Après les événements de Mai 68, la jeune Ligue communiste est la première organisation d’extrême gauche qui participe à des élections, en présentant Alain Krivine aux présidentielles de 1969. En juin 1970, la LC soutient le candidat du PSU lors d’une élection partielle à Paris (XIIe) et le candidat de Lutte Ouvrière – dont le militant de la Ligue Jean Métais est le suppléant – à Bordeaux, en septembre 1970. Certes, ce n’est pas par les urnes que les masses s’émanciperont, ne cessent de réaffirmer les révolutionnaires, mais les élections sont une tribune permettant de populariser leurs idées, de se faire connaître. Certains militants se demandent toutefois s’il n’est pas risqué de dévoiler les noms de nombreux militants ou sympathisants en les présentant comme candidats2. Cette objection sera vite balayée, mais il est vrai qu’au début de la décennie, pour éviter la répression, les organisations présentent parfois plutôt leurs militants fonctionnaires que les ouvriers du secteur privé. Ce n’est donc pas par anti-électoralisme que la LC ne présente pas de candidats aux élections municipales de 1971, mais tout simplement parce que la direction a estimé que l’organisation n’était pas encore prête pour affronter une telle échéance3. Lors de ces élections municipales, LO présente quelques candidats en commun avec le PSU, à Paris et à Bordeaux, ce dont se félicite Rouge4. Ainsi, la liste du XVIIIe arrondissement de Paris, conduite par Arlette Laguiller, obtient 2,47% des suffrages exprimés5
Les élections municipales de 1977.
Après plusieurs élections législatives partielles que l’extrême gauche affronte dans la division – 3 candidats d’extrême gauche à Tours le 9 mai 19766 et 4, en comptant le candidat du PSU, à Paris (Ve) le 14 novembre 19767 – trois groupes d’extrême gauche se présentent unis aux élections municipales des 13 et 20 mars 1977. Dès janvier 1977, LO, la LCR et l’OCT8 concluent un accord, se démarquant à la fois de la droite et de la gauche du Programme commun (PS, PCF et MRG). Elles seront capables de présenter 56 listes, dans 30 villes importantes (27 villes et 3 listes à Lyon, 6 à Marseille et 20 à Paris) sous la dénomination « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs ». A Vénissieux, la 57e liste est présentée uniquement par l’OCT et le PCR maoïste, dont beaucoup de militants sont issus du PSU. A Paris ont été présenté(e)s 109 personnes, 70 hommes et 39 femmes, d’une moyenne d’âge de 31 ans. Les enseignants sont nombreux, 18, dont Catherine Samary, Josette Trat, Jean Malifaud, de la LCR, mais les employé(e)s plus nombreux(ses) encore : 41, les ouvriers n’étant que 16, dont 5 cheminots. Les listes parisiennes obtiennent 24 570 voix, soit 2,88% des suffrages exprimés, chiffres modestes, mais légèrement supérieurs au total des voix d’Alain Krivine et Arlette Laguiller en 1974 (1,96%), se félicite le journal Lutte Ouvrière au lendemain des élections. Un journal qui titre son éditorial : « Succès de l’extrême gauche révolutionnaire », reconnaissant que l’accord de « front unique » (sic) a été incontestablement positif. En effet, dans certaines villes de province, le succès est impressionnant. Le soir des résultats, on chante l’Internationale à la mairie de Nancy, la liste dirigée par Ivan Viry, militant de la LCR, ayant obtenu 8,33% des voix, avec des pointes à 14,4% dans le quartier populaire du Haut-du-Lièvre. A Orléans, la liste conduite par une employée des Chèques postaux, militante de LO, a obtenu 11,98% des voix, avec des scores de 17 à 18% dans les quartiers ouvriers de La Source ou des Blossières. Les résultats sont bons aussi à Montbéliard (9,48%), à Rouen (7,6%), à Caen (8,3%), à Lille (6,37%), à Vénissieux (9,82%). Dans les quatre communes de la région parisienne où les révolutionnaires présentaient des listes, elles obtiennent 9,49% à Saint-Ouen, 6,72% à Aubervilliers, un peu moins à Colombes (4,79%) et à Vanves (3,14%). Les villes où la liste obtient des scores médiocres, proches de 2%, habituellement enregistrés par l’extrême gauche, ne sont que 6 sur 31. Un peu étonné, le journaliste du Monde signale que même lorsque le résultat des révolutionnaires est modeste – c’est le cas à Saint-Étienne avec 3,20% des voix –, les partis de gauche invitent un représentant de la liste d’extrême gauche à s’exprimer officiellement à leur meeting avant le deuxième tour, une nouveauté pour l’époque9. L’éditorial de Lutte Ouvrière note que même « la concurrence écologique » n’a pas empêché l’extrême gauche de faire de bons scores, ainsi à Lille (Écologistes : 6,8%, extrême gauche : 6,37%). Et de regretter que les révolutionnaires n’aient pas pu présenter des listes dans toutes les villes de plus de 30.000 habitants.
Cependant, la loi électorale ne le permettant pas, les révolutionnaires n’obtiennent aucun élu à la suite de ces élections. Il n’empêche que ces organisations ont commencé, à cette occasion, à s’intéresser aux problèmes du « cadre de vie » jusqu’ici négligés. Rouge par exemple – il est quotidien du 15 mars 1976 au 2 février 1979 – a multiplié les enquêtes sur les grandes villes.
En 1983, l’exploit n’est pas renouvelé, mais plusieurs élus(e)s sont obtenu(e)s par l’extrême gauche.
