REVUE des REVUES : Second semestre 2012

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Mots-clés

Historiographie

Plan

Texte

Passage en revues : Christian Beuvain, Jean-Guillaume Lanuque, Jean-Paul Salles, Frédéric Thomas.

REVUES SCIENTIFIQUES OU A PERSPECTIVES SCIENTIFIQUES (histoire, sociologie, science politique, philosophie, littérature, art, etc.)

Les communismes, trotskysmes, maoïsmes

Cahiers du C.E.R.M.T.R.I., n° 145, mai 2012, « De la « bolchevisation » à la stalinisation du Parti communiste français (1925-1930) ».

Ce numéro fait suite au numéro 141, qui se penchait sur « La bolchevisation du Parti communiste français » de 1923 à 19241, avec le choix de centrer le propos sur la lutte interne au Parti et les changements dans sa direction. La première partie documentaire s’intéresse aux années 1925-1926, marquées par la « Victoire des partisans de Zinoviev », avec les analyses de La Révolution prolétarienne sur le congrès de Clichy, la « Lettre des 250 » opposants à la direction de la Comintern (dont il manque malheureusement deux pages) ainsi que celle de Fernand Loriot, la déclaration du Bulletin communiste de janvier 1926 et, seul élément contradictoire, la lettre ouverte à tous les membres du Parti émanant des instances de direction. La seconde partie est consacrée à « L’éphémère victoire des « boukhariniens » en 1927, brève séquence d’ouverture illustrée ici par la résolution de la Comintern de 1926 contre la « droite » du PCF, un article de Boris Souvarine dans le Bulletin communiste critiquant la tactique « classe contre classe » à travers les élections, le compte-rendu officiel du CC du Parti de janvier 1927, un article de Maurice Thorez de janvier 1928 (« Le redressement nécessaire ») et un article de L’Humanité, « L’Assemblée exclut du Parti les chefs français de l’opposition trotskyste ». Enfin, la dernière partie est celle de la mise en place de la troisième période de la Comintern à compter de 1928, avec plusieurs textes de Maurice Thorez, l’étoile montante du Parti, deux articles de L’Humanité et de L’Internationale communiste, ainsi que la résolution du VIe Congrès de la Comintern sur la campagne internationale contre la guerre et la réaction du Bulletin communiste à la déportation de Trotsky à Alma-Ata. Toujours pas de bibliographie commentée sur le sujet, mais plusieurs notices biographiques de dirigeants.

Cahiers du C.E.R.M.T.R.I., n° 146, septembre 2012, « Brésil : de l’opposition de gauche au combat pour la IVe Internationale (1929-1936). Documents sur l’action des trotskystes brésiliens ».

Cette livraison est la première de la revue à se pencher sur le cas du Brésil, pays géant et émergent d’Amérique latine. Ce faisant, elle s’inscrit en particulier dans la lignée du n° 143 consacré à l’Argentine sur une période extrêmement proche et sous l’angle également du trotskysme, une démarche apportant sur des situations nationales, souvent insuffisamment connues, des éclairages précieux. Pour ce numéro, la grande majorité des textes proposés sont traduits d’un recueil documentaire paru en 1987 au Brésil, les copieuses notes de bas de page ayant été conservées. En plus d’une carte – au rendu toutefois médiocre –, d'une brève chronologie et de quelques notices biographiques de militants trotskystes, ce Cahier se déploie en deux parties chronologiques, séparées par la décision de créer une nouvelle Internationale en 1933 ; 1930 correspond à la fondation de l’opposition de gauche brésilienne, tandis que 1936 voit la répression étatique décapiter quasi totalement le mouvement trotskyste, qui n’émergera de nouveau que deux ans plus tard. Les textes sont pour la plupart extraits de la presse trotskyste locale, présentant les positions du groupe et analysant la situation politique brésilienne. Citons en particulier le « Projet de thèses sur l’Assemblée constituante » daté de 1932, l’article « De la démagogie à la réalité « tenentiste » », qui voit dans les coups d'État militaire d’alors des tentatives bonapartistes, le « Projet de thèses sur la situation nationale » de 1933 ou les documents évoquant la lutte contre le risque fasciste et pour un front unique ouvrier. Pas de bibliographie, hélas, l’entretien avec Fulvio Abramo étant toutefois repris du n°11 des Cahiers Léon Trotsky, qui portait justement sur l’Amérique latine.

[Cahiers du C.E.R.M.T.R.I., 28 rue des petites écuries, 75010 Paris, 5 € le numéro, 20 € pour 4 numéros, 25 € avec droit de consultation des archives et de la bibliothèque]

Twentieth Century Communism. A Journal of International History, n° 3, « 1968 and after – between crisis and opportunity », mai 2011 et n° 4, « Communism and youth », mai 2012, tous deux 256 pages et 20 £.

Ce troisième numéro de la revue qui a pris la suite de la Communist History Network Newsletter (dont les numéros parus de 1996 à 2008 sont consultables en ligne sur http://www.socialsciences.manchester.ac.uk/chnn/) examine comment les partis et mouvements communistes ont réagi aux crises et possibilités de 1968 et des années 1970, en Italie, en Grèce, au Portugal, etc. Un article de Brigite Studer, sur 1968 et la formation du féminisme, est en ligne. Dans le n° 4, retenons une étude précieuse de Leo Goretti à propos de deux Italiennes proposées comme modèles aux jeunes militantes communistes par Enrico Berlinguer dans un discours de mai 1947. La première est la résistante Irma Bandiera, native de Bologne,  torturée et assassinée par les SS en 1944. La seconde, beaucoup plus étonnement, est une catholique, Maria Goretti, que le pape canonise en 1950. L'auteur analyse les raisons qui poussent le PCI à instrumentaliser cette figure du catholicisme en 1947, alors qu'elle ne sera plus jamais citée dans un discours communiste. Comment ne pas évoquer l'utilisation massive par le PCF, dans les années qui suivent la Libération de la France, des figures de Danielle Casanova, résistante morte à Auschwitz, et de Jeanne d'Arc, icône tutélaire de l'extrême droite dans les années trente (et de nouveau utilisée par ce courant politique depuis une bonne vingtaine d'années) ? Un blog donne les parutions, conférences, appels à communication, etc. relatifs à l'histoire des communismes : http://c20c.wordpress.com/.

[Twentieth Century Communism. A Journal of International History, 20 £ le n°, abonnement en ligne sur http://www.lwbooks.co.uk/journals/twentiethcenturycommunism/archive.html]

Les féminismes

Clio. Histoire, femmes et sociétés, n° 35, 2012, « Ecrire au quotidien ».

Philippe Lejeune, dont les travaux sur les écrits autobiographiques sont anciens (voir Le moi des demoiselles, Seuil, 1993), présente le journal d’Emilie Serpin, 2 000 pages sur 17 cahiers d’épaisseur variable : « Il faut que j’écrive puisque je n’ai aucune personne avec qui causer », écrit-elle au début d’un journal tenu de 1863 à 1881. En position seconde, la femme s’est en effet souvent réfugiée dans le journal intime ou la correspondance, en Provence du XVIe au XVIIIe siècle (article d’Isabelle Luciani), à Florence aux XIVe-XVe siècles (Christine Klapisch-Zuber) mais aussi bien sûr au XIXe siècle (article de Anna Iuso ou de Marie-Claire Hoock-Demarle) et au début du XXe siècle (sur les femmes sionistes en Palestine étudiées par Isabelle Lacoue-Labarthe). Regrettons simplement l’absence d’études sur les femmes anglaises qui ont écrit de manière prolifique jusqu’à aujourd’hui, et dans tous les genres.

[Clio, abonnement annuel, 41 €, Université de Toulouse-Le Mirail, 5, Allées Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9, http://clio.revues.org]

LHT, Littérature Histoire Théorie, n° 7, « Les femmes ont-elles une histoire littéraire ? ».

LHT est une revue électronique trimestrielle créée en 2005 par le site Fabula, qui travaille sur le rapport – alliances, tensions – entre la théorie et l'Histoire, deux pôles de réflexion sur la littérature. La problématique de ce n° 7 détourne la question posée il y a maintenant quarante ans (déjà !) par Michelle Perrot : « Les femmes ont-elles une histoire ? », dans un cours donné à Paris VII (1972). Il s'agit pour la revue de « poser une question identique (...) en la recentrant sur l'histoire littéraire ».

[LHT, Littérature Histoire Théorie, http://www.fabula.org/lht]

Les mouvements sociaux (grèves, anticléricalisme, guerre d'Espagne, Front populaire, Mai 68, écologie, altermondialisme etc.)

Bulletin de Promemo (Provence, mémoire et monde ouvrier), n° 13, juin 2011, « Sport et mouvement ouvrier », 5 €, 36 p.

Ce treizième bulletin de cette association sur l'histoire sociale et la mémoire de la Provence est consacré aux rapports souvent difficiles entre le mouvement ouvrier et le sport. Il bénéficie des recherches et travaux de deux spécialistes, Paul Dietschy et Marion Fontaine. Le premier, qui a soutenu, en 1997, une thèse sur les rapports entre le football et la ville industrielle de Turin de 1920 à 1960, écrit un article doublement comparatif, sur le sport socialiste et le sport communiste, en France et en Italie, de 1914 à la fin des années 1950. Paul Dietschy fait référence avec ce qui est une incontournable Histoire du football (Perrin, 2010). Quand à Marion Fontaine, dont la thèse sous la direction de Christophe Prochasson à l'EHESS, en 2006, portait sur la sociabilité des mineurs de Lens à travers leur club, sa contribution porte sur « Les mineurs à la conquête du football », avec comme problématique les rapports entre construction identitaire et modernisation sportive chez les mineurs des années 1920 aux années 1960. La version abrégée de sa thèse est parue aux Indes savantes en 2010.

Bulletin de Promemo (Provence, mémoire et monde ouvrier), n° 14, février 2012, 5 €, 28 p.

Ce numéro porte sur les rapports entre la santé au travail et le mouvement ouvrier. Numéro d'actualité, au vu des procès concernant l'amiante ou des récents suicides de salariés à France Télécom ou à EDF. Deux approches historiques nous permettent d'en savoir plus, en particulier avec l'article de Michel Pigenet sur les dockers. En fin de numéro, le compte rendu d'une table ronde avec des syndicalistes et des membres d'associations luttant contre le « travail qui tue ».

[Bulletin de Promemo (Provence, mémoire et monde ouvrier), adhésion à l'association, 20 € par an, à Rémy Nace, 2, avenue des Mûriers, 13790 Peynier, contact à PROMEMO, UMR TELEMME, Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH), 5, rue du Château de l'Horloge, 13100 Aix-en-Provence, http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_83-Promemo.html ]

Cahiers du C.E.R.M.T.R.I., n° 144, mars 2012, « La grande grève des postiers de 1974 ».

Il n’est pas si courant pour les Cahiers du C.E.R.M.T.R.I. d’aborder un sujet d’histoire aussi récent (le seul précédent concernait Mai 68, n°129-130), un choix justifié dans la « Présentation générale », outre un hommage à feu Pierre Levasseur (dirigeant de cette grève), par l’actualité du combat pour la défense des services publics. Leçon de choses syndicales, donc, d’autant que cette grève fut la plus importante du secteur, avec 300 000 grévistes durant quarante jours. La plus grosse partie de cette livraison est constituée par de larges extraits d’un journal de la grève, rédigé à l’époque par un trotskyste « lambertiste » syndiqué à FO, Patrice Sifflet, et publié par ce même syndicat en 1984. Au-delà des critiques à l’égard de la CFDT et de la CGT durant le mouvement, on trouve des données intéressantes sur ce dernier, avec quelques témoignages de grévistes. Complétant ce document, comme pour y faire en partie contrepoids, sont publiés articles ou tracts émanant de la CGT, de FO, du PCF, du PS, de LO, de la LCR et de l’OCI.

