Représentations de l’éphémère en cartographie : quelques solutions pour visualiser les évolutions chronologiques d’entités ponctuelles

DOI : 10.58335/shc.84

Résumé

L’Archéologue s’intéresse à l’éphémère dans la mesure où il étudie les modes de vie en constante évolution des populations anciennes. La répartition spatiale des découvertes archéologiques connaît d’importantes variations mais la cartographie traditionnelle n’a pas toujours été à même de gérer les notions de temporalité et d’éphémère. Le but de cet article est de proposer quelques méthodes d’analyse et de représentation des données permettant de comparer directement les changements survenus entre deux phases chronologiques : déplacements du barycentre de la distribution, projections linéaires et cartographie des résidus, algèbre de cartes, calculs de Khi²… Les exemples sont issus d’une thèse réalisée à l’Université de Bourgogne consacrée à la consommation du métal en France orientale à l’Age du Bronze.

Plan

Texte

Gérer le temps est l’une des préoccupations majeures en Archéologie. Pour une discipline consacrée à l’étude des vestiges du passé, la maîtrise de la succession des événements ou de l’évolution des territoires constitue l’une des principales orientations de recherche. Quelque chose d’éphémère est quelque chose qui ne dure pas, qui a un temps de vie puis une disparition souvent rapide. Ainsi la notion d’éphémère traduit le changement, la mutation, l’évolution, la transformation ou la rupture. Le passé est presque uniquement constitué d’éphémère : les sites sont construits, occupés puis abandonnés, les objets sont produits, utilisés, puis délaissés ou recyclés… Le propre de l’Archéologie est donc d’étudier des phénomènes qui ont connu une naissance, brutale ou évolutive, une vie puis une fin par abandon, destruction ou transformation. La production suit des effets de mode ou bénéficie d’avancées techniques. Les structures sociales, politiques et économiques sont en constante mutation. Les études spatiales visant à comprendre comment les territoires évoluent se heurtent à la difficulté de trouver un moyen efficace de représentation des phénomènes éphémères. La carte est statique, elle ne permet pas à elle seule de gérer correctement le temps. Avec le développement des Systèmes d’Information Géographique et les outils informatiques qui leur sont associés, il devient à présent possible de transformer l’information ou de la gérer au mieux de manière à prendre en compte la dimension temporelle. La mise au point d’un système de visualisation du changement est ici appliquée aux données d’une thèse en cours de réalisation dans les Universités de Bourgogne et de Budapest1.

1) La consommation du métal à l’Age du Bronze en France orientale : l’étude d’un phénomène éphémère.

a) La place du métal dans les sociétés de l’Age du Bronze européen

La métallurgie se répand en Europe dès le IIIè millénaire et la possession du métal devient l’un des enjeux majeurs des systèmes économiques et politiques de l’Age du Bronze. Le bronze reste cher du fait de l’inégale répartition en Europe de ses composants, le cuivre et l’étain. Il doit être acheminé sur de longues distances de manière à atteindre toutes les régions qui en sont dépourvues ; la mise en place de vastes réseaux d’approvisionnement a donc été très tôt nécessaire. Comprendre comment le métal était consommé, c’est à la fois comprendre le fonctionnement d’une partie des systèmes économiques en place, mais également la structure sociale et politique de ces régions, ainsi que les relations qu’elles établissent entre elles.

D’après certains chercheurs, la création de réseaux d’échanges a entraîné des relations de dépendance des régions réceptrices vis à vis des régions productrices qui se trouvent à proximité des mines de cuivre et d’étain. Seule l’augmentation du recyclage permettrait d’assurer un certain dynamisme dans les régions les plus éloignées des ressources, mais cela aurait limité en même temps la possibilité de faire des dépositions d’objets (Needham, 1998). Mais les principaux témoins de l’utilisation du métal que nous possédons sont alors proportionnellement moins nombreux.

