Ce petit essai, précédé d’une préface empathique et élogieuse signée du journaliste Jérôme Camilly est une petite histoire littéraire exhaustive de l’homme aux mille visages que fut Romain Gary et de son œuvre. Il présente un panorama de cette œuvre, depuis ses premières nouvelles jusqu’aux Cerfs-Volants, tout en retraçant, pas à pas, le parcours de son auteur, jusqu’à son terme – ce terme n’étant pas son suicide en décembre 1980, mais l’hommage national aux Invalides qui lui succéda une semaine plus tard.
L’exposé rappelle quelques données communes à l’œuvre et à son auteur : les jeux d’identité, la marginalité, la hantise de la vieillesse et de la mort, en une suite de chapitres ordonnancés suivant une chronologie brièvement rappelée en fin de volume (« Repères chronologiques »). Le rideau des premières pages du livre se lève sur les dernières heures du romancier, et place le récit de sa vie et de son œuvre sous le signe de l’« insaisissab[ilité] » d’un auteur protéiforme, « grand mythomane comme André Malraux », qui « incarne la France sans y être né » (p. 11). Valérie Mirarchi revient également sur les conditions et les raisons du suicide de l’écrivain qui « aura cherché toute sa vie l’impalpable sentiment du bonheur » (p. 14), un suicide résultant autrement plus de l’impasse personnelle, de l’impasse d’écriture dans laquelle il s’est un jour trouvé que, comme on l’avait affirmé alors, la mort de son ancienne épouse Jean Seberg, suicidée un an plus tôt.
Cet ouvrage bien documenté se présente ainsi à la fois sous la forme d’une biographie et d’une bibliographie commentée, comme doivent l’être les biographies d’écrivain : on y suit, avec la vie de l’auteur, les destins des principaux visages qui ont marqué le parcours et l’œuvre de Roman Kacew – à commencer par celui de sa mère Mina, celle immortalisée par La Promesse de l’aube.
La qualité de l’ouvrage réside également dans le fait que, loin de se cantonner dans un simple alignement de séquences narratives et informatives, il éclaire le parcours de Romain Gary de réflexions, d’argumentations, certaines servant à l’occasion de titre introducteur aux chapitres du livre. On pourra certes trouver « Pygmalion génial » bien empathique voire dithyrambique pour évoquer la rencontre entre Romain Gary et Jean Seberg, mais il n’est pas abusif d’affirmer « Gary précurseur des préoccupations du XXIe siècle » pour présenter Les Racines du ciel (1956, prix Goncourt) et sa dénonciation des tueries des éléphants d’Afrique.
Le parcours biobibliographique de Romain Gary consacre évidemment quelques pages et quelques réflexions à ce grand coup de théâtre littéraire des années 1970 que fut le personnage et « l’œuvre » d’Émile Ajar, découverts par le lectorat français en 1974, et dont la supercherie fut révélée post mortem par Romain Gary en 1981. On reprochera à cet ouvrage un regard rétrospectif un peu trop péremptoire, un peu trop rapide, sur l’identité littéraire d’Émile Ajar, même si ce regard est hélas de plus en plus courant à mesure qu’on s’éloigne de la mort de Romain Gary. En déclarant : « Qui se donnera la peine de relire Gary percevra assez vite de nombreux ajarismes » (p. 17), l’autrice de cet ouvrage fait un pari assez maladroit sur la compétence spontanée du lectorat de Romain Gary. Elle tient en effet, de fait, pour non pertinent l’avis de nombre de lecteurs confirmés – critiques littéraires voire écrivains eux-mêmes – qui, en ces années 1970, ne pouvaient pas, ne voulaient pas voir Romain Gary dans les écrits d’Émile Ajar, malgré quelques rares signalements jamais pris au sérieux, malgré la proximité familiale de celui qui servait alors publiquement de prête-nom à Émile Ajar, malgré la récurrence de certaines thématiques, de certaines obsessions. Tout cela, Romain Gary le raconte d’ailleurs très bien lui-même dans Vie et mort d’Émile Ajar (posthume 1981). La cécité des critiques, Valérie Mirarchi nous la rappelle elle-même, en revenant sur le fait qu’à l’occasion du roman Clair de femme (1977) signé Romain Gary, « des mauvaises langues disent que Gary essaie de faire de l’Ajar, qu’il copie son neveu […], allant jusqu’à l’accuser de plagiat » (p. 111). Tant il est vrai qu’aux yeux du lectorat français des années 1970, critiques littéraires compris, on estime, et Valérie Mirarchi a raison de le rappeler, « l’œuvre d’Ajar bien supérieure en qualité à celle de Gary qui serait un écrivain très vieillissant » (p. 112).
Le volume propose une bibliographie complète des œuvres de Romain Gary disponibles, dont sa parution récente en Pléiade (2019), de ses deux films, et des adaptations cinématographiques de ses romans. Y figurent également les ouvrages critiques récents (dont le numéro d’Europe de 2014 dirigé par Maxime Decout et Julien Roumette), les documentaires et des références sitographiques.