Migrer ? Rester ? Rentrer ? Les raisons du processus migratoire dans une population d’Afrique subsaharienne francophone

DOI : 10.58335/shc.357

Cette étude fait partie d'un programme de recherche visant à mieux comprendre les raisons des ressortissants d'Afrique subsaharienne francophones à s'installer en Europe et particulièrement en France. En nous appuyant de façon métaphorique sur la définition de la motivation de Vallerand et Thill (1993) nous avons créé un questionnaire anonyme pour recueillir des données sur la construction du processus de migration. Tous les participants (N: 318) sont des citoyens des pays francophones d'Afrique subsaharienne, âgés entre 14 et 56 ans. Pour l’analyse, nous avons créé deux groupes : les participants qui résident dans leur pays d'origine (n: 164), et la population migrante (n: 154). Dans les cas où il était pertinent, nous avons subdivisé le groupe de migrants en trois sous-groupes afin de faciliter la compréhension de la dynamique des migrations. Les participants ont été contactés par des réseaux sociaux et des relations professionnelles et personnelles en Europe et en Afrique. L'analyse par groupe (migrants et non-migrants) montre une prédilection pour des raisons économiques comme raison pour migrer et s’établir en Europe. Le retour est envisagé en tant que possibilité de stabilité et de contribution au développement du pays d’origine. Ces résultats confirment ceux de notre 1ère étude (Velandia Torres & Lacassagne, 2012), en ce qui concerne les principaux facteurs qui déterminent le processus de migration. Malgré les progrès de cette étude, elle constitue une ligne de départ pour explorer l’adaptation et l’intégration des ressortissants africains en France qui ne vise pas à établir des généralités applicables à tous les Africains qui souhaitent migrer ou qui sont actuellement dans un processus migratoire mais qui cherche à comprendre des raisons pour migrer dans une population spécifique, permettant l'accès à des phénomènes psychologiques sous-jacents. Les résultats de nos travaux nous donnent trois principaux objectifs pour la suite : a) avancer d’avantage dans la compréhension du contenu des stéréotypes sur l'Afrique , présents dans la société française , b) déterminer plus précisément l'importance de point de référence pour expliquer les motifs du processus migratoire et c) faire progresser la compréhension des relations entre les ressortissants de l'Afrique sub-saharienne et la population française, grâce à l'utilisation du questionnaire RepMut1 comme outil pour mesurer le racisme et la discrimination, entre autres phénomènes.

This study is a part of a research program aimed at understanding the reasons French-speaking Sub-Saharan African nationals settle in Europe and particularly in France. We decided to use metaphorically, the definition of motivation proposed by Vallerand and Thill (1993) to create an anonymous questionnaire to collect data on the construction of the migration process. All participants (N: 318) are French-speaking Africans, citizens of Sub-Saharan African Francophone countries, aged between 14 and 56 years old. For the analysis, we created two groups: participants who reside in their home country (n: 164), and the migrant population (n: 154). In cases where it was relevant, we subdivided the group of migrants into three sub-groups to facilitate the understanding of migration dynamics. Participants were contacted through social networks and professional and personal relationships in Europe and Africa. The group analysis (Migrants vs. Non-Migrants) shows a predilection for economic reasons as reason to migrate ant to settle; the return is explained in terms of economic stability and the ability to provide knowledge and the means of development in the home country. These results confirm those of our 1st study(Velandia Torres & Lacassagne, 2012), in respect of the main factors determining the migration process. Despite the progress of this study, it remains one based on a qualitative approach, which does not seek to establish generalities applicable to all Africans wishing to migrate or in a migration process. Rather, it is the understanding of the reasons for migrating in a specific population, allowing access to underlying psychological phenomena. The results of our work provide three main objectives for future study: a) further the understanding of the contents of stereotypes about Africa, present in French society, b) determine more precisely the importance of reference point in explaining the grounds of the migration process and c) advance the understanding of relations between nationals of sub-Saharan Africa and the French population, thanks to the use of the RepMut2 questionnaire to measure racism and discrimination, among other phenomena.