Le but de cette recherche est de vérifier cette théorie à travers une étude concrète des découvertes archéologiques dans une zone test : la France orientale.

b) Le cas de la France orientale

On ne trouve quasiment pas de mines de cuivre et d’étain dans le Nord-Est de la France, or il s’agit d’une région dont la production métallique est très dynamique, de nombreuses preuves sont apportées par des dépôts de bronzes, comme ceux de Villethierry (Yonne – Mordant, Mordant et Prampart, 1976) ou Blanot (Côte-d’Or – Thevenot, 1991). Les populations de la région devaient donc faire venir les minerais d’assez loin : l’étain de Bretagne, le cuivre des Alpes autrichiennes ou du Midi de la France.

Cette région reçoit en effet des influences d’origines variées, provenant tantôt de la façade atlantique, tantôt du monde oriental (notamment d’Allemagne, de Suisse, et parfois d’Europe de l’Est ou même du Nord). Cette position privilégiée pour les contacts entre les principales cultures de l’Age du Bronze européen déterminée par son réseau hydrographique et cette richesse matérielle font de la France orientale un très bon cas d’étude.

Une base de données des découvertes a tout d’abord été constituée : elle renferme 3731 sites archéologiques comprenant 11874 objets de métal. Organisées dans une base Accès, ces données ont ensuite été spatialisées et exploitées avec les logiciels de SIG ArcView 3.2 et Arc-Gis ArcInfo 8.3 au Pôle Géomatique et Cartographie de la MSH de Dijon et dans le laboratoire CNRS-SIS-CEIAS-UMR8564 CCT MASSIG de la MSH de Paris2.

L’objectif est de mettre en place une méthode d’étude de la consommation du métal et d’en modéliser les variations au cours du temps. Une analyse spatiale permettra d’identifier les zones de consommation du bronze, d’observer leurs déplacements et de déterminer les causes possibles de ces changements, tout en tenant compte du rôle joué par les élites dans la production et la distribution du métal (Kristiansen, 2000).

En effet, les découvertes archéologiques, plus particulièrement les ensembles d’objets métalliques suggèrent que les sociétés de l’Age du Bronze étaient hiérarchisées ; les dépôts, tout comme les tombes, montrent une représentation du pouvoir individuel, à travers des équipements personnel (Verger, 1991 ; Gauthier, 2003). Les élites contrôleraient l’approvisionnement, la distribution du bronze, la production d’armes et de produits de luxe, ainsi que les exportations. Les études de C. Mordant et P. Gouge sur le bassin de la Seine et de la Haute-Marne indiquent la présence de puissants notables au début du Bronze final dominant la zone (Mordant et Gouge, 1992). Les territoires mesuraient 7 à 15 km environ et la hiérarchie sociale était peut-être reflétée par une différenciation entre habitats de hauteurs fortifiés, habitats groupés ouverts et fermes isolées (Brun et Pion, 1992 ; Kristiansen, 2000).

Selon le modèle théorique de S. Needham (1998), la France orientale n’étant pas une région source, elle devrait consommer peu de métal et pratiquer le recyclage dans de très fortes proportions, ce qui limiterait encore davantage le nombre de bronzes découverts dans les tombes et les dépôts. La population s’accroissant au fil du temps, la consommation du métal devrait s’accroître, mais cette augmentation serait reportée dans une très faible mesure sur les dépôts métalliques puisque le recyclage serait plus nécessaire encore. Vérifier si les découvertes archéologiques fortuites ou issues de fouilles confirment ou non cette hypothèse est l’un des objectifs de ce travail. Mais le modèle de S. Needham est incomplet : il ne prend pas totalement en compte la dimension sociale qui régit les choix économiques (valeur sociale du bronze, choix culturels liés à la thésaurisation du métal, diffusion du métal dans la société, hiérarchie de l’élite…)

Si les vestiges métalliques découverts peuvent être mis en relation avec la présence de notables, les concentrations devraient donner des indications sur l’organisation sociale des régions tout autant que sur les systèmes économiques en place. La représentation par la cartographie des évolutions de ces paramètres au cours du temps peut apporter quelques réponses.

c) Chronologie

Il est nécessaire de faire porter cette recherche sur une durée suffisamment longue pour percevoir des évolutions intéressantes et la période choisie doit être découpée en un nombre limité de phases. Au Bronze ancien, le dynamisme des cultures européennes était étroitement lié à la proximité des gisements de cuivre et d’étain, ce qui permis notamment le développement des cultures d’Unétice et du Rhône. Par contre, au Bronze moyen la métallurgie s’est diffusée en Europe, le dynamisme des régions ne dépend plus seulement des ressources locales mais plutôt de la capacité des populations à concevoir une production métallique originale et à contrôler la circulation des matériaux. C’est pourquoi la consommation du métal sera étudiée ici à partir de cette époque.

La chronologie employée est la périodisation généralement utilisée en France à l’heure actuelle, basée sur de nouveaux regroupements de la chronologie établie par J.-J. Hatt. On distingue 4 périodes : le Bronze moyen (BM I et II de Hatt) dans son ensemble qui dure de 1600 av. J.-C. à 1350 environ, le Bronze final 1 (BF I et IIa) entre 1350 et 1150, le Bronze final 2 (BF IIb-IIIa) entre 1150 et 950 et le Bronze final 3 (BF IIIb) jusqu’aux alentours de 800 av. J.-C. Les quatre phases durent donc environ deux siècles et demi à un siècle et demi.

2) Représentation de l’éphémère en cartographie

a) Méthodes courantes

Le type de carte le plus courant est la carte de répartition des découvertes représentées par des cercles de taille proportionnelle à leurs effectifs. Mais une telle carte ne permet de représenter qu’une période à la fois. Pour cartographier les données de plusieurs périodes deux solutions simples sont envisageables : la superposition des données sur une même vue ou la juxtaposition de plusieurs cartes. Ces deux solutions sont illustrées ici, appliquées à la répartition des objets de bronze en France orientale au Bronze moyen et Bronze final 1.

La superposition (figure 1) oblige à représenter les cercles de chaque période avec une couleur spécifique. Certains cercles sont cachés par d’autres, la carte est alors très peu lisible et ne convient pas à la compréhension générale des évolutions.

La juxtaposition (figures 2 et 3) des cartes garde au contraire une bonne lisibilité des données de chaque phase individuellement. Mais la comparaison est alors difficile et la compréhension globale du phénomène évolutif n’est pas meilleure.

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b) Quelques solutions :

Résumer l’information

De par sa nature, la carte en points ne facilite pas la lecture globale des informations : la distribution est souvent trop vaste et irrégulièrement dispersée dans l’espace étudié. L’information fournie par la carte de répartition est également trop détaillée et trop complexe à interpréter dans cet état.

Pour la rendre plus claire, on peut résumer l’information afin d’en saisir uniquement les tendances principales. Si le calcul des moyennes s’applique à des séries numériques, le calcul des points moyens (appelés aussi barycentres ou encore centres de gravité) peut être employé pour des entités spatiales (Gauthier, 2004). Il s’agit du centre de gravité du semis de points correspondant aux objets archéologiques pour chaque période. Sa création consiste à calculer la moyenne des coordonnées X de tous les points : elle deviendra la coordonnée X du point moyen ; et la moyenne des coordonnées Y qui deviendra la coordonnée Y du point moyen. « Le repérage de la suite de ces points remarquables atteste de l’avancée de la propagation, leurs positions donnant un premier indice synthétique de la direction principale prise dans l’espace par le processus de diffusion. » (Pumain et Saint-Julien, 2001, p. 167).