Dès janvier 1983, en prévision des élections municipales fixées aux 13 et 20 mars 1983, la LCR et LO signent un accord unitaire. Les deux organisations seront en mesure, annoncent Alain Krivine et Arlette Laguiller, lors d’une conférence de presse le 13 janvier, de présenter des listes dans 81 villes importantes – soit 3 702 candidat(e)s – sous le nom de « La Voix des Travailleurs contre l’austérité »10. En outre, à Alençon, dans l’Orne, de même qu’à Saint-Chamond, des « communistes conventionnels », c’est-à-dire des communistes critiques, seront partie prenante, de même que le PSU à Brest, derrière le militant de la LCR, ancien du PCI minoritaire, André Fichaut11. Ces listes, à forte composante ouvrière ou populaire – à Reims par exemple, sur les 59 membres, 10 sont ouvriers métallurgistes, 10 employé(e)s des PTT et de la SNCF, 10 infirmières ou éducateurs – doivent non seulement dire « Non à l’austérité de gauche », mais aussi porter de nouvelles revendications comme le droit de vote pour les immigrés, qui figurait pourtant dans les 110 propositions du candidat Mitterrand de 1981. Les résultats seront moins bons qu’en 1977. Tout en titrant son article « Un courant qui prépare l’avenir », Pierre Rème dans Rouge note l’écart entre les résultats et l’écho de la campagne12. Rares sont les listes qui dépassent les 5% des suffrages exprimés, la moyenne s’établissant plutôt autour de 3%. Abstentions plus fortes dans l’électorat populaire et réflexe du « vote utile » sont incriminés. Cependant, la nouvelle loi électorale du 20 novembre 1982 ayant introduit une dose de proportionnelle13, la LCR obtient ses deux premiers élu(e)s municipaux, Michèle Ernis, institutrice, à Saint-Étienne-du-Rouvray (banlieue rouennaise) et Alain Remoiville, ouvrier dans la chimie14, à Cenon (banlieue bordelaise). Leurs listes ont obtenu 6,13% et 6,80%. LO n’obtient pas d’élus. Par contre, le PCI « lambertiste », troisième principale organisation trotskyste, présent seul dans plusieurs dizaines de communes (dont 48 communes de plus de 30 000 habitants) obtient lui aussi des élus, à Lormont (banlieue bordelaise), à Bouguenais (banlieue nantaise), à Vénissieux (Rhône) et aux Mureaux (78).
Interrogée par Rouge, Michèle Ernis note l’ambiance tendue lors de la proclamation des résultats, des militants du PC lui reprochant de « leur avoir piqué un siège ». Elle compte utiliser son mandat pour appuyer les luttes des travailleurs et elle a l’intention de rendre compte à tous des projets qui les concernent15. Membre d’une municipalité composée de 23 militant(e)s socialistes, 6 du PCF, 5 de droite, Alain Remoiville note la « crédibilité » nouvelle de la LCR, désormais, dans les usines16. Quant à Michèle Ernis, élue d’une municipalité dont le maire est communiste, elle dénonce la mise en place des TUC (Travaux d’utilité publique) à Saint-Étienne-du-Rouvray. Ces emplois précaires, d’une durée de un an, réservés aux collectivités et aux associations d’utilité publique, sont destinés à employer des jeunes chômeurs de 16 à 21 ans. Elle voit là une fausse bonne idée pour lutter contre le chômage et note la contradiction entre le maire PCF de Saint-Étienne et Georges Marchais, dirigeant du PCF, qui critique les TUC dans ses meetings17. De nouveau interrogée dans Rouge, à la veille des élections municipales de 1989, elle fait un bilan positif de sa présence au conseil municipal. Étant perçue comme un aiguillon de la gauche classique par la population, elle affirme que la crédibilité de la LCR en a été renforcée. S’étant solidarisée avec les immigrés et avec les luttes des femmes – plutôt que d’assister à la traditionnelle cérémonie de remise des médailles aux mères de famille nombreuse –, elle a aussi commencé à poser les problèmes d’environnement sur la commune, à propos d’un dépôt dangereux de phosphogypse18.
Les Municipales des 12 et 19 mars 1989 : une autre voix à gauche ?
A la veille des élections, Hélène Viken, de la LCR, affirme que les listes présentées ou soutenues par son organisation « ont une ambition bien plus vaste qu’un simple témoignage »19. Dans la foulée de la récente campagne présidentielle qui avait vu la LCR retirer son candidat Alain Krivine pour soutenir, avec d’autres forces d’extrême gauche, le communiste critique Pierre Juquin20, la démarche unitaire est poursuivie. La configuration des listes varie, en fonction de l’attitude des partenaires, des situations locales. Les dénominations sont variées aussi : « Égalité 89 » à Roubaix, « Idéal 89 » à Laval, « Fraternité 89 » à Dreux, allusion sans doute à la révolution française, dont on s’apprête à fêter le Bicentenaire21. Pau et Alençon préfèrent « Pour une Municipalité au service des travailleurs ». Le mot « écologie » apparaît dans l’intitulé de la liste à Montpellier, Amiens, Metz, Riom. Au total, 27 listes sont mises en place dans des villes de plus de 20 000 habitants, avec notamment des anciens des Comités Juquin, des militants de la Nouvelle gauche ou des communistes dissidents. A Montluçon (Allier) et à Blanzat (Puy-de-Dôme), c’est un communiste rénovateur qui conduit la liste. Ayant pris place sur la liste du maire sortant confortablement réélu dès le premier tour, un militant de la LCR, Bernard Grangeon, est élu conseiller municipal à Blanzat. Il est un des cinq militants(e)s LCR élu(e)s ou réélu(e)s : Michèle Ernis, réélue à Saint-Étienne-du-Rouvray avec 7,61% des voix (soit 1,44% de plus qu’en 1983), Gérard Vaysse22 élu à Vénissieux avec 5,25% des voix, Christian Bensimon, médecin, et Marie-Françoise Deleule élus à Saint-Denis (6,87%)23. Raymond Vacheron manque de 5 voix son élection au Puy. Des scores importants sont réalisés à Gennevilliers (6,19%) avec l’élection de Marcel Foucault, ancien adjoint au maire et rénovateur communiste24, ou à Metz (8,14%). Mais dans cette dernière ville, la LCR s’est alliée avec des membres des anciens Comités Juquin, des écologistes, ainsi qu’avec des socialistes opposés au ralliement de leur parti dès le premier tour à la liste du centriste Jean-Marie Rausch. Les militants se divisent lors du second tour, certains candidats finissant par rallier la liste Rausch. Des militants de la LCR, minoritaires – ils ont constitué une fraction – dénoncent ces errements, regrettant que leur organisation ait mêlé son drapeau avec celui des réformistes, « généralement en position de subordination », dans des listes dites « alternatives ». Ils pressent la majorité de se lancer dans une campagne commune avec LO dans la perspective des élections européennes25.
C’est le refus de ces alliances trop éclectiques à son goût qui avait amené Lutte Ouvrière à faire cavalier seul pour ces élections, réduisant fortement sa participation par rapport à 1983. LO, dont la candidate Arlette Laguiller avait obtenu 1,99% des voix à l’élection présidentielle de 1988, ne sera présente que dans 13 communes, obtenant, pour la première fois, deux élus : Roland Szpirko à Creil (8,98% des voix) et Christian Driano à Montbéliard (5,85% des voix)26. Ailleurs, les scores sont plus modestes : 3,21% et 3,24% à Mérignac et à Pessac (banlieue bordelaise), 2,03% et 4,61% à Gennevilliers et Argenteuil, et seulement 0,91% à Orléans27.
Des listes d’extrême gauche en concurrence en juin 1995.
Bien qu’elles se tiennent tardivement, les 11 et 18 juin 1995, entre les vacances d’été et l’élection présidentielle des 23 avril-7 mai précédents, ces élections sont prises très au sérieux par les organisations d’extrême gauche.
Le Parti des travailleurs « lambertiste », qui a succédé au PCI (devenu CCI du PT), est présent dans plusieurs dizaines de villes réparties sur 55 départements. Ses militants se sont mobilisés en défense de la « démocratie communale » et pour le maintien des services publics. Certaines de ces listes enregistrent quelques beaux scores, en banlieue parisienne notamment, surtout quand il n’y a pas de liste d’extrême gauche concurrente : 8% à Champs-sur-Marne ou 8,93% à Roissy-en-Brie, 5,24% à Longjumeau ou 5,13% à Saint-Maur. En province, la barre des 3% n’est franchie qu’à Carcassonne (3,18%) ou Saintes (3,35%). Ces résultats permettent au PT de maintenir une dizaine d’élus.
De même LO, sans doute encouragée par le beau score d’A. Laguiller aux présidentielles précédentes (5,40% des voix), entreprenant un cavalier seul, est présente dans 52 villes. A. Laguiller amplifie son exploit dans la ville où elle habite, Les Lilas (93). La liste qu’elle conduit obtient 15,63% des voix et deux élu(e)s dont elle-même. Mais la moyenne des listes présentées en banlieue parisienne n’est que de 3,9% et de 2,38% à Paris dans les cinq arrondissements où LO est présente (XIe, XIIIe, XVIIIe, XIXe et XXe). En province, la barre des 5% n’est franchie qu’à Creil (8,33%), Montbéliard (6,57%) et Nevers (6,31%). LO obtient au total sept élu(e)s28.
Cette volonté des organisations concurrentes se réclamant du trotskysme de partir seules à la bataille des municipales suscite la colère des militants de la LCR qui regrettent « ce forcing irresponsable qu’elle a fait [il est question de LO] pour présenter des listes concurrentes à nos propres listes, y compris dans les endroits où sa faible implantation l’a conduite à n’engager véritablement la campagne qu’au tout dernier moment »29. Cette logique est responsable, affirment-ils, de la perte par leur organisation de ses deux élus de Saint-Denis. Ayant été en concurrence avec des listes du PT (1,4%), de LO (3,3%) et même d’ADS-AREV-MDC (3,5%), la liste LCR « Saint-Denis Égalité », sur laquelle figurait Alain Krivine en 3e position a dû se contenter de 2,6% des voix. Car dans la plupart des autres villes, les militants de la Ligue figurent sur des listes unitaires, avec des militants issu du PCF (ADS : Alternative, Démocratie, Socialisme) ou les écologistes anticapitalistes de l’Alliance Rouge et Verte (AREV), parfois même avec des Verts ou des militants du MDC (Mouvement des Citoyens), et une fois au moins avec un militant de l’UDB (Union démocratique bretonne), à Lorient. Présents dans une cinquantaine de villes réparties sur 30 départements, les militants de la Ligue ont la fibre unitaire, n’hésitant pas à Dreux à s’associer au PS, au PCF, au MDC et même à…Radical pour tenter de barrer la route au Front national, en vain d’ailleurs30.
Les militant(e)s de la Ligue ne se présentent pas démunis à ces élections municipales. S’appuyant sur une expérience de terrain d’un peu plus de 10 ans, l’organisation a élaboré une « Charte municipale de la LCR, pour des municipalités au service de la population ». Publié dans Rouge31, ce texte commence par rappeler que rien ne pourra être fait sans mobilisation sociale (« Nous ne vous disons pas : Votez pour nous, nous ferons le reste ! »). Il établit un certain nombre de priorités pour les futurs élus municipaux :
- contre les privatisations, imposer des services publics, notamment un grand service public de l’eau.
- pour faciliter la participation de la population, organiser des comités de quartier et des consultations d’initiative populaire.
- lutter pour que les ressortissants étrangers puissent voter.
- pour les employés communaux, transformer les statuts précaires en emplois stables.
- faire en sorte que les communes s’opposent à l’implantation des entreprises polluantes, à haut risque pour la population, et ne pas développer inconsidérément rocades et autoroutes urbaines.
- satisfaire les besoins du 3e âge tout en respectant la dignité des personnes : « Mise à disposition de services repas-santé-loisirs sans assistanat, basée sur une prise en charge par les usagers ».
- enfin est affirmée la nécessité d’une politique intercommunale car, en concurrence, les municipalités multiplient les cadeaux au patronat en baissant la taxe professionnelle, exonérant les entreprises de taxes etc.
Au vu des résultats, on ne peut pas dire que de telles propositions aient été sans écho : à Caen, la liste LCR-Verts, dirigée par le militant LCR Nicolas Béniès frôle les 5% et à Toulouse, la liste associant la LCR à ADS, à AREV, à des militants associatifs comme Salah Amokrane, aux Verts, sous la direction de Marie-Françoise Mendez des Verts, obtient 4,3% des voix. Les scores sont bons à Lorient (6,9%), où les militants LCR Gwénaël Le Gras et André Garrec sont en 3e et 7e position sur une liste Verts-LCR-Autogestionnaires. Dans l’Eure, à Louviers la liste « A gauche vraiment », dirigée par Gérard Prévost, militant LCR, ouvrier à Renault-Cléon frôle elle aussi les 5%, un même type de liste les dépasse à Bernay, où Pascal Didtsch, de la LCR, est élu. La LCR obtient onze élu(e)s municipaux, voyant avec satisfaction sa militante Michèle Ernis réélue pour un 3e mandat à Saint-Étienne-du-Rouvray, avec 8,08% des voix. Elle a su rassembler les Verts, le MDC et Alternative libertaire. Christine Coulon est élue à Alençon (Orne) avec 7,3% des voix, Christian Barbut à Millau (5,8%) et Louis Aloisio à Gennevilliers (5,2%).
Deux militants LCR, Eric Defranoud à Gérardmer (Vosges) et Samuel Johsua à Marseille (8e secteur) sont élus sur des listes dirigées par des maires sortants du PCF en délicatesse avec la direction de leur parti. Notons enfin l’élection pour la première fois, à Clermont-Ferrand, d’un militant de la LCR qui exercera – et exerce toujours – avec passion sa fonction d’édile, Alain Laffont, installé comme médecin dans un quartier populaire32. La liste sur laquelle il est présent en 4e position, une liste Verts-AREV-LCR-militants syndicaux, obtient 6% des voix au premier tour et persuade le maire sortant, le socialiste Roger Quillot, de réaliser une fusion pour le second tour, sans pour autant aliéner sa liberté de vote et d’appréciation.
Au total des résultats plutôt satisfaisants. Même si les élu(e)s d’extrême gauche sont encore peu nombreux, ils ne campent plus désormais aux marges des institutions. Ils ne sont plus des pestiférés. Les groupements ou partis issus de la crise des grandes organisations de gauche n’hésitent plus à faire alliance avec eux. Il fallait sans doute que leurs militants participent au premier échelon de la démocratie, les municipalités, pour que les partis d’extrême gauche sortent de leur ghetto.
Les Municipales de 2001 : un enracinement de l’extrême gauche dans les localités ?
De nouveau, les militants des trois principales organisations se réclamant du trotskysme partent divisés à ces élections, dans un superbe isolement pour le PT et LO. Cette dernière présente 129 listes dans 109 communes et le PT quelques dizaines. La LCR s’efforce de rallier à elle d’autres forces de la gauche radicale sous l’étiquette « 100% à gauche », sans doute avec moins de succès qu’en 1995. Ainsi à Toulouse, les Motivé-e-s, dont le leader est Salah Amokrane (groupe Zebda) partent seuls, alors qu’ils avaient fait alliance avec la LCR et avec d’autres en 1995. Notons cependant l’adhésion à la LCR de plusieurs dizaines de militants venus de LO, ceux de Voix des Travailleurs (VDT), en 2000. Cet appoint est important dans la banlieue bordelaise, ainsi la LCR y sera présente dans huit communes, avec 320 candidats.
Malgré cette concurrence qui aurait pu décourager les électeurs potentiels, les résultats des uns et des autres sont bons. Et il n’est pas rare, souligne François Ollivier, que les voix de l’extrême gauche atteignent les 10, voire les 15%, ainsi à La Courneuve (16%), à Gennevilliers (20%), à Saint-Denis et à Montreuil (10%) et bien sûr également en province : 8% à Vénissieux, 9% à Lille, 13% à Clermont-Ferrand33.
Dans cette dernière ville, le conseiller municipal sortant de la LCR, le docteur Alain Laffont, est réélu avec la 2e de sa liste, Fatima Chennouf-Terrasse. Au premier tour, il avait augmenté son score de 2,50% par rapport aux élections précédentes. A Alençon, la conseillère municipale sortante, Christine Coulon, est réélue avec 8,13% des voix. De même à Saint-Étienne-du-Rouvray, Michèle Ernis est réélue, et avec elle un militant, le score de la liste étant passé de 8,08% à 11,79%. La LCR a la satisfaction de récupérer un siège à Saint-Denis, d’en gagner deux à Gennevilliers, un à Savigny-le-Temple, ville de 22.300 habitants de Seine-et-Marne, deux à Vitry-sur-Seine (77 000 h.) et un au Kremlin-Bicêtre, toutes deux dans le Val-de-Marne. Avec 9,69% des voix, l’élection d’un conseiller est ratée de peu à Évry. On retrouve de semblables bons résultats dans les banlieues des grandes villes (6 élu(e)s dans 5 villes de l’agglomération bordelaise, 5 dans 3 villes de l’agglomération rouennaise, 1 à Colomiers – agglomération de Toulouse –, deux élus à Aureilhan, dans l’agglomération de Tarbes, alors que les résultats dans les villes-centres sont en général plus modestes (3,56% à Paris XXe mais aussi 3,3% pour LO, 2,43% à Bordeaux et 2% pour LO, 2,38% à Rouen et 2,96% pour LO, 2,44% à Toulouse et 1,67% pour LO, à Tarbes cependant : 4,06% pour la LCR et 3,71% pour LO. Au total la LCR obtient vingt-cinq élu(e)s. Ainsi, Gérard Prévost, ouvrier à Renault-Cléon, est élu à Louviers (Eure) avec 10,11%. Interrogées dans Rouge, Anne Leclerc, tête de liste LCR dans le XVIIIe arrondissement de Paris, et Cécile Silhouette, candidate d’Alternative citoyenne dans le XIe, attribuent ce succès au fait que seule la gauche radicale dénonce « les inégalités creusées par la droite et la gauche sociale-libérale » et préconisent la municipalisation de l’eau, la construction de crèches, d’équipements de proximité et de logements sociaux34.
Lutte Ouvrière obtient 34 élu(e)s dans 25 communes, avec des points forts : le Nord (1 élu à Dunkerque, un sore spectaculaire à Liévin : 19,44%, 11,95% à Sin-le-Noble, 12,34% à Villeneuve d’Ascq, 8,63% à Watrelos). Dans cette région, la poussée de l’extrême gauche se manifeste même dans la ville capitale, Lille : LO 5,43%, LCR 3,30% et PT 0,72%. Les scores de LO sont bons en Picardie (10,57% à Laon, 9,33% à Creil), en Franche-Comté (Montbéliard : 5,89% ou Valentigney : 6,94%), et également en Lorraine (4,21% à Metz et 4,51% à Nancy), avec 6,41% à Thionville pour la liste dirigée par Fabien Engelmann récemment élu maire… Front national à Hayange ! Dans l’Aube, à La Chapelle-Saint-Luc (6 735 inscrits), la liste Lutte Ouvrière obtient 13,40% des voix. LO aura quelques élus(e)s et de bons résultats en banlieue parisienne (10,76% à La Courneuve, 8,91% aux Ulis, 7,81% à Drancy, 7,28% à Créteil), et ses résultats ne sont pas négligeables en Bretagne (Rennes : 4,89%, Brest : 4,74%, Lanester : 4,74%). A Ploufragan, une mairie traditionnellement PCF (8.095 électeurs inscrits), LO aura un élu avec 5,98% des voix, mais la LCR également avec 8,45%.
