« Je suis passé clandestinement par la montagne… » Pratiques, mises en récit et représentations du passage de la frontière franco-italienne (1945-2020)

  • “I went clandestinely through the mountains…” Practices, narratives and representations of the French-Italian border crossings (1945-1960)

Résumés

Cet article vise à interroger la mémoire collective et les représentations culturelles des mouvements migratoires dits ‘clandestins’, dans les Alpes franco-italiennes entre 1945 et 1960, séquence qui correspond à la dernière grande vague d’émigration italienne vers la France. L’étude des parcours individuels à travers cet espace transfrontalier enrichit notre connaissance des phénomènes de mobilité. Une attention toute particulière est ici accordée au récit de l’expérience des personnes en migration dont les témoignages ont été sollicités.

This article intends to examine collective memory and the cultural representations of the several "illegal" migration flows across the French-Italian Alps between 1945 and 1960 - a period corresponding to the last significant wave of Italian emigration to France.  The study of individual journeys through such cross-border area enriches our understanding of mobility processes. This study will more particularly focus on the narratives and experiences of the individuals involved in the migration, and the testimonies they offer.

Plan

Texte

Sans travail et sans pain, ils déferlaient vers la France, après avoir franchi clandestinement la frontière, en espérant y rencontrer un sort plus clément : c’était pour eux le voyage de la dernière chance. Ils marchaient interminablement dans la neige jusqu’aux épaules, par un froid de loup, traînant souvent avec eux une ribambelle de gosses en haillons qui gémissaient de souffrance, portant parfois leurs morts quand ils ne s’étaient pas encore résignés à les abandonner. Ils arrivaient verts de froid, squelettiques en bas des cols où les gendarmes français n’avaient que le mal de les ramasser. Heureux pourtant ceux qui parvenaient vivants au terme de l’épouvantable voyage ! Fréquemment, à la fonte des neiges, les patrouilles frontalières découvraient des cadavres gelés d’hommes, d’enfants et de femmes. De plus les malheureux étaient abominablement exploités par les passeurs qui, non seulement les dépouillaient férocement de tout leur argent, de leurs alliances et de leurs vêtements les plus chauds, mais encore leur faisaient porter des charges de riz de contrebande et les abandonnaient aussitôt la frontière franchie, dans d’immenses étendues de neige où ils ne savaient pas se diriger1.

Explorant une forme d’hybridation entre reportage et récit épique, l’envoyé spécial du magazine Détective au poste frontière du Mont-Cenis théâtralise les conditions du passage – mis en scène comme une odyssée alpine2 – de celles et ceux que l’on nomme « immigrants clandestins » à l’aube des années 1950. Comme d’autres médias italiens et français à la même époque, l’hebdomadaire sensationnaliste cherche ainsi à provoquer fascination et horreur dans l’esprit du lecteur. Cette description misérabiliste des parcours migratoires atteste du pouvoir symbolique des journalistes et intellectuels dans la définition publique du « clandestin » et des stigmates qui lui sont associés. Les images choc, les titres racoleurs et les formules grandiloquentes font vendre du papier et cristallisent des représentations de la migration sous un angle dramatique.

Afin de ne pas se limiter à une vision en trompe-l’œil de la traversée de la frontière alpine, je propose ici un examen empirique de la « fabrique de l’immigration clandestine ». Cette formule, bien que limpide de prime abord, renvoie à des réalités socio-historiques complexes et problématiques (Lejeune / Martini 2015 ; Akin 2018). C’est seulement dans le cadre de l’interaction avec un appareil normatif qu’un déplacement peut être défini comme ‘irrégulier’ (Ambrosini 2010 : 7). Les phénomènes migratoires qualifiés d’illégaux par les pouvoirs publics sont en effet une conséquence directe du fonctionnement des États modernes qui définissent strictement les conditions du droit au séjour des étrangers à la fin du XIXe siècle (Noiriel 1998). C’est ainsi qu’une condition produite par les normes du droit positif réglementant l’entrée sur le territoire national, est devenue un attribut essentiel des sujets impliqués dans l’expérience migratoire (Laacher 2005). Or, le parcours socio-spatial de la personne migrante relève d'une logique autre que celle de l’État. Aussi, se voit-elle parfois contrainte de recourir à des ruses pour contourner les dispositifs d’encadrement des déplacements lors du passage de la frontière (Hanus 2020).

Le terrain choisi pour cette étude est un territoire transfrontalier à cheval entre Piémont, Val d’Aoste, Dauphiné et Savoie, marqué par la haute montagne. Il est traversé de longue date par des circulations internationales licites et illicites (Sanfilippo 2011 ; Loyer 2018) qui vont s’intensifiant au cours des années 1945-1975, période de recrutement massif de main-d’œuvre étrangère dans une France en plein essor industriel.

Dans une première partie je décrirai la complexité des mouvements spontanés aux frontières ainsi que le dispositif de sélection étatique des populations désirables au sortir de la guerre.  Je focaliserai ensuite mon attention sur les modalités du passage de la frontière franco-italienne, en adoptant le point de vue des représentants de cette société temporaire de voyageurs transalpins composée d’exclus des mobilités légitimes. Je tenterai enfin de saisir l’articulation entre ces déplacements à travers les Alpes, leurs représentations et leur inscription dans la mémoire collective, en résonance avec l’actualité des mouvements migratoires dans le Briançonnais.

Pour mener à bien cette enquête, je me suis appuyé sur un corpus d’archives administratives, des articles de presse, de la littérature testimoniale et diverses productions artistiques et culturelles. L’enquête de terrain, complétée par des entretiens avec des personnes immigrées et leurs descendants, s’est déroulée en plusieurs étapes entre 2008 et 2020, prenant la forme de séjours réguliers en pays frontalier. J’ai ainsi pu découvrir, chemin faisant, des sites témoins et des repères paysagers, refuges ou obstacles, susceptibles de faciliter ou d’entraver la traversée en altitude. L’approche ethnographique du passage irrégulier de la frontière centrée sur la singularité des parcours permet de repenser cette question en dehors des catégories des pouvoirs publics qui la criminalisent (Fassin 1996).

1. Mouvements liés à la guerre et reprise des migrations italiennes

Au sortir de la guerre, le continent européen profondément meurtri par des années de conflit est traversé par de grands mouvements de population : « Des hommes pour fuir la misère ou des persécutions encore vivaces en certains pays, malgré la toute récente défaite du fascisme, errent sur les routes, vont de camp en camp, vers quelque havre où ils pourront enfin vivre en sécurité »3. Dès le printemps 1945, une foule hétérogène circule spontanément à travers la ligne de démarcation franco-italienne que tentent de contrôler, non sans difficulté, les gendarmes mobilisés aux principaux points de passage : individus se livrant à la contrebande de riz, de sel et d’objets manufacturés, déserteurs de la Wehrmacht, partisans italiens ou encore soldats de l’armée polonaise ayant poursuivi la guerre sur le front italien, comme Léon Tadyszak, interpellé près du Mont-Cenis (Savoie) :

J’habite en France depuis 1924, où je suis domicilié avec ma femme à Ronchamp (Haute-Saône). J’exerce la profession de mineur dans cette petite ville. Au mois d’octobre 1944, je me suis engagé dans l’armée polonaise qui se trouve actuellement en Italie4. Ne pouvant être démobilisé, j’ai déserté mon régiment le 19 août 1945 et j’ai franchi ce matin 23 août, clandestinement la frontière franco-italienne, pour y rejoindre ma famille et y travailler5.