Une fois le semis de point de départ résumé sous forme d’un point unique pour chaque période, les différents points peuvent être cartographiés ensemble. Chaque point moyen sera comparé par rapport au centre de la zone d’étude. Dans l’exemple choisi, les données ayant été positionnées sur le centre de chaque commune actuelle, il sera préférable d’utiliser non pas le centre géométrique de l’aire considérée mais le centre de gravité des communes de la zone d’étude. Dans le cas d’une répartition équilibrée le point moyen du semis considéré reste à proximité du centre de gravité des communes. Un écartement important par rapport à ce point de référence indique la présence d’une grande quantité d’objets qui « attire » le point moyen dans sa direction. Pour comprendre l’impact des évolutions chronologiques, on peut ensuite tracer des vecteurs reliant les phases à la suite les unes des autres de manière à montrer la progression des points moyens. L’orientation des vecteurs montre la direction des changements, leur longueur indique l’ampleur de la variation, si le déplacement effectué est important ou s’il reste faible.

La figure 4 représente le déplacement des points moyens des objets de métal pendant les quatre phases de l’Age du Bronze, en comparaison avec le centre de gravité des communes de la zone d’étude. Au Bronze moyen, le barycentre des objets est attiré vers l’Est, car les nécropoles de Haguenau sont très riches en parures et en armes de bronze. Le reste de la France ne présente pas de concentrations aussi importantes à cette époque. Au Bronze final 1, un phénomène de forte compétition culturelle apparaît au niveau du confluent Seine-Yonne. Cette zone dite « de lisière » (Mordant, 1998) est par conséquent très prospère : le point moyen de cette période est alors attiré vers le Nord-Ouest de la zone d’étude. Au Bronze final 2 et 3, le Sud de la zone d’étude devient très dynamique, notamment le val de Saône, la Franche-Comté et l’Allier : le point moyen est alors nettement dirigé vers le Sud de la France orientale.

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Cette méthode est employée pour des effectifs, mais les masses des objets de bronze peuvent être également considérées par l’intermédiaire d’une pondération des coordonnées. La formule est la suivante : Xg = (Σ (Xi x m)) / Σ m et Yg = (Σ (Yi x m)) / Σ m ; où m est la masse en grammes de métal par commune ; Xi et Yi, les coordonnées de chaque point I de la distribution et Xg et Yg les coordonnées du barycentre G de la distribution.

La figure 5 représente les déplacements du barycentre des masses des objets au cours des quatre périodes. Il se situe cette fois toujours au Sud du centre de gravité des communes de la zone d’étude, ce qui suggère que de grandes quantités de matériaux ont circulé dans cette région à toutes les phases.

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Pour le Bronze final, les résultats sont globalement les mêmes avec les masses métalliques qu’avec les objets. Mais des différences beaucoup plus importantes apparaissent pour le Bronze moyen. Si les objets sont plus nombreux en Alsace, ils sont relativement légers. Par contre au Sud, notamment dans l’Allier et le long de la Saône, on rencontre de petits dépôts de haches et de lingots, deux des principales formes de circulations données au bronze à cette époque. Ces dépôts bien que petits ont des masses non négligeables. Le bronze n’y était peut-être pas consommé en grandes quantités, mais il y a en tout état de cause circulé dans cette partie de la France orientale, alors qu’elle ne faisait pas partie de la très dynamique Culture des Tumulus Orientaux, mais simplement de ses marges. Deux modes de thésaurisation apparaissent donc au Bronze moyen : au Nord-Est, une déposition de parures et d’armes en grand nombre dans les tombes, au Sud de lourds dépôts de semi-produits. Cela traduit deux modes différents de consommation du métal par l’élite en relation avec deux manières différentes de considérer le métal, probablement en raison d’un accès plus ou moins aisé aux produits de la principale culture du complexe Nord-Alpin au Bronze moyen et une importance plus grande donnée à la valeur métallique des pièces dans les régions éloignées.

Cartographier les différences entre deux périodes.