[Cahiers du C.E.R.M.T.R.I., 28, rue des petites écuries, 75010 Paris, 5 € le numéro, 20 € pour 4 numéros, 25 € avec droit de consultation des archives et de la bibliothèque]

Cahiers du GRM, cahier 2, 13 octobre 2011, « La séquence rouge italienne », cahier 3, 29 mai 2012, « Des luttes étudiantes dans les années soixante en Europe Occidentale (Allemagne, France et Italie) ».

Les travaux réunis dans ce second cahier (353 p.) reconstruisent plusieurs aspects de la « séquence rouge » que l’Italie a connue entre les années 1960 et 1970. Sont traités, entre autres, les débats sur la question des intellectuels (Andrea Cavazzini, Diego Melegari), les théories et les positions « opéraïstes » (Diego Melegari, Michele Filipini) ainsi que la question de la violence dans les formations extra-parlementaires (Fabrizio Carlino). Ces analyses portent sur les formes d''inscription politique cherchées par les groupes, mouvements et partis, ainsi que par les théoriciens, en fonction des conditions historiques de l'époque. Quant au cahier 3 (198 p.), il « recueille des analyses consacrées aux processus de politisation des milieux étudiants dans les années soixante ». Ces « contributions ambitionnent moins de rendre compte des facteurs qui constituent cette conjoncture, que de reconstruire la mémoire vivante de certains processus qui la composent, saisis dans leur singularité ». Daniel Agacinski s'intéresse à la façon dont la Guerre d'Algérie politisa le milieu étudiant, Livio Boni propose une « relecture conjoncturelle » de Lacan, Igor Krtolica examine toutes les facettes de Marcuse en tant que penseur de la révolte des étudiants allemands etc.

Apparus depuis peu, ces cahiers rendent compte des travaux entrepris par ce groupe de recherches dans des colloques, suivis parfois de tables rondes. Il s'agit là de recherches sérieuses, menées par de jeunes chercheurs, doctorants ou docteurs, spécialistes de Hegel et de Marx, grands connaisseurs des mouvements révolutionnaires communistes européens. Leurs publications (outre ces Cahiers, certains auteurs, comme Andrea Cavazzini, publient dans une maison d'édition nommée Le clou dans le fer, http://www.lecloudanslefer.fr/) sont très précieuses dans une époque de basses eaux idéologiques.

[Cahiers du GRM, cahier 2, http://www.europhilosophie-editions.eu/fr/spip.php?article77, cahier 3, http://www.europhilosophie-editions.eu/fr/spip.php?article89 ]

Cahiers du mouvement ouvrier, n° 55, troisième trimestre 2012, « La révolution et la guerre civile espagnoles (1936-1938) – 1ère partie ».

Après la Révolution française et la révolution russe d’octobre 1917, c’est au tour de l’Espagne de la seconde moitié des années 1930 de faire l’objet de deux cahiers entiers. Parallèlement, Jean-Jacques Marie, fondateur de la revue, a d’ailleurs fait paraître les mémoires de Sygmunt Stein, Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : la fin d’un mythe, au Seuil. Ce premier volet de cette livraison double ne laisse d’ailleurs aucune part à l’actualité bibliographique externe à la thématique. Si on y retrouve une série de portraits biographiques (Bailus, fondateur des Amis de Durruti, Largo Caballero ou Santiago Carillo), ainsi qu’une chronologie détaillée, le gros de la revue s’articule en plusieurs articles. Certains sont d’ailleurs plus proprement militants, repris de La Vérité dernière mouture ; dans sa présentation générale, Andreu Camps insiste justement sur le lien entre cet épisode de l’histoire et la lutte politique actuelle, mettant en cause la responsabilité des directions traditionnelles du mouvement ouvrier dans l’échec révolutionnaire, fidèle en cela à l’antienne du Programme de transition : « La crise de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». A côté des synthèses sur la dictature de Primo de Rivera ou sur la période de la IIe République avant le coup d'État militaire de juillet 1936, on retiendra surtout deux ensembles précieux. Le premier est un résumé de la thèse de Josep Antoni Pozo sur « Le pouvoir révolutionnaire en Catalogne durant les mois de juillet à octobre 1936. Crise et recomposition de l'État », qui montre bien la dualité de pouvoirs qui émergea de la réaction populaire au soulèvement militaire, et la progressive reprise en main des structures étatiques antérieures avec le soutien de la CNT, à travers l’exemple des municipalités en particulier, au sein desquelles une multitude de comités avaient jailli. L’autre ensemble recommandable est moins original, puisqu’il porte sur les événements de mai 1937 à Barcelone. Plus que l’article de Luis Gonzalez, le témoignage de Wilebaldo Solano, alors dirigeant des jeunesses du POUM, qui date de 2000, offre un éclairage utile sur ce basculement décisif.

[Cahiers du mouvement ouvrier, 28, rue des petites écuries, 75010 Paris, 8 ou 10 € le numéro, 30 € l’abonnement annuel pour quatre numéros (35 € pour l’Europe, 40 € pour les autres continents)]

Le Drapeau rouge. Revue d’histoire des révolutions, des grèves et de la lutte des classes, n°1, septembre 2012, 51 pages, 10 €.

Le Drapeau rouge est une nouvelle revue, trimestrielle, lancée par l’association RaDAR (Rassembler et diffuser les archives des révolutionnaires), un collectif composé de militants LCR devenus NPA, extrêmement actif, que ce soit par le biais de son site de numérisation de documents trotskystes ou par les DVD réalisés (les archives du journal Rouge de sa création à sa transformation en quotidien, ou la presse de la Commune de Paris, entre autres exemples). Se rapprochant de la démarche des Cahiers du mouvement ouvrier, Le Drapeau rouge entend exploiter les fonds documentaires collectés en publiant d’anciens articles, ainsi que des textes inédits. Dans ce numéro inaugural, on trouve plusieurs ensembles thématiques. Sur le Front populaire, après une présentation générale de Rodolphe Prager daté de 1982, le plus intéressant réside dans un article de La Lutte ouvrière de juillet 1936 sur « La grève chez Delespaul-Havez », dans le Nord, exemple de tentative de reprise en main de la production par les ouvriers. L’article sur la grève des sardineries de Douarnenez en 1924-1925, extrait de Révolution prolétarienne, et celui sur la grève générale qu’a connu Seattle en 1919 (publié à l’origine en français dans l’anthologie Contrôle ouvrier, conseils ouvriers, autogestion) sont tout aussi captivants ; il est seulement dommage, dans le cas du second texte, que la suite du mouvement ne soit pas abordée. La révolution allemande de 1918-1919 est un autre sujet privilégié, avec un article synthétique (repris de la revue Quatrième Internationale en 1969) et deux documents, l’« Appel des conseils d’ouvriers et de soldats de la Ruhr », fort intéressant, et le dernier article de Karl Liebknecht. Mais le document le plus long est un témoignage sur la mutinerie du 17e régiment d’infanterie de ligne en 1907, dans le contexte des révoltes viticoles. Trop court est par contre la présentation de Ohé Partisans !, qui aurait mérité d’être intégrée dans un ensemble sur la Seconde Guerre mondiale (la notice biographique d’André Calvès publiée dans le Dictionnaire Maitron n’est même pas citée). Enfin, Alain Cuénot livre en deux pages un résumé de ses deux livres consacrés à la revue Clarté. L’ensemble de ces textes bénéficie d’une mise en page aérée, agréable et illustrée, avec en outre quelques liens via des QR codes, pour les adeptes des nouvelles technologies. Seule la relecture est à parfaire, des coquilles par trop visibles émaillant les articles (par exemple, p. 34, « vitivole » au lieu de viticole et p. 36, « tention » à la place de tension). Des notes de lecture, des indications bibliographiques pour chaque thème abordé, voire des commentaires  historiques sur les articles militants publiés, seraient sans doute un atout pour les futurs numéros, car l’absence de tout appareil critique permettant une contextualisation et une mise en perspective des documents retenus est assurément la limite majeure d’une entreprise louable. On notera enfin un format et une couverture fortement inspirés de la défunte revue d'histoire populaire Gavroche.

[Le Drapeau rouge, RaDAR, BP 8, 93100 Montreuil, drapeau-rouge@numericable.fr et www.association-radar.org]

Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 104-105, 2011/4 et 2012/1, « Le mouvement ouvrier au miroir de la biographie ».

Coordonné par trois spécialistes hautement qualifiés es mouvement ouvrier/mouvement communiste, Bruno Groppo, Claude Pennetier et Bernard Pudal, ce numéro analyse toutes les composantes du renouveau comparatiste et biographique du mouvement ouvrier, tant en Europe que sur le continent américain, où sont salués les recherches de trois historiens étatsuniens, David Brody, Herbert Gutman et David Montgomery, récemment décédé. B. Groppo, dans sa contribution (« Les dictionnaires biographiques du mouvement ouvrier : Analyse comparée d'un genre scientifique », p. 6-15) rend d'abord hommage à l'entreprise pionnière initiée par l'équipe autour de Jean Maitron pour son célèbre DBMOF. Puis il remarque que les dictionnaires de ce genre sont un phénomène scientifique important, permettant la diffusion d'une nouvelle sensibilité historiographique. Il remarque néanmoins que, souvent, le choix d'un cadre strictement national possède ses limites. En effet, cela édulcore, appauvrit la nature internationale du mouvement ouvrier, ainsi que ses transferts culturels ou ses réseaux transnationaux. Il n'en est que plus à l'aise pour saluer le travail de Michel Cordillot sur les militants franco-américains (La sociale en Amérique. Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis (1848-1922), Éditions de l'Atelier, 2002). Dans son article sur le Parti communiste de Grande-Bretagne (PCGB), Kevin Morgan, qui travaille à une prosopographie de ses militants, remarque que malgré son caractère marginal (à son apogée, le PCGB n'atteint pas plus de 60 000 membres), il est possible de le comparer avec les autres partis communistes. Il indique également que les travaux sur le communisme britannique, après une brève phase d'histoire-complot, s'engagent actuellement sur la voie d'une histoire sociale et culturelle (p. 32-36). La contribution de Cindy Coignard, qui travaille à une thèse sur l'histoire sociale du genre à travers les femmes du POUM, s'attache aux figures et représentations de Joaquin Maurin, un des leaders du POUM, et de Lénine dans le journal de ce parti, La Batalla (p. 57-62).

[Matériaux pour l’histoire de notre temps, abonnement, BDIC, 6, allée de l’université, 92001 Nanterre Cedex, 50 € pour 4 numéros. www.bdic.fr/materiaux/index.htm ]

Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 59-2, avril-juin 2012.