La trajectoire d’Ivo Cerkez, étudiant en médecine de Mostar en Croatie, contrôlé à Bramans (Savoie), résume la complexité de cette situation migratoire à la fin du conflit :

En 1944, ayant tenu des propos anti-allemands, j’ai été déporté en Italie par les autorités allemandes, à Rimini. À la libération de ce pays j’ai été libre et j’y suis resté jusqu’à ces jours derniers, étant pris en subsistance par les troupes américaines. Ne désirant pas retourner dans mon pays car d’après certains bruits la révolution existe encore, j’ai voulu essayer de regagner la France pour y continuer mes études ou avoir la facilité de rejoindre l’Amérique pour les achever dans ce pays. Ne possédant aucune pièce officielle, j’ai tenté de passer clandestinement la frontière pour passer en France. Je dois dire que je connais quelqu’un à Chaillac (Indre), j’avais l’intention de me rendre chez lui à mon arrivée en France pour lui demander les premiers secours6.

Parmi les individus qui franchissent les cols alpins par leurs propres moyens figurent également de nombreux apatrides, juifs libérés des camps de concentration en Allemagne et autres ‘personnes déplacées’ d’Europe centrale ; entreprises désespérées qui témoignent du chaos humain de l'après conflit et de la perte de légitimité d’autorités locales et nationales politiquement discréditées en Europe.

En 1945, l’Italie voit s’aggraver le fléau endémique du chômage qui touche quelque deux millions d’actifs. Cette situation particulièrement difficile incite nombre de Transalpins à s’expatrier spontanément. Pour les candidats à l’émigration, la France apparaît comme la destination évidente, même si certains redoutent la persistance d’un climat italophobe, mélange d’héritage du racisme des décennies passées et de sentiment de revanche par rapport aux années de guerre et particulièrement au ‘coup de poignard dans le dos’ de juin 1940.

À l’instar du charpentier Candido Bachetti qui, après plusieurs allers retours à travers la frontière entre 1921 et 1929, passe le temps de la guerre en Italie puis revient ‘naturellement’ en France en 1945, certains individus sont dépositaires d’un savoir-circuler et connaissent les possibilités d’embauche dans la région alpine : « Je précise que l’entreprise Bouvier travaux publics à Modane s’engage à me fournir un contrat de travail et à me prendre de suite à son service »7. C’est ainsi que des maçons du Val di Lenzo, situés à proximité de la frontière viennent spontanément proposer leurs services pour reconstruire les villages de la Haute Maurienne incendiés par la Wehrmacht en 1944. Enfin, entre mars et septembre 1945, environ 2000 Valdôtains franchissent clandestinement la frontière. Le général de Gaulle ayant manifesté des velléités annexionnistes sur cette province, certains de ses habitants sollicitent – de bonne ou mauvaise foi – l’asile politique en France : « (J'ai)  travaillé pour le rattachement de cette partie de l'Italie à la France […]. Je suis donc réfugié politique et désire qu'un titre de séjour me soit délivré »8. Les gardes-frontières ont pour consigne de les accueillir comme des réfugiés9. La traversée des cols du Beaufortain ou du Mont-Blanc par les Valdôtains est mise en scène comme un véritable exode par le journal grenoblois Le Réveil du 1er novembre 1945 : « Les caravanes qui les franchissent sont composées en majeure partie des jeunes, mais il y a aussi des hommes d'âge mûr, des femmes, des jeunes filles et parfois même des familles entières ». Les Actualités françaises de surenchérir en filmant une cohorte d’individus avançant péniblement dans une tempête de neige : « Chaque jour ils s’enfoncent dans la montagne et ils émigrent. Ils vont chercher en France une vie plus compatible avec leurs goûts et leurs aspirations »10.

Aux côtés des habitants du Val d’Aoste, de nouveaux candidats à l’émigration, n’ayant encore jamais séjourné en France, en provenance de Lombardie, du Veneto puis du Mezzogiorno, tentent spontanément le passage par les cols alpins, comme ce bûcheron de Solagna (province de Vicenza), désireux de se rendre à Lanslebourg (Savoie). Un compatriote lui ayant donné l’adresse d’une entreprise de travaux forestiers, il souhaite s’y rendre spontanément pour y proposer ses services : « Je n’ai jamais travaillé en France et c’est la première fois que j’y viens. J’ai franchi la frontière par le col du Lautaret (en fait de l’Autaret à 3072m d’altitude) commune de Bessans Savoie, le 3 octobre 1945 dans la matinée »11

2. Sélectionner les migrants désirables

À la Libération, un immense effort est entrepris pour reconstruire les villes et moderniser l’infrastructure industrielle française. Afin de mettre en œuvre ce chantier titanesque visant à faire disparaître les séquelles du conflit, les pouvoirs publics ont prioritairement recours aux prisonniers de guerre de l’Axe12 et à la main-d’œuvre étrangère dans l’agriculture, le bâtiment, les mines et l’industrie. Économistes et démographes s'accordent en effet sur la nécessité de faire appel à deux à trois millions de travailleurs dont on planifie l'arrivée sur cinq ans. Le principe est alors posé que l'État doit avoir la maîtrise d'une politique globale d'immigration et qu'on ne saurait laisser au secteur privé les marges de manœuvre dont il a pu bénéficier dans l'entre-deux-guerres. Notons enfin que, dans une perspective nataliste et assimilationniste, le débat public s’articule autour de l’introduction « de bons éléments d’immigration » (Spire 2003). Pour les experts de l’INED (Institut national d’études démographiques), l'Italien fait désormais figure de migrant désirable. Aussi, dès la fin de la guerre, d’âpres négociations entre l’Italie et la France aboutissent-elles à de vastes programmes de recrutement de Transalpins (Rinauro 2020). Afin de mettre en œuvre cette politique volontariste, le général de Gaulle crée par ordonnance, le 2 novembre 1945, l’Office National d’Immigration (ONI), organisme chargé de la sélection, du contrôle sanitaire et de l’acheminement des étrangers (Dänzer-Kantof / Lefebvre / Torrès 2011). Le dispositif de sélection migratoire de l’ONI est opérationnel en Italie à partir de l’automne 1946. Des bureaux d’émigration sont alors ouverts dans chaque chef-lieu de province, où doivent se présenter les travailleurs désireux de rejoindre la France. Ceux-ci sont ensuite acheminés vers le centre de sélection médicale de Turin, transféré à la caserne Garibaldi de Milan en octobre 1947 (Colucci 2008 : 124). L'ONI y installe une mission au sein de laquelle les médecins jouent un rôle primordial dans le choix du ‘bon candidat’ qui repose sur des critères sanitaires sévères (Gastaut 2003). À l’issue de la visite médicale, un visa d’entrée en France est annexé au passeport de l’émigrant qui est acheminé vers son lieu de travail par voie ferroviaire.