La représentation des différences entre deux périodes est une autre possibilité. Mais avant de pouvoir cartographier les résultats de la soustraction de deux cartes d’entités ponctuelles, il faut tout d’abord traiter les données. Une première solution est la simplification par projection linéaire. Dans la même optique que précédemment, on pourra par exemple tenter d’obtenir une vision globale de la zone d’étude en essayant de savoir quelle direction générale est privilégiée à une période donnée. Par exemple, les découvertes se situent-elles plutôt au Nord, au Sud-Est… ?

La projection linéaire est une méthode qui permet de considérer l’importance d’un axe en lui attribuant les découvertes les plus proches. Cette technique, aussi été utilisée pour les questions de circulation des matériaux, a été notamment développée en archéologie par C. Mordant et L. Saligny pour la répartition des masses de métal le long de l’axe Saône/Rhône (Mordant, 2003 et Mordant et alii, à paraître dans Mémoires de l’Ecole française de Rome).

Les points sont projetés sur une « rose des vents » (Gauthier, 2004), c'est-à-dire huit axes indiquant les huit directions principales centrées sur le centre de gravité de la zone d’étude, de manière à ce que toutes les directions aient une probabilité égale de comporter des informations. Le but n’est pas ici de regarder en détail les variations des différentes parties de chaque axe, mais simplement de résumer la distribution des points en mettant en évidence la direction privilégiée sur la zone d’étude. Chaque point de la carte s’associe au tronçon le plus proche. La somme des masses de métal des points qui sont associées à chaque segment est ensuite réalisée et la largeur du tronçon est modifiée en fonction de cette valeur. Une projection linéaire est faite pour chaque période : si les axes sont tronçonnés exactement de la même manière, on peut alors comparer deux à deux les différentes périodes en faisant la soustraction des valeurs portées sur les axes à deux périodes consécutives. On obtient ainsi une carte des différences : les valeurs positives traduisent une augmentation, les valeurs négatives une diminution. Les valeurs proches de 0 correspondent à un phénomène de stabilité chronologique des données.

En reprenant l’exemple précédent, on constate que le Bronze moyen (figure 6) a fourni une plus petite quantité de découvertes métalliques que la phase suivante. Les axes privilégiés au Bronze moyen sont, comme les points moyens l’avaient déjà montré, le Nord-Est, le Sud et le Sud-Ouest et au Bronze final 1, le Nord-Ouest (figure 7). Le Sud est également bien représenté à cette époque car la Saône, axe majeur de circulation intensivement prospecté, a fourni un grand nombre de trouvailles de chaque époque. On obtient donc une carte pour chaque période, mais le problème qui se pose pour leur comparaison est le même que précédemment : comment les comparer ? Pour visualiser les évolutions, il faut faire une carte de la soustraction des valeurs des deux périodes consécutives. La figure 8 montre que les découvertes sont moins nombreuses vers les extrémités (Est, Sud-Est, Ouest, Nord-Ouest, Sud-Ouest) de la zone d’étude au Bronze final 1. L’axe sud-occidental devient moins important, au détriment des axes Ouest et Nord-Ouest. Les alternances de vert et de rouge tout le long de l’axe Sud montrent que cette direction reste riche en découvertes pendant les deux phases.

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Le même type de méthode peut être employé pour d’autres « transects » par exemple des axes de circulation, comme des cours d’eau. Il sera dans ce cas possible d’examiner plus en détails les évolutions des masses projetées sur les axes, car les variations dépendent des déplacements des matériaux le long des cours d’eau. Il ne s’agit donc plus ici de résumer la distribution générale des points dans la zone d’étude, mais de déterminer l’importance des voies de communication, des zones de transit des matériaux et de certains lieux de contrôle de la circulation (gués, confluents…). Les découvertes à prendre en compte sont cette fois limitées aux sites situés à moins de 15 km des cours d’eau, car cela semble être une distance raisonnable pour garantir l’influence de l’axe sur l’implantation des occupations humaines (Gauthier, 2004).