Relevons dans ce numéro un article de Françoise Blum sur « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale ». A partir d’archives françaises et sénégalaises mais aussi d’entretiens réalisés à Dakar, l’historienne éclaire le Mai sénégalais en le comparant au Mai français. Abdoulaye Bathily, un des principaux acteurs du mouvement, aujourd’hui historien, avait déjà donné en 1992 une étude pionnière : Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie (édition Chaka). L’université de Dakar, succédant à un Institut des Hautes Études, a été fondée en 1957, en tant que 18e université française. Malgré l’indépendance, à la veille de 68, nombre de professeurs sont français – dont le Recteur, jusqu’en 1969 – et beaucoup d’étudiants (27% des 3.138 étudiants). Le scénario, en mai 68, fut voisin de celui de la France : grève étudiante et lycéenne réprimée, suivie d’une grève générale, avec intervention importante du sous-prolétariat de Dakar, alors que la paysannerie reste étrangère au mouvement. Là aussi le bain de sang fut évité de justesse, mais le pouvoir de Léopold Sedar Senghor a vacillé comme a vacillé celui de De Gaulle. Ainsi, Mai 68, dernier mouvement social mondial, n’a pas épargné l’Afrique.

[Revue d’histoire moderne et contemporaine, abonnement annuel, 68 €, éditions Belin, 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06]

Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, n° 113, janvier-mars 2012, « L’invention politique de l’environnement ».

Dans l’introduction du numéro qu’ils co-dirigent, Stéphane Frioux et Vincent Lemire appellent à une histoire de l’environnement au XXe siècle. Saluons la richesse de ce numéro qui traite de l’Allemagne nazie (Johann Chapoutot, « Les nazis et la nature »), de Vichy (Chris Pearson, « La politique environnementale de Vichy »), mais aussi de l’URSS, de l’Espagne franquiste et du Royaume-Uni des années 1980. Relevons l’article de Philippe Buton, « L’extrême gauche française et l’écologie : une rencontre difficile (1968-78) », dans lequel il s’efforce d’établir une typologie des organisations révolutionnaires en fonction de leur plus ou moins grande sensibilité à l’écologie : les réfractaires (l’OCI et la plupart des organisations maoïstes), les pionniers précocement convaincus de la validité de cette revendication (PSU, AMR, VLR, mais aussi GP), les suivistes (anarchistes, LO et LCR), encore qu’il me semblerait plus adéquat de différencier ces deux dernières organisations. Ainsi l’auteur ne signale pas le numéro spécial de la revue théorique de la Ligue, Marx ou Crève, revue de Critique communiste, n°7, mai-juin 1976, entièrement consacré à l’écologie, sous la direction de Jean-Paul Deléage (Lesage), alors militant de la LCR. Et dans la deuxième moitié des années 1970, les militants de la Ligue prennent une part importante aux combats anti-nucléaires, aussi bien en Bretagne qu’à Creys-Malville ou à Golfech.

[Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, abonnement, 4 numéros, 51 €, Presses de Sciences Politiques, 117, Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris ou www.abonnementssciencespo.fr ]

Intellectuels, débats idéologiques, historiographie

Actuel Marx, n° 52, 2012/2, « Deleuze/Guattari », 216 pages.

Dans ce numéro, un entretien de l'économiste Gérard Duménil avec une philosophe chinoise, Zhang Shuangli sur les principaux courants anticapitalistes en Chine actuellement. Également, une contribution de Florent Gabarron-Garcia, anthropologue, psychanalyste et ancien de la clinique de La Borde, sur « Psychanalyse du Cuirassé Potemkine : désir et révolution, de Reich à Deleuze et Guattari ». Il examine Reich et Lénine, le premier à l'épreuve du politique et le second à celle de la psychanalyse.

[Actuel Marx, revue semestrielle, 24 € le n°, abonnement 44 €, PUF, Département des revues, 6, avenue Reille, 75014 Paris, http://www.cairn.info/revue-actuel-marx.htm ]

Ad hoc, n° 1, juillet 2012, « Le spectaculaire ».

Cette nouvelle revue électronique et transdisciplinaire a été créée par de jeunes chercheurs/euses de Rennes 2, regroupé-e-s au sein du CELLAM, le Centre d'études des littératures et des langues anciennes et modernes. Retenons la contribution de Gabriel Ferreira Zacarias (Université de Bergame, Université de Perpignan et Paris X), « La vedette, « représentation spectaculaire de l’homme vivant » » [Debord, La Société du spectacle, § 60], qui analyse cette figure centrale de la société spectaculaire marchande, la vedette, telle que présentée et détournée par Guy Debord, de l'Internationale situationniste. A propos de l'actualité de ce théoricien/practicien de la subversion, un colloque à venir au printemps 2013 à la BNF (« Guy Debord », http://www.fabula.org/actualites/guy-debord_49355.php).

[Ad hoc, http://www.cellam.fr/?page_id=841 ]

Les Cahiers du GRM, cahier 1, 28 mars 2011, « Penser (dans) la conjoncture ».

Ces Cahiers du GRM, organe théorique du Groupe de Recherches Matérialistes (ERRAPHIS-Le Mirail), sont une revue semestrielle en ligne, « publiant des travaux consacrés aux destins du vaste et contradictoire ensemble de concepts, discours et pratiques qui, s’inspirant de la référence marxiste et communiste, a profondément marqué les deux derniers siècles, mais dont l’histoire peine aujourd’hui à redevenir lisible », peut-on lire dans la présentation, sur http://www.europhilosophie-editions.eu/fr/spip.php?mot113. Considérant des séquences de crise historique, que leur forme soit émeutière, insurrectionnelle ou révolutionnaire (1848-1851, 1870-1871, 1919-1922, 1936), les travaux réunis dans les 401 pages de ce 1er cahier « testent l’hypothèse que les répercussions des luttes collectives au sein des pratiques théoriques imposent à ces dernières des opérations conceptuelles, des gestes d’écriture et des procédures d’analyse sui generis ». Sont ainsi pensés, par exemple, « Marx et la conjoncture 1848-1851 » par Antoine Janvier, la Commune de 1871 par Stéphane Pihet, Gramsci et l'Ordine Nuovo par Livio Boni ou bien encore, l'Espagne en guerre ou en révolution par Patrick Marcolini.

[Les Cahiers du GRM, cahier 1, http://www.europhilosophie-editions.eu/fr/IMG/pdf/grm-cahier1-complet.pdf ]

C@hiers de psychologie politique, n° 21, juillet 2012.

Ce numéro de cette revue électronique présente ce que l'éditorialiste et directeur, Alexandre Dorna, nomme un « dossier polémique », sur l'altérité, la résistance et le changement. Rappelons que A. Dorna, arrêté par les militaires chiliens en 1973 pour avoir fait partie des équipes dirigeantes du gouvernement de Salvador Allende, s'exile en France. Il est professeur de psychologie sociale à l'université de Caen, où il anime le groupe d'études sur la propagande. Retenons trois contributions. D'abord celle de David Allen et Elsa Cano sur « Joseph Gabel : théoricien de la modernité ». Juif hongrois polyglotte, intellectuel sans attaches (heimatlos) et marxiste, ce philosophe et psychiatre ne pouvait que tomber dans l'oubli d'une société qui remet au goût du jour le nationalisme, le traditionalisme, le réflexe identitaire et la quête effrénée des « racines ». Ne va-t-on pas jusqu'à trouver des cercles militants d'extrême gauche attentifs à des discours dénonçant la modernité au prétexte qu'elle représente la « civilisation blanche », la « domination blanche » ? La pensée de Joseph Gabel, qui, comme G. Lukacs, fut beaucoup lu (La fausse conscience. Essai sur la réification, 1962) chez les marxistes dissidents à la fin des années 1960,  mérite assurément d'être redécouverte. Gérard Poulouin aborde, lui, le thème du chef chez Drieu la Rochelle. Pour cet auteur, il faut absolument refuser de privilégier les œuvres romanesques de Drieu, en oubliant ses positionnements politiques, qui ne seraient que posture de dandy. En réalité, Drieu a « longuement réfléchi sur le parti unique, (...) a mûrement réfléchi son adhésion au fascisme ». Quant au Hongrois Balazs Adam, sa contribution sur les sources idéologiques du régime de Viktor Orban (1er ministre de Hongrie depuis avril 2010) l'amène à plaider pour une redéfinition d'urgence des « perspectives de la critique (...) potentiellement dangereuse » [c'est l'auteur qui souligne] et pour la reconquête de la « souveraineté des idées ».

[Les C@hiers de psychologie politique, 1, rue Soufflot, 95220 Herblay, ou Université de Caen, Laboratoire CERREV, Esplanade de la Paix, 14207 Caen Cedex, sur http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique ]

Critique, n° 783-784, 2012/8, « Penser la catastrophe », 192 pages, 14 €.

Bien que la catastrophe ne soit pas une idée neuve, reconnaissons que « nous sommes assaillis de catastrophes dites « naturelles » », c'est du moins le constat des coordonnateurs de ce numéro de Critique. Pour eux, « c'est dans notre horizon d’attente que la catastrophe s’est installée, angoisse diffuse entretenue par des événements très concrets ». Sommes-nous entrés dans l'ère des catastrophe ? Dix-huit contributions tentent de répondre à cette question. Parmi elles, celle de Pedro Cordoba, « Leçon marxiste des catastrophes » (p. 718-728), qui est une réflexion sur le catastrophisme ambiant, à partir de l'ouvrage de J.- P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé (Le Seuil, 2002), qui propose de faire de la catastrophe un destin évitable. Un entretien très enrichissant de P. Cordoba avec J.-P. Dupuy suit l'article.

[Critique, les Éditions de Minuit, 7, rue Bernard-Palissy, 75006, Paris, abonnements sur critique@wanadoo.fr ]

Esprit, n° 3-4, mars-avril 2012, « Où sont les philosophes ? », n° 5, mai 2012.

En l’absence de figure de référence, la philosophie est plus que jamais éclatée en mille courants, mais aussi en des lieux différents : universités, médias, associations. Depuis plus de 30 ans, le philosophe engagé sur un modèle sartrien est globalement remplacé par « l’intellectuel spécifique » (cf. Michel Foucault) qui intervient dans des domaines précis. Cependant, si les idéologies sont moins visibles, les idées continuent, parfois secrètement, à informer le réel. Voilà donc une tâche possible pour les philosophes : « dévoiler et surtout mettre à l’épreuve les croyances et les savoirs qui irriguent le présent ». Retenons de ce numéro 5 trois articles stimulants sur des sujets de société percutants : l’inceste (Anne-Claude Ambroise-Rendu), le harcèlement moral (Cyrille Duvert), la place des enfants dans la famille (Edouard Durand). Ainsi, la proposition de remplacer l’autorité par la responsabilité parentale, abolissant toute hiérarchie dans la famille, permettrait-elle de mieux protéger l’enfant ? Quant à la notion de harcèlement moral, difficile à cerner, ne risque-t-elle pas de contribuer à l’excessive individualisation du droit au détriment de sa dimension politique et sociale ?

[Esprit, abonnement, 112 €, 212, rue Saint-Martin, 75003, Paris, www.esprit.presse.fr]

Mouvements, n° 68, 2011/4, « Gauche : Attention chantier », n° 69, 2012/1, « Changer la vie, changer la gauche ».