Les responsables des grands chantiers de la Reconstruction de la région alpine protestent énergiquement contre la « lourdeur dans la procédure de recrutement » des travailleurs, estimant que le dispositif de recrutement s’accompagne de tracasseries administratives et surtout qu’il a un coût prohibitif (6000 francs pour chaque ouvrier embauché) : « Il faut mettre fin à ce sabotage », affirment-ils par la voix du président de la chambre de commerce de Grenoble, en autorisant les employeurs à choisir directement le personnel dont ils ont besoin13. Dans un tel contexte, nombre d’entreprises françaises dépêchent leurs propres recruteurs dans les régions les plus pauvres de l’Italie où ils distribuent, en toute illégalité, des contrats de travail aux individus susceptibles d’émigrer. Ceux-ci n’hésitent pas à encourager des candidats dont le dossier administratif est bloqué en Italie à franchir clandestinement la frontière par la montagne ; expérience dont témoigne cet habitant de Vérone descendu du train en gare de Pré-Saint-Didier (Val d’Aoste) en octobre 1946. À son côté, ils sont une vingtaine à s’engager dans la traversée nocturne du Petit-Saint-Bernard pour rejoindre au petit matin Séez (Savoie) où une centaine d’individus les ont précédés : « Là, les gendarmes nous ont rassemblés […] et nous ont conduits à Bourg-Saint-Maurice. Les entreprises avaient envoyé leurs camions jusqu'à la frontière pour nous chercher. J'ai vu des camarades […] qui partaient pour Nancy »14.

Le passage illicite de la frontière orchestré par le patronat suscite la colère des syndicats italiens et français15 :

Nous avons dénoncé à plusieurs reprises le trafic s'effectuant sur cette main-d’œuvre et qui s'apparentait à un véritable marché d'êtres humains. Des entreprises dans la région de Modane, se rendaient irrégulièrement en Italie avec des camions pour ramener cette main-d'œuvre, ceci sans inquiétude aucune, c'est-à-dire avec des complicités16.

Cette pratique est en effet monnaie courante en pays frontalier, ainsi que le confirment les rapports des gendarmes. Le 21 août 1946, une brigade d’Albertville (Savoie) interpelle le responsable d’une entreprise de BTP ayant embarqué dans son camion une vingtaine d'Italiens qu'il envisageait de conduire directement sur ses chantiers sans les avoir déclarés. Dans le procès-verbal, l’un des passagers témoigne :

Hier, 20 août écoulé, vers 20h, avec dix-huit de mes compatriotes, j'ai franchi clandestinement la frontière pour venir travailler en France pour le compte de M. Crida, entrepreneur à Grenoble. C'est M. Perreto […] qui est allé en Italie, envoyé par M. Crida afin de lui trouver des ouvriers, qui a fait le rabatteur et nous a dit de venir.

Témoignage confirmé par le recruteur Marino Peretto :

Le 12 août, j'étais de passage à l'hostellerie du Petit-Saint-Bernard. Dans cet établissement j'ai rencontré un entrepreneur de Grenoble, qui m'a demandé de bien vouloir me rendre en Italie pour lui recruter de la main-d’œuvre […]. Cette personne […] m'a promis de me payer toutes les journées que j'emploierais à lui chercher des ouvriers et de rembourser tous mes frais de voyage […]. Pendant que j'étais dans mon pays natal, j'ai recruté vingt ouvriers destinés à monsieur Crida. À l'aller et au retour j'ai franchi clandestinement la frontière au col du Petit-Saint-Bernard sans passeport17.

Face à l’afflux de ‘travailleurs clandestins’ en France, les services de l’État, en accord implicite avec le patronat, optent pour une gestion pragmatique de l’illégalisme et ce jusqu’à l’aube des années 197018.

3. Un périlleux voyage à travers la barrière alpine

Afin de remédier aux pesanteurs juridico-administratives de l'émigration légale et de ne pas avoir à subir les épreuves de la sélection, mais aussi pour pouvoir choisir leur lieu d’affectation professionnelle (alors qu’on les dirige autoritairement vers le secteur minier), bien des candidats au départ ont recours au ‘système de la débrouille’. Ils mobilisent alors la parentèle et les connaissances déjà installées en France, qui connaissent les itinéraires et les réseaux d'entraide permettant de circuler à travers la frontière. Entre 1945 et 1975, ils sont donc des milliers à s’engager, individuellement, en famille ou en groupe villageois, dans la traversée des Alpes. Bien que les données chiffrées soient à manier avec précaution, on estime qu’environ 30 à 40 % des travailleurs italiens entrés en France de la Libération au milieu des années 1950 sont irréguliers (Rinauro 2009 : 148). À l’inverse de l’action étatique, les filières migratoires informelles s’illustrent par leur rapidité, leur flexibilité et leur efficacité. La migration clandestine favorise en effet la réactivation de chaînes migratoires, héritières de la « culture villageoise de la mobilité alpine » (Fontaine 1990 : 1434) qui renforcent les opportunités de départ des classes populaires. Cette entrée en clandestinité n’est pas une expérience de tout repos : les difficultés matérielles rencontrées en chemin et les menaces d’arrestation, sont autant d’entraves à la mobilité.

4. Les voies du passage en montagne

La traversée de la barrière alpine se fait au départ du Val d’Aoste ou du Val de Suse en Italie, à destination des vallées de l’Arve, de la Tarentaise, de la Maurienne ou du Briançonnais en France. À partir du moment où l’on opte pour la clandestinité, il est nécessaire de contourner en altitude les points de contrôle officiels de la frontière, installés en gare de Bardonecchia ou de Modane et aux principaux cols routiers (Montgenèvre, Mont-Cenis, Petit-Saint-Bernard).

Depuis Courmayeur (Val d’Aoste), certains émigrants habitués au terrain montagnard rejoignent Chamonix en traversant le massif du Mont-Blanc par le col du Géant (alt. 3356 m)19. Le col de la Seigne (alt. 2516 m), d’un accès plus aisé, est gravi par les voyageurs à destination du Beaufortain, mais aussi du corridor industriel Salanche-Cluses (Haute-Savoie). Dans ce secteur, l’itinéraire principal rejoint le Col du Petit-Saint-Bernard (alt. 2188 m). Depuis Aoste, il permet la jonction avec Bourg-Saint-Maurice. Plus au sud, les voyageurs à destination de Modane ou Briançon descendent du train à Bardonecchia puis s’élèvent vers le Mont-Cenis, ou gagnent à pied la Vallée étroite, les cols du Chaberton (alt. 2721m) et de l’Echelle (alt. 1760 m) qui permettent d’éviter le poste de douane de Clavière-Montgenèvre. Au départ de Bardonecchia, l’itinéraire le plus fréquenté consiste en l’ascension du col de la Roue (alt. 2541m). Un autre parcours démarre du barrage de Rochemolles sur la commune d’Oulx (Piémont), d’où il est possible de rejoindre directement la Maurienne en effectuant la vertigineuse ascension du col de Pelouse (2793 m). Cet itinéraire difficile même en été permet un accès direct et peu surveillé à Modane. Certains autres passages se font en très haute altitude, à travers des zones glaciaires, comme ce cheminement escarpé au départ de Suse (alt. 500 m) qui rejoint Bessans par le Col d’Arnès (alt. 3012 m) ou par le col de Novalèse (alt 3228 m) à proximité du sommet de Rochemelon.