Este estudio hace parte de un programa de investigación destinado a comprender las razones de los ciudadanos de África subsahariana para establecerse en Europa y especialmente en Francia. A partir de una utilización metafórica de la definición de motivación de Vallerand y Thill (1993) un cuestionario anónimo permitió la recuperación de datos sobre la construcción del proceso migratorio. Todos los participantes (N: 318) son ciudadanos de países francófonos de África subsahariana y tienen entre 14 y 56 años de edad. Para el análisis, fueron creados dos grupos: los participantes que residen en su país de origen (n: 164) y los participantes migrantes (n: 154). En los casos en los que fue pertinente, este último grupo fue dividió en tres sub-grupos, con el fin de facilitar la comprensión de la dinámica migratoria. Los participantes fueron contactados por medio de las redes sociales y de relaciones profesionales y personales en Europa y África. El análisis por grupos (migrantes y no migrantes) muestra una preferencia por los motivos económicos como razón para migrar y establecerse en Europa; el regreso se considera como una contribución posible a la estabilidad y el desarrollo del país de origen. Estos resultados confirman los de nuestro primer estudio (Velandia Torres & Lacassagne, 2012) en relación con los principales factores que determinan el proceso de migración. A pesar de los avances, este estudio es solo una línea de base para entender la adaptación e integración de los ciudadanos africanos en Francia. Así, no se busca establecer generalidades aplicables a todos los africanos que desean migrar o al proceso de migración en sí mismo; se busca más bien comprender las razones de la migración en una población específica, permitiendo el acceso a los fenómenos psicológicos subyacentes. Los resultados de nuestro trabajo sugieren tres objetivos principales para los estudios a venir: a) profundizar la comprensión de los estereotipos movilizados en la sociedad francesa con respecto al continente africano, b) determinar con mayor precisión la importancia del punto de referencia en la explicación de las razones del proceso migratorio y c) avanzar en la comprensión de la relación entre los ciudadanos de África subsahariana y la población francesa, a través del uso del cuestionario RepMut3 como herramienta para medir el racismo y la discriminación, entre otros fenómenos.

Plan

Texte

Introduction

La population étrangère et immigrante en France

L’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques – INSEE estime à 65350000 la population française au 1er janvier 2013. Cette population se répartit en trois groupes : les français, les étrangers et les immigrants. 4

Selon les données de l’année 2012, les étrangers en France seraient au nombre de 3714504, dont 41% (soit 1523505) sont citoyens d’un pays du continent africain. De façon plus détaillée, les étrangers venant d’Afrique subsaharienne sont au nombre de 441477, (50.2% hommes et 49.8% femmes) et sur cette population 300407 ont entre 18 et 59 ans. A cette population, on peut aussi ajouter 11 % de citoyens français qui sont des descendants directs d’un ou de deux immigré(s), c'est-à-dire, 6500000 personnes, et parmi les enfants d’immigrés qui ont entre 18 et 30 ans, la moitie ont des origines africaines (Borrel & Lhommeau, 2010). Ces statistiques permettent de faire le constat d’une diversification des flux migratoires depuis 1974, année de la fin des 30 glorieuses5, avec une diminution du nombre d’immigrés originaires d’Europe qui contraste avec un accroissement d’immigrés originaires d'Asie et d'Afrique subsaharienne.

La relation entre groupes dit « ethniques » a longtemps été un sujet tabou, au-delà des clichés sur l’intégration des français d’origine maghrébine et Noirs (antillais ou afro-descendants) en France. Nonobstant, la question sur l’intégration des primo-arrivants et des citoyens français issus de l’immigration continue à être un sujet pertinent ; à titre d’exemple, l’inauguration en juillet 2004 de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et du Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire, en mai 2007 (même s’il a été supprimé en 2010) ou le fait d’une augmentation dans les urnes des voix octroyées par les français au Front National, Parti politique d’extrême droite, connu par son discours anti-migratoire (Conseil Constitutionnel, 2012)6.