Rappelons l'objectif de cette revue fondée en 1998 : Alimenter le débat social, culturel et politique dans une démarche « résolument réformatrice », dans une perspective de refondation d'une pensée de gauche. Du n° 68, retenons un article de Moishe Postone, un Canadien spécialiste de l'histoire des idées et plus particulièrement du marxisme, sur « Quelle valeur a le travail ? ». Il réinterprète des textes de Karl Marx en tentant d'y introduire une dimension anti-productiviste, thème dans l'air du temps, semble-t-il. Dans l'introduction du n° 69, les auteurs proposent de « retoucher le grand récit optimiste » de la gauche, car trop de termes sont, selon eux, figés : prolétariat, progrès, émancipation etc. Il faut les remplacer par cette « nébuleuse de coquilles militantes » et de « désirs multiples » qui foisonnent. Éloge des études post-, condamnation de la modernité, qui aurait « occulté des pans entiers de l'existence de celles et ceux qu'elle a colonisés » et attention porté à des penseurs comme Jacques Ellul, Ivan Illich (qui fait ainsi une sorte de retour), tout cela semble aussi dans l'air du temps. Pourtant, se référer également au grand historien marxiste E. P. Thompson et au spécialiste du monde urbain, lui aussi ancien marxiste, Lewis Mumford paraît plutôt décalé, ici. Dans ce numéro, Stéphanie Treillet, militante de la Gauche anticapitaliste (GA) au sein du NPA, qu'elle quitte fin 2011, pose d'emblée l'échec du projet de son ancien parti, dont elle donne quelques-unes des causes. Quand à S. Kouvélakis, il analyse les échecs et recompositions de la gauche radicale, évoquant lui aussi, à propos du NPA, « le plus spectaculaire naufrage qu'un courant de ce type ait connu » récemment. Pour repérer les évolutions et involutions d'une pensée réformatrice, cette revue semble un bon sismographe.

[Mouvements, abonnements 1 an, 4 n°, 52 € et 33,50 € pour les chômeurs et les étudiants, sur www.mouvements.info]

Le Philosophoire, n° 37, 2012/1, « L'égalité », 272 pages, 16 €.

Cette revue de philosophie générale, dirigée par Vincent Citot, est fondée en 1996. Dans ce numéro, retenons l'article de Charles Boyer, « Sartre, le marxisme et l'extrême gauche », à propos de livres qui remettent Sartre dans le siècle, et un entretien de Jean-Claude Poizat (co-fondateur de la revue et chargé de cours à l'IEP Paris) avec Daniel Bensaïd sur le rôle de l'intellectuel (p. 215-233).

[Le Philosophoire, abonnement 1 an/2 numéros, 30 €, la Librairie philosophique J. Vrin, 6, place de la Sorbonne, 75005, Paris, ou sur http://lephilosophoire.wordpress.com/2011/03/18/abonnements-et-commandes/]

Littératures, films, arts, livres/bibliothèques

Belphégor, n° 3, vol. IX, décembre 2010, « Le polar politique », n° 1, vol. X, avril 2011, « Écoutes secrètes et regards dérobés », n° 2, vol. X, août 2011.

Fondée en novembre 2001, cette revue internationale d’étude des littératures populaires et de la culture médiatique a pour objectif de stimuler les recherches et de faciliter les contacts entre chercheurs, dans un esprit d’interdisciplinarité. Le mode électronique, choisi pour l’élasticité du mode de publication, permet d’échapper aux limitations techniques de tous ordres des revues papiers. L’équipe se compose de chercheurs confirmés, italiens, canadiens, allemands mais également français. Chaque numéro est lisible en six langues et une abondante et savante webographie commentée sur le champ d’étude est très précieuse. Pour ceux qui l’ignoreraient, le titre est emprunté au roman populaire éponyme Belphégor (1927) d’Arthur Bernède (1871-1937), dont il y eut une adaptation télévisée en 1965, par Claude Barma, avec une Juliette Gréco masquée et voilée de noir, errant dans les salles désertes du Louvre. Chaque numéro comporte de très nombreux articles savants sur les romans feuilletons, sur les héros de bande dessinée, etc. ainsi que des notes de lectures ou des appels à contributions pour des colloques. Dans le n° 3, consacré au « polar politique », quatre contributions retiennent l'attention : celle sur l'enquête policière qui devient une enquête politique chez Yasmina Khadra, auteur algérien, par Claudia Canu, celles sur l'Argentine par Jean-Baptiste Thomas, « Rodolfo Walsh ou le polar de la résistance péroniste » et Geneviève Orssaud, « Écriture d'une histoire politique à travers le polar militant en Argentine », qui accorde toute sa place, entre autres, à Rolo Diez (Vladimir Illitch contre les uniformes, Gallimard, 1992). Le dernier article, tout à fait passionnant, concerne le roman criminel [Krimi] allemand sous le nazisme, par Vincent Platini. Ce numéro permet ainsi de mieux préciser les réponses à donner aux problématiques suivantes : le polar est-il subversif ou sécuritaire ? Répond-il à des logiques sociales dominantes ou est-il plutôt hors normes ? Le n° 1 s'intéresse, parmi d'autres sujets, au film allemand La Vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck, 2006), analysé par Mélikah Abdelmoumen, et à un bilan sur le roman et le film d'espionnage, par Norbert Spehner. Dans le n° 2, Matthew Screech présente et explique l'utilisation des personnages de la BD Tintin par Le Canard enchaîné dans les années 1950 et 1960 (en anglais), tandis que François Laforge s'intéresse au thème suivant, « Race, histoire et décadence dans les récits « préhistoriques » de J. H. Rosny aîné ».

[Belphégor, sur http://etc.dal.ca/belphegor/instructions_fr.html]

Le Débat, n° 170, mai-août 2012, « Le livre, le numérique ».

Le but de ce numéro, par le biais d’une longue interview (Antoine Gallimard) et de nombreuses contributions (Antoine Compagnon, Erik Orsenna, Robert Darnton etc…) est de sonder les différents aspects et les conséquences de la révolution numérique en cours : « comment sauvegarder les conditions d’une production littéraire et intellectuelle indépendante dans une situation qui menace d’être dominée par de quasi monopoles techniques et commerciaux? »

[Le Débat, abonnement, 68 €, Sodis Revues, BP 149, 128, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny 77403 Lagny Cedex, www.le-debat.gallimard.fr]

Florilèges, n° 148, septembre 2012, « Présence de Marcel Martinet », 64 pages, 8 €.

Cette revue trimestrielle dijonnaise de « création artistique et littéraire », publiée par l'Association Les Poètes de l'Amitié, consacre un dossier à Marcel Martinet. Charles Jacquier, de la revue Agone, signe un article détaillé et précis (précédemment publié dans A contretemps en 2005) sur l'itinéraire de ce poète et militant « contre le courant ». Le second article est de Vincent Chambarlhac, de Dissidences, auteur d'une thèse sur Marcel Martinet à l'Université de Bourgogne en 2000, qui intervient sur le recueil de poèmes Les Temps maudits, œuvre pacifiste qui « apostrophe une guerre que l'on voue aux gémonies », mais aussi œuvre poétique puisque le « poème est l'arme du dissident dans les démocraties en guerre ». Nicole Perron, historienne et spécialiste de la Libre pensée, revient sur le pacifisme militant de Marcel Martinet, sur sa rupture avec Roman Rolland lorsque ce dernier devient compagnon de route des communistes staliniens et sur la mémoire du poète dans les cercles laïques militants actuels. Une historienne italienne de la littérature, Maria Chiara Gnocchi, aborde dans un court article le rôle de Marcel Martinet comme passeur entre milieux littéraires, scolaires et syndicaux. Ce numéro comporte également, outre des nouvelles, des dessins et des poèmes, un article de Jean Claval sur la vie mouvementée de l'écrivain afro-américain James Baldwin, un temps proche des militants pour les droits civiques, et auteur entre autres, en 1963, de La prochaine fois, le feu.

[Florilèges, abonnement pour 4 numéros, 28 €, Florilège – Les Poètes de l'Amitié, 19, allée du Mâconnais, 21 000 Dijon]

Les Grandes figures historiques dans les lettres et les arts, n° 1, 2012.

Sous ce titre improbable, une nouvelle revue électronique, patronnée par l'Université de Lille 3, dont le projet se trouve dans « la lignée des réflexions actuelles sur la notion de perspective en histoire ». Il s'agit d'étudier la mise en récit ou en image de l'Histoire. Parmi les articles, retenons celui de Katia Hayek, « Représentations romanesques d'une figure historique : Jeanne d'Arc, jeune fille de France brûlée vive, de Max Gallo, à la lumière des textes de Voltaire et de Jules Michelet », et de Olivier Wicky, qui interroge les figures de la Guerre de Cent Ans (dont Jeanne d'Arc de nouveau) chez Louis Aragon.

[Les Grandes figures historiques dans les lettres et les arts, http://figures-historiques.revue.univ-lille3.fr/]

Histoire@politique, n° 15, septembre-décembre 2011, « Contribution à l'étude des circulations culturelles transnationales » et n° 17, mai-juillet 2012, « Gaullistes, femmes et réseaux ».

Dans ce numéro 15 coordonné par Emmanuelle Loyer, Laurent Martin et Marie Scot, un article retient notre attention. C'est celui de Ioana Popa, « La circulation transnationale du livre : un instrument de la guerre froide culturelle ». L'auteure, chargée de recherches au CNRS, aborde la guerre froide sous l'angle des transferts culturels Est/Ouest en ciblant les flux de livres envoyés du « monde libre » vers les pays communistes d'Europe, à partir de 1956, après le fameux XXe congrès du PCUS. Son travail trace les contours de stratégies de combat anticommuniste par l'imprimé, mises en place grâce, entre autres, à Radio Free Europe, créée au début des années 1950. Dans les varia du n° 17, une contribution enrichissante de François Chaubet sur « Gallimard et les sciences humaines : le tournant des années 1940 ». L'auteur indique que les éditions Gallimard connaissent une sorte de seconde naissance avec l'acquisition d'une « nouvelle identité intellectuelle autour de la galaxie existentialiste », avant de changer de paradigme à la fin des années 1950, autour cette fois-ci de la galaxie structuraliste.

[Histoire@politique, Politique, culture, société, http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=15&rub=revue]

Lignes, n° 38, mai 2012, « Littérature & pensée », 312 pages, 20 €.

« La littérature est le problème. La philosophie est le discours » écrit, à partir de Kafka, Alain Jugnon (p. 205). Les articles rassemblés ici tentent de déconstruire ce topos dominant en mettant en évidence le retour réflexif sur soi de la littérature. Au fil des pages, plusieurs noms – comme on pouvait s'y attendre – reviennent avec insistance : Barthes, Blanchot, Artaud, Bataille, Derrida, ... Mais des auteurs plus « rares » et contemporains sont également convoqués tels que les poètes Christian Prigent, dans l'article de Sylvain Santi (p. 119-133), et Jean-Michel Reynard, dans les pages que lui consacre Michaël Trahan (p. 135-147). Les extraits donnés et commentés de ses « blocs » de poèmes (p. 142-144) dans L'Eau des fleurs, où il est question de la mort de sa mère sont d'ailleurs d'une beauté saisissante : « ce sont des poèmes où la figure de la mère est retrouvée dans toute sa gravité, mère tantôt « si légère », tantôt « si lourde », dit le fils qui écrit comme s'il déposait son corps dans un tombeau creusé à même la terre ou la langue » (p. 142).