Ces parcours aériens comportent leur lot de difficultés : traversée de forêts, de cours d’eau, de pierriers, de névés, etc. Ils sont rendus encore plus périlleux du fait des fréquents changements météorologiques en montagne (brouillard, orage, tempête de neige). Dans le paysage un arbre isolé, un barrage, une croix de chemin, peuvent servir de repère ; une grange d’alpage, une grotte, ou une petite chapelle d’abri ponctuel. L’aptitude à l’effort dans un environnement hostile est un élément de différenciation dans le passage de la frontière, de même qu’une certaine inhibition de la peur face aux risques encourus. Afin de mieux saisir ce que le passage de la frontière fait au corps dans le froid, l’hiver ou la nuit, il est essentiel d’écouter la voix des témoins de la traversée, comme Antonio Corbo et ses compagnons, ayant opté pour un parcours discret entre le col du Montgenèvre et celui de l’Échelle qui évite les postes de contrôle. Leur récit permet de comprendre les enjeux d’une telle traversée. Partis de Sicile, ils rejoignent Bardonecchia en train. Ils sont sept, deux hommes, deux femmes, un adolescent et deux enfants dont un petit de deux ans qu’Antonio porte sur ses épaules : « Nous n’étions pas habitués à ce type de montagnes, ni à la température. Je me souviens d’un passage où le sentier surplombait le vide, on avait le vertige, on est passés en se collant contre la paroi » (Rizzon, Bonsignore 2008 : 34). La montée est longue et les provisions emportées sont vite épuisées. Les marcheurs ne doivent finalement leur salut qu’à la découverte inopinée de restes de nourriture abandonnés par d’autres émigrants.

Lorsque la traversée s’effectue par mauvais temps, les voyageurs trouvent à s’héberger dans des abris de fortune, notamment des blockhaus abandonnés après la guerre ou des cabanes d’alpage :

En compagnie d'un camarade […] nous avons passé la nuit […] dans un chalet de montagne, situé à mi-chemin entre Séez et le col du Petit-Saint-Bernard. Ce chalet ne pouvant servir qu'à loger du bétail était ouvert et non habité. Le lendemain nous nous sommes rendus à Landry où nous avons pris le train pour Moûtiers20.

La situation la plus difficile est celle de ces jeunes femmes qui effectuent la traversée en solitaire. L’une d’entre elles, interpellée par les gendarmes le 5 décembre 1945, a tenté le passage au plus fort de l’hiver : « Je suis partie de Bardonnèche hier matin 4 décembre à 5h30 en passant par le col de la Roue et suis arrivée à Saint-Michel (de Maurienne) vers 20 heures »21. D’autres, accompagnées de leurs enfants, rejoignent en suivant des itinéraires dangereux leurs époux déjà installés en France : « Je viens de Cere (province de Turin) […]. Je suis rentrée en France en passant par le col de Roche Meulon (Rocciamelone), par Bonneval-sur-Arc, le 10 septembre 1945 »22. Certaines n’hésitent pas à prendre des risques considérables, comme Iole Zamboni qui, le 13 mai 1946, emprunte seule avec son enfant de vingt mois le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis reliant Bardonecchia à Modane pour rejoindre son mari en Maurienne23. On imagine aisément les dangers encourus lors d’une telle traversée de plus de treize kilomètres dans un espace sombre et confiné où se croisent régulièrement les trains24. Le récit de Giovanna, une immigrée grenobloise interrogée par Roco Potenza, est emblématique des motivations et des trajectoires de ces femmes :

Moi, je suis partie en France en 1947 avec un enfant de quatre mois. […] Je voulais le présenter à son père, il ne le connaissait pas ! […] C’est comme ça que je suis partie pour Turin, mais mon mari, il n’en savait rien, il était à Allevard, à coté de Grenoble. Moi, j’avais payé un guide jusqu’à Bardonecchia […] ça a été vraiment très difficile de passer les montagnes. […] Je suis partie avec mon fils de quatre mois dans un bras et une valise dans l’autre ; j’étais en jupe. […] Mes chaussures étaient bonnes, mais trop basses et trop légères pour marcher dans la neige, et à un moment, elles se sont cassées et je suis restée presque déchaussée. […] Pendant la nuit il neigeait, il faisait froid, le vent glaçait le visage, je voulais retourner en arrière, j’avais les pieds congelés. […] Il y avait un jeune homme, qui s’appelait Ippolito, que je ne connaissais pas et qui était dans mon groupe et c’est lui qui m’a aidée à garder mon enfant. S’il n’avait pas été là, moi je ne serais jamais arrivée à m’en sortir toute seule (Potenza 2011 : 291).

5. Une économie du passage de la frontière

Le ‘pays frontalier’ est certes une parcelle du territoire national, mais c’est aussi − à la différence des départements de l’intérieur − un élément solidaire du territoire situé de l’autre côté de la ligne de partage politique franco-italienne (Fontaine 2005 : 33). La gestion commune des ressources de la montagne (forêts, alpages, eau, etc.) mais aussi les échanges de bétail et de denrées agricoles à l’occasion des foires ainsi que le partage de certains temps-forts du calendrier religieux (notamment le pèlerinage au sommet-sanctuaire de Rocciamelone-Rochemelon) ou festif ont affermi au fil du temps les liens entre populations riveraines de la frontière. Aussi les nouvelles règles imposées par les pouvoirs centraux sont-elles généralement perçues comme non légitimes, car étrangères à l’‘économie morale’ de la société locale où s’expriment des formes de résistance passive à l’autorité étatique (Roche, Michaut 1970). Dans le contexte difficile de l'après-guerre, entre la vallée de Suse et la Maurienne, mais aussi entre le Val d’Aoste et le Beaufortain, les populations des deux versants de la montagne créent logiquement une niche économique grâce à l'immigration, qu'elle soit régulière ou non : hébergement, restauration, vente d'objets et de vêtements utiles pour la traversée. Un fonctionnaire préfectoral désabusé prend acte de cette complicité unissant les populations des deux versants de la montagne : « il n’est pas possible de préciser à l’heure actuelle le nombre de ceux qui, par peur d’un refoulement, se cachent dans nos campagnes avec la complicité des paysans ou de compatriotes complaisants »25. Certains montagnards pluriactifs, parfois un peu contrebandiers (Montenach, 2018 : 9-11), coutumiers des déplacements à travers la montagne, vont exercer ponctuellement l’activité de guide-passeur qui leur apporte un complément de revenu fort appréciable en ces temps de disette de l’après-guerre.  

Le guide occasionnel et solitaire, originaire des vallées de Suse ou de la Tarentaise est un montagnard pluriactif qui connaît bien les itinéraires d’altitude, comme cet agriculteur de Valmeinier (Maurienne) rétribué pour service rendu :

Le 8 août 1945, vers 19h, ma belle-sœur venant de Grenoble a amené quatre Italiens désirant passer la frontière clandestinement. Comme je devais me rendre à la montagne pour faucher, je les ai conduits jusqu'au chalet où ils ont passé la nuit. Le lendemain matin vers 9h ils sont partis seuls pour franchir le col du mont Thabor. Ils m'ont donné 1000 francs pour mon travail26.

À Oulx ou Bardonecchia, dernières gares avant la frontière, les émigrants d'un même village descendent du train et recrutent leur passeur dans un bar. Il n'y a rien d'officiel : on se jauge et on négocie le prix de la traversée. Parfois des familles accompagnées de jeunes enfants suscitent l’empathie du guide qui peut spontanément ‘faire un prix’. La plupart des passages vers Modane se font par la vallée étroite ou le col de la Roue (alt. 2541 m). Dans la nuit qui précède le départ, le passeur cache son groupe dans une maison de Borgo Vecchio (alt. 1370 m) ou une grange d’alpage du hameau de la Rho (alt.1650 m) et, avant le lever du jour, on se met en mouvement vers la montagne pour éviter les contrôles sévères des carabiniers italiens et ceux, beaucoup plus accommodants, des gendarmes français. L’homme exerce une emprise sur ses ‘clients’ parce qu'il connaît parfaitement les itinéraires et les risques encourus, notamment la périodicité des contrôles policiers (Potenza 2008). Parfois, lorsque ceux-ci se font plus intenses, ce sont des femmes, moins suspectées de trafic, qui se chargent d’accompagner les émigrants. Le passeur est responsable de son groupe qu'il va devoir emmener le long d’un sentier escarpé, jusqu'aux premiers avant-postes français. Il leur montre ensuite le chemin vers Modane puis disparaît afin d’éviter tout contact avec les patrouilles de gardes-frontières. Cette organisation locale de la clandestinité s’inscrit dans l’histoire longue des solidarités transfrontalières et de la circulation des hommes et des marchandises dans l’espace montagnard.