Pour ce qui concerne la mesure du racisme (et plus largement la mesure des discriminations), l’enquête TeO7 (Beauchemin. C, Hamel. C, Lesné. M, Simon, & l’équipe-TeO, 2010) trace le panorama des discriminations vécues par les immigrés et leurs descendants en France. Ces informations se trouvent ratifiées par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale - CERD qui en 2010, a publié l’examen des rapports présentés par le gouvernement français, se prononçant sur des sujets d’inquiétude, tels que les discours politiques de nature discriminatoire et l’augmentation récente des actes et manifestations à caractère raciste et xénophobe, la discrimination vécue pas les personnes issues de l’immigration ou issues de groupes ethniques qui font obstacle à leur intégration à la société française et l’augmentation des fonctions assumées par le défenseur des droits, (d’après la réforme fait par Nicolas Sarkozy dans les lois n° 2011-333 et ° 2011-334 du 29 mars 2011), qui, dans la multiplicité de ses missions, risque de négliger celle de la lutte contre la discrimination raciale.

La condition noire et la France

Dans l’histoire des sciences humaines en France, durant longtemps la recherche scientifique a complètement ignoré la condition noire. Kuczynski, et Razy expliquent que « la présence en France de ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne… est longtemps passée inaperçue ». (Kuczynski & Razy, 2009). Quant à Ndiaye, il affirme que « les Noirs de France sont individuellement visibles, mais ils sont invisibles en tant que groupe social et qu’objet d’étude pour les universitaires » (Ndiaye, 2005, p. 91). Il exprime ainsi que, au sein de la république française ce sont les individus, plus que les groupes humains qui sont pris en compte, et ceci, en faveur des valeurs républicaines. En effet, au sein de la République Française, toute statistique référant à l’appartenance ethnique reste inconstitutionnelle8.

La « race » est inexistante comme catégorie biologique et pour cela, son utilisation reste inacceptable comme critère pour distinguer le gens. Malgré cela, il est indiscutable que dans la complexité des réalités sociales, la catégorisation des personnes en fonction des appartenances ethniques réelles ou supposées est inévitable. Comme le souligne (Brewer, 1979), l’âge, le sexe et la race font partie des éléments de perception les plus saillants.

Voilà pourquoi Ndiaye, spécialiste de la question noire en France, en prenant en compte le courant sociologique des relations de race (Hartmann, Croll, & Guenther, 2003) et connaisseur de la tradition sociologique de l’école de Chicago, explique dans son ouvrage « la condition noire » que, même s’il est vrai que la notion de « race » n’a pas un soutien biologique, moral ou scientifique, elle doit être employée en tant que représentation, ou concept social permettant d’avancer dans la recherche de l’égalité des droits et la lutte contre la discrimination. (Ndiaye, 2008)

Dans cette optique, la condition noire renvoie au partage d’une catégorie partagée par d’autres personnes, dans une société et à un moment donné, qui laisse la possibilité à la personne ou au groupe social en question d’accepter ou pas cette distinction. « Les Noirs ont en commun de vivre dans des sociétés qui les considèrent comme tels. Ils n’ont pas le choix d’être ou de ne pas être tels qu’on les voit. Ils ont en revanche le choix d’assumer leur identité racialisée […] Un noir est un homme que les autres tiennent pour noir. » (Ndiaye, 2008, p. 57).

Il est évidemment possible de trouver des recherches françaises sur des sujets spécifiques en relation avec le continent africain ou aux populations noires des Départements et Territoires d’ Outre-mer même si pour ces études la condition noire n’est pas un axe de recherche en soi. Ce n’est qu’à partir des années soixante, « ...alors que leur présence en France commence à s’intensifier, que les migrants africains font leur apparition dans quelques rares études de sciences sociales ». (Kuczynski & Razy, 2009) et le regard français, dissonant par rapport aux autres africanistes est maintenu.

Méthode

Objectifs

Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche visant à comprendre les motifs des ressortissants d’Afrique noire francophone pour s’établir en Europe et particulièrement en France. Pour ce faire, nous avons décidé d’employer, de façon métaphorique, la définition de la motivation de Vallerand et Thill (1993, p. 18) selon laquelle la motivation est un « construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement » pour privilégier les raisons de migrer, de rester dans le pays d’accueil ou de retourner au pays d’origine.

