Que peut-on savoir de l'Irak ? Qu'est-il encore possible de comprendre ? Les attentats s'ajoutent aux attentats tandis que la comptabilité des blessés et des morts couvre tout l'espace du discours médiatique, décourageant les efforts d'analyse. Aussi, parfois, un détour peut être éclairant et offrir un chemin de traverse vers ce qui, auparavant, était occulté ou inaccessible.
Salah Al Hamdani est poète, écrivain et homme de théâtre, né à Bagdad et exilé en France depuis 1975. Opposant à la fois à Saddam Hussein et à la guerre contre l'Irak, la question de l'écriture se complique donc pour lui de celle de l'exil et de l'opposition aux vainqueurs. Qu'écrire ? Et pourquoi ? « é crire pour quelqu'un, pour quelque chose, pour rien. / é crire pour aller vers ce rien ». D'où une certaine pudeur, une écriture comme en retrait, se rapprochant sans cesse de l'Euphrate, de l'enfance et de l'amour. Bagdad concentre alors la mélancolie ou l'irritation de cette proximité qui ne cède pas : « Bagdad était comme un jouet / Dans la main d'un gamin exilé / Toute la nuit / Derrière notre porte ».
C'est la nuit ou l'aube, ce sera « bientôt », c'est là, dans les pas, les silences et l'insomnie. La souffrance de l'éloignement est travaillée dans l'écriture afin d'arracher au déracinement la chance d'une veille, d'une écoute plus attentive, d'un rapport privilégié à l'autre, comme dans l'amour : « L'important n'est-il pas que nous nous aimions / un peu quelque part / comme la solitude du crépuscule / scellée par mille regards ? ».
Si l'introduction est belle et émouvante, les poèmes sont assez inégaux. Certains, de facture « classique », sont sans grand intérêt. Mais d'autres portent en eux des images - « le ciel renversé dans le regard d'un cadavre d'enfant » - et une charge d'une grande intensité, qui nous restent une fois le recueil refermé. Un peu comme ces choses qui remontent dans la nuit de l'auteur : « Je suis désemparé que mes yeux se ferment, ayant peur de réveiller pendant mon sommeil des choses enfouies en moi depuis longtemps : l'assassinat du vendeur de journaux, la photo d'un jeune Kurde que je portais sur moi le soir de mon enlèvement et la crainte insupportable que Dieu existe ».