Une place à part est faite au romantisme allemand et plus particulièrement à Novalis, que Boyan Manchev rapproche de Marx autour de cette morale poétique de romantisation du monde. « Marx rejoint Novalis dans l'affirmation radicale du caractère prospectif de la philosophie et de la poésie, dans sa volonté ontologique, tout en la posant à la base de la poïesis matérielle » (p. 173). Le poète serait alors « le modèle de l'ouvrier non aliéné qui transforme le monde (p. 177). Et Manchev d'en appeler au fantastique « pour enflammer l'imagination (...) qui engendre les images d'un nouveau monde » (p. 180).

Notons encore dans ce riche numéro, l'étude de quelques paradoxes de Blanchot, notamment autour de sa lecture des « aphorismes » d’Héraclite et de Pascal (p. 235-251), la discussion de l'interprétation critique par Günther Anders de Kafka – « philosophiquement et moralement inutilisable » (p. 226) – et une interrogation très actuelle de « l'espace de la parole des suppliants » (p. 311) dans L'Orestie d'Eschyle.

[Lignes, Nouvelles Éditions Lignes, 90 quai Maupassant, F-76400 Fécamp – http://editions-lignes.com]

Mouvements, n° 67, 2011/3, « Du polar à l'écran. Normes et subversion ».

Si en 2000, la revue avait consacré un de ses numéros au polar écrit, celui-ci est dédié au polar filmé. Quant à la problématique, elle n'est pas nouvelle puisqu'elle parcourt l'univers des commentateurs de ce genre depuis bientôt 80 ans. Des auteurs aussi prestigieux et inattendus que Maxime Gorki, Walter Benjamin, George Orwell, Ernst Bloch ou Ernest Mandel (Meurtres exquis, 1987) ont d'ailleurs apporté leur contribution à ce débat récurrent. Dans ce numéro, sans surprise, des spécialistes reconnus comme Claude Mesplède ou des auteurs comme Dominique Manotti présentent leur vision du sujet. Et puisque tout un chacun peut se rendre compte, depuis quelques années, de l'explosion des séries et films télévisuels policiers, tant français qu'étatsuniens (de Cold Case à Braquo) on lira avec intérêt l'article de Max Obione consacré à la série américaine hors normes, The Wire.

[Mouvements, abonnements 1 an, 4 n°, 52 € et 33,50 € pour les chômeurs et les étudiants, sur www.mouvements.info]

La Quinzaine littéraire, n° 1066, 1er-31 août 2012, « Écrire le futur ? », 3,80 €.

Coordonné par Benoit Laureau et Serge Lehman, ce numéro spécial dresse un panorama des littératures d'anticipation, sous l'autorité de la revue Arguments (septembre 1958) qui énonçait que la « pensée anticipatrice, c'est la prise de conscience de la mutation qui se prépare ». Nouvelles et articles de fond alternent. Parmi ces derniers, retenons par exemple celui de Catriona Seth sur l'uchronie (l'histoire alternative), celui de Marc Angenot sur le modèle sémiotique centrifuge des écrits de science-fiction ou de Alberto Manguel (La Bibliothèque, la nuit, Actes sud, 2006) sur « La cartographie du futur ».

[La Quinzaine littéraire, abonnement 1 an, 23 n°, 65 € (étudiants, 50 €), 135, rue Saint-Martin, 75194 Paris Cedex 04, www.quinzainelitteraire.net]

Quinzinzinzili, l'univers messacquien. Revue d'informations littéraires et socioculturelles, n° 18, été 2012.

Cette revue littéraire consacre, dans son dernier numéro, outre un retour sur Rocambole, le héros de Ponson du Terrail, un long article à « J.H. Rosny aîné : Le fatalisme darwinien d’un vitaliste empathique » (p. 18 à 23). Poursuivant son analyse de la première science-fiction française, celle qui court de ses débuts au XIXe jusqu'à l'immédiat après Seconde Guerre mondiale, Jean-Guillaume Lanuque, de Dissidences, se penche sur la figure majeure de J.H. Rosny aîné à l'occasion de la sortie du recueil La Guerre des règnes. Il insiste ainsi, au-delà de la centralité de l'idée d'évolution des espèces dans les oeuvres du romancier, sur son incontestable progressisme, son spiritualisme matérialiste et son rêve d'harmonie des espèces concurrentes, ce qui l'amène à rejeter avec virulence l'option révolutionnaire. Cette revue de qualité, consacré aux littératures dites « marginales », a par exemple publié dans son n° 14 un texte de Léo Malet sur le roman policier publié initialement dans Le Monde libertaire en 1956, et un de Jack London de 1905, traduit par Régis Messac en 1939.

[Quinzinzinzili, l'univers messacquien. Revue d'informations littéraires et socioculturelles, 5  € le numéro, abonnement de 18 € pour un an et 24 € pour l'étranger (12 € pour les adhérents de l'association des Amis de Régis Messac), trimestriel, Société des amis de Régis Messac, 71 rue de Tolbiac, Paris XIIIe, www.regis-messac.fr]

Amériques

Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°103, 3/2011, « Nouvelles écritures de l’histoire du Brésil ».

A l’exception de Bruno Groppo, tous les contributeurs de ce numéro spécial sur le Brésil sont des chercheurs brésiliens. Il est loin le temps où le Brésil faisait appel à des maîtres français, Fernand Braudel, Roger Bastide, Pierre Monbeig ou Claude Lévi-Strauss, pour animer ses universités. Désormais les chercheurs brésiliens ont pris leur envol, d’un bout à l’autre d’un pays « où il est plus aisé de mobiliser des ressources pour la recherche qu’en Europe », comme il est dit à juste titre dans l’éditorial. Ainsi, Maria Luiza Tucci Carneiro, professeur reconnue de l’USP (Université de São Paulo) livre, dans son article « Rompre le silence : l’antisémitisme au Brésil », une synthèse de son travail de révision de la période idéalisée de Getulio Vargas, « Gégé », « père de la nation », dans les années 1930-45. Daniel Aarão Reis revient, lui, sur « les années sombres », près de 20 ans de dictature militaire initiés par le coup d'État de 1964. Il appelle les chercheurs à faire une véritable histoire de cette période, et non une « histoire officielle », fût-elle de gauche. Dans les articles suivants, histoire des relations internationales du Brésil, histoire sociale, féminisme, sont à l’ordre du jour.

[Matériaux pour l’histoire de notre temps, abonnement, BDIC, 6, allée de l’université, 92001 Nanterre Cedex, 50 € pour 4 numéros. www.bdic.fr/materiaux/index.htm]

Divers

Cahiers du mouvement ouvrier, n° 53, premier trimestre 2012.

Retour à un numéro varia pour cette nouvelle livraison, qui propose d’abord plusieurs articles en lien direct avec l’actualité. Rémy Janneau, dans la lignée des contributions régulières sur la Révolution française, livre une critique utile des travaux de Reynald Sécher qui persiste à faire de la guerre de Vendée un génocide, à l’occasion de la parution de son dernier livre, Vendée : du génocide au mémoricide, Stéphane Courtois y livrant une postface. Ensuite, autour de la même période, Nicole Perron critique pour sa part Esther Benbassa, sénatrice verte et chercheuse, qui, dans une optique très postcolonial studies, accuse au sein de la revue Mouvements (septembre 2011) les jacobins de sexisme, de racisme et de partisans du catholicisme, ce qui apparaît pour le moins réducteur, anachronique et outrancier .Jean-Jacques Marie s’attaque pour sa part à la – médiocre – biographie de Robert Service sur Trotsky (le titre cède toutefois à la facilité de la polémique militante : « Trotsky et l’idiot de Service »). Enfin, Frank La Brasca s’intéresse aux « Débuts « prometteurs » de l’impérialisme italien : l’expédition de Libye (1911-1912) », en écho à l’intervention occidentale contre le régime de Kadhafi. Concernant l’histoire de l’URSS, Jean-Jacques Marie présente les rapports entre « Les décistes et l’opposition de gauche », avec en annexe la reproduction de la Déclaration des 83 (en fait des 84) de 1927. Mais c’est surtout l’article de Charles Allain qui retient l’attention. Se penchant sur « Les famines soviétiques de 1932-1933 », il critique l’utilisation du qualificatif de génocide s’agissant du cas ukrainien ; pour appuyer sa thèse, il s’efforce de démontrer que l'État soviétique n’a pas orchestré une famine principalement subie, et que les mesures répressives décidées ne concernèrent pas seulement l’Ukraine, mais également les autres grandes régions céréalières. Autre article important, celui de Marcel Picquier, qui poursuit son analyse du parcours et de l’œuvre de Walter Benjamin (voir notre recension des Cahiers du mouvement ouvrier n° 52). Ce sont surtout ses « Thèses sur la philosophie de l’histoire » qui sont ici décryptés, l’auteur y voyant une démonstration de marxisme révolutionnaire parfaitement athée et non-écologique2. Parmi les notes de lecture, on signalera celle de François de Massot sur la biographie de Lénine par Jean-Jacques Marie et celle consacrée par ce dernier au livre d’Eric Teyssier sur Spartacus (tous deux chroniqués dans notre revue électronique et sur notre blog), l’ensemble dédié à la Première Internationale autour des ouvrages de Mathieu Léonard et Michel Cordillot, ainsi que celle de Liliane Fraysse sur La véritable histoire du parti communiste français de François Ferrette (lui reprochant une focale trop exclusivement nationale et réaffirmant la problématique trotskyste de stalinisation du PCF, également évoquée dans les plus récents Cahiers du CERMTRI). Notons pour conclure l’éclairage sur le livre Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971, qui semble particulièrement recommandable, et l’exemple pris par Jean-Jacques Marie de la censure bureaucratique en URSS avec le livre d’Anatoli Kouznetsov, Babi Yar, récemment réédité.

Cahiers du mouvement ouvrier, n° 54, second trimestre 2012.

Nouveau numéro varia, qui met toutefois en valeur sur sa couverture les événements qui se sont déroulés en 1962 à Novotcherkassk. Dans cette ville d’URSS, comme le retrace l’article de Jean-Jacques Marie, la hausse des prix alimentaires avait engendré un mécontentement ouvrier débouchant sur une grève et une profonde contestation des autorités, provoquant, face au risque de propagation, une répression féroce. On retrouve une série de contributions contrant la démarche de Reynald Sécher, principalement autour d’une émission télévisuelle de L’Ombre d’un doute, sur la Vendée, présentée par le monarchiste Franck Ferran (diffusée le 7 mars 2012 sur France 3 et non FR3, comme indiqué par erreur) : la plus solide est celle de Rémy Janneau, Nicole Perron analysant pour sa part le téléfilm consacré par France 2 à Toussaint Louverture. Parmi les autres articles, citons celui de Ryszard Rauba sur « Rosa Luxemburg et le Dimanche rouge », principalement descriptif, et celui de Marc Teulin sur « La guerre d’Algérie. La SFIO, le PCF et l’Algérie… », qui ne propose pas d’explications sur les positions coloniales prises par les deux partis, se contentant d’une dénonciation assez peu novatrice. On lui préfère les extraits d’un reportage datant de 1958, réalisé par un journaliste belge sur un maquis MNA. Quelques autres documents sont également publiés, mais ils demeurent relativement anecdotiques (un questionnaire soumis par Trotsky aux délégués du IIIe Congrès de la Comintern, une lettre de l’ambassade de France au Danemark, au sujet des événements de Russie en pleine guerre civile, truffée de rumeurs et de contre-vérités, une brève lettre de Lénine d’octobre 1922). François Ferrette répond pour sa part à la critique qui était faite de son livre dans le numéro précédent, et à la rubrique traditionnelle « Chronique des falsifications » a été ajoutée celle des « Perles », marquée en particulier par une critique féroce de Jean-Jacques Marie à l’égard de Benjamin Stora (« De Gaulle, libérateur des peuples ? »). La « Liste des thèses déposées au CERMTRI », utile par principe, souffre malheureusement de diverses erreurs ou oublis d’autant plus étonnants qu’un travail du même type (qui n’a semble-t-il pas été véritablement repris) avait déjà été réalisé dans les Cahiers du CERMTRI.