En prenant en considération que le savoir sur les différences interculturelles repérées entre les français et les ressortissants des pays africains francophones, risque d’être entaché des stéréotypes issus des « relations de race » certainement liés aux rapports de la France et de ses anciennes colonies ; la plus grande prudence semble nécessaire et nous proposons une étude encore très centrée sur l’expression spontanée des personnes concernées, tout en essayant de limiter nos interprétations par le recours à des outils statistiques.

Participants

Tous les participants (N: 318) sont Africains francophones, citoyens des pays d’Afrique subsaharienne francophone, leurs âges sont compris entre 14 et 56 ans (M: 27.85, ET: 7.84, Md: 26.509). Pour l’analyse, nous avons constitué deux grands groupes : a) les participants qui résident dans leur pays d’origine (n: 164), leur âge est compris entre 15 et 54 ans (M: 26.54, ET: 7.42, Md: 24.5) et b) la population migrante (n: 154), leur âge est compris entre 14 et 56 ans (M: 29.23, ET: 8.07, Md: 27.00). Pour les participants qui ne résident pas dans leur pays d’origine, le temps passé à l’étranger se trouve compris entre 1 et 35 ans (M: 10.08 années, ET: 9.17, Md: 5.50).

Instrument et procédure

Sur la base d’un questionnaire établi durant une phase préliminaire10 le questionnaire utilisé est composé de 12 questions : 9 questions de type fermé avec une échelle de réponse comprise entre 0 et 20, 1 question dichotomique (Oui/Non) et 2 questions ouvertes11. Les participants, contactés entre avril 2011 et septembre 2012 par des réseaux sociaux et par relations professionnelles et personnelles en Europe et en Afrique ont répondu à une version informatisée du questionnaire.

Traitement de données

Nous avons effectué des calculs de moyennes. Postérieurement, nous avons réalisé des Analyses de Variance (ANOVA)12 à mesures répétées dans une exploration par groupe (Migrants et Non Migrants). Dans le cas où cela a été pertinent, nous avons sous-divisé le groupe des migrants en trois sous-groupes : les résidents africains vivant dans un pays différent du leur, (n: 48) les Africains qui résident actuellement en France (n: 74), et les Africains vivant dans des pays européens différents de la France (n: 32). Nous avons effectué également des calculs d’alpha de Cronbach13. Pour l’analyse des données, le seuil de 0.05 a été retenu pour les probabilités renvoyant à un groupe en particulier et le seuil de 0.01 pour les probabilités en relation à l’ensemble de participants.

Résultats

Les motifs de départ

Trois facteurs permettent d’expliquer les motifs du départ dans notre étude : a) Les motifs économiques et la recherche des conditions favorables pour lui et sa famille, b) La guerre et l’instabilité en relation particulière avec la peur et le danger perçu et c) La sécurité et l’accès aux droits comme élément qui rend possible la planification de l’avenir. L’analyse par groupes (Migrants vs Non-Migrants) montre une prédilection pour les raisons économiques14 (Tableau 1). L’ANOVA à mesures répétées montre qu’il n’y a pas d’effet d’interaction15. Ainsi, nous pouvons affirmer que les résultats obtenus confirment que pour chaque groupe, de même que de façon générale, les participants associaient le départ avec la recherche de conditions économiques favorables de façon significativement plus importante que les deux autres facteurs. (« Les facteurs économiques » (M: 10.58; ET: 5.79, F (3.314) = 12.427, p < .00000, ηp2: .262), la guerre et l’instabilité (M : 5.761; ET : 4.994) et la sécurité et les droits (M : 9.864; ET : 6.042).

La sous-division du groupe Migrants en différenciant selon leurs pays respectifs de résidence (pays africain, France, autres pays européens) montre également un rôle important pour ce même facteur, même si le groupe de migrants résidents en Afrique accordent un rôle aussi important aux raisons liées à la sécurité et les droits. (Facteurs économiques : M : 10.49, ET : 5.968 ; Sécurité et droits : M : 10.54, ET : 5.701).