Outre le guide solitaire riverain de la frontière, existent aussi des réseaux franco-italiens qui vivent uniquement du marché de la main-d’œuvre clandestine. Parmi ces passeurs professionnels figurent des immigrés italiens de Grenoble ou Lyon qui, par interconnaissance, font transiter des compatriotes. D. I., originaire de Corato (Pouilles), évoque les souvenirs de la traversée en famille, au départ de Bardonecchia à l’automne 1946 :

Nous avons rejoint à pied le passeur qui était un Coratin. Beaucoup de Coratins s’étaient d’ailleurs transformés en passeurs, comme s’ils avaient fait de la montagne toute leur vie ! Bien sûr, c’était l’argent qui les motivait. C’était énorme, je crois que pour les trois enfants, mon père, ma mère et mon oncle, nous avions payé 16 000 lires […]. Nous étions en septembre, il faisait encore bon. Le passage de la montagne s’est effectué par Bardonecchia, Melezet, puis direction le Mont Thabor, le lac de Bissorte, et enfin la descente sur le village de La Praz en Maurienne. Outre ma mère, moi l’aîné et mes deux frères ainsi que mon oncle, notre groupe se composait de seize autres personnes, des inconnus. Les passeurs nous ont peu fait marcher le jour, car les Italiens nous recherchaient. On marchait donc surtout la nuit. Mon oncle portait mon petit frère de deux ans, ma maman tenait par la main mon second frère qui avait quatre ans et demi, et moi à six ans je marchais seul. Je me souviens que d’autres groupes marchaient plus vite que nous. Un groupe nous a doublés à un moment où ma mère portait mon petit frère qui était fatigué. Des personnes de ce groupe ont eu pitié d’elle. Ils ont pris mon frère des bras de ma mère, en lui disant : « on vous le laissera au sommet ». Au sommet de la montagne il y a le lac de Bissorte et un petit barrage avec une maisonnette. Ils ont déposé mon frère dans cette cabane. Ma maman pleurait car elle ne savait pas si elle allait le retrouver. Finalement tout s’est bien passé ; les gens qui avaient porté mon petit frère étaient des gens comme nous qui avaient simplement voulu rendre service. Du lac, nous sommes descendus à La Praz en plein après-midi, puisque nous étions arrivés du côté français27.

Certaines organisations de passeurs recrutent directement les candidats dans le Mezzogiorno et organisent leur acheminement pour un prix élevé :

Le voyage clandestin a commencé chez nous, à Melito Porto Salvo en Calabre. Pour pouvoir financer notre exil mes parents ont emprunté de l’argent aux gens aisés des lieux, des propriétaires terriens. Entre 7 000 et 10 000 lires par personne et notre groupe en comptait treize. Des sommes importantes pour l’époque, mais comment faire autrement ? Le voyage a commencé en train, puis s’est poursuivi en autobus jusqu’à La Thuile et de là nous avons pris le chemin du Petit-Saint-Bernard. Au sommet du col le guide nous a quittés et nous sommes arrivés à Bourg-Saint-Maurice28.

Des filières transnationales planifient même le passage de plusieurs frontières, comme cette organisation permettant à des Italiens du Sud de franchir les cols alpins puis de se rendre à Metz « où deux complices devaient se charger de les faire passer en Sarre (Allemagne) près de Forbach »29. À l’occasion de procès pour escroquerie, les mauvais traitements infligés par ces réseaux mafieux sont régulièrement détaillés dans la presse :

Douze émigrants clandestins qui cherchaient à se rendre en France ont été attaqués et dévalisés par leurs guides à qui ils avaient versé une forte somme d’argent pour se faire accompagner de l’autre côté des Alpes. L’un des auteurs de l’attaque a pu être identifié. Il s’agit d’un nommé Hugo Coste, résidant à Beaulard (Oulx) qui, à l’arrivée de la police, a tiré des coups de feu contre les agents et a réussi à s’enfuir. Le malfaiteur se serait réfugié dans la région de Briançon30.

6. Les dangers de la traversée en altitude

Même si le patronat français tire bien des avantages de l’immigration illégale, le franchissement clandestin de la frontière alpine a un prix très lourd en vies humaines. Les archives mentionnent en effet de nombreux accidents mortels, comme durant cette traversée du Petit-Saint-Bernard le 27 décembre 1945 :

J'ai quitté Ivrea avec quatre camarades dont mon frère pour venir travailler en France. Nous sommes arrivés le soir même à La Thuile d'Aoste où nous avons passé la nuit. Vendredi matin nous avons pris un guide pour franchir le Petit-Saint-Bernard. Nous sommes arrivés à la cantine n° 3 vers 13h ; nous avons mangé et nous sommes repartis. Il y avait beaucoup de neige et elle était humide et lourde ; notre guide pourtant muni de raquettes enfonçait jusqu'aux genoux ; nous nous enfoncions jusqu'à la ceinture et parfois plus encore. La neige tombait à gros flocons mais il n'y avait pas trop de vent. Le guide nous a laissé quelques centaines de mètres après avoir franchi le col et après nous avoir recommandé de ne pas boire d'alcool, de ne pas manger de neige et de descendre au plus vite vers la France31.

Deux membres de l’équipée étant incapables de poursuivre leur route, la tête du groupe s’est vue dans l’obligation de les abandonner à leur triste sort. Le Corriere della Sera du 6 novembre 1946 relate les épreuves d’une jeune femme ayant tenté de rejoindre Grenoble par la montagne avec ses trois enfants. Surprise par la neige alors qu’elle se trouvait déjà sur le versant français, elle finit par abandonner son dernier né de 18 mois en chemin. La presse française se fait également l'écho de telles tragédies, notamment Combat qui détaille le calvaire de cinquante-six émigrants siciliens découverts le 19 décembre 1946 près du col du Petit-Saint-Bernard par des gardes-frontières : « Ils avaient été surpris par une tourmente de neige et étaient complètement épuisés […] Ils ont été ravitaillés et hospitalisés en Italie ». Le Monde du 26 novembre 1947 relate la découverte par une équipe de secours d’une femme et ses six enfants inanimés dans la neige : « une Sicilienne […] qui, avec toute sa petite famille, essayait de rejoindre son mari à Grenoble ». Même s’il arrive que, par sensationnalisme, les médias ne rapportent pas toujours fidèlement la réalité des événements, les articles ont un impact sur les opinions publiques franco-italiennes qui s'émeuvent de la disparition de familles entières dans la tourmente. Au cours des années 1950, de nombreux autres accidents sont recensés par les autorités (Tazzioli 2020), notamment dans les environs du col de Pelouse (alt. 2793 m) et de la vallée de Rochemolles. Des volontaires de la section du Soccorso Alpino de Bardonecchia, sous la responsabilité du guide Emilio Bompard32, y sauvent plusieurs dizaines d’émigrants. L’un d’entre eux, Angelo Bonnet, se souvient d’une intervention particulièrement délicate au barrage de Rochemolles : « C’était en hiver et les conditions climatiques étaient très dures. On nous a signalé que près de la digue deux personnes étaient dans un état critique, dont une qui avait des symptômes de gelures »33. En France, face à cette situation dramatique, ce sont les gendarmes qui, en complément de leur mission de surveillance, sont amenés à porter secours aux personnes migrantes démunies, malades ou égarées en altitude.

