Introduction
S’interroger sur les pratiques sportives rurales n’est pas le fruit du hasard. Cette recherche possède une signification ancrée dans une histoire universitaire et personnelle.
Personnelle, puisque les expériences biographiques passées sont sans doute à l’origine de cette envie d’inscrire nos travaux de recherche au sein de cet espace. En effet, cette production se situe dans un riche parcours en tant que pratiquant sportif dont l’engagement nous a conduit dans de nombreuses associations sportives implantées dans différents espaces, tantôt à la ville, tantôt à la campagne. Le lien noué avec les clubs sportifs s’est perpétué tout en se modifiant, passant de simple pratique à objet d’étude.
Universitaire, puisque la recherche découle de différents travaux de mémoire de Master « Sport et Société », concernant plus globalement l’étude des loisirs en milieu rural. Malgré leurs lacunes évidentes, ces travaux antérieurs, parallèlement à la lecture et à l’intériorisation des travaux de la sociologie rurale (Mendras, 1967, 1992 ; Hervieu, 1996 ; Perrier-Cornet, 2002 ; Dibie, 2006), qui font état de l’évolution de la société rurale et de sa recomposition, ainsi que la considération de Norbert Elias sur le sport en tant que laboratoire du social1, nous avons pu élaborer un projet de recherche en ayant la volonté d’analyser le sport à la campagne en l’associant à une lecture plus globale et notamment celle de la recomposition de la société rurale.
Parallèlement, cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) en partenariat avec la Mutualité Sociale Agricole de Franche Comté2 (MSA FC). Historiquement, cette dernière demeure un acteur majeur de la société rurale à travers sa forte implication au sein des territoires ruraux. La mise en place d’actions diverses en direction de ses ressortissants (les professionnels agricoles) mais plus généralement de l’ensemble des ruraux lui confère une légitimité importante dans le développement local de ces territoires. Par cette présence, la MSA possède une parfaite connaissance des problématiques touchant actuellement l’ensemble de cette société. En Franche Comté, compte tenu de la localisation géographique de certains territoires éloignés, une des préoccupations essentielles concerne l’affaiblissement, l’effritement des liens sociaux pouvant entraîner des situations d’exclusion sociale, voire d’isