En ces temps « d’apocalypse molle », l’antifascisme ne semble plus soulever de « vraies passions »1. Non pas que les débats autour du rôle, de la fonction et de la valeur morale et politique des antifascismes de l’entre-deux-guerres et de leur suite aient perdu de leur vigueur. Mais le lissage rétrospectif des aspérités inhérentes à tout processus historique a gagné des adeptes en nombre toujours croissant. L’éloignement temporel de cette période sombre de l’histoire italienne et mondiale a eu pour effet d’accélérer la « crise de l’antifascisme »2 ; mais il a plus sûrement encore noyé cette problématique dans une « marre d’indistinction ». Histoire et mémoire se confondent ainsi dans une « pacification rétroactive », qui place de fait sur la même « échelle du mal » les violences issues des deux « idéologies totalitaires » du 20e siècle3. Ni pires, ni meilleurs que les autres, fascistes et antifascistes seraient dans cette optique tous coupables et donc tous innocents4.
Cette lecture de l’histoire repose sur l’assimilation et l’analogie, plutôt que sur la distinction et la comparaison, armes indispensables à toute critique historique. Elle touche aux usages publics et politiques de l’histoire qui, au cours de ces vingt dernières années, ont plié le passé aux exigences du présent. Au cœur de cette mise en équivalence, se trouve la « prémisse révolutionnaire » elle-même, condamnée au nom de la violence inhérente à tout processus d’émancipation5. Pourquoi dès lors tenter de démêler les implications de l’engagement dans un camp ou dans l’autre, toutes choses étant égales par ailleurs ?
Or, c’est précisément en partant des questions qu’évitent les historiens « moralisateurs », qu’il est possible aujourd’hui de réexaminer les théories produites par l’antifascisme organisé6. L’imaginaire et les prémisses révolutionnaires mais aussi les révolutions en acte (situations, acteurs, significations des phénomènes révolutionnaires) constituent un terrain privilégié pour tenter d’analyser des mouvements et des militants, femmes et hommes, qui ont proposé et porté de nouvelles orientations, qui se sont organisés en fonction de critères politiques consolidés au cours de la bataille; et qui ont été amenés à faire des choix douloureux. Parmi ceux-ci, le mouvement Giustizia e Libertà [dorénavant GL] et en particulier son leader, Carlo Rosselli, jouent un rôle tout à fait cardinal.
Se pencher à nouveaux frais sur ce dernier s’avère d’autant plus important que c’est précisément la caractérisation révolutionnaire de son parcours politique qui semble le plus souvent occultée. Depuis soixante-quinze ans, de nombreuses pages ont été écrites sur le socialisme hétérodoxe de Carlo Rosselli, concepteur du socialisme libéral. Pourtant des pans entiers de ses évolutions politiques, notamment celles de ses dernières années de vie, brutalement tronquée un jour de juin, demeurent en quelque sorte obscurcies par son unique ouvrage, Socialisme libéral, et surtout par l’usage qui en a été fait. Dans ce livre, publié dès après son arrivée en France en 1930 et rédigé entre 1928 et 1929, Rosselli conduit en effet une critique acérée de la tradition politique socialiste. Comme le soulignait Norberto Bobbio en 1979, comparant le statut de ce texte à celui des Cahiers de prison d’Antonio Gramsci, Socialisme libéral est une « réflexion née de la défaite, tant et si bien qu’il nous apparaît au-delà de l’ébauche théorique, comme un courageux examen de conscience ».7 Trop souvent considéré comme un point d’arrivée, cet ouvrage, et pour certains son seul titre, ne peut cependant subsumer l’ensemble des évolutions de la réflexion complexe du leader de Giustizia e Libertà8.
Carlo Rosselli a en effet été l’un des analystes les plus fins du fascisme italien et des conditions liées à la nécessaire révolution antifasciste. La force de son combat puisait précisément dans le rapport dialectique qu’il établissait entre praxis et théorie, entre contexte, modalité de lutte et horizon d’attente9. Après tout, ne concevait-il pas l’action comme « matrice de l’histoire » ?10 Cette compétence, fonction également des conditions de la bataille antifasciste, s’imprimera à son mouvement dès le début des années 1930, alors que les questions liées aux problèmes posés par la révolution antifasciste et subséquemment par la révolution italienne deviennent objet de vives discussions. En 1931, les républicains de gauche fondent la revue Problemi della rivoluzione italiana11. Quelques mois plus tard les Quaderni di Giustizia e Libertà, définis par l’historien italien Gaetano Arfé comme « l’expression culturellement la plus riche et la plus vivante de l’émigration antifasciste »12, la placent au cœur de leurs analyses.
A ce moment « GL aspire[ra] à [être] une organisation révolutionnaire […] »13. La lutte stérile en exil n’avait rendu possible, selon Rosselli, qu’une seule alternative: la mort ou le « riscatto », que l’on pourrait traduire par rédemption au sens benjaminien du terme14. Pour le leader de GL, il s’agissait de remémorer les vaincus, de lutter activement contre l’adversaire commun et de poser les jalons de la victoire future du combat émancipateur. Mais quelles formes allait prendre cette rédemption? Quels étaient les vaincus à rédimer ? Et en fonction de quels objectifs politiques et de quels horizons d’attente? Comment allait se configurer cette “société nouvelle” tant souhaitée? Qui allaient être les acteurs du changement social? Quels allaient être en bref les contours de la “révolution antifasciste” vers laquelle se dirigeait Rosselli et son mouvement?
Les définitions de la lutte et de ses objectifs subiront de nombreuses évolutions, liées principalement, mais pas seulement, au contexte extrêmement mouvant et trouble de ces années. Elles puiseront également aux sources d’une génération politique marquée par la critique radicale du socialisme italien, et elles iront en s’affirmant à mesure que les sursauts de résistance ouvrière sembleront toujours plus décisifs (journées de Vienne, insurrection des Asturies, révolution espagnole). Mais quels que soient les contours mouvant de sa révolution antifasciste, Rosselli cherchera toujours à envisager les modalités de passage de « l’antifascisme à l’au-delà du fascisme » pour assurer les conditions d’une « révolution libératrice » et émancipatrice15.
Un antifascisme de guerre
En janvier 1932, le premier numéro des Quaderni di Giustizia e Libertà exprime la nécessité de passer de la « phase d’un antifascisme négatif et indistinct » à celle de l’affirmation d’un « antifascisme constructif qui se prononce sur les problèmes fondamentaux de la révolution »16. La question relève d’une certaine importance pour l’ensemble de la configuration antifasciste après dix ans de lutte, mais en particulier pour GL, tout nouveau venu dans l’espace politique exilé. Ce mouvement laïc et non communiste est fondé en 1929 entre autres par Carlo Rosselli, et Emilio Lussu, après leur évasion de l’île de Lipari ; jusque-là personne n’avait réussi à s’en échapper. Les modalités de leur arrivée en France annoncent ainsi non seulement un changement de style, mais également une transformation radicale de l’orientation tactique de la lutte antifasciste en exil.
Ils sont arrivés ! […] [écrira Filippo Turati.] […]. Des jeunes qui ne sont pas liés à des formules surannées, à des fins doctrinaires stéréotypés, débarrassés de toutes les misérables querelles qui empoisonnent dans l’esclavage les esclaves, en exil les exilés. Agiles d’esprit comme de muscles. Anxieux d’un renouvellement idéal, pour eux, pour tous.17
Le vieux socialiste avait bénéficié tant de l’agilité d’esprit que des muscles de Carlo Rosselli lors de son évasion d’Italie en 1926 qui avait valu au futur leader de GL d’être condamné à 5 ans de confins. Quant à Emilio Lussu, volontaire de guerre, il était connu pour avoir combattu les armes à la main le fascisme montant18. Une chose était sûre : l’arrivée en France de ce petit groupe d’hommes décidés allait changer durablement l’antifascisme exilé. La création de GL partait en effet tout d’abord d’une urgence et d’un impératif moral : l’évasion de ses leaders devait servir la liberté de tous les Italiens19.
Or jusque-là, la configuration de l’antifascisme laïc et non communiste se démontre peu préparée au combat à mener20. Il lui manque, pour le dire avec l’historien Ernesto Ragionieri, une « conscience active » du processus historique en cours, entendue comme « volonté d’affronter les dangers » du fascisme et « capacité d’en comprendre les issues immédiates et plus lointaines afin d’en faire jaillir des initiatives concrètes » ; en bref une compréhension de la nature du fascisme21. Ainsi, les partis antifascistes réussissent certes à se donner un instrument de lutte commun, la Concentration d’action antifasciste, mais ils se démontrent incapables de réélaborer et adapter leur répertoire d’action, leur doctrine et leur stratégie politiques en fonction de la nouveauté fasciste22. La Concentration se présente ainsi comme un para-gouvernement à l’étranger voulant représenter la « vraie » Italie emprisonnée et prête à la succession au pouvoir ; même si après dix ans de bataille, elle peine à faire comprendre pourquoi, comme le demande le Procureur général de la République française à Filippo Turati, « l’Italie ne se révolte pas »23. Mais elle n’entend pas être un front offensif antifasciste.
En ce sens, Carlo Rosselli définira GL comme « le premier mouvement intégralement antifasciste parce que, dans le fascisme, il voit le fait central, la nouveauté épouvantable de notre temps […]. »24 Aussi, préconise-t-il le dépassement des configurations politiques pré-fascistes, en se présentant d’abord comme une « unité d’action » socialiste, républicaine et libérale, visant à relancer la lutte sur le territoire italien ; en novembre 1931, la Concentration d’action antifasciste lui en donnera d’ailleurs mandat. Le premier appel lancé par GL ne laisse place à aucun doute en la matière :
« C’est la première fois, depuis la marche sur Rome, qu’un groupe considérable d’opposants au fascisme, opposants par incompatibilités idéologiques et par d’invincibles répugnances morales, décident de reprendre la lutte, unis sur le seul terrain que la logique politique a montré et imposé. » 25
Ce terrain, Rosselli ne cesse de l’affirmer depuis son entrée en militance en 1924, c’est la lutte illégale et violente s’il le faut : « Nous sommes en guerre » écrit-il26. Fondé sur les deux impératifs conjoints mazziniens de « pensée et action », GL se présente ainsi comme un « mouvement révolutionnaire » qui vise à « renverser le fascisme » par voir insurrectionnelle27. Cette phase « unitaire et romantique » se caractérise donc par la tension vers l’action antifasciste à tout prix, et l’impératif de serrer les rangs, car « avec une opposition divisée en milles groupes et sous-groupes, avec une opposition qui ne réussit pas à se donner une féroce unité dans la lutte, le fascisme durera cent ans »28.
Nulle place n’était laissée à la rédaction d’un programme politique qui aurait pu dessiner les premiers contours d’une dissension concernant les horizons d’attente de tous ceux que la bataille strictement antifasciste rassemblait soit au sein de GL, soit dans l’appui à la lutte clandestine menée par ce mouvement en Italie. Il faudra attendre l’arrestation de la majeure partie des animateurs des cellules clandestines de GL, principalement dans le nord de la Péninsule au début des années 1930, pour que le mouvement pose les bases d’une réflexion sur le sens à donner à la lutte, et qu’il passe de l’antifascisme de guerre à la révolution antifasciste29.
Alors le temps de la coalition prônée en vertu de l’action en Italie allait faire place à celui de l’organisation d’un véritable mouvement révolutionnaire qui « parle clairement en substituant les adjectifs aux substantifs »30. Et GL allait se présenter non plus comme une « unité d’action » antifasciste, mais comme un « front unique » in corpore, signifiant si ce n’est un changement de la nature des alliances considérées, du moins du degré de celles-ci31.
« Nous sommes des hors-la-loi »32
Carlo Rosselli et les membres de GL conçoivent leur engagement politique en rupture radicale avec le fascisme mais aussi avec l’Italie préfasciste. En ce sens, ils n’ont de cesse de répéter qu’il n’est pas question de se battre pour revenir à « la petite Italie de Facta »33. C’est la « révolte contre les hommes, la mentalité, les méthodes du monde politique préfasciste » qui unit les militants de GL34. En point de mire, le socialisme italien qui s’est réduit lui-même à l’impuissance n’ayant pas su faire l’« examen de conscience courageux » que Rosselli lui demandait en 1926 déjà :
« […] Les raisons de la défaite, [affirmait-il dans Il Quarto Stato, revue fondée avec le socialiste Pietro Nenni], ne doivent pas être cherchées dans des événements extérieurs. Ceux qui se réfugient dans un déterminisme pseudo-marxiste pour justifier leur passivité et leur servile résignation, ceux qui attendent le salut des erreurs de l’adversaire et du déroulement fatal des choses, démontrent qu’ils n’ont rien compris à l’esprit profond de Marx, qui est un esprit de combattant […]. »35
Cette « autocritique », par laquelle il affirmait son rattachement idéal et concret (à la suite de l’assassinat de Matteotti, il devient membre du parti réformiste) à ce courant politique, était indispensable pour que le parti puisse situer son action dans le processus historique en cours et faire preuve « de sa force et de sa vitalité »36. Or, la passivité, fruit de la cristallisation d’une doctrine positiviste et déterministe épurée, a prévalu.
En cela, Rosselli est bien enfant de sa génération politique qui comptait dans ses rangs le libéral-révolutionnaire Piero Gobetti et le communiste Antonio Gramsci ; nourrie par l’idéalisme de Benedetto Croce et de Giovanni Gentile et le « concrétisme » de Gaetano Salvemini37 ; en conflit ouvert avec le vieux socialisme italien et son hypertrophie bureaucratique auquel elle opposait le « sens éthique de la politique », le « volontarisme » et l’« action » ; tendue vers une relecture et/ou une révision du marxisme38. La critique du socialisme prenait alors des allures de conflit inter-générationnel. Ainsi Gobetti identifiait-il dans un texte de 1924 « deux antifascismes », celui des jeunes et celui des vieux39. Et Rosselli présentait quelques années plus tard son ouvrage Socialisme libéral comme « la confession explicite d’une crise intellectuelle […] très répandue dans la jeune génération socialiste »40.