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La figure 9 présente la projection linéaire des masses de métal du Bronze moyen sur les tracés simplifiés des cours d’eau. Le Rhin, la Saône, la Seine, L’ill, le Cher et l’Allier sont bien représentés. Au Bronze final 1 (figure 10), on constate une forte augmentation des découvertes près de la Saône, de l’Yonne, de la Seine et du Rhin. La carte de la différence entre les deux périodes (figure 11) permet de faire une comparaison plus facile, plus sûre et de donner plus de détails :

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Trois constatations peuvent être faites :

Des changements des réseaux fluviaux privilégiés : au Nord-Est, c’est surtout la haute vallée de l’Ill et non le Rhin qui se développe. La Meuse devient moins importante, au contraire de la Moselle. La Marne ne semble jamais tenir une place très importante, mais ce peut être du à des biais dans la documentation. Le Cher, la Sioule et l’Allier présentent plus de découvertes au Bronze moyen et peu au Bronze final 1, alors que la Loire au contraire présente de plus fortes valeurs à cette période.

Des variations dans la partie du cours d’eau privilégiée, haute, moyenne ou basse vallée : les moyennes vallées de la Seine et de l’Yonne (et leur confluent) semblent tenir un rôle majeur au Bronze final 1, tandis que les hautes vallées de ces deux cours d’eau ainsi que de leurs affluents perdent de leur importance.

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Le cas de la Saône et de l’Ain est particulier, car ces cours d’eau sont importants aussi bien au Bronze moyen qu’au Bronze final 1, mais les points d’intérêts varient d’une période à l’autre et on peut observer les déplacements tout le long de l’axe des installations humaines, très certainement en relation avec des habitats et des gués.

L’algèbre de carte appliquée à des grilles se prête également bien à la cartographie des différences dans la mesure où l’on contrôle la validité des opérations algébriques et si les maillages comparés sont toujours les mêmes. L’application d’une méthode créée par C. D. Tomlin (1990) aux données étudiées ici a fait l’objet d’une présentation au colloque d’Antibes en octobre 2004. La méthode des sommes focales est une méthode nouvelle pour l’Archéologie. Elle consiste à calculer des densités pour chaque maille d’une grille mobile par rapport à une surface plus grande qui l’entoure, nommée « voisinage ». A la différence des méthodes d’interpolation, on ne réalise aucune estimation et on ne traite que des données existantes. D’autre part, la continuité spatiale est restituée sans supposer la continuité du phénomène étudié (Gauthier, 2005 et Gauthier, 2004).

Un autre avantage des grilles est la possibilité de combiner plusieurs critères. Si l’on prend l’exemple de la recherche des zones potentielles de consommation du métal, les principaux indicateurs sont bien entendu les objets découverts. Mais le bronze était généralement recyclé et les seuls objets qui nous sont parvenus sont des objets thésaurisés volontairement. Tout le métal utilisé dans une région a en effet pu disparaître. Si les zones où l’on a découvert des objets de bronze peuvent effectivement être qualifiées de zones de consommation du métal, il faudra donc aussi tenir compte d’un second indicateur : l’implantation humaine qui peut correspondre à des zones potentielles de consommation du bronze. Cet indicateur est représenté par les sites archéologiques.

La méthode des sommes focales est utilisée pour chacun de ces deux indicateurs à combiner, les objets et les sites, de manière à obtenir sur une même carte toutes les zones potentielles de consommation du bronze. Cette technique consiste dans un premier temps à réaliser un maillage de la zone d’étude pour lequel chaque maille (de 500m de côté) portera l’information de la fréquence du nombre d’objets (ou de sites) qu’elle contient. Les fréquences sont en effet utilisées de manière à pouvoir ensuite combiner les deux critères. D’autre part, elles sont calculées en échelle commune pour permettre les comparaisons chronologiques.

Le calcul des sommes focales permet ensuite de restaurer la continuité de l’information sans supposer la continuité du phénomène, et d’obtenir les zones de concentration présentant tantôt des changements progressifs tantôt des ruptures. Les densités sont calculées par rapport à des voisinages de 900km² autour de chaque maille de 500m. Les zones contenant le plus d’informations sont ainsi mises en valeur, et l’on peut caractériser leur rapport avec le reste de l’espace.