Il est pertinent d’évoquer que les raisons liées à une recherche de meilleures conditions de vie (Les facteurs économiques, La sécurité et les droits) sont plus élevées pour le groupe non-migrants. Ceci semblerait indiquer un changement d’avis ayant lieu durant et, en partie, à cause de processus migratoire. L’inversion de la tendance pour les raisons en relation à la guerre et l’instabilité seraient donc la contrepartie de ce changement. Cet élément sera commenté plus amplement durant la discussion (Voir Tableau 1).

Les motifs pour rester en Europe :

Les motifs pour rester en Europe ont été catégorisés en trois facteurs : a) Les avantages de la vie en Europe, b) Les désavantages de la vie en Afrique, et c) Les conditions économiques, renvoyant principalement à la possibilité de planifier l’avenir et d’aider la famille. L’analyse des moyennes par groupes (tableau 2) présente les conditions économiques16 (M : 11.90; ET : 5.87) en tant que facteur le plus évoqué pour justifier l’établissement du migrant dans le pays d’accueil pour les deux groupes (Non-migrants, migrants) ainsi que pour les trois sous-groupes qui conforment le groupe migrants avec des valeurs supérieurs à 10 (pour les résidents africains vivant dans un pays différent du leur : M : 11.270, ET : 6.684 ; pour les résidents en France M : 10.468 ; ET : 5.825 et pour les résidents européens vivant dans un pays différent de la France M : 10.572, ET : 6.505). Voir Tableau 2.

L’analyse pour l’ensemble des participants, montre que la différence entre facteurs serait significative (F(3.314) = 12.209, p < .00000, ηp2: .382) par rapport aux deux autres facteurs, les avantages en Europe (M : 7.127; ET : 5.838) ou les désavantages en Afrique (M : 6.109; ET : 4.876).

Cependant l’analyse de variance montre des effets d’interaction. Ces interactions ne porteraient pas sur les raisons concernant le facteur « conditions économiques » mais sur les deux autres facteurs. En effet, « Avantages Europe » et « Désavantages Afrique » semblent être les deux faces d’une même situation à des moments différents du processus migratoire. Ainsi, nous considérons qu’il s’agirait d’un changement du point de référence, qui permettrait de focaliser l’attention soit sur les avantages d’être à l’étranger (pour les non-migrants) soit sur les désavantages de rester dans le pays d’origine (pour les migrants).

En outre, nous pouvons envisager l’hypothèse que ces résultats, du côté du groupe migrant, représentent l’expression d’une sorte de désenchantement produit par l’écart entre les expectatives et le stéréotype de l’Europe largement partagé dans les pays en voie de développement et la réalité du processus migratoire qui est soumisse de plus en plus à de restrictions et de contrôle de la part des autorités européennes.

Les motifs pour rentrer au pays d’origine

Cette rubrique renvoie à la compréhension du phénomène à partir de quatre facteurs : a) La stabilité et la possibilité d’apporter au pays d’origine, b) L’insécurité et l’échec du processus migratoire, c) Les obligations et problèmes familiaux et d) L’éloignement du pays et de la famille. Les résultats (tableau 3) expliquent le retour, pour les deux groupes, à partir de la stabilité économique et la possibilité d’apporter les connaissances et les moyens pour le développement du pays. Pour le groupe Migrants ceci est considéré comme la seule option valide pour rentrer au pays. Dans le détail du groupe migrant, les moyennes de chaque sous-groupe, vont aussi dans le même sens car les moyennes sont largement plus élevées pour ce facteur que pour les autres (Voir tableau 3).

De façon globale, le retour est envisagé par les participants en tant que possibilité de stabilité et de contribution au développement du pays d’origine (M: 13.20; ET: 5.19) de façon significativement plus importante ( F(3,314) = 12.459, p < .00000, ηp2 = .217) que pour les autres raisons proposées dans le questionnaire: l’éloignement (M = 8,636; ET = 5,468), l’insécurité et l'échec (M = 8,635; ET = 5,624) ou la famille (M = 8,793; ET = 5,517).