Le PT n’est pas resté à l’écart de cette moisson, même si les zones géographiques où il connaît le succès sont plus circonscrites, la région parisienne surtout et ici ou là quelques noyaux d’implantation ancienne. Ainsi obtient-il 5,21% à La Courneuve et 4,40% à Sartrouville, 4,03% aux Ulis et 3,99% à Montrouge. Et ponctuellement, ses résultats ne sont pas négligeables : 8,82% à Niort, 5,3% à Saintes, 7,57% aux Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire) et 6,89% à Saint-Malo.
Des chiffres plutôt impressionnants, qui sont confirmés par l’élection présidentielle de l’année suivante qui voit les trois candidat(e)s trotskystes réunir plus de 10% des suffrages. En tout cas une performance qui incite certains nouveaux élus à l’impertinence, à l’image de Francine Endewelt, élue LCR de Bayonne (avec 6,43% des voix) qui prie le maire, au cours de la première séance du conseil municipal, de « déposer aussi une gerbe aux vivants victimes de la haute finance, après avoir déposé une gerbe à la mémoire des morts pour la France »35. Au jour le jour, séance après séance, les interventions des nouveaux conseillers municipaux seront plus classiques, s’inspirant de celles des quelques anciens élus. Ainsi, La Lettre Rouge (LR)36 interroge Philippe Bruyère, conseiller municipal sortant de Canéjan37. Il explique qu’il a rendu compte régulièrement de ses interventions au conseil municipal au moyen d’un bulletin dont près de 50 numéros sont sortis. Cette volonté de faire en sorte que la population formule ses besoins et décide de ses priorités est régulièrement rappelée38. Les deux élus de Lormont donnent même leur numéro de téléphone et invitent les habitants à une réunion pour préparer le conseil municipal39. Et à Pessac, la conseillère municipale LCR regrette que la discussion sur le budget « n’ait lieu qu’entre une poignée d’élus, loin du regard et des oreilles de la population »40. Les deux conseillers municipaux d’Aureilhan (7.600 h.) affirment aussi vouloir « rendre à une population trop souvent résignée un pouvoir qu’on lui a confisqué ». Ils sont fiers, également après un an de mandat, « eux qu’on a souvent présentés comme des agités uniquement capables d’opposition frontale et systématique, d’avoir élaboré plusieurs contre-propositions – notamment en matière d’urbanisme – qui retiennent de plus en plus l’attention de la population et de la presse locale »41.
De même, constamment les élu(e)s LCR interviennent pour que la gestion de l’eau soit rendue au Service public42. Globalement, ce sont toutes les Délégations des services publics (DSP) à des organismes privés qui sont critiquées : celle du centre de vacances que Saint-Médard-en-Jalles possède à Saint-Lary, la concession du ramassage scolaire à Lormont, la DSP du stade nautique à Pessac, « moyen pour la commune de faire des économies sur les salaires »43. Les élu(e)s de la LCR se montrent aussi très soucieux des ouvriers communaux et interviennent fréquemment contre les trop nombreux contrats précaires. Se moquant des accusations des maires qui trouvent ces interventions « démagogiques et déplacées », ils se font les porte-parole des salariés au sein des conseils municipaux44. A Saint-Médard-en-Jalles, le conseiller municipal proteste contre la manière dont le maire attribue les primes aux employés communaux : 35 € mensuels pour la catégorie C, 1 300 € pour certains hauts salaires de la catégorie A45.
Plus généralement, les élu(e)s révolutionnaires ont du mal à accepter ce qu’ils appellent les cadeaux aux entreprises, par exemple la mise à disposition d’un local refait à neuf pour Manpower à Canéjan46 ou un hôtel des entreprises à Cenon47. A Lormont et à Saint-Médard, les élu(e)s refusent de voter la réforme de la taxe professionnelle qui représente, disent-ils, un énorme cadeau aux patrons. Et à Lormont , les deux élu(e)s LCR protestent lors du conseil municipal du 26 septembre 2003 contre la fermeture d’Epcos (ex-Siemens) alors que l’entreprise avait reçu 15 millions de francs d’argent public48. Même combat à Cestas contre la subvention donnée à Solectron49 et à Pessac à propos d’une aide financière apportée à Flamel Technologie, entreprise de biopharmacie50.
Par contre, les sans-papiers kurdes à Pessac, les gens du voyage à Saint-Médard ont le soutien des élu(e)s d’extrême gauche51. Enfin, ces élu(e)s ne sont pas sans partager les préoccupations environnementales de certains de leurs concitoyens. Ainsi, l’élu de Saint-Médard ajoute sa voix à celle des élu(e)s du PCF contre un projet de contournement de Bordeaux, une rocade coûteuse, inappropriée52. Mais la principale bataille écologique que cet élu, Jean-Marie Benaben, a menée, visait à interdire l’implantation d’une usine chimique, Aquidec, un sous-traitant de Ford fabriquant des pièces d’aluminium, dans une zone d’activités située au milieu de trois lotissements53. Le chantage à l’emploi était-il recevable, quand on s’aperçoit finalement que sur les 250 emplois annoncés, seulement 49 ont été créés ?54
Les élu(e)s révolutionnaires ont donc siégé avec régularité dans les conseils municipaux, multipliant les interventions sur des sujets ciblés : les « cadeaux aux entreprises », le refus des Délégations de services publics, l’insuffisance de la démocratie locale et quelques préoccupations écologiques ou environnementales. Parallèlement, les deux élu(e)s LCR au Conseil régional de Midi-Pyrénées – ils siègent de 1998 à 2004 – Eliane Assanelli et Lucien Sanchez, membres de nombreuses commissions, suivent les séances avec assiduité, intervenant dans le conseil et sur le terrain, en défense des sans-papiers, mais aussi par exemple pour le maintien des arrêts du train dans telle ou telle gare55.
2008-2014 : l’apprentissage de la démocratie locale ?
Près de 40 ans après leur première participation à des élections municipales, jamais les révolutionnaires trotskystes n’ont autant de candidats en France qu’en 2008. Et cette fois, contrairement à 1977, chacun va au combat séparément, plutôt allié à d’autres forces de gauche que d’extrême gauche. Ainsi, comme le rappellent Jean-Guillaume Lanuque et Pierre Lévy, « dans un contexte de droite dure gouvernante », « LO a décidé d’intégrer dans le maximum de villes les listes d’Union de la Gauche (UG)»56. Au total les militants de LO sont présents dans près de 200 communes : ils font cavalier seul dans 117 municipalités et sont représentés sur 70 listes d’UG. Cette stratégie, refusée par la minorité de LO qui sera exclue peu après, permet à l’organisation d’obtenir 65 élu(e)s, parmi lesquels Nathalie Arthaud, à Vaux-en-Velin, la nouvelle porte-parole de LO, qui viennent s’ajouter aux 14 élu(e)s du premier tour (dont Christian Driano à Grand-Charmont et Michel Treppo à Valentigney, deux communes du Doubs, proches de Peugeot-Montbéliard où travaillent les deux militants)57. L’action de ces nouveaux élus locaux est popularisée en particulier par l’existence de blogs, accessibles à partir du site national de LO (rubrique « En régions »). On y découvre des illustrations concrètes des positionnements de ces élus de terrain, en défense de l’école (s’opposant à des fermetures de classe), de grèves des salariés (ceux de l’Hôpital Saint-Maurice d’Alfortville, par exemple, qui demandent davantage d’effectifs), de logements sociaux de qualité, ou en soutien à des associations. Ils ont également eu l’occasion de manifester leur désaccord avec l’évaluation du personnel municipal ou le recrutement de salariés jugés insuffisamment payés (les emplois avenir ou les services civiques). Néanmoins, les militants de LO insistent constamment sur la limite de l’échelle municipale : à leurs yeux, les enjeux réels sont nationaux, profondément politiques, ce qui les éloigne consciemment de questions qu’ils jugent dérisoires face aux problèmes de l’emploi, des salaires, des transports ou du logement58. Leurs divers blogs sont d’ailleurs surtout consacrés à reproduire les déclarations de l’organisation nationale.
Les militants du PT, désormais organisés dans des comités pour un Parti ouvrier indépendant (POI), « présentent ou soutiennent près de 6 000 candidats dans 193 communes »59. Ces listes ont enregistré 47 élu(e)s dont 15 maires « membres fondateurs du POI », en général maires de petites communes, à l’image de Gérard Schivardi, réélu à Mailhac (Ariège), un des porte-parole du Parti. Dans la région parisienne, le PT obtient un élu aux Mureaux (5,21%) et également à Sartrouville (5,72%) dans les Yvelines, deux élus à Stains avec 10,52% et un à Sevran (5,37%) en Seine-Saint-Denis. La liste du PT, confrontée à la seule liste de la gauche plurielle, obtient 13,12% et deux élus à Montataire dans l’Oise. Un de ces deux élus, Alain Lebreton explique peu après dans un texte paru dans Informations Ouvrières, qu’avec son camarade ils ont proposé que le conseil municipal prenne position pour la renationalisation d’Arcelor, une usine qui supprime des emplois à Montataire. La municipalité PCF-PS leur a opposé un plan de ré-industrialisation60. Un récent militant du POI – il se qualifie de « novice » –, Mihel B., témoigne de l’efficacité d’Odile Minguet, conseillère municipale de Brignais (dans le Lyonnais), élue avec le soutien du POI. Elle combat « la liquidation des services publics », « défend la laïcité » en refusant de voter l’allocation aux écoles catholiques et s’oppose à un « projet pharaonique » de centre nautique intercommunal61. Mais ces informations sur l’activité ponctuelle de tel ou tel élu dans sa commune sont rares dans la presse du parti. Celui-ci semble plutôt utiliser ses élus militants ou sympathisants, rassemblés souvent derrière le plus connu d’entre eux, Gérard Schivardi62, pour mener des initiatives nationales. Ainsi pendant plus de 18 mois, en 2008-2009, le POI a fait signer l’Appel de Roquebrun pour que La Poste ne soit pas privatisée, comme le demandaient les directives européennes. Initié par la municipalité de ce petit village de l’Hérault, cet appel signé de 6 000 élu(e)s sera porté au palais de l'Élysée. Peu après, le parti mobilise ses élus militants ou sympathisants pour obtenir « le retrait du projet de loi sur l’organisation territoriale de la France. Pour sauver nos 36 686 communes ! »63, ce qui correspond à un des axes de leur singularité programmatique au sein du trotskysme français, l’échelle communale étant à leurs yeux la base de la démocratie issue de la Révolution de 1789.
La LCR présente ou soutient 186 listes « anticapitalistes », dont 70 sont « LCR 100% à gauche », les autres étant des listes unitaires, avec la minorité de LO (la Fraction) à Agen ou Watrelos dans le Nord, avec le PCF à Béziers et Lanester (Morbihan), Houilles et Mantes (Yvelines), avec les Alternatifs comme à Pau et à Lyon (listes Audaces), les Altermondialistes à Nice, et même les Verts à Saint-Egrève (Isère). Dans 114 villes, ces listes obtiennent plus de 5% des voix, dont plus de 10% dans 34 villes. Au total 99 élu(e)s, dont une cinquantaine de la LCR, parmi lesquels Michèle Ernis, réélue depuis 1983 à Saint-Étienne-du-Rouvray, grosse ville ouvrière de l’agglomération de Rouen. Les autres se répartissent entre le PCF, les Alternatifs et les minoritaires de LO. A l’issue du premier tour, des listes, LCR souvent, ayant obtenu plus de 5% des suffrages ont proposé à la liste de gauche une fusion technique pour battre la droite. Ces propositions sont partout refusées, sauf dans la commune du Haillan (agglomération bordelaise). Donc, comme la loi le permet, les listes ayant dépassé les 10% se sont maintenues au deuxième tour. Souvent les électeurs leur donnent raison, confortant les résultats du premier tour, ainsi à Clermont-Ferrand où la liste dirigée par A. Laffont (LCR) passe de 13,81% à 15,34% (quatre élus), à Montpellier (alliance Verts-LCR) de 16,58 à 18,62% (cinq élus dont un LCR, Francis Viguié) etc…64. Même quand il y a recul il est léger et cela n’empêche pas la liste d’extrême gauche d’avoir un élu, ainsi à Foix (Denis Seel, LCR), à Quimperlé (Rudwill, LCR), à Louviers (Prévost, LCR). Maryse Desbourdes (LCR) à Poitiers (6,24%) et Laurent Ripart (LCR) à Chambéry (5,79%) avaient été élus dès le premier tour.
Les élu(e)s de la LCR-100% à gauche s’apprêtent à siéger munis d’une feuille de route. Développant « la Charte municipale » de 1995 – double page de Rouge –, une brochure de 30 pages précise les propositions de la LCR65. Pas de grandes nouveautés entre les deux textes. Toujours ce souci de faire en sorte que la population puisse contrôler et décider de ce qui la concerne. Alain Laffont fait explicitement référence aux expériences de « démocratie participative » menées à Porto Alegre au Brésil66. Le combat est toujours mené contre les délégations aux entreprises privées des services publics, comme l’eau ou les transports. On note une sensibilité nouvelle aux problèmes du handicap : les bâtiments fréquentés par le public doivent être équipés pour être accessibles à tous, y compris pour les mal-voyants et les mal-entendants67. Un des apprentis journalistes qui interroge Alain Laffont sur France 3 le félicite pour son engagement lors de la précédente mandature sur les problèmes du handicap. Les propositions sont précises également en ce qui concerne le quatrième âge : « Il faut développer une politique pour nos anciens, dans le cadre d’un service public national du quatrième âge, leur donnant le choix de leur mode de vie : création de maisons collectives de qualité, maintien au domicile combiné avec une politique de prestations (soins, restauration, activités collectives, lieux de rencontre) pour rompre l’isolement »68. Ce ne sont que quelques exemples, tirés d’un programme devenu plus sophistiqué.
Sans surprise, les militant(e)s LCR de l’agglomération bordelaise élu(e)s ou réélu(e)s – ils sont six, à Cenon, Cestas, Lormont, Pessac (deux), et Le Haillan – continuent à informer les lecteurs d’Anticapitalistes ! (nouveau nom de la Lettre Rouge) de leurs interventions dans les conseils municipaux. Les élus de Pessac mènent une longue lutte contre le financement du lycée privé Jeanne d’Arc par la commune, parfois rejoints par le PCF et les Verts69. Confrontés aux demandes des musulmans, les élus LCR-NPA n’ont pas toujours la même approche. Ceux de Pessac s’abstiennent quand il est question de mettre des locaux municipaux à la disposition des musulmans qui veulent en faire un centre culturel et un lieu de prière : « Attachés à la laïcité, nous respectons les choix, les convictions de chacun. Mais la pratique religieuse est une affaire privée qui doit trouver elle-même les moyens de son financement »70. Lui aussi, l’élu NPA de Montpellier s’abstient quand la municipalité propose un bail emphytéotique (99 ans) à la mosquée du quartier de La Paillade. Certes ce bail est une avancée, reconnaît-il, mais il lui reproche de ne pas couper définitivement le cordon avec la mairie. Il aurait préféré – il nous explique qu’avant de voter il a consulté les organisations musulmanes – que la communauté musulmane puisse acheter des lieux de culte ou un terrain71. Confronté à une tentative d’incendie de la mosquée de Colomiers, dans l’agglomération toulousaine, le 20 avril 2008, le conseiller municipal LCR trouve bien « désinvolte » la réaction du préfet qui met les faits sur le compte « d’une bande de pieds nickelés en retour de virée du samedi soir » alors que très vite l’enquête policière mène sur la piste de néo-nazis72.
Sur un terrain plus classique, la concession au groupe Vinci de parcmètres et de parkings souterrains par la municipalité PS-PCF-EELV de Chambéry, le conseiller municipal LCR-NPA Laurent Ripart mène un combat victorieux. Ses interventions au conseil municipal sont relayées par une campagne militante sur la ville. Des autocollants montrant de petites pièces tombant dans les poches de l’actionnaire Vinci sont apposées sur tous les horodateurs. La Chambre régionale des comptes elle-même ayant dénoncé les profits de Vinci en reprenant l’argumentation de l’élu NPA, la municipalité finit par céder, reprenant la gestion des parcmètres et parkings… et les six salariés de Vinci73. Une victoire qui apporte de la crédibilité à l’élu d’extrême gauche et qui explique sans doute le succès de la liste qu’il dirigeait lors de l’élection de 2014, une liste NPA, PG, Ensemble, Alternatifs , qui obtint 7,17% des voix, un score identique à celui du Front de gauche (7,17% également). Plus généralement, afin d’inciter les usagers à laisser leur voiture au garage et à prendre les transports en commun, s’impose la revendication des transports publics gratuits : « les villes françaises qui la pratiquent prouvent que ce n’est pas une utopie »74.
Une autre élue municipale de la LCR-NPA a mené une lutte d’une « incroyable ténacité »75 contre une municipalité PS-PCF-Verts, celle de Poitiers, dont le maire est Alain Claeys, ancien trésorier national du PS. Maryse Desbourdes, seule élue au 1er tour de la liste LCR-Alternatifs en 2008, s’est mobilisée sur tous les fronts (démantèlement des Services publics, LGV Poitiers-Limoges, Roms, sans-papiers etc.), mais son combat contre la privatisation du théâtre municipal exprime l’émotion de milliers de Poitevins. La volonté du maire de vendre ce théâtre situé au cœur de la ville, face à l’hôtel de ville, pour en faire des commerces, des appartements de grand standing, s’est heurtée à une véritable levée de boucliers. Un Collectif contre la vente du théâtre, devenu une association aux contours bien plus larges que le milieu habituellement influencé par le NPA – elle comprend notamment 18 artistes et historiens d’art – a lancé une pétition vite signée par 7 000 personnes. Dans son intervention au conseil municipal du 20 janvier 2014, Maryse Desbourdes affirme qu’au lieu de « livrer ce lieu à des intérêts privés », il vaudrait mieux en faire « un projet fédérateur conciliant culture et éducation populaire »76. La popularité de ce combat explique qu’à Poitiers en 2014, le NPA ait réussi à constituer une liste unitaire avec Ensemble, le PG mais aussi EELV. La liste conduite par Christine Fraysse (EELV) – sur laquelle figurait Maryse Desbourdes en 25ème place, une position a priori non éligible – maintenue au deuxième tour, a obtenu 15,29% des voix et quatre élu(e)s dont un NPA77.
Un autre élu LCR-NPA, Alain Laffont78, a mené un combat assez voisin pour faire de l’Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand un espace culturel, de mixité sociale. De même il s’oppose à l’extension du stade – un stade déjà à moitié vide – qui engloutirait plusieurs dizaines de millions d’euros79. A Clermont-Ferrand comme à Poitiers ou à Chambéry, les électeurs ont reconnu le bien-fondé de ces efforts en apportant 11,50% des suffrages à la liste conduite par Alain Laffont lors du 1er tour, le 23 mars 2014. La tête de liste du PS, Olivier Bianchi, ayant accepté la fusion technique pour le second tour, Alain Laffont, placé en 3e position de la liste fusionnée est donc réélu à Clermont-Ferrand.