7. De nouveaux voyageurs clandestins (1960-2020)

Après la signature du Traité de Rome en 1957 et la mise en place progressive du marché commun européen, l'ONI fait état de ses difficultés de recrutement en Italie. Les entreprises françaises se trouvent désormais concurrencées par les employeurs allemands et suisses qui proposent de meilleurs salaires. Durant cette période de rayonnement industriel des villes du nord de la Péninsule, on observe également des mouvements migratoires internes et des migrations de retour. Le patronat français se voit donc contraint de démarcher l’Espagne, le Portugal et l’Afrique du Nord, dont les ressortissants acceptent des salaires plus faibles que les Italiens. Bien que les candidats à l’émigration transalpins soient moins nombreux, la frontière franco-italienne demeure néanmoins très active. Entre 1960 et 1970, les préfectures des départements frontaliers constatent une certaine recrudescence d’immigrants en situation irrégulière, originaires d’Europe centrale ou des Balkans. Ce sont majoritairement des Yougoslaves fuyant le régime de Tito qui circulent à travers la ligne-frontière alpine (Ben Khalifa 2012 : 225). Dans leur exil, certains s’exposent aux dangers de la montagne, comme cet individu − entraperçu par le prieur de l’hospice du Mont-Cenis − qui « pour éviter tout contact humain, toute rencontre, tellement il avait peur d’être repris, et réexpédié chez lui, traversa à pied le lac gelé sur une longueur de deux kilomètres »34. Le Monde du 15 septembre 1960, rapporte également le décès d’un couple de Yougoslaves au col du Clapier (alt. 2477 m.) qui domine Bramans (Maurienne) : « Ils étaient partis de Susa en Italie le 4 septembre. Pendant quatre jours, se perdant à chaque instant, le couple erra dans la montagne, toujours à très haute altitude ».

La plupart de ces étrangers réussissent à régulariser leur situation sans difficulté dans la mesure où, dans un contexte de croissance économique, le patronat et les pouvoirs publics demeurent favorables à l’immigration de masse. L'action des entreprises s'inscrit en effet dans l'esprit des déclarations des responsables politiques de l'époque, comme Jean-Marcel Janneney, ministre des Affaires sociales en 1966 : « L'immigration clandestine n'est pas inutile car, si on s'en tenait à l'application stricte des accords internationaux, nous manquerions peut-être de main-d’œuvre »35. En 1968, les entrées irrégulières sur le territoire national, notamment en provenance du Portugal et d’Afrique du Nord, atteignent le chiffre record de 82 % des mouvements migratoires (Houdaille, Sauvy, 1974 : 729). Ce n’est qu’au début des années 1970 que s'opère un durcissement réel des politiques publiques en matière d’immigration, dans un contexte marqué par la dégradation de la situation économique française. Les circulaires Marcellin-Fontanet – du nom des ministres de l'Intérieur et de l'Emploi – de 1972 mettent fin aux régularisations et conditionnent désormais l'obtention d'un titre de séjour pour les étrangers à celle d'un contrat de travail et d’un logement décent (Sammut 1976). À partir du choc pétrolier de 1973, la représentation utilitariste du ‘travailleur clandestin’ qui légitimait son intégration illégale dans les rouages de l'appareil de production ne fonctionne plus. Le discours dominant lui substitue une nouvelle image, nettement plus négative et à finalité sociopolitique encore plus manifeste : le ‘clandestin’ comme menace à l'ordre public, qui va perdurer jusqu’à nos jours.

En dépit du durcissement des politiques d’accueil en France après 1980, nombre de personnes migrantes continuent à emprunter les chemins de la montagne. La frontière franco-italienne agit en effet comme un baromètre des crises politiques, économiques et sociales en Europe, en Asie et en Méditerranée, puisque les moments de tension dans ces espaces s'accompagnent de mouvements migratoires d’intensité variable.

Depuis l’avènement des ‘Printemps arabes’ en 2011 et la guerre civile en Syrie, on constate une nette augmentation des passages irréguliers dans la vallée de la Roya (Selek, Trucco 2020) puis dans la région de Briançon à partir de 2017. Les nouveaux exilés en provenance d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, d’Afghanistan ou d’Iran utilisent les mêmes itinéraires en altitude que les Italiens durant l’après-guerre, en particulier dans le secteur du col de l’Échelle et du Montgenèvre où ils doivent affronter des dispositifs policiers extrêmement sophistiqués (Bachellerie 2020).

8. Mises en récit et représentations de la traversée

On l’a vu précédemment, les passages clandestins à la frontière alimentent un véritable feuilleton médiatique en Italie et en France à partir du printemps 1945. Egisto Corradi, reconnu comme un observateur attentif de la réalité sociale de son temps, réalise au cours de l’hiver 1947 une enquête d’investigation sur la migration des Transalpins, publiée en quatre volets dans un supplément du Corriere della Sera36. Le premier article s’intitule « J’ai traversé à pied le Petit-Saint-Bernard en compagnie d’un groupe d’émigrants clandestins ». Le journaliste, travesti en ‘ouvrier’, achète un billet ferroviaire de troisième classe pour rejoindre le Val d’Aoste. À bord du train il se lie d’amitié avec Sarino, apprenti-coiffeur d’une trentaine d’années qui rêve d’exercer son métier à Lyon. À La Thuile, l’aubergiste chez qui ils séjournent explique que chaque nuit une bonne centaine d’individus tentent la traversée par tous les temps. L’enquête fourmille d’anecdotes sur les modalités du passage. Par exemple, lors de la rencontre avec le passeur celui-ci se vante d’avoir accompagné plus de 700 émigrants de l’autre côté de la frontière. En découvrant que les semelles des chaussures de Corradi sont lisses, il lui suggère d’y planter une douzaine de clous. L’auteur décrit ensuite, sur un mode lyrique, l’ascension du Petit-Saint-Bernard dans la nuit du 31 janvier 1947 :

J’ai le souffle coupé, les battements sourds de mon cœur se répercutent profondément dans mes tempes. Nous prenons une minute de repos, debout et enfoncés jusqu’aux genoux, la valise jetée dans la neige […] c’est là une muraille, pas une montagne, elle doit être gagnée cent mètres après cent mètres, en prenant des pauses pour respirer. Quand les battements du cœur semblent se calmer, on reprend la marche et on grimpe et on grimpe encore […]. Enfin, vers le haut, une tache sombre : la « première cabane de cantonnier », dit le guide […]. En une heure nous arrivons à proximité du bâtiment. « Attendez ici, je vais voir s’il y a quelqu’un. » Le calvaire ascensionnel se poursuit des heures et des heures durant, d’abri cantonnier en abri cantonnier. Une demi-heure de pause, de café chaud, puis de nouveau dehors : quand nous sortons, un vent furieux s’est levé. Il vient de face, soufflant la neige et soulevant des voiles de petites aiguilles glacées ; il est horriblement froid et tranchant. Le guide allume une lampe de poche et nous cheminons derrière lui à travers le halo laiteux.

