce sens que l'on peut parler du souffle, d'un état d'esprit surréalistes irriguant des œuvres aussi différentes et particulières que, par exemple, le film de Bunuel, Las Hurdes. Terre sans pain et Je ne mange pas de ce pain-là . La limitation réelle et principale du recueil de Péret loge peut-être avant tout dans l'hyperbole, une inflation verbale qui, très vite, s'use, sature la lecture et épuise sa force autant que la signification du scandale, rendant dérisoire la reprise systématique de cet exercice de style, la reproduction indéfinie d'une attaque sous cette forme.

La dernière question de l'enquête portait sur une actualisation des cibles de Péret à notre société. Là encore, les réponses sont décevantes car, sous son allure délirante, Je ne mange pas de ce pain-là dessine un tableau historique, un portrait de l'Europe, au croisement des pouvoirs (de l'armée, de l'église, de l'argent) que le surréalisme a voulu renverser. Cela ne fait que souligner un peu plus la distance qui nous sépare de l'humour politiquement incorrect de Benjamin Péret et l'efficacité que la poésie, aujourd'hui, pourrait recouvrer en y revenant ponctuellement.

Notes

1 Pour la petite histoire, Roche nous apprend que Trotsky a eu le livre entre les mains et qu'il ne lui plut pas du tout… Retour au texte

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Référence électronique

Frédéric Thomas, « Benjamin Péret, Je na mange pas de ce pain-là, Paris, Éditions Syllepse, 2010, 154 p. ( Les archipels du surréalisme). », Dissidences [En ligne], Culture, littérature (romans, BD), publié le 19 décembre 2012 et consulté le 25 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=516

Auteur

Frédéric Thomas

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