Cependant, l’analyse de variance des données de cette question montre un effet d’interaction, qui limite les avancées de notre étude. Cette interaction pourrait s’expliquer principalement par la mise en relation des facteurs « Obligations et problèmes familiaux » et « Eloignement ».

En effet, ce deux facteurs pourraient exprimer un changement dans la façon de comprendre les relations avec la famille, produit par la temporalité du processus migratoire17. Pour les non-migrants, le retour implique des responsabilités18 et la nécessité de compter avec le soutien du migrant.

En revanche, pour les migrants, il semblerait plus utile d’interpréter le retour en termes du désir personnel de revenir au pays d’origine, tout en affirmant leur engagement envers la famille et les sentiments de manque produits par l’éloignement. Cette démarche, implique le fait de nier toute sorte d’obligation ou d’imposition du retour par la famille ou par les instances administratives.

Discussion

Cette étude avait pour but de rendre compte des motifs pouvant déterminer le mouvement migratoire des citoyens d’Afrique subsaharienne francophone à trois moments différents : le départ, l’établissement dans le pays d’accueil et la possibilité du retour.

Pour ce qui concerne les principaux motifs pour partir, cette étude met à jour les raisons des participants pour quitter leur pays d’origine, principalement liés aux conditions économiques. Trois éléments nous semblent pertinents à commenter :

Le premier concerne la relation entre les motifs économiques et sécurité et accès aux droits car les scores accordés par les participants sont proches. On peut envisager le fait que ces deux éléments soient complémentaires comme raison pour migrer mais notre démarche ne nous permet pas d’approfondir la relation entre ces deux éléments. Ainsi, ces éléments devront être vérifiés par la suite,

Nous signalons ensuite les faibles résultats du facteur guerre et l’instabilité, qui pourrait s’expliquer à partir d’un effet classique de désirabilité sociale. Autrement dit, l’évocation des éléments négatifs du pays d’origine est considéré comme indésirable car cela implique le refus des valeurs socialement partages et valorisés (par exemple la reconnaissance ou l’amour de la patrie). Un discours négatif à propos du pays d’origine mettrait en danger l’identité sociale du migrant (sa façon de se positionner en tant que citoyen d’un pays africain) et

Enfin, troisième élément, les scores des participants non-migrants qui sont plus élevés que ceux des participants migrants. Cet élément semble indiquer un impact plus important des stéréotypes liés aux processus migratoires et à la vie en Europe présent sur le continent africain qui seraient mitigés dans le cas du voyage accompli.

A la question sur les motifs pour rester en Europe, les résultats de cette étude, de même que ceux présentés dans une publication précédente (Velandia Torres & Lacassagne, 2012) confirment la sélection significative des conditions économiques comme raison la plus importante pour s’établir de façon stable sur le continent européen. Nous interprétons la dichotomie établie entre les facteurs « avantages de la vie en Europe » et « désavantages de la vie en Afrique », en tant que l’expression de deux faces d’une même situation. Cette interprétation renvoie à l’identification de l’importance du point de référence du participant (en tant que migrant potentiel ou réel) et la façon comme il définit et interprète sa réalité personnelle et les raison qui lui motivent à rester dans le pays d’accueil.

Pour finir, les résultats concernant le retour au pays d’origine considèrent très fortement un retour avec les moyens économiques et la possibilité d’apporter au développement du pays. Cette préférence de la part des participants migrants semble cohérente avec les motifs pour partir ou pour rester en Europe, et constitue, comme nous l’avons déjà identifié, la seule option socialement valorisante pour rentrer au pays d’origine.