Ce reportage, qui a eu un fort retentissement au sein de l’opinion publique italienne, a fixé une certaine représentation collective des mouvements migratoires après 1945. Il est régulièrement cité de nos jours par des journalistes, essayistes et animateurs de blogs interrogeant la mémoire de la traversée des Transalpins et ses résonances avec l’actualité des migrations dans les Alpes (Stella 2003).

À la même époque, deux œuvres cinématographiques, Fuga in Francia (1948) de Mario Soldati et Il cammino della speranza (1950) de Pietro Germi, dépeignent les problèmes des Italiens poussés à se déplacer par des besoins et des motivations variés (travail, fuite, exil, retour) après 1945. Ces films – qui tournent la page de la dictature fasciste et de la guerre − ont en commun la quête de la ‘terre promise des émigrants’, en l’occurrence la France, et le fait que les protagonistes l’atteignent clandestinement à travers les sommets enneigés (Pagliardini 2014). À partir des codes du néo-réalisme, ces deux cinéastes mettent en scène de vastes étendues frontalières, perçues depuis la perspective de leur franchissement par des personnages en mouvement (Mekdjian 2014). Dotées d’une incontestable force narrative, les scènes du passage de la barrière alpine participent à la fois d’une écriture documentaire et d’une réflexion à caractère universel sur la condition d’émigrant. Il y a un pouvoir d’interpellation dans ces images qui expriment les difficultés de la traversée en altitude, sans pathos excessif, offrant ainsi une représentation digne aux oubliés de la Reconstruction européenne. Cependant, dans Fuga in Francia, toute l’histoire ne tourne pas autour du seul axe thématique de l’émigration. Riccardo Torre, le personnage principal du film, est un haut responsable fasciste déchu et activement recherché à la fin de la guerre. Il fuit, accompagné de son fils, vers Paris où l’attendent des ‘amis’. C’est durant sa fuite qu’il est amené à côtoyer, au départ d’Oulx, des émigrants clandestins quittant l’Italie pour des raisons économiques. On suit alors leur périple dans l’ombre du mont Chaberton pour éviter les mouvements des carabinieri, puis le passage de la frontière près de Névache (Hautes-Alpes). Dans Il cammino della speranza, ce sont des chômeurs siciliens qui se lancent dans l’aventure migratoire sous la houlette d’un passeur mafieux qui les abandonne en chemin. On suit leurs pérégrinations à travers l’Italie puis leur ascension finale vers la frontière dans une tempête de neige où l’un d’entre eux disparaît. Au sortir de cette épreuve, le groupe épuisé se heurte à une patrouille itinérante franco-italienne de douaniers à ski. L’officier français, après un long regard compatissant en particulier sur les enfants, décide de faire une entorse à la loi en les laissant passer. Le film se termine par un plan du groupe achevant son périple vers Montgenèvre, tandis que la voix off de Pietro Germi proclame : « Les frontières sont tracées sur les cartes, mais sur la terre, telle que Dieu la fit […] il n’y a pas de frontières ».

Si Fuga in Francia n’est plus guère connu que des cinéphiles, en revanche Il cammino della speranza est devenu au fil du temps un véritable ‘lieu de mémoire’ de la migration italienne. Au cours des années 1950, l’intrigue du film sert de matrice à divers articles de presse évoquant la tragédie des mouvements migratoires clandestins. À titre d’exemple on peut citer le quotidien La Croix qui titre le 29 décembre 1956 : « Les autorités italiennes vont-elles barrer le chemin de l’espérance ? ». La même année, Emilio Fede, publie dans l'hebdomadaire La Settimana Incom Illustrata37, un reportage au titre choc : « L’angoisse dure douze heures. Trop de morts sur le chemin de l’espérance » qui s’ouvre par cette manchette : « Les “clandestins” (notons l'utilisation des guillemets) continuent à remonter les interminables vallées en une longue et exténuante marche ; beaucoup, cependant, ne franchissent pas la ligne d'arrivée »38. « Le chemin de l’espérance » cristallise donc une certaine mémoire de la migration italienne en inspirant expositions et publications testimoniales en France et en Italie39. Au cours d’une série d’entretiens avec des immigrés siciliens de Grenoble, Giulia Fiasso a pu observer que lorsqu’on leur demande de raconter l’épisode de la traversée des Alpes, certains interlocuteurs se réfèrent explicitement au film de Pietro Germi qui semble fonctionner comme « un référentiel mémoriel absolu » ou comme une mémoire normative et légitimante : « ce que j’ai vécu est vrai, car c’est comme dans le film » (Fassio, Viazzo 2012 : 263-264). Bien qu’il soit l’objet d’une mémoire lacunaire, ce moment-clé de la migration fait donc l’objet d’une réélaboration sous la forme d’une aventure collective audacieuse et périlleuse. Si l’on qualifie rétrospectivement ce parcours clandestin de ‘périlleux’ c’est qu’il est à la fois perçu comme une épreuve (periculum en latin) et comme une aventure (héroïsée) sur le « chemin de l’espérance ». En la circonstance le recours à un ‘nous’ permet de donner du sens à ce récit de la traversée, représenté et magnifié comme l’odyssée d’un Ulysse collectif (Violle 2017). Ainsi la narration d’une histoire singulière, ne serait audible et transmissible qu’intégrée au grand récit du passage par la montagne, parfois qualifié d’« exode » dans certains ouvrages testimoniaux (Villa 2007).

Pour que le récit de la traversée des frontières alpines ait du sens, au-delà des seuls cercles d’immigrés italiens, il faut qu’il soit remémoré et transfiguré par des chroniqueurs et des artistes qui le sortent de sa littéralité en montrant son exemplarité (Colucci 2011). Francesco Biamonti (1999), Erri de Luca (2017) ou encore Evelina Santangelo (2016)40, mettent en résonnance les mémoires de l’émigration italienne et les mouvements migratoires contemporains en Italie, favorisant ainsi leur inscription dans une matrice universelle. Leurs œuvres expriment cette idée selon laquelle les migrants d’hier et d’aujourd’hui participent d’un mouvement inépuisable à travers l’espace, consubstantiel d’une humanité en marche pour vivre mieux, ou simplement vivre (Vignali 2014). Ce faisant, elles déplacent l’ancrage historique vers une dimension atemporelle voire mythique (Gaudin 2017).

C’est cette même réflexion que poursuivent les documentaristes Shu Aiello et Catherine Catella dans Un paese di Calabria (2017)41 en compagnie des habitants de Riace, bourg marqué par l’exode rural, où sont installés des exilés kurdes qui contribuent à sa renaissance. Les réalisatrices tissent des liens entre l’émigration italienne d’après-guerre et cette nouvelle page de l’immigration en train de s’écrire, lorsqu’elles donnent à entendre en voix-off le récit d’une femme, son départ de Riace pour la France soixante ans plus tôt. Cette voix qui se souvient, sans être impersonnelle, n’a pourtant pas d’identité précise. Elle est en quelque sorte une mémoire collective, mais aussi une conscience.