La somme, la moyenne ou bien la prise en compte du maximum des valeurs de chaque maille permet enfin de combiner les deux indicateurs. Les trois méthodes présentant des résultats assez similaires (Gauthier, à paraître dans les actes du Colloque d’Antibes - octobre 2004), c’est la somme algébrique des deux grilles qui est ici choisie pour le Bronze final 1 (figure 12) et le Bronze final 2 (figure 13). On visualise de cette manière toutes les zones de consommation du métal, en déterminant leur localisation, leur amplitude spatiale et leur valeur relative pour une phase définie.

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Le fait que les grilles soient parfaitement superposables et qu’elles portent des valeurs comparables, permet de faire la soustraction des grilles de deux périodes (il s’agit de la soustraction algébrique des valeurs des mailles). Les dégradés de couleurs permettront de mettre en valeur les augmentations et les diminutions des indicateurs archéologiques au cours du temps. On peut ainsi observer les déplacements des zones les plus dynamiques, et constater au Bronze final 2 (figure 14), un affaiblissement général des indicateurs de la consommation du métal par rapport au Bronze final 1 (la plupart des zones sont vertes ou bleues). Ils redeviennent très nombreux au Bronze final 3 avec une augmentation des surfaces rouges (figure 15).

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Par ces deux méthodes, on obtient donc une visualisation claire et efficace des évolutions chronologiques, sans avoir à résumer la distribution ; on peut alors comprendre en détail la structuration de la zone d’étude. Un inconvénient subsiste : les périodes ne peuvent être comparées que deux à deux.

Réaliser un tableau de contingence prenant en compte le temps.

Au delà de la cartographie et de la présentation des données, il peut être intéressant de passer par une analyse statistique de la distribution. On peut ainsi rester dans le domaine de l’analyse détaillée des phénomènes, tout en comparant autant de périodes qu’on le souhaite et en évitant les contraintes liées à la représentation. La méthode proposée ici consiste à vérifier l’existence de corrélations ou au contraire l’indépendance entre facteurs spatiaux et chronologiques.

Par exemple, existe-t-il une corrélation entre la localisation des sites de chaque période et leur éloignement par rapport au réseau hydrographique ? Un buffer (zones tampon) permet de délimiter des zones tous les 5 km autour de chacun des principaux cours d’eau de France orientale. En effet, il est nécessaire de prendre en compte l’imprécision de la spatialisation des points ; or la largeur moyenne des communes est de l’ordre de 5km. On doit aussi considérer la taille du territoire d’un habitat : les exemples proposés par P. Brun et P. Pion (1992) montrent clairement que les sites sont implantés tous les 2 ou 3 km en plaine et que les principaux territoires mesurent 7 à 15km . La valeur de 5 km semble ainsi raisonnable.

Un tableau de contingence permet d’enregistrer les effectifs des points (les sites archéologiques) dans chacune de ces zones pour chaque période. Rapportées en pourcentages, les valeurs indiquent déjà des préférences pour certaines distances aux cours d’eau selon les périodes. Pour plus de précision, ces valeurs sont comparées avec les valeurs théoriques en cas d’indépendance de ces deux facteurs (Gauthier, 2005). Ces valeurs théoriques (calcul de Khi²) sont déterminées à partir des données du tableau de contingence, uniquement grâce aux distributions marginales (Groupe Chadule 1994, p. 86-87).

On compare ensuite valeurs réelles et théoriques en les soustrayant. Il faut que les effectifs de départ soient suffisamment importants de manière à ce que les chiffres obtenus soient représentatifs de véritables variations. Seuls les écarts les plus importants sont pris en compte (on peut aussi utiliser des pourcentages ou encore relativiser les valeurs obtenues). Les résultats positifs indiquent que la classe de distance est « anormalement » représentée : les sites de cette période sont implantés de préférence dans ces zones. A l’inverse, les valeurs négatives indiquent que les distances considérées sont peu prisées pour l’installation des sites. Nous avons alors des cas de corrélation entre les deux facteurs. Si les valeurs restent proches des valeurs théoriques, nous concluons que le critère n’est pas un facteur déterminant de l’implantation de sites sur l’espace de la zone étudiée.