Limites de l’étude et Perspectives de Recherche

Finalement et malgré les avancées de cette étude (dans la compréhension du vécu des participants, dans l’identification de l’importance des motifs économiques pour migrer, rester ou rentrer ainsi que dans la complexité de la relation entre le migrant et sa famille) notre démarche ne cherche pas à établir des généralités applicables à l’ensemble des africains souhaitant migrer ou dans un processus migratoire. Il s’agit plutôt de la compréhension des raisons pour migrer d’une population spécifique (les ressortissants d’Afrique subsaharienne habitant en Bourgogne), avec l’objectif, par la suite, d’expliquer les phénomènes psychologiques sous-jacents à leur processus migratoire.

La suite de nos travaux aura trois buts principaux :

  • approfondir la compréhension des contenus de stéréotypes sur l’Afrique (Bourhis & Gagnon, 1994; Bourhis & Leyens, 1999; Castel, 2007), présents dans la société française (à partir de l’analyse des différents corpus de communication écrit),
  • déterminer plus précisément l’importance du point de référence dans l’explication des motifs liés au processus migratoire et
  • avancer dans la compréhension des relations entre les ressortissants d’Afrique subsaharienne francophone et les français, à partir de l’utilisation de l’outil RepMut permettant de mesurer le racisme et la discrimination (Dovidio, Gaertner, & Kawakami, 2010; Légal & Delouvée, 2008), entre autres phénomènes.

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Annexe

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Notes

1 RepMut est un outil qui a été élaboré à partir de la conception des partitions sociales (Castel & Lacassagne, 2011) par un groupe de travail (dont principalement Castel, P., Lacassagne, M.F., Mangin, F., Peteuil, A., Velandia Torres, C.) issu de l’axe I (« Dynamiques identitaires et partitions sociales ») du laboratoire Socio-Psychologie et Management du Sport (SMPS). Il a fait l’objet d’un développement informatique soutenu par Synerjinov. La version 2, financée dans le cadre de Welience, est en cours de développement. Retour au texte

2 RepMut is a tool based on social partitions conception (Castel & Lacassagne, 2011). It was created by a working group (mainly Castel, P., Lacassagne, MF, Mangin, F. Peteuil, A., Velandia Torres, C.) from the axis I ("identity dynamics and social scores") at Socio-Psychology and Sport Management laboratory (Socio-Psychologie et Management du Sport SMPS). A software development has been supported by Synerjinov. Version 2, funded by Welience is under development. Retour au texte

3 RepMut es una instrumento desarrollado a partir de la concepción de particiones sociales (Castel & Lacassagne, 2011) por un grupo de trabajo (principalmente Castel, P., Lacassagne, MF, Mangin, F., Peteuil, A., Velandia Torres, C.) del eje I ("dinámicas de identidad y particiones sociales") Laboratorio Socio-Psicología y Gestión del Deporte (Socio-Psychologie et Management du Sport - SMPS). RepMut es objeto de un desarrollo de software con el apoyo de Synerjinov. La versión 2 de esta herramienta (actualmente en desarrollo) es financiada por Welience. Retour au texte

4 Un français est une personne née en France, mais aussi une personne née à l’étranger qui a, au moins, un parent français et également un étranger ayant acquis la nationalité française (qui tout en étant français, reste immigré).(Selon les dispositions du Code de la nationalité française sur la nationalité d’origine et l’acquisition de la nationalité française - titre II et titre III, Loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 et Loi no 98-170 du 16 mars 1998. disponibles sur http://www.legifrance.gouv.fr/).Un étranger est une personne née à l’étranger des parents non français. Il est aussi possible de naître étranger sur le sol français, quand les deux parents sont étrangers. Enfin, un immigré est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France, cette condition persiste, même si la personne acquiert la nationalité française. (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, 2014) Retour au texte

5 La politique migratoire de Giscard d’Estaing, élu président en 1974, a été caractérisé par un contrôle strict des flux migratoires, l’encouragement des retours volontaires au pays d’origine et des actions favorisant l’insertion des étrangers résidents en France. Retour au texte

6 Sur un total de 36584399 votants, 17,55% des électeurs (6421426) ont voté FN. Selon la Déclaration du 25 avril 2012 relative aux résultats du premier tour de scrutin de l'élection du Président de la République Française (disponible sur le site internet du Conseil Constitutionnel http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/page-d-accueil.1.html). Retour au texte