Le « vieux » parti socialiste s’était, selon lui, montré incapable de comprendre le phénomène fasciste et donc de « le dépasser »41. Il pêchait en cela des tares de tous les partis “conservateurs” « rigides, sectaires, jaloux […] craignant toutes les innovations brusques »42. En 1934, dans une lettre au socialiste italien Angelo Tasca, Rosselli dresse un portrait de la social-démocratie italienne qui rappelle étrangement l’analyse que Daniel Guérin offrait à peine une année auparavant du socialisme allemand au bord du gouffre43:
« A moins d’une transformation totale, votre parti […] ne sera jamais capable, d’exercer une fonction décisive dans la révolution italienne. Il lui manque pour cela la foi dans la révolution, la passion et la volonté de lutte, une vie théorique active, et précisément ce “soupçon d’activisme” qui permet à des anciens bourgeois ou présumés tels de se transformer progressivement en révolutionnaires, alors que d’anciens révolutionnaires ou présumés tels se transformeront en ronds de cuir. »44
Pire encore, selon Rosselli, la cécité politique des socialistes après une défaite aussi cuisante et des années d’exil :
« Guerre, après-guerre, fascisme, antifascisme, [écrira Rosselli au socialiste Claudio Trèves après la critique de ce dernier à Socialisme libéral], expériences effroyables, tremblements de terre psychologiques et sociaux qui à eux seuls imposent une fièvre de recherches et de critiques, sont pour vous de l’eau sur du marbre. »45
Cette analyse sans compromis du socialisme italien sera l’une des constantes principales de sa compréhension politique de la crise italienne. Elle est bien entendu au cœur de la réflexion qui mène à l’écriture de son seul ouvrage, Socialisme libéral. Elle le conduira aussi à sympathiser avec les théories néo-socialistes de Henri De Mans, dont il retient avant tout la volonté d’imprimer au socialisme le volontarisme propre à la critique de cette nouvelle génération politique46.
Pourtant pour Rosselli pas de combat antifasciste en-dehors du socialisme. Le leader de GL part en effet de ce bagage d’expériences, de cette orientation politique ; ses pérégrinations et sa recherche constante d’un ubi consistam demeureraient obscures si on ne prenait pas toute la mesure de cette donnée fondamentale47 :
« Je suis socialiste, [écrit-il en 1924], pour un ensemble de principes, d’expériences, pour la conviction tirée de l’analyse du milieu dans lequel je vis ; je suis socialiste par culture, par réaction, mais aussi, je le dis haut et fort pour que m’entendent certains déterministes absolus ou tannés marxistes, par foi et par sentiment. Je ne crois pas que le socialisme sera et que la classe laborieuse s’affirmera dans l’histoire par la fatale évolution des choses, volonté humaine mise à part. A ceux qui me parlent ce langage, je réplique avec Sorel, et là est tout mon volontarisme: “le socialisme sera mais il pourrait aussi ne pas être” ». 48
Ce faisant, Rosselli imprime à la critique du socialisme une fonction performative. GL est née pour pallier ce manque de foi, de volonté et de passion qui condamnait irrémédiablement à la défaite la seule force historique dont l’opposition « permanente et définitive » au fascisme ne pouvait être mise en doute parce que précisément elle représentait « les intérêts d’une classe qui n’a[vait] rien à voir avec le fascisme : c’est-à-dire le prolétariat »49. Avec la référence à Sorel, Rosselli entend précisément insuffler au socialisme la foi dans l’action des individus qui fait totalement défaut selon lui au marxisme classique.
Comme le souligne Gaetano Arfé, dans cette optique, la critique acquiert une fonction théorique50 ; « comprendre c’est dépasser » écrit Rosselli en souvenir de Filippo Turati51. Elle vise ainsi non seulement le moment conjoncturelle de cette bataille spécifique mais bien à modifier profondément le mouvement ouvrier italien et international, tous deux jugés incapables de faire face au fascisme52. Renouvellement du socialisme et lutte antifasciste sont ainsi envisagés comme deux phases interdépendantes et indissociables. Dès le début des années 1930, pour Rosselli, « l’heure de toutes les hérésies a sonné ; une heure qui appelle une « profonde réorganisation des forces de gauche […] précédée et accompagnée d’une révision sans pitié et sans opportunisme de [leurs] doctrines »53. L’urgence de la transformation impérative du socialisme s’insère également dans les potentialités qu’ouvre le passage de témoin d’une génération socialiste à une autre ; Filippo Turati et Claudio Trèves meurent en exil en 1932 et la renaissance semble être à portée de main :
« Au-dessus du lit, [écrit Rosselli à la mort de Claudio Trèves], lui souriait Anna Kuliscioff, l’amie intellectuelle, et à côté d’elle, un Turati peint à l’huile contemplait la scène de ses yeux égarés. Dans la modeste chambrette de l’exilé se recomposait le fameux “salon” de la place du Dôme, aujourd’hui occupé par des morts […]. » 54
Révolution libérale, révolution morale, révolution antifasciste
Le fascisme place les jeunes démocrates, libéraux, républicains ou socialistes réformistes dans une situation paradoxale. En effet, le régime mis en place par Mussolini semble remettre au goût du jour le combat de la défense des libertés démocratiques, du moins pour les intellectuels qui, provenant d’horizons politiques génériquement démocrates, se rallient à la bannière de l’antifascisme. Nul doute que l’engagement antifasciste de libéraux comme Ernesto Rossi ou Riccardo Bauer se construit précisément sur cette première révolte, plus morale que politique. Le mouvement GL va d’ailleurs, à ses débuts, se faire le porte-parole de ces instances. Ainsi, dans un manifeste diffusé en Italie, en 1931, le programme de GL est-il défini comme un « programme de transition […] » qui se « limite à rétablir la liberté pour tous et à corriger les injustices les plus graves »55.