Partis souvent seuls à ces élections de 2014, les militants du NPA et de LO enregistrent des résultats plus modestes qu’en 2008 et même qu’en 2001 : 10 élus pour le NPA, 10 élus pour LO. Le POI obtient une cinquantaine d’élus80, souvent dans des petites communes. Le meilleur score est obtenu à Montreuil grâce à une alliance entre le POI et le Front de Gauche local (sous l’intitulé Comité des citoyens montreuillois) : la liste « Ma ville j’y crois », conduite par Jean-Pierre Brard, est ainsi arrivée en seconde position, avec plus de 35% des voix (dix élus81). En ce qui concerne le NPA, on assiste à un repli sur ses places-fortes, avec quatre élus dans l’agglomération de Rouen (deux à Canteleu et deux à Saint-Etienne-du-Rouvray), trois élus en Gironde (Cenon, Lormont et Talence). Même repli pour LO : un élu à Denain, trois élus à Frouard (Meurthe-et-Moselle), avec 22% des voix, soit 429 voix sur 1948 votants, un élu à Ploufragan (Côtes-d’Armor). Mais Roland Szpirko doit se contenter de 2,93% à Creil, Treppo échoue à Audincourt mais LO garde un élu à Grand-Charmont82, toutes deux dans le Doubs.
Conclusion.
Les propos de Michel Onfray au sujet du NPA, tenus dans Le Monde du 6 juin 2009, peu avant les élections européennes : « On ne peut vouloir faire de la politique uniquement avec un mégaphone, ni appeler à la révolution planétaire sans même être capable de présider aux destinées d’un village de campagne. Le mégaphone n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour plus et mieux que lui » apparaissent donc bien inappropriés. Il est faux de dire ou d’écrire que le NPA, ou plus largement les organisations d’extrême gauche, aient refusé de « mettre les mains dans le cambouis », comme l'en accusent souvent les organisations traditionnelles de la gauche. Dans de nombreuses villes, aux quatre coins de l’Hexagone, des élus d’extrême gauche, dans des conditions parfois difficiles étant donné leur faible nombre, ont tenté d’inventer une autre manière d’être dans les institutions communales. Ils se sont efforcés de ne pas s’isoler des habitants, accompagnant leurs luttes et tentant de relayer leurs revendications dans les enceintes municipales. Tout en refusant de cautionner des gestions municipales considérées comme social-libérales83, ils n’ont pas hésité à prendre leur part des responsabilités malgré les fins de non-recevoir fréquentes des maires. Comme l’explique Alain Laffont, c’est grâce à la confiance acquise auprès de la population, de nombreux médecins et également d’élus, que le maire socialiste de Clermont-Ferrand a fini par accepter qu’il fasse partie de la délégation de la ville au Valtom, syndicat départemental de gestion des déchets84. « Mes interventions, écrit-il, ne s’y font pas avec un mégaphone, même si je ne récuse pas cet instrument, mais sont guidées par le souci du bien commun et de la santé de la population. Ainsi, nos détracteurs répandent le bruit selon lequel nous refusons de mettre les mains dans le cambouis. Nous leur répondons que c’est faux et que nous le faisons chaque fois que cela est possible » et il ajoute « à la différence de la « gauche de gouvernement » qui confond si souvent le cambouis et le pot de confiture85 ».
Un militant de la LCR/NPA s’occupant de la gestion des déchets de sa ville ! On est bien loin du militant des années 1970 : casqué, vêtu de cuir, courant d’une manifestation à l’autre. Le cas d’Alain Laffont est-il exceptionnel ? Malgré les nombreux documents étudiés – certains difficiles à réunir –, notre étude ne peut bien évidemment prétendre à l’exhaustivité. De nombreuses situations locales nous ont échappé. Cependant, au vu notamment de la presse de la fédération girondine de la LCR/NPA suivie sur plus d’une décennie, les élu(e)s de ce département semblent avoir rempli leur mandat de conseiller(ère)s municipaux(ales) avec beaucoup de sérieux, d’assiduité. Très présents dans ces assemblées locales, ne méprisant pas ce premier échelon de la démocratie, les élu(e)s de la LCR et de l’extrême gauche plus généralement interviennent contre les délégations de services publics (DSP), refusent de voter les aides financières aux entreprises privées ou aux établissements d’enseignement privé. Parfois même, quand l’intervention de l’élu est relayée par une mobilisation citoyenne – comme à Chambéry – une victoire peut être obtenue.
Cependant, aucune de ces organisations n’ayant eu la majorité dans une ville de quelque importance, les interventions de leurs militants se sont faites à la marge. On n’a pas pu voir se déployer une politique municipale d’extrême gauche. Et même, lassés sans doute de cette posture qui les voue souvent à l’impuissance, les militants de LO ont privilégié, aux élections municipales de 2008, les alliances avec des listes de gauche, PCF ou PS, « s’engageant à voter les budgets de cette gauche majoritaire, au moins pendant deux ou trois ans. Jusqu’à ce que, Hollande étant parvenu à la présidence, cela devienne quand même insupportable aux élus LO eux-mêmes »86. Habituellement, les élus municipaux de LO sont les porte-voix de l’organisation nationale, répercutant campagnes et mots d’ordre nationaux. L’hebdomadaire de l’organisation, prolixe en « échos d’entreprises », ne donne jamais de compte rendu de l’action de ses élus municipaux. Il nous a semblé aussi que le POI utilisait ses élu(e)s ou les élu(e)s qu’il influence, pour lancer des campagnes nationales. Quant aux élu(e)s de la LCR/NPA, plus enclins à intervenir sur les problèmes d’environnement ou de culture (comme à Poitiers), ils n’ont pas hésité à nouer des relations, à conclure des alliances avec des écologistes notamment – Rouges et Verts, Décroissants. Certains militants, souvent rassemblés dans la tendance Gauche Anticapitaliste (GA), privilégiant ces alliances, ont même quitté le NPA, une organisation qui refuse d’intégrer les regroupements par trop ambigus, à ses yeux, vis-à-vis de la gauche de gouvernement, comme le Front de Gauche. Se pose alors la question d’un possible affadissement des convictions révolutionnaires au contact de réalités de terrain, au profit d’une vision plus « réaliste » des choses. Dans le cas de l’extrême gauche française, il y a plus probablement une liaison contrastée, ces engagements de terrain pouvant aussi bien nourrir un engagement radical en le soutenant par des cas concrets, que favoriser des rapprochements plus ou moins prononcés avec une gauche plus réformiste. Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur les possibles liens entre cette action municipale et, par exemple, le souci du POI de défendre le tissu communal, un des éléments constitutifs de son programme…