Dans l’exemple ci-dessous (figure 16 - voir annexes en fin de texte), les sites du Bronze moyen et du Bronze final 1 semblent s’implanter de préférence à proximité des cours d’eau, alors qu’ils s’en éloignent dès le Bronze final 2 et surtout au Bronze final 3 (Gauthier, 2004). Dans le même temps, les populations paraissent avoir un engouement particulier pour les sites de hauteur souvent fortifiés. On a autrefois parlé de mouvements de populations liés à des invasions, à une période d’insécurité, mais cela traduit peut-être surtout les changements climatiques intervenus à cette phase (une dégradation climatique ayant aussi poussé à l’abandon des rives des lacs de Suisse et du Jura) : les gens préfèrent s’installer dans des zones moins humides, comportant moins de risques d’inondation, sur les hauteurs à 10 km et plus des cours d’eau principaux.

Le propre de l’archéologie est d’étudier l’éphémère, dans la mesure où l’on s’intéresse à des phénomènes du passé qui ont considérablement évolué au cours des siècles. La constitution d’un corpus de sites ou d’artefacts est généralement la première phase du travail d’un archéologue. L’étude de la répartition des découvertes dans l’espace se concrétise généralement par leur spatialisation sous forme de symboles ponctuels dont la distribution irrégulière et large reste difficile à analyser. La visualisation des données ponctuelles peut bénéficier d’autres solutions que la simple représentation de cercles de taille proportionnelle. L’exploitation de ces données peut en effet passer soit par le résumé de la distribution, soit par la restauration de la continuité spatiale ou encore par une analyse statistique. La première étape doit donc être la mise en forme des données. Une fois cette question réglée, les cartes de plusieurs périodes sont plus facilement comparables et on peut alors chercher des méthodes de représentation des aspects éphémères qui ont trait aux phénomènes spatialisés. Quelques solutions ont été proposées ici : le déplacement au cours du temps du point moyen de la distribution, la soustraction des cartes de deux périodes (dans la mesure où elles sont parfaitement superposables et si les données sont elles-mêmes comparables), ou encore la prise en compte du facteur temps dans un tableau de contingence. Ces quelques méthodes s’appliquent particulièrement bien aux données archéologiques ponctuelles, mais ces solutions ne sont qu’un petit échantillon de toutes les techniques possibles d’analyse de l’éphémère en cartographie.

Estelle GAUTHIER
Docteur en Archéologie
UMR 5594 Archéologie, cultures et sociétés
Université de Bourgogne

Bibliographie

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CHADULE Groupe, Initiation aux pratiques statistiques en Géographie, 3è éd., Paris, Masson, 1994, 203 p.

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Notes

1 Je tiens à remercier à cette occasion mes directeurs de thèse, Claude Mordant, professeur à l’Université de Bourgogne et Miklós Szabó, Pr. Directeur de l’institut d’Archéologie à l’Université Eötvös Loránd de Budapest. Retour au texte

2 Je souhaite exprimer toute ma gratitude envers Françoise Pirot (UMR 8564 - MSH, Paris) et Laure Saligny (Pôle géomatique et cartographie – MSH, Dijon) pour leur aide et leurs conseils précieux. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Estelle Gauthier, « Représentations de l’éphémère en cartographie : quelques solutions pour visualiser les évolutions chronologiques d’entités ponctuelles », Sciences humaines combinées [En ligne], 1 | 2007, publié le 01 octobre 2007 et consulté le 19 avril 2024. DOI : 10.58335/shc.84. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=84

Auteur

Estelle Gauthier

Docteur en Archéologie, Artehis UMR 5594