Et pourtant, la bataille pour la liberté s’émancipe précisément à ce moment-là des cadres historiques et théoriques de son émergence (les révolutions des 18e et 19e siècles), tout en intégrant résolument leurs héritages au 20e siècle d’Octobre 1917. Piero Gobetti est sans doute le représentant le plus typique de cette génération qui, ayant grandi dans une « conjoncture exceptionnelle », combine instances révolutionnaires et libéralisme56. Au cours de sa courte existence, il n’aura de cesse d’affirmer que son libéralisme prend racine précisément dans l’expérience concrète des luttes de ceux d’en bas, dont les Conseils d’usine à Turin et les soviets en Russie sont selon lui, à ce moment, l’expression la plus achevée57. Les ouvriers attestent ainsi leur « volonté d’autonomie »58. Le mouvement ouvrier est donc envisagé par Gobetti comme « la liberté en train de s’instaurer » et la révolution d’Octobre comme « une affirmation de libéralisme», parce qu’elle a brisé « un esclavage séculier », en créant un État dans lequel « le peuple a foi »59.
La revue fondée par Gobetti, La Rivoluzione liberale, dont le titre seul suscite nombre de perplexités tant à la gauche qu’à la droite de l’échiquier politique, n’est rien moins en ce sens qu’un « programme d’action, un mot d’ordre » qui s’enracine résolument dans sa compréhension de la révolution d’Octobre et de l’expérience concrète de l’occupation des usines. Autonomie, exigences antibureaucratiques, volontarisme, « libre initiative d’en bas », rôle de l’individu et non de la « masse » dans l’histoire forment les arcanes de ce libéralisme révolutionnaire et libertaire. Ce faisant, il présentera une liberté « qui libère », indissolublement liée à la révolution sociale et intégralement ancrée dans le 20e siècle60.
C’est à ce libéralisme que Rosselli va puiser tout au long de sa recherche politique. Ainsi, si, en 1930, il voit « dans la conquête révolutionnaire de la liberté la prémisse indispensable » et, qu’en 1932, il souligne le caractère révolutionnaire de la revendication des libertés démocratiques dans la « situation concrète de l’Italie » fasciste, en 1934, il affirme avec force que la liberté pour laquelle se bat GL est celle « des masses laborieuses » ; elle implique donc « le devoir d’user du pouvoir conquis contre les exploiteurs et la réaction »61. De la « lutte pour le pain et de plus humaines conditions de vie s’identifiant, pour toutes les classes sociales et surtout pour la classe ouvrière, au combat pour la liberté », Rosselli passe à « la liberté dans les champs, dans la fabrique, au travail. Liberté humaine. Humanisme intégral »62.
En 1934, alors qu’il cherche à se rapprocher de Léon Trotsky, il insistera auprès du révolutionnaire russe, un brin sceptique et qui de son propre aveu connaît très mal la situation italienne, sur l’influence de Piero Gobetti63. Il vantera les leçons de la révolution d’Octobre et le caractère résolument moderne et révolutionnaire de son libéralisme64. La même année, Rosselli décrira GL comme l’expression politiquement organisée du mouvement intellectuel qu’avait engagé Piero Gobetti à Turin au début des années 1920, ou du moins de ceux qui, parmi les intellectuels de sa génération, n’avaient jusqu’alors pas rejoint les rangs du Parti communiste65.
Les deux « libéraux » partagent également une définition semblable du fascisme, phénomène politique qu’ils inscrivent à plein titre dans le processus historique italien. Piero Gobetti écrira des pages particulièrement éclairantes pour démontrer le lien inextricable entre l’histoire de l’Italie, le fascisme et ce que de nombreux auteurs appelleront alors le « caractère des Italiens ».