[Cahiers du mouvement ouvrier, 28, rue des petites écuries, 75010 Paris, 8 ou 10 € le numéro, 30 € l’abonnement annuel pour quatre numéros (35 € pour l’Europe, 40 € pour les autres continents)]

Le Débat n° 169, mars-avril 2012.

La revue fait réagir un certain nombre de sociologues à propos de deux ouvrages importants sur ce qu’il est convenu d’appeler la crise des banlieues. Le premier, sous la direction de Gilles Kepel, Banlieue de la République. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, paru chez Gallimard en 2012, nous livre les résultats d’une enquête approfondie menée dans ces villes. Toujours chez Gallimard et également en 2012, Gilles Kepel poursuit la réflexion dans Quatre-vingt-treize (un titre emprunté à Victor Hugo), qui dépeint dans cet ouvrage une France dont les enfants se livrent une guerre fratricide. Nous sommes en 1793, et allusion au 9-3 ! Ces ouvrages et ces réflexions font suite à un livre vieux de 25 ans, du même Gilles Kepel, Les banlieues de l’Islam. Au pessimisme du constat : communautarisme, ségrégation, rejet des normes collectives françaises… les autres intervenants font écho. Ainsi Malika Sorel-Sutter note l’affirmation d’une culture de l’entre-soi, du contrôle accentué de l’individu par le groupe (le halal par exemple, qualifié de ciment de la muraille identitaire). Hugues Lagrange, directeur de recherches au CNRS, note « la distanciation (de ces populations) avec un monde qui les a privés de dignité, et la construction délibérée par elles d’une identité séparée, l’affirmation de l’appartenance à une communauté qui les protège ». Les réponses à ce constat divergent. Gilles Kepel appelle à la résolution urgente de la question sociale sous peine de révolution, Hugues Lagrange se demandant s’il ne serait pas possible d’aller vers « la reconnaissance d’entités collectives infranationales », permettant ainsi le vivre ensemble.

[Le Débat, abonnement, 68 €, Sodis Revues, BP 149, 128, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny 77403 Lagny Cedex, www.le-debat.gallimard.fr]

Esprit n° 1, janvier 2012, n° 2, février 2012.

Esprit, qui fête ses 80 ans – cette revue fut fondée en effet en 1932 –, consacre l’essentiel de son numéro de janvier à la crise du logement. Logements insalubres, loyers et prix d’achat des logements en hausse rapide en sont les manifestations les plus éclatantes. Économistes, sociologues, et le délégué de la Fondation Abbé Pierre s’interrogent sur la politique urbaine à mettre en place, sur la nécessaire relance du logement social. Surtout consacré à la campagne présidentielle en cours à l’époque, ce numéro 2 faisant appel à la fois aux militants (interview de Daniel Cohn-Bendit) et aux spécialistes apporte bien peu d’éclairages novateurs. Retenons malgré tout une idée originale : faire s’exprimer brièvement des spécialistes divers sur les « mots » de la campagne. Ainsi Georges Vigarello s’inquiète-t-il, à propos du mot « mou », de voir revenir la nostalgie du « chef » ou « du coup de menton purement artificiel qu’il peut cacher ! ».

Esprit n° 6, juin 2012. « La crise, comment la raconter ? », n° 7, juillet 2012, n° 8-9, août-septembre 2012.

Alors qu’elle est partout dans l’espace économique, politique, la crise ne semble pas encore avoir conquis notre imaginaire. Ce numéro 6 se demande pourquoi, contrairement à la Grande Dépression qui évoque immédiatement les visages émaciés des fermiers américains, « la crise actuelle n’a pas été saisie à bras-le-corps par les artistes, et ne fait pas l’objet de représentations emblématiques ». Théâtre, arts plastiques (voir l’article de Paul Thibaud sur Matisse) sont au sommaire d’un numéro 7 consacré surtout aux universités confrontées à des procédures d’évaluation contestables (le titre du numéro : « Les mirages de l’excellence »). Entre retour sur Simone Weill (voir notamment l’article de Daniel Lindenberg, « Politique de Simone Weill ») et étude des États d’Amérique centrale confrontés au narcotrafic, ce numéro double de l'été confirme l’éclectisme de la revue.

[Esprit, abonnement, 112 €, 212, rue Saint-Martin, 75003, Paris, www.esprit.presse.fr]

Histoire@politique. Politique, culture, société, n° 14, mai-août 2011, « L'expertise face aux enjeux biopolitiques. Genre, jeunes, sexualité », n° 16, janvier-avril 2012, « La culture économique des hommes politiques à l'épreuve du pouvoir ».

Dans ce numéro 14, coordonné par Ludivine Bantigny, Christine Bard et Claire Blandin, divers articles sont une mise en perspective historique de la genèse de l'expertise, de ses usages et mésusages ainsi que des questions de fond qu'elle pose. Dans le n° 16, remarquons d'abord dans les varia deux contributions. Celle de Roberto Colozza, « Une affinité intellectuelle, une proximité politique. Lelio Basso, Gilles Martinet et la « deuxième gauche » » et celle de Alec G. Hargreaves sur l'ethnicisation du jeu électoral français à partir de 1983. En conclusion, ce chercheur étatsunien écrit : « Après le tournant de la rigueur en 1983, une frange importante de l’électorat bascule dans le camp d’un parti d’extrême droite qui prétend que l’apparente impuissance de l’ensemble des formations politiques classiques face à la crise ne peut être surmontée qu’en recentrant le débat politique autour des différences ethniques. Trois décennies plus tard, l’ethnicisation de la vie politique ne cesse de se confirmer. » Dans « Pistes & Débats », Vincent Chambarlhac, de Dissidences, analyse le nouage de l'histoire et du discours politique dans la polémique actuelle autour de la notion de roman national (« Les prémisses d'une restauration ? L'histoire enseignée saisie par le politique »). Pour lui, le politique questionne régulièrement « l'épistémologie de la discipline enseignée et scientifique ». Les récents débats provoqués, entre autres, par le livre de Lorànt Deutsch (Métronome, l'histoire de France au rythme du métro parisien, M. Lafon, 2009) ou par le récent n° 4 (octobre 2012) du Figaro Histoire, « La vérité sur l'histoire à l'école » attestent de cette réalité. Pour une connaissance de ces débats, se reporter à http://aggiornamento.hypotheses.org/.

[Histoire@politique, Politique, culture, société, http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=15&rub=revue]

Le Mouvement Social, n° 238, janvier-mars 2012.

Ce numéro publie un texte inédit important de Lucien Febvre, le créateur des Annales avec Marc Bloch, daté de 1919-20 (p. 17-51). Dans ce travail d'« histoire immédiate », le professeur à l’université de Dijon puis de Strasbourg s’efforce de saisir l’originalité d’un syndicalisme ouvrier français soucieux de son autonomie par rapport au PS. Alors que pour le PS la révolution passe par les urnes et la mainmise sur l'État, la CGT syndicaliste révolutionnaire privilégie la grève générale et l’association des producteurs. Ce texte est éclairé par une substantielle introduction due à Jean Lecuir (p. 3-15). Notons aussi l’intéressant débat sur le récit historique entre François Buton et Raphaëlle Branche à propos du livre de cette dernière, L’embuscade de Palestro, Algérie 1956, publié chez Armand Colin.

Le Mouvement Social, n° 239, avril-juin 2012.

Ce numéro comporte un dossier sur « Pensées et pratiques de l’habitat en France au XXe siècle », puis fait place notamment à une étude sociologique de Nuno Pereira et Renate Schär, doctorants des universités de Lausanne et de Berne, sur « les soixante-huitards helvétiques ». Notons aussi le vibrant hommage rendu par Patrick Fridenson à l’historien américain David Montgomery, décédé à 84 ans le 2 décembre 2011, qui « était à la fois, pour l’histoire sociale, un des plus grands historiens au monde et un homme constamment engagé, aux plans national et international, [et] qui est resté jusqu’au bout un militant ». Bien peu de ses écrits, note-t-il, ont été traduits en français.

[Le Mouvement Social, abonnement annuel, 56 €,  service Abonnements Elsevier Masson SAS 62, rue Camille Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux Cedex]

La Revue des livres, n° 5, mai-juin 2012, 80 pages, 5,90 €.

Rappelons que cette RDL a pris la suite de la RILI (Revue internationale des livres et des idées) en septembre-octobre 2011 et qu'il s'agit d'une revue qui s’appuie sur les livres récents pour traiter des questions d’actualité. Ce numéro 5 est très riche en synthèses d'ouvrages eux-mêmes pertinents. Que ce soit la contribution de Nicolas Hatzfeld qui fait retour sur le livre majeur du britannique E. P. Thompson, La Formation de la classe ouvrière anglaise, celles de Daniel Zamora et Nic Görtz sur le radical étatsunien Saul Alinsky, de Roberto Negro et de Daniele Comberiati à propos des ouvrages sur les « années de plomb » italiennes ou de Xavier Vigna sur le renouvellement et la vivacité des études ouvrières (voir la recension de son ouvrage sur notre blog, http://dissidences.hypotheses.org/248), toutes apportent arguments, analyses fines et pistes de réflexion sur le mouvement ouvrier et révolutionnaire. Le lecteur est d'autant plus abasourdi de trouver, au milieu de ces réflexions de qualité, un article de la porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR), plaidoyer pro domo en faveur du tueur antisémite Mohamed Merah. A la fin de l'article, un encadré de la rédaction indique que la RDL a décidé de publier ce papier, malgré « de vifs débats » en son sein, pour ouvrir « un cycle de discussion et de réflexions sur la question de la « race » en France aujourd'hui » (p. 51). Nous reconnaissons là des thématiques chères à certains membres du collectif éditorial de la revue (F. Boggio Ewanjé-Épée, Laurent Lévy par exemple), thématiques de plus en plus visibles et décomplexées, dont l'attitude plus qu’ambiguë de certains secteurs de l'extrême gauche à leur égard est justement pointée par des collectifs comme Initiative communiste ouvrière ou des revues comme Ni patrie ni frontières (voir supra).

[La Revue des livres, abonnement, 6 numéros + 1 hors-série + accès aux archives en ligne de la revue, 35 €, RDL service abonnement, 31, rue Paul Fort, 75014 Paris, ou sur www.revuedeslivres.fr/abonnement]

Vacarme, n° 58, été 2012, 252 pages, 12 €.

L'ouverture, signée collectivement, appelle à la mise en place d'une « gauche clivante », qui rompe avec la conception purement électoraliste – les auteurs rappellent que les victoires électorales de la gauche sont précédées et irriguées d'intenses mobilisations populaires (Mai 68, hiver 95) – et défende « l'opposé exact de la culture de droite d'aujourd'hui, dominante jusque dans la gauche « populaire » » (p. 27).