The Milky way (2020)42 du réalisateur Luigi D’Alife a également recours à une forme d’anamnèse pour irriguer la réflexion au présent sur la question migratoire. Le film débute sous la forme d’un dessin animé présentant le passage clandestin des Italiens par la montagne vers 1950, avant de donner la parole à des frontaliers de Bardonecchia engagés à l’époque dans le secours en montagne. Ces retraités expriment leur solidarité avec les exilés d’aujourd’hui qui transitent par les mêmes cols en montagne. Lecteurs et spectateurs mesurent ainsi à quel point le système de la frontière – qui est à la fois une institution et une pratique (Viazzio 2009) – n’est pas seulement celui des États mais aussi le résultat d’une interaction avec les individus qui la parcourent hier et aujourd’hui; un champ d’action à partir duquel s’organisent des échanges, des négociations, des luttes (Amilhat-Szary 2020 : 20-22).

C’est dans cet esprit qu’à la logique de fermeture des frontières, reposant sur une certaine idée de la souveraineté nationale, Erri de Luca oppose une autre logique, celle de la liberté de circuler pour le plus grand nombre :

Immigration clandestine, le plus antique remède de l’humanité pour se soustraire à des conditions invivables, se réduit dans le vocabulaire d’aujourd’hui à une violation de domicile. Les myriades qui se déplacent sont réduites à un cas juridique. Il n’existe pas de clandestins dans nos montagnes […], il n’y a que des hôtes de passage43.

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Notes

1 « Le prieur de la dernière chance », Détective, mars 1954, p. 17. Retour au texte

2 En 1947, l’odyssée des 4500 « émigrants clandestins juifs » de l’Exodus à destination de la Palestine mandataire est mise en scène dans des termes similaires dans les grands médias. Retour au texte

3 Combat, 8 novembre 1946. Retour au texte

4 L'armée polonaise reconstituée en France participe à la bataille de Monte Cassino entre janvier et mai 1944. Retour au texte

5 Archives Départementales de la Savoie (AD), 1398 W 52, Immigration clandestine, procès-verbaux de gendarmerie, juillet-octobre 1945. Retour au texte

6 AD Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, p.v. de gendarmerie, juillet-octobre 1945. La véracité de son témoignage est corroborée par deux certificats émanant des autorités italienne et américaine, relatifs à son internement. Retour au texte

7 AD Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, p.v. de gendarmerie, juillet-octobre 1945. Retour au texte

8 AD Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, p.v. de gendarmerie, juillet-octobre 1945. Retour au texte

9 À la Libération, le terme de ‘réfugié’ regroupe les personnes déplacées par la guerre qui arrivent en France et certaines nationalités spécifiques : Russes, Arméniens et Espagnols, pris en charge par des Offices de réfugiés. Retour au texte

10 « Passage du col du Petit-Saint-Bernard par des émigrés du Val d'Aoste » le 11 novembre 1946 : https://www.ina.fr/video/AFE85001261 (page consultée le 27 septembre 2022). Retour au texte

11 A D Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, p. v. de gendarmerie, juillet-octobre 1945. Retour au texte

12 Entre 1945 et 1948, la France détient 1 065 000 prisonniers des forces de l’Axe, dont 907 000 Allemands. Retour au texte

13 Bulletin de la chambre de commerce de Grenoble, 12 novembre 1946. Retour au texte

14 La Liberté, 16 octobre 1946. Retour au texte

15 Dans Avanti, bulletin de la Confederazione Generale Italiana del Lavoro, du 16 mai 1946 on peut lire : « beaucoup d’employeurs français ont organisé une véritable chasse à l’esclave ». Retour au texte

16 Courrier de l'Union des syndicats ouvriers de Savoie au ministre du Travail, du 22 octobre 1948. Centre des Archives Contemporaines, 19810201/7, Travailleurs italiens, répression de l'immigration clandestine 1948-1956. Retour au texte

17 A. D. Savoie, 11M109, Étrangers, p.v. de gendarmerie, 1946. Retour au texte

18 En ce qui concerne la qualification des pratiques illicites, pour rompre avec la catégorie juridique d'‘infraction’ et avec la notion criminologique de ‘délinquance’, Michel Foucault (1975 : 84-89) a recours au concept d'illégalisme. Retour au texte

19 Cipria Brunodet, Maurizio Passionne, Angelo Tamone et Jean Baptiste Biche de Valtournanche, Victor Jacquallaz de Intro et Emile Mancorti de Maradi empruntent ce col entre le 15 et le 25 mai 1946. AD Haute Savoie, 4WD 36, Immigration clandestine des ouvriers Italiens. Retour au texte

20 A D Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, pv de gendarmerie brigade de Bozel, 21 septembre 1945.  Retour au texte

21 A D Savoie, 135 W53, Immigration clandestine pv de gendarmerie novembre-décembre 1945. Retour au texte

22 A D Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, pv de gendarmerie, juillet-octobre 1945. Retour au texte

23 A D Savoie, 11M115 Immigration clandestine, pv de gendarmerie 1946. Retour au texte

24 Les archives font état de plusieurs accidents mortels dans ce tunnel qui continue à être emprunté par des exilés à pied de nos jours. Retour au texte

25 AD Isère, 124 M 6, Immigration clandestine. Retour au texte

26 AD Savoie, 1398 W 52, Immigration clandestine, pv de gendarmerie, juillet-octobre 1945. Retour au texte

27 Entretien avec Rosalba Palermiti automne 2020. Retour au texte

28  Témoignage de Pietro Malaspina. AM de Cluses 193 W 31 Retour au texte

29 La Croix, 24 août 1956. Retour au texte

30 L’intransigeant, 1er décembre 1948. Retour au texte

31 A D Savoie, 11M109, étrangers procès-verbaux 1945-46. Brigade de Bourg-Saint-Maurice, 30 décembre 1945. Retour au texte

32 Né à Modane mais ayant grandi à Bardonecchia. Retour au texte

33 Témoignage extrait du documentaire The milky way (2020) de Luigi D’Alife. Retour au texte

34 « Le prieur de la dernière chance au Mont Cenis », Détective, mars 1954. Retour au texte

35 Les Échos, 29 mars 1966. Retour au texte

36 Corriere della Sera, 1947. « A piedi con gli emigranti clandestini » (1-2 8-9, 11-12 febbraio, 1947). Retour au texte

37 La Settimana Incom Illustrata, 1956, « L’angoscia dura dici ore ». Retour au texte

38 Cité par Maurizio Pagliassotti (2019 : 132-133). Retour au texte

39 http://www.italiens-savoie.fr/emigration-italienne/echos-d-une-exposition/ consulté le 8 avril 2020. Retour au texte

40 L’auteure y rappelle au lecteur italien sa propre expérience migratoire et l’invite à porter un autre regard sur le migrant d’aujourd’hui, en opérant une identification par l’expérience. Retour au texte

41 https://www.unifrance.org/film/41604/un-paese-di-calabria (page consultée le 12 mai 2021). Retour au texte

42 https://www.milkywaydoc.com/?lang=fr (page consultée le 12 mai 2021). Retour au texte

43 http://fondazionerrideluca.com/web/vagility/ consulté le 13 mars 2020. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Philippe Hanus, « « Je suis passé clandestinement par la montagne… » Pratiques, mises en récit et représentations du passage de la frontière franco-italienne (1945-2020) », Textes et contextes [En ligne], 17-2 | 2022, publié le 15 décembre 2022 et consulté le 04 mai 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=3914

Auteur

Philippe Hanus

Docteur en histoire, LARHRA, UMR 5190, Ethnopôle « Migrations, Frontières, Mémoires » Le Cpa Valence, 14 rue Louis, Gallet, 26000 Valence

Droits d'auteur

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