« Le fascisme a eu au moins ce mérite, [écrira Piero Gobetti en 1924] : offrir la synthèse, poussée dans ces ultimes conséquences, des maladies historiques de l’Italie : rhétorique, esprit courtisan, démagogie, transformisme […]. Il constitue l’héritier légitime de la démocratie italienne, éternellement ministérielle et conciliante, craignant les libres initiatives populaires, oligarchique, parasitaire et paternaliste. »66
Quelques années plus tard, Rosselli affinera cette idée en parlant d’un rapport de « dégénération progressive » entre Italie unitaire et fascisme67. Gobetti et Rosselli envisagent le fascisme dans son rapport diachronique avec l’histoire de l’Italie, et en particulier de l’Italie unitaire, et des Italiens68. Ainsi, pour Rosselli, l’expérience fasciste a un caractère « indéniablement didactique » car elle « a révélé aux Italiens le réel substrat de la vie italienne », contraignant ce même peuple à faire « l’apprentissage de la modernité »69. Piero Gobetti identifiant dans le fascisme l’autobiographie de la nation espérait quant à lui « (avec oh combien de scepticisme) que les tyrans soient des tyrans, que la réaction soit une réaction »70.
Si le fascisme est la conséquence d’une immaturité morale, politique et culturelle des Italiens, en bref d’un « manque de caractère », la construction d’une nouvelle donne politique doit inévitablement passer par une lutte révolutionnaire ; mais une lutte qui offre l’exemple de minorités agissantes et se « diffuse ensuite dans de vastes strates de la population »71.
« Pour qu’une révolution digne de ce nom ait lieu, [écrira Rosselli en 1932], l’effondrement de l’armature externe du régime ne suffit pas ; […] il faut qu’[il] apparaisse et soit le résultat désiré, voulu, désespérément voulu par un large courant historique révolutionnaire qui s’est affirmé par des années et des décennies de lutte, justement parce que la révolution est avant tout un grand fait spirituel. »72
La révolution est donc morale avant d’être sociale et politique73. Elle est aussi et subséquemment pensée en fonction d’une réponse à apporter à la crise proprement italienne révélée par le fascisme74. L’une des gageures est d’envisager un processus révolutionnaire venu d’en bas dans une nation qui n’a connu aucun phénomène révolutionnaire d’envergure ; le « Risorgimento populaire et révolutionnaire » ayant été balayé par la monarchie, le clergé, le féodalisme agraire et la « ploutocratie financière »75. Rosselli conçoit donc la révolution antifasciste comme un second Risorgimento « social et moral » devant aboutir à l’émancipation sociale des travailleurs76. Point d’achoppement particulièrement virulent avec le Parti communiste (PCI) de Palmiro Togliatti qui lui n’envisage la révolution antifasciste qu’en termes de rupture avec le Risorgimento « bourgeois » et critique les « fantaisies sur le second Risorgimento »77.
La révolution italienne se subsume sous la révolution antifasciste ; elle en est l’aboutissement. La conception mazzinienne, romantique et élitaire de la lutte politique s’inscrit ainsi aussi dans le moment politique dans lequel Rosselli réfléchit et en fonction duquel il s’exprime. Il serait réducteur de ne considérer son appel aux minorités agissantes qu’en rapport à l’héritage politique du Risorgimento auquel, certes, il puise largement. La lutte révolutionnaire antifasciste ne peut en effet faire abstraction du terrain sur lequel elle est censée agir, c’est-à-dire une société italienne encadrée par un « régime réactionnaire de masse »78. Rosselli perçoit avec acuité – anticipant les thèses sur le totalitarisme développées quelques années plus tard par Hannah Arendt79 – la nouveauté du fascisme qui mêle violence politique et embrigadement idéologique, et qui prétend à la domination totale80. Dans un tel système politique, « la masse au sens politique » laisse la place à la masse « au sens numérique et amorphe »81. Inutile d’espérer qu’elle se mette en marche. Seules les « minorités agissantes », politiquement actives et conscientes peuvent donc « éduquer les cadres », conduire la lutte révolutionnaire et « attaquer le régime dans ses points les plus faibles ».82
Rosselli n’hésite d’ailleurs pas à indiquer dans Marx, « solitaire chercheur au British Museum » et Lénine, qui croyait fermement au « rôle essentiel de la minorité révolutionnaire s’étant forgée dans la lutte illégale », les exemples à suivre83. Tout comme il n’a aucune confiance dans le mouvement de masse, auquel il reproche de ne pas permettre l’expression d’une démocratie directe d’en bas, Rosselli ne pense pas que la révolution puisse et doive être unanime. « Les révolutions unanimes sont de la morphine pour le peuple », écrira-t-il en 193284. La révolution est ainsi envisagée comme une effervescence créatrice, plurielle et riche ; en bref, basée sur le « principe de liberté ».