7 L’enquête Trajectoires et Origines (TeO), est une étude menée en 2008 par l’Ined et l’Insee. L'équipe TeO est un groupe de 24 personnes (chercheurs, universitaires et statisticiens) coordonnés par C. Beauchemin, C. Hamelle et P. Simon. L’énquête TeO a été réalisée en France métropolitaine entre Septembre 2008 et Février 2009 sur un échantillon de 21.000 personnes. Retour au texte

8 Afin de contourner les difficultés dans le recueil d’information sur les origines ethniques de la population française, du fait de la décision du conseil constitutionnel (le 15 novembre 2007) qui considère inconstitutionnelles les statistiques ethniques (malgré l’amendement du 12 septembre de la même année permettant la collecte de données sur les « origines raciales ou ethniques ») (Perrin, 2011) ; les statistiques existantes ont demandé aux enquêtés de signaler la nationalité des parents afin d’inférer l’appartenance supposé à un ou plusieurs groupes ethniques. Retour au texte

9 M : Moyenne arithmétique ; ET : Ecart-type (mesure de dispersion de données, qui correspond à la racine carrée de la variance) Md : Médiane (valeur permettant de diviser l'ensemble des valeurs en deux parties égales) Retour au texte

10 Pour une explication complète des variables, de facteurs explicatifs, ainsi que pour voir l’analyse factorielle de ce questionnaire, se référer à l’article Velandia Torres & Lacassagne (Velandia Torres & Lacassagne, 2012). Retour au texte

11 Pour le propos de cette communication, seulement trois questions seront prises en compte : la question qui concerne les raisons pour partir (question 5), les raisons pour rester en Europe (question 7) et les raisons pour rentrer en Afrique (question 8). Retour au texte

12 ANOVA (Analysis of Variance) : Test statistique qui permet de vérifier si plusieurs échantillons de données appartiennent à une même population ou s’il s’agit de deux populations différentes. La valeur de p représente un seuil pour déterminer s’il existe une différence entre deux échantillons et si cette différence est représentative des différences entre les populations) Retour au texte

13 L’alpha de Cronbach est un statistique permettant de mesurer la cohérence interne ou la fiabilité des questions posées durant un test ; autrement dit que le test mesure ce qu’il est sensée mesurer. Plus sa valeur est élevée, plus la question est fiable. Retour au texte

14 « Facteurs économiques » regroupe des raisons qui correspondent soit au fait de chercher la satisfaction des besoins personnels et familiaux, donnant la possibilité d’aider la famille, soit à l’évitement des difficultés comme le chômage ou le travail non-rémunéré. Retour au texte

15 Un effet d’interaction signifie que la relation entre variables et leur influence sur la variable dépendent n'est pas additive. Dans l’ANOVA a mesures répétées, un effet d’interaction annule la porte des effets majeurs de l’analyse. Retour au texte

16 « Conditions économiques » regroupe des raisons qui correspondent aux possibilités d’avoir un travail et des conditions économiques satisfaisantes et stables, avec éventuellement une amélioration du niveau de formation, ainsi que la possibilité d’aider financièrement la famille et d’accueil sur place, d’autres migrants. Retour au texte

17 Dans cette idée, la temporalité du processus migratoire n’est pas uniquement le temps du voyage physique, du déplacement géographique, mais aussi et de façon particulièrement importante, la totalité du temps vécu et les expériences dans le pays d’accueil. Retour au texte

18 Principalement l’obligation de « réussir » et de pouvoir rendre à la famille le soutien économique reçu avant et durant le voyage Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Carlos Roberto Velandia Coustol, « Migrer ? Rester ? Rentrer ? Les raisons du processus migratoire dans une population d’Afrique subsaharienne francophone », Sciences humaines combinées [En ligne], 13 | 2014, publié le 01 mars 2014 et consulté le 24 novembre 2024. DOI : 10.58335/shc.357. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=357

Auteur

Carlos Roberto Velandia Coustol

Doctorant en Psychologie, SPMS - EA 4179 - UB