Le Cahier s'ouvre sur une lettre de revendications des prisonniers du centre de détention de Roanne (p. 30-34), suivi de divers articles dont on retiendra surtout le témoignage d'Emmanuelle Gallienne, travaillant avec des migrants à Paris et cherchant à « rendre perceptible l'usure de l'attente » (p. 58), les pages de Cécile Casanova interrogeant, sous « l'apparente simplicité » du slogan « We are the 99% », « une conception beaucoup plus radicale qu'il n'y paraît (...) qui fédère la population américaine au-delà de tout corporatisme social, communautaire et politique » (p. 110), et les très belles images de lutte du collectif syrien « le peuple syrien sait où il va » (p. 114-120). Le retour sur le mouvement du 15-M en Espagne montre la tension entre une lecture « héroïque » et acritique – un mouvement « rompant avec les mythes de la vieille politique » (p. 132) ; cette rupture étant elle-même un mythe – et une interrogation plus complexe en termes de filiation, de limites, de déconnexion et de changements (l'entretien avec Daniel Vasquez, l'un des hacktivistas espagnols). Demeure la question, toujours fondamentale : « comment faire de la politique aujourd'hui ? » (p. 131). Le Chantier aborde l'appétit contemporain des ruines, par le biais notamment d'un long et intéressant article de Diane Scott. Cependant, celle-ci ne se différencie pas suffisamment d'une lecture post-moderne et sa distinction d'un régime de la ruine de guerre, après la Commune par exemple, et la ruine postmoderne n'est pas entièrement convaincante (p. 184-185). Un entretien avec André Orléan autour de la déconstruction de la valeur en économie termine le numéro. Malgré des remarques stimulantes, le lecteur reste sur sa faim par rapport au clivage qu'il instaure entre biens utiles et biens liquides, « oubliant » que l'utilité est définie socialement.

Vacarme, n° 59, printemps 2012, 256 pages, 12 €.

Vacarme demeure une revue résolument ouverte à l'internationalisme. Ainsi, le lecteur appréciera dans ce numéro les articles abordant, sous un angle original, les situations en Hongrie et à Sarajevo. Dans le premier cas, elle interroge le théâtre local, sachant que celui-ci « est devenu l'une des scènes où se joue l'avenir de la démocratie » (p. 32). Elle soulève en outre un problème, qui n'est pas propre au cas hongrois : le fait que « cette « société civile » est en difficulté dans son rapport au politique » (p. 38). Pour ce qui est de Sarajevo, Ariane Chottin, Caroline Izambert et Marion Lary rappellent la « configuration administrative extrêmement complexe » (p. 130) de l'État de Bosnie-Herzégovine, composé de deux entités et d'un district, et créé par les accords de Dayton en 1995, « selon une stricte grille de lecture ethnique » (p. 128-130). Le Chantier explore également les mobilisations et résistances, notamment à travers le travail artistique d'Adela Jusic, le mouvement Dosta ! (Assez!) et l'action des militants LGTB (Lesbien, Gay, Bisexuel, Transexuel).

On notera également une salutaire mise en garde contre l'instrumentalisation de la laïcité au profit de la droite gouvernementale, et une étude intéressante sur le cinéma de Sylvain Georges, liant esthétique, éthique et politique. Enfin, le numéro se clôt sur un long entretien avec le géographe marxiste David Harvey3. Celui-ci revient sur son parcours – c'est au moment de la guerre du Vietnam qu'il s'est intéressé aux conséquences géopolitiques des théories de Marx sur l'impérialisme – et sur son concept d'« accummulation par dépossession », à partir duquel il a réinterprété la crise et la mondialisation. Ainsi, selon lui, « il y a deux domaines dont le capitalisme ne veut pas ou plus assumer les coûts : tout ce qui relève de la reproduction sociale d'une part (santé, éducation, etc.) ; l'environnement d'autre part. L'un des objectifs principaux du néolibéralisme des années 1990 a été de transformer ces coûts en externalités » (p. 245).

[Vacarme, Paris, éditions Amsterdam – www.vacarme.org]

Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, n° 114, avril-juin 2012, « Patrons et patronat en France au XXe siècle », sous la direction de Jean-Claude Daumas.

Se situant dans le prolongement de l’important Dictionnaire historique des patrons français (Flammarion, 2010), ce numéro revient sur trois thèmes : la sociologie du patronat (articles d’Hervé Joly, de Jean-Claude Daumas), les organisations qu’il s’est donné (Centre des Jeunes Patrons – 1938-44 – étudié par Florent Le Blot, Union des Industries métallurgiques et minières, 1901-40, par Danièle Fraboulet) et les rapports qu’il entretient avec le politique. Dans cette dernière rubrique, notons l’article de Gilles Richard sur la façon dont les patrons défendent leurs intérêts dans le cadre de la République. Olivier Dard, dans « Mythologies conspirationnistes et figures du discours antipatronal », examine les fondations de cette posture au milieu du XIXe siècle (stigmatisation des Rothschild), puis étudie son « âge d’or » (dénonciation des « Deux cents familles », maîtres de la France dans les années 30) et s’interroge sur les mutations et le déclin de ce discours.

[Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, abonnement, 4 numéros, 51 €, Presses de Sciences Politiques, 117, Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris ou www.abonnementssciencespo.fr]

REVUES MILITANTES OU A PERSPECTIVES MILITANTES

Convergences révolutionnaires n° 80, mars-avril 2012, 40 pages.

Publiée par un groupe de militants qui s’intitule toujours curieusement « la Fraction L’Etincelle de Lutte Ouvrière », mais qui est aujourd’hui partie prenante du NPA, la revue appelle à voter Poutou dans son éditorial. Dans leur dossier « Protectionnisme, Made in France » (p. 5-14), ces militants internationalistes s’insurgent contre cette « fausse solution » à la crise. Pour eux, une seule solution : réorganiser l’économie mondiale en fonction des besoins de l’humanité, à l’échelle internationale, en commençant par renverser le capitalisme. Témoignant de cet internationalisme, des articles sur le Sénégal avant l’élection présidentielle, l’Iran et l’Argentine. Sur ce dernier pays, un article intéressant sur le délabrement des chemins de fer privatisés depuis les années 1980. Un délabrement qui s'est traduit, le 22 février 2012, par un accident qui fit 51 morts et 700 blessés sur un train de banlieue de Buenos Aires.

Convergences révolutionnaires n° 81, mai-juin 2012, 30 pages.

Le dossier « SNCF : la privatisation sur les rails » (p. 11-19) rend compte de manière détaillée d’une évolution qui pourrait bien en effet remettre rapidement en cause le statut des cheminots. Quant au bilan de l’élection présidentielle en France, l’éditorial appelle l’extrême gauche à se défier des faux alliés, « réformistes, dont les reniements passés, actuels ou à venir, ont fait ou feront le lit de l’extrême droite ». Elle doit donc avancer « avec son propre programme », « avec ses propres termes » et « ses propres objectifs de lutte de classe ».

Convergences révolutionnaires n° 82, juillet-août 2012, 35 pages.

Un numéro d’été résolument internationaliste : Grèce, Québec, Égypte, Syrie, avec une série de conseils de lecture de romans portant sur la Russie, l’Ukraine ou les pays de l’Est.

Dans l’éditorial, il est rappelé que les travailleurs, notamment ceux d’Aulnay-PSA, n’ont pas grand chose à attendre du gouvernement dirigé par un socialiste, malgré la présence du « ministère du redressement productif » dévolu à Arnaud Montebourg. Dans les dernières pages est reproduite la contribution de la Fraction L’Etincelle à la Conférence nationale du NPA (7-8 juillet 2012). Certes l’unité des travailleurs est souhaitable, « mais elle n’est pas équivalente à l’unité des organisations » : alors que le gouvernement de gauche s’apprête à faire payer au monde du travail la crise capitaliste, « le NPA ne doit affirmer de solidarité autre qu’au coup par coup avec des organisations – entendez le Front de Gauche – qui apparaissent elles-mêmes solidaires en tout ou en partie de cette gauche ». Et de demander à la direction du NPA qu’elle mette fin à la politique du « tout électoral », l’appelant à se recentrer sur les luttes.

[Convergences révolutionnaires, abonnement annuel, 9 € (15 € en soutien) pour 6 numéros, chèque à l’ordre de « Les Amis de Convergences », BP 128, 75921 Paris Cedex 19. Une augmentation du prix au numéro, et sans doute de l’abonnement, est annoncée : de 1,50 à 2 €]

Inprecor n° 581/582, février-mars-avril 2012.

Ce numéro est composé essentiellement de trois dossiers. Le premier, sur la Grèce, reproduit des documents sur les luttes des salariés des hôpitaux et de la presse. Le second, sur la Syrie, est constitué d’interviews : celles du spécialiste Gilbert Achcar et d’un militant marxiste-révolutionnaire syrien. Le dernier dossier, sur le Honduras, est constitué d’une longue étude parue initialement sur le site web Rebelion (http://www.rebelion.org/), écrite par le sociologue Tomas Andino Mencia, militant du Front national de résistance populaire, ancien député. L’auteur montre comment, sous le prétexte de la lutte contre le narco-trafic et les bandes (les fameuses « maras »), les États-Unis accroissent leur présence dans le pays.

Inprecor n° 583/584, mai-juin-juillet 2012.

Après les élections grecques du printemps 2012 (6 mai et 17 juin), la moitié de ce numéro (30 pages sur 60) est consacrée à ce pays : interview de Stathis Kouvélakis et d’une députée de Syriza, coalition forte de 71 députés avec près de 27% des voix, que certains voient comme « l’expression d’une nouvelle radicalité à gauche ». Ces élections ont aussi vu l’émergence d’une extrême droite, l'Aube dorée (6,49% des voix et 18 députés), qui pratique des attaques physiques contre les immigrés et ne cache pas son admiration pour les nazis. Un article sur la mobilisation en Europe, en défense de la santé publique, est à signaler, secteur qui voit des syndicats européens capables de se coordonner, comme en témoigne la réunion tenue à Nanterre, les 12-13 mai 2012, par des militants venus de 9 pays. Hors d’Europe, Québec (« Les origines d’une rébellion printanière »), Pakistan (article de Pierre Rousset, bon connaisseur du pays), Mali, ne sont pas oubliés. Notons la passionnante contribution de João Machado sur « l’expérience de construction de Démocratie socialiste et du Parti des Travailleurs de 1979 au premier gouvernement Lula », réalisée initialement pour un Séminaire tenu en hommage à Daniel Bensaïd à Amsterdam, en janvier 2012. Enfin, hommage est rendu à Jakob Moneta, mort à près de 100 ans en 2012. Militant trotskyste allemand, contemporain d’Ernest Mandel et de Livio Maitan, il écrivit notamment Le PCF et la question coloniale, publié par François Maspero en 1971. La nécrologie, détaillée, intéressante, est due à Pierre Vandevoorde, germaniste et militant du NPA.

Inprecor n° 585/586, août-septembre 2012.

Plusieurs rédacteurs se penchent sur la crise du capitalisme, illustrant leurs propos de nombreux graphiques, mais notre préférence va aux informations données sur des pays dont il est peu question dans la presse française et que Inprecor suit de numéro en numéro. Ainsi du Danemark, dont il avait déjà été question dans le n° 577/578 (octobre-novembre 2011). Dans ce pays, les militants de la IVe Internationale, membres du SAP (Parti ouvrier socialiste) participent à l’Alliance rouge verte, aujourd’hui placée par les électeurs comme alternative réelle à la politique néo-libérale du gouvernement. Mais incontestablement, le point fort de ce numéro est l’article d’Alex de Jong, dirigeant de la section hollandaise de la IVe Internationale, sur le parti maoïste du Népal (le PC uni du Népal), passé de la guérilla au pouvoir, à la suite d’une brillante victoire électorale en 2008. Le président du parti, Pushpa Kamal Dahal, plus connu sous son pseudonyme de Prachanda (« le féroce ») a été nommé Premier Ministre. Cette arrivée au pouvoir a créé crises et divisions dans un parti que l’administration américaine vient de retirer de la liste des organisations terroristes. Notons enfin l’article informé et passionnant d’Yves Dachy, entomologiste et militant anti-capitaliste, intitulé « la biodiversité oubliée », qui nous alerte sur la disparition préoccupante des espèces sauvages, animales et végétales.

[Inprecor, revue d’information et d’analyse publiée sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale, abonnement 1 an, 55 €, chèque à l’ordre de PECI, 27, rue Taine, 75012 Paris]

Lutte de Classe, Union communiste internationaliste (trotskyste), n° 141 à 145, février à août 2012, de 40 à 60 pages.

La caractéristique des numéros du premier semestre 2012 est la promotion – photo de Nathalie Arthaud en page de couverture – de la candidate de LO à la présidentielle. Candidate, communiste, révolutionnaire – la seule – comme l’avait été avant elle Arlette Laguiller. Candidature minoritaire certes, mais il importe que « le drapeau soit levé » pour que, « le moment où le monde du travail s’ébranlera », les objectifs précis soient là, ainsi que « les militants pour les propager ». La construction du véritable parti révolutionnaire est donnée comme objectif (n° 142, éditorial, n° 145, p. 26…). La solution n’est pas dans la recherche d’alliances à l’extrême gauche, « dans l’espoir de recueillir quelques fractions de pourcentage de voix en plus, au prix de concessions multiples ». Et l’auteur de l’éditorial (n°144) d’ajouter qu'il n’est plus possible désormais d’identifier l’extrême gauche au communisme révolutionnaire. Le numéro de juillet-août (n° 145) fait un bilan détaillé de cette séquence électorale. Il ne faut rien attendre bien sûr de « l'État PS », surtout « huissier du grand capital financier » (p. 1-14), ni du Front de Gauche, « nouvelle version des illusions électoralistes » (p. 13-20). Quant au NPA, auquel sont consacrées six pages (p. 21-26), 3 ans après sa fondation, le bilan est cruel ! Notant les nombreuses défections dont le parti a été victime, Lutte de classe écrit : « Si c’était pour se retrouver à la fin entre anciens de la LCR, cela ne valait pas la peine de jeter aux orties le programme et l’héritage du trotskysme, et ce dans une période de crise où il est vital de porter bien haut le drapeau du communisme. Car il advient finalement que, vu ce qu’il en reste, le NPA d’aujourd’hui, c’est la LCR d’hier… le « communisme » de son nom en moins ». En dehors de ces articles sur la politique en France, on trouve, dans le n°141, un article rappelant une position traditionnelle de LO contre l’impasse qu’est le protectionnisme (p. 5-11) et une étude approfondie sur l’évolution de l’URSS de sa naissance jusqu’à la Russie d’aujourd’hui, en passant par l’épisode de son éclatement en décembre 1991 (p. 24-39). Le n° 143 reprend une étude très instructive de l’évolution du communisme en Inde, vers le réformisme, de la revue trimestrielle Class Struggle, publiée par Worker’s Figth qui regroupe les camarades britanniques de Lutte Ouvrière. Dans ce même numéro 143, notre attention est attirée sur ce nouveau fléau qui frappe l’Afrique : l’accaparement privé des terres agricoles par des intérêts étrangers (multinationales de l’agro-alimentaire, fonds d’investissements mais aussi Chine, Arabie saoudite…).

[Lutte de Classe, 2 € le numéro, abonnement annuel, 15 €, chèque à l’ordre de LO, BP 233, 75865 Paris Cedex 18]

Ni patrie ni frontières, n° 38-39, avril 2012, « Des altermondialistes aux Indignés. Bilan provisoire ».

L’essentiel de cette nouvelle livraison est consacré à des analyses critiques du mouvement altermondialiste et de celui des Indignés, qui en est comme l’ombre portée. Yves Coleman apporte ainsi divers éléments factuels sur le premier, à l’aide de repères chronologiques, d’une courte bibliographie et d’un retour sur ses origines. Le propos est clairement à charge, insistant en particulier sur les ambiguïtés des altermondialistes vis-à-vis du capitalisme réellement existant, sur leur continuité avec un tiers-mondisme par trop conciliant avec les États du Sud, jusqu’à une remise en cause des analyses centrées sur le néolibéralisme, ce qui semble en grande partie excessif. Les annexes sont particulièrement copieuses, puisqu’on y trouve à la fois des extraits de documents issus des Forums sociaux et des textes plus critiques, dont on retiendra en particulier celui de Nicholas Barto, « L’altermondialisme d'État », publié en 2003, et qui s’intéresse à la récupération par l'État français des revendications altermondialistes en défense de ses positions internationales, ainsi que divers articles soulignant les limites d’ATTAC et de son réformisme plus ou moins radical. Pour ce qui est des Indignés, au-delà de la réflexion sémantique de Claude Guillon, qui ressemble davantage à un coup de sang, il est indispensable de lire la réflexion approfondie et mesurée de Temps critiques, « Les Indignés : écart ou sur-place ? Désobéissance, Résistance et insubordination », qui souligne toute la frilosité initiale du mouvement tout en concluant à ses potentialités réelles de dépassement. L’article extrait de Lutte de classe insiste pour sa part sur le piège de l’apolitisme du mouvement des Indignés en Espagne. Le reste des articles tourne principalement autour des meurtres perpétrés par Mohamed Merah dans l’école juive de Toulouse. Yves Coleman insiste sur sa nature profondément antisémite, critiquant les ambiguïtés de l’extrême gauche à cet égard. Le texte reproduit d’Initiative communiste-ouvrière, « Après les tueries de Toulouse et Montauban », est sur ce sujet une mise au clair pertinente. Autre article stimulant, celui des Luftmenschen intitulé « Aux sources de la conspiration ». Partant du cas d’Anders Breivik (néo-nazi norvégien qui abat 77 personnes le 22 juillet 2011 en Norvège), il s’élargit en une réflexion sur le conspirationnisme comme voie royale vers l’extrême droite : « Face à l’impuissance [en temps de crise et de déclassement], la théorie conspirationniste offre le fantasme de la puissance : quelles que soient ses variantes, elle offre l’apparence de la révolte réussie, sans pour autant nécessiter une remise en cause de soi. (…) Le fascisme est la structure politique qui correspond à la forme la plus brutale du capitalisme, le conspirationnisme est le mécanisme par lequel une partie du prolétariat va être amené à soutenir cette structure politique. Le conspirationnisme est la forme la plus aboutie de ce que certains appellent l’anticapitalisme romantique ».

Ni patrie ni frontières, n° 40-41, mai 2012, « Soulèvements arabes. Tunisie et Égypte ».

Ce sont les révolutions arabes qui sont ici à l’honneur, qualifiées d’ailleurs plus modestement de soulèvements. Afin justement de tempérer un certain triomphalisme de l’extrême gauche vis-à-vis de ces événements et de se différencier de « toute naïveté tiers-mondiste » (p. 3), Yves Coleman a choisi de publier in extenso deux brochures publiées par le groupe Mouvement communiste (http://mouvement-communiste.com/). La première, datée de juin 2011, est consacrée à la Tunisie. On y trouve de nombreuses données socio-économiques, mais également un historique axé principalement sur les luttes sociales, et qui met en valeur certaines caractéristiques de la Tunisie : la constance de la répression et de la corruption, le niveau élevé d’éducation ou la laïcité, et un syndicat exclusif, l’UGTT, qui ne se résume pas simplement à un instrument au service des classes dirigeantes. De nombreux thèmes sont abordés, dont on retiendra avant tout l’insistance mise sur le caractère démocratique de cette « révolution du jasmin », dont l’objectif proclamé était de changer de dirigeants sans s’attaquer à l'État de fond en comble. La brochure sur l'Égypte est tout aussi nourrie et fournie en informations brutes. Là aussi, la révolution est perçue comme démocratique, et l’analyse détaillée des luttes ouvrières sur la dernière période conclut à leur caractère encore limité (« Les ouvriers ont besoin de s’entraîner par eux-mêmes lors de courtes escarmouches contre le Capital avant de se lancer dans des mouvements plus importants », p. 145) ; c’est en particulier l’imbrication du mouvement ouvrier et du nationalisme qui est perçue comme un piège mortel. On retiendra également la caractérisation de l’économie égyptienne comme rentière et encore très étatique (à la différence de la Turquie, une comparaison parmi les plus intéressantes de la brochure), une oppression des femmes qui était indéniablement moindre sous Nasser, ou des Frères musulmans clairement vus sous l’angle de défenseurs du capitalisme et du conservatisme social. La dernière partie du numéro double, plus modeste, comprend quelques articles d’Yves Coleman rappelant l’appartenance des partis de Ben Ali et Moubarak à l’Internationale socialiste, ou dénonçant le soutien de Chavez à Kadhafi et Assad, forme d’« anti-impérialisme réactionnaire ». Mais l’ensemble le plus important concerne une polémique entre Yves Coleman d’un côté, Guy Fargette et le collectif castoriadien Lieux communs de l’autre, au cours de laquelle le premier insiste utilement sur la critique de l’essentialisme ou de la supposée supériorité de l’Occident (on pense à Jack Goody, non cité) ; on nous permettra d’être moins convaincu par la distinction qu’Yves Coleman reprend à son compte entre Islam comme civilisation et islam comme religion.

[Ni patrie ni frontières, Yves Coleman, 10, rue Jean-Dolent, 75014 Paris, 10 ou 12 € le numéro, 28 € l’abonnement pour trois numéros, 54 € pour six numéros]

Notes

1 Voir la précédente Revue des revues dans le n°3 de notre revue électronique : http://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1865#tocto6 Retour au texte

2 Ce faisant, Marcel Picquier critique un article d’Enzo Traverso publié en 1992 dans la revue Quatrième Internationale, et s’en prend vigoureusement à l’Ecole de Francfort (Habermas, Marcuse), mais il ne cite à aucun moment le livre consacré par Daniel Bensaïd à Walter Benjamin. Son analyse ressemble pourtant fort à une tentative d’interprétation de Benjamin à l’aune du courant trotskyste « lambertiste ». Retour au texte

3 Voir la chronique, sur notre blog, de son dernier livre paru en français, Paris, capitale de la modernité : http://dissidences.hypotheses.org/714 Retour au texte

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Référence électronique

Christian Beuvain, « REVUE des REVUES : Second semestre 2012 », Dissidences [En ligne], 4 | 2012, publié le 08 novembre 2012 et consulté le 19 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=273

Auteur

Christian Beuvain

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