De ce retour sur son passé par Lionel Jospin, on ne retiendra pas les anecdotes sans intérêt (cf. le jour où il arrive à une émission de télé avec un costume dépareillé, veston et pantalon de couleur différente. De toute façon, le rassure-t-on, on ne verra de lui que le haut !).
Plus intéressante est l'évocation enfin détaillée de son itinéraire politique, avec la confirmation qu'il fut bien « lambertiste » de 1963 à 1986-1987, donc bien au-delà de la date à laquelle il a été promu 1er Secrétaire du PS (1981). A le lire, on se demande de nouveau pourquoi il a si longtemps nié cet engagement. Le fait d'être allé en Pologne, à Noël 1970, porter des documents à un mouvement d'opposition clandestin est plutôt méritant ! De même qu'il est plutôt positif d'avoir été fasciné par Boris Fraenkel, « représentant d'un certain cosmopolitisme européen », « un exemple de ces marxistes antistaliniens » (p.36). On peut comprendre aussi son intérêt pour les écrits de Léon Trotsky, peut-être un peu moins l'attrait qu'exerce sur lui Pierre Lambert1, dont il note cependant l'ambiguïté, « à la fois homme de principes et manœuvrier, dogmatique et tacticien » (p.79). Et il avoue à demi-mot – toujours cette manière très retenue si caractéristique de Jospin – que celui-ci l'encourage vivement à adhérer au PS : « Les trotskystes avaient une vieille tradition d'entrisme, en particulier dans la social-démocratie qu'ils voulaient ainsi influencer et pousser plus à gauche » (p.47). Curieux ! Cette affirmation vaut plutôt pour les années 1934-35, alors que dans les années 50, l'entrisme est plutôt pratiqué dans le PC (et l'UEC) et de plus par les frères ennemis, ceux du PCI minoritaire, les ancêtres de la LCR. Justement, les partisans de Lambert dans le mouvement trotskyste – PCI majoritaire puis OCI – n'avaient pas de mots assez durs pour critiquer l'entrisme, y voyant une capitulation des « Pablistes » (partisans de Michel Pablo à l'origine de cette tactique au début des années 50), un raccourci devant la tâche difficile qu'est la construction d'un parti révolutionnaire. Or c'est vrai, après 68, quand « les Pablistes » abandonnent l'entrisme, « les Lambertistes » reprennent cette tactique qu'ils appliquent urbi et orbi , soit au PS, soit au sein des organisations trotskystes concurrentes, comme la LCR ! La seule référence d'ailleurs que fait Jospin à la LCR, « favorable à la révolution violente », est simpliste et… stupide (p.23). Comme si Jospin, tout en ayant renié le « lambertisme », n'avait pas réussi à se libérer de tous les stéréotypes qu'il avait contractés à l'OCI.
Car la prise de distance à l'égard de son engagement de jeunesse – jeunesse prolongée, car en 1986… il a 50 ans !- est totale. Staliniens et trotskystes proviennent de la même matrice. Ni les uns ni les autres ne sont amoureux des libertés, ils proposent de « s'imposer en écrasant toute forme d'opposition [générant ainsi] le totalitarisme » (p.40). L'itinéraire de Jospin est finalement assez banal, c'est celui d'un « entriste » séduit par l'organisation qu'il est chargé de ramener à lui : « tel est pris qui croyait prendre », dit l'adage. Quelques années avant, Michèle Mestre, « pabliste entriste » au PC deviendra une bonne stalinienne !
Le reste de l'ouvrage est pour nous d'un moindre intérêt. Les admirateurs de François Mitterrand pourront le lire. Ils peaufineront ainsi le portrait de leur héros. Il semble bien que depuis le début, Mitterrand savait que Jospin était « lambertiste » - son adhésion au PS résulte-t-elle d'un deal entre Mitterrand le florentin et Lambert le manœuvrier ? Les confidences de Jospin ne permettent pas de l'assurer. A l'étonnement d'un des interviewers, Jospin répond que Mitterrand, en le propulsant à la tête du PS, savait qu'il promouvait « un vrai militant socialiste »… un Mitterrand qui semble par contre peu empressé à soutenir Jospin candidat aux Présidentielles de 1995. Mais l'homme était malade, près de sa fin, et il pensait sans doute que ces jeux étaient bien dérisoires.
Si Lionel Jospin a publié ce livre avec l'intention de rentrer à nouveau dans le jeu politique, c'est sans doute raté. L'intérêt suscité par sa sortie et par les 2 émissions de télé qui l'ont accompagné a été très momentané. Ce livre vient trop tard. Cette façon qu'a eu Jospin de ne pas assumer une partie de son passé, alors que celui-ci n'a rien de détestable, a mis mal à l'aise une large partie de l'opinion publique. Il n'est pas bon, quand on a l'ambition de diriger un pays, d'être pris en flagrant délit de mensonge.