« La révolution ce n’est pas la conquête des leviers de commandes par une petite minorité, [affirme-t-il en 1936]. La révolution, c’est une ébullition, la subversion d’en bas, une crise sociale à la fois économique, politique et morale. Le parti révolutionnaire ne doit pas se concevoir comme un petit État mais comme une société microscopique, avec la pluralité, l’intensité, la richesse des objectifs propres à une société libre. »85
Ainsi, la révolution est le produit de l’auto-organisation volontaire et consciente d’en bas, incarnée notamment, selon lui, par les soldats-paysans de Russie86. Ni de masse, ni unanime, la révolution antifasciste ne peut qu’être « irréductiblement originale »87. Elle doit « procéder par son propre chemin en fonction des nécessités et des luttes italiennes et européennes » car la « conscience révolutionnaire doit nécessairement être autonome »88. Plus tard, il la définit comme un « devoir patriotique »89. Si, pour le leader de GL, il ne subsiste aucun doute sur le fait que la révolution d’Octobre est le « point de départ indispensable à toute révolution en Europe »90, elle ne saurait cependant en aucun cas constituer l’exemple à suivre pour l’Italie. « Les révolutions ne s’importent pas », elles peuvent néanmoins être adaptées91.
La question pour Rosselli consiste à postuler une révolution profondément nationale et radicalement démocratique ; la rencontre entre Octobre 1917, qu’il distingue soigneusement des « atrocités dictatoriales » qui l’ont suivi, et « l’héritage » d’un Occident revenu aux sources des combats pour la liberté qui ont scandé la première moitié du 19e siècle92.
« La révolution était pour Marx, [écrit-il en 1934], comme pour tous les révolutionnaires du siaccentuer qu'e une année plus tard: possibles. ciété elle statolatrie et en plus féroce barbarie et réaction, il devra sur les rècle dernier, synonyme d'émancipation de la personne humaine et de fédéralisme intégral. La conclusion est claire : si la révolution italienne ne veut pas dégénérer en nouvelle statolâtrie et en plus féroce barbarie et réaction, elle devra, sur les ruines de l'État fasciste capitaliste, faire resurgir la société, les fédérations d’associations les plus variées et libres possibles […] L’homme est la fin. Pas l'État. » 93
Et de conclure, deux ans plus tard, que Marx n’aurait pu qu’accentuer sa position anti-étatiste s’il avait dû combattre l’ « État tyrannique, monopoliste, totalitaire » des années 193094. Lutter « au cœur de l’époque fasciste » implique donc selon Rosselli le renforcement des motifs d’un socialisme pensé comme « réalisation intégrale du principe de liberté, un humanisme total », un socialisme révolutionnaire, volontaire, éthique et émancipateur postulant l’autonomie individuelle et collective95. En bref, l’appel à une révolution non seulement morale mais aussi sociale et politique.
Une révolution ininterrompue
Rosselli n’envisage à aucun moment que l’Italie puisse faire l’économie d’une révolution ; de fait la plupart des antifascistes partagent cette opinion. Seuls quelques vieux libéraux pensent encore, dans les années 1930, qu’il est possible de “licencier le régime le chapeau à la main” et de rétablir la légitimité constitutionnelle de l'État. Car le fascisme « plonge ses racines dans le sous-sol italien » et qu’il est aussi indissolublement lié à la guerre et au rôle contre-révolutionnaire que lui a donné la bourgeoisie dans la crise politique, sociale et économique de l’après-guerre96. En bref, le fascisme étant « réaction de classe et crise morale à la fois», « seule une profonde révolution peut abattre […] les causes économiques morales et politiques qui l’ont rendu si aisément victorieux »97.
Tout au long des années 1930, Rosselli va s’appliquer à déterminer les acteurs de cette révolution, et à identifier les forces politiques indispensables à sa réussite. Cette quête, ce parcours intellectuel et politique, le conduira à rejeter toujours plus catégoriquement les classes qui, selon lui, ont contribué à soutenir le fascisme, et à faire du prolétariat la « force vive » de la révolution98. Ainsi le premier manifeste diffusé en Italie insiste sur le fait que le programme de GL « peut être accepté par tous, du travailleur socialiste et communiste au bourgeois antifasciste »99. En 1932, Rosselli indique encore la petite et moyenne bourgeoisie, « dont il faudra sauvegarder l’épargne et la fonction », la paysannerie et la classe ouvrière comme forces vives du processus révolutionnaire100. Et parmi les « réformes fondamentales [qui] devront être affrontées et résolues pendant la crise révolutionnaire », il mentionne la république, les réformes agraire et industrielle, pour lesquelles il prévoit alors une « légère indemnisation », et la nationalisation des grandes banques privées de crédit101. Deux ans plus tard, il réduira la force motrice de la révolution aux ouvriers, aux paysans et aux intellectuels « qui en partagent les idéaux et le destin », tout en maintenant l’objectif pour l’Italie révolutionnaire, d’une économie à deux secteurs102 ; « une organisation socialiste de la production industrielle et semi-socialiste de la production agraire […] qui respecte la liberté et la dignité de l’homme » rédige-t-il à l’attention de Gaetano Salvemini en 1936103. Et à peine un mois avant sa mort, il écrit :
« GL […] est un mouvement qui désormais a un net caractère prolétaire. Non seulement parce que le prolétariat démontre partout qu’il est la seule classe capable de subvertir les institutions et les valeurs ; non seulement parce que, au cœur du mouvement les éléments prolétariens ont un poids toujours plus grand ; mais parce que dans l’expérience concrète de la lutte, on a mesuré toute l’incapacité, le délitement de la bourgeoisie en tant que classe. »104
La révolution antifasciste devient toujours plus nettement prolétaire et l’antifascisme synonyme d’anticapitalisme, un anticapitalisme non abstrait, mais « concret et historique », fondé sur l’observation et la conviction subséquente que la démocratie libérale, telle qu’elle se présente en Europe à ce moment-là, a épuisé sa fonction historique ; crise de la démocratie d’après-guerre et crise du capitalisme se potentialisent ainsi dans une interprétation à donner à la lutte105. De plus selon lui, avec l’arrivée de Hitler au pouvoir, le fascisme se déprovincialise et devient un véritable phénomène historique, une « chose sérieuse »106. Rosselli indique alors à l’opposition l’objectif de « fonder sa lutte sur le terrain d’une succession historique et d’une transformation radicale »107 ; et il en appelle à la révolution préventive « en Allemagne », « à Vienne, à Milan », pour faire échec à la « guerre qui revient »108.
La radicalisation progressive de sa pensée politique l’amène à revoir constamment également les alliés potentiels de la révolution antifasciste. Rosselli n’a jamais sous-estimé le Parti communiste italien, seule présence illégale dans la péninsule à côté de celle des cellules de GL. Il est par ailleurs bien conscient du fait que l’URSS constitue alors un « mythe » utile à la lutte antifasciste. Cependant, Rosselli refuse les œillères. Au nom des idéaux qui guident la lutte antifasciste, il conteste l’exaltation pure et simple de cette alternative politique et dénonce vigoureusement le régime stalinien. Le 12 juin 1936, Rosselli posera ainsi cette question taraudante pour toute opposition sérieuse au fascisme, reprenant mot pour mot la lettre de Victor Serge à Gide publiée à peine deux jours auparavant : « Comment barrer le chemin [au fascisme] avec tant de camps de concentration derrière nous ? »109 De même, il dénoncera les velléités du PCI de substituer à la dictature fasciste, la dictature de son parti110.
Il ne fait cependant aucun doute selon lui que le Parti communiste est indispensable à la lutte révolutionnaire qui s’annonce, il tiendra cette position contre une frange significative de GL111. Et il n’aura de cesse de la marteler, malgré les conflits continuels avec le PCI, tant dans la période dite « classe contre classe », durant laquelle il fustige son sectarisme, que dans celle des fronts populaires, où il critique sa modération, sans parler de ce qu’il définira comme l’ « euphorie du contact » qui suit l’appel de Palmiro Togliatti aux « frères en chemise noire »112.
Avant sa mort, il avance le principe de la création d’un « parti uni du prolétariat », ou « parti unique », utilisant indifféremment les deux adjectifs, seule condition selon lui de la réussite de la « révolution prolétaire »113. Il semble envisager alors ce nouveau parti comme la mise en pratique « résolue » et riche en perspectives de véritables fronts populaires114. Les communistes, soutient-il, y « trouveraient cette liberté intellectuelle, ce ferment critique qui leur manquent »115. La proposition de Rosselli cherche, semble-t-il, à allier organiquement les différentes forces du mouvement ouvrier, afin de « surmonter la scission du prolétariat »116. Mais elle demeure hybride : ni front unique, ce qui présupposerait l’impératif catégorique pour les forces qui y sont engagées, et en particulier pour le parti « d’avant-garde », de « frapper ensemble » et surtout de « marcher séparément », ni front populaire, puisqu’il exclut l’alliance avec d’autres courants que ceux du « prolétariat » italien. Selon Guido Liguori, c’est précisément là qu’advient la principale radicalisation de Rosselli, une « radicalisation plus politique que théorique »117. En effet, Rosselli conçoit cette union organique comme le prélude à une « fusion progressive des diverses fractions du prolétariat »118. Ce nouveau parti se présente ainsi comme une nouvelle synthèse, « sorte d’anticipation de la société future », qui se réalise pourtant déjà, selon Rosselli, en partie dans GL tel qu’il est119.
Au fil du temps, Rosselli finit par adjectiver socialement la révolution antifasciste ; d’abord morale, elle devient sociale et politique; alors, il est vrai, les frontières révolutionnaires se sont sensiblement élargies, passant de l’Italie à l’Europe, de la révolution préventive suite à l’arrivée de Hitler au pouvoir, à la « révolution permanente des esprits » durant la guerre civile espagnole120. Le 9 juin 1937, la main assassine de la Cagoule mettra un terme à cette réflexion politique foisonnante, un peu confuse certes, tâtonnante, non exempte de retours en arrière mais cherchant toujours l’adéquation entre les expériences du passé et les horizons d’attente ; impératif catégorique tiré des défaites du mouvement ouvrier au cours du premier tiers du 20e siècle.