Contrairement à ce que le titre laisse entendre, ce livre ne traite que marginalement de la tentative, par ailleurs déjà bien documentée (Pennetier C. , Besse J.-P., La négociation secrète, Atelier, 2006 ; Bourderon R., La négociation, Syllepse, 2000), de reparution légale de l'Humanité auprès des forces allemandes d'occupation. Bien entendu cet aspect est abordé en fin d'ouvrage. Mais le livre consiste en fait en une biographie de Maurice Tréand, le militant le plus impliqué dans ces négociations. Evidemment, annoncer cela est nettement moins vendeur que d'insister sur l'aspect sulfureux des rapports avec les nazis. Si l'on excepte le penchant, toujours actif sous la plume de Boulouque, d'un anticommunisme hystérique, le livre se lit avec grand intérêt. De condition modeste, Maurice Tréand commence à travailler tôt comme garçon de café. C'est d'ailleurs cette fonction qui l'amènera à se politiser, le café jouant un rôle comme lieu de rendez vous pour les militant du PC. Il va rapidement être attiré par cet enthousiasme pour l'action politique et l'engagement. Son parcours est celui de nombreux autres jeunes qui considèrent que la SFIC propose une action réellement révolutionnaire. C'est d'ailleurs par l'antimilitarisme et l'internationalisme qu'il fait ses premières armes dans sa ville de Besançon au niveau des Jeunesses communistes. On voit ainsi se former (l'auteur consacre un très intéressant passage aux lectures de Tréand) militant, intrépide et convaincu au cours du début des années vingt. Cet enthousiasme amène Tréand à se voir proposer des responsabilités régionales au sein du PCF, en particulier l'animation du journal que ce dernier édite avec des moyens dérisoires. Comme le rappelle Boulouque, ce militantisme est un militantisme total, confinant au sacerdoce : 18 h par jour, Tréand rédige des articles, parcourt les usines, rencontre d'autres militant, prépare et anime des réunions, distribue des tracts. Cet activisme va vite rencontrer l'obstacle de la répression. Si rien n'oblige à approuver la formulation que consacre l'auteur (Tréand « recherche (les) condamnations fermes. «(Cette dimension stratégique) répond à la dimension sacrificielle du communisme », p. 77), force est de constater que la justice le condamne pour ses responsabilités d'éditeur du Semeur ouvrier et paysan , le journal communiste. Après plusieurs arrestations et mois fermes d'emprisonnement, Tréand quitte la région et devient collaborateur du Comité central à Paris. Ses indéniables qualités d'organisateur vont faire de lui un candidat idéal pour l'école léniniste internationale. En avant pour Moscou et la patrie du socialisme. A son retour, il exerce des responsabilités au niveau de la direction centrale du Parti, après avoir rempli sa bio (le modèle est reproduit aux pages 126-128) avant de devenir lui-même responsable de cette tâche à la commission des cadres dont il va assurer l'expansion. Tréand apparaît ainsi comme une plaque incontournable de l'appareil communiste et un homme de confiance car d'une fidélité absolue. Tréand, parangon du « cadre thorézien » va naviguer au fil des années 30 entre Paris, Moscou où il fait de nombreux voyages et Madrid, au moment du déclenchement de la révolution espagnole, puis de la guerre civile (il est notamment un des fondateurs de la compagnie France-Navigation qui va convoyer les armes soviétiques en Espagne). On comprend aisément (chapitre 8) pourquoi il fait partie de ceux qui sont désignés pour conduire les négociations avec les nazis pour faire reparaître l'Humanité, dans le prolongement du Pacte germano-soviétique. Il fait partie des sacrifiés, car le Parti désavoue rapidement son entreprise. Exclu, il passe la guerre dans la clandestinité en province. Il reviendra au PC après la guerre, mais n'y jouera qu'un rôle subalterne, avant de décéder d'un cancer en 1949. En conclusion, Boulouque s'essaie à une formalisation de l'engagement communiste : « Outre le contrôle social exercé par les militants de la base au sommet, cinq éléments principaux sont à prendre en considération. L'itinéraire de Tréand en est une parfaite illustration. D'abord l'engagement dans les Jeunesses qui jouent un rôle primordial, souvent sous-estimé car il a été très vite oublié par l'affaire Barbé-Celor et le montée de Maurice Thorez. En deuxième lieu, l'expérience du travail antimilitariste puis, souvent, de la prison, est indispensable au parcours du bon militant ; le troisième élément est la pratique de la violence contre la police comme parfois contre les concurrents avec une nouvelle fois sa conséquence, la prison. La capacité à être membre de l'encadrement local constitue le quatrième étage de cet édifice. Enfin, le séjour en Russie, s'il est une gratification symbolique, appartient pleinement au processus de promotion », p. 211. Si l'on excepte le penchant décisionniste (la recherche affirmée de la violence et de la répression), le constat dressé par l'auteur à partir du cas de Tréand, rejoint ce que d'autres travaux ont pu établir sur cette fameuse « génération thorézienne ». D'intéressantes, même si cursives, annexes, ainsi qu'un dictionnaire biographique et une belle bibliographie parachève cet ouvrage.
Sylvain Boulouque, L'affaire de l'Humanité. Comment le célèbre quotidien tenta de reparaître en pleine occupation nazie, Paris, Larousse, 2010, 254 p.
02 September 2012.
Index
Text
Illustrations
References
Electronic reference
Georges Ubbiali, « Sylvain Boulouque, L'affaire de l'Humanité. Comment le célèbre quotidien tenta de reparaître en pleine occupation nazie, Paris, Larousse, 2010, 254 p. », Dissidences [Online], Communisme français, 02 September 2012 and connection on 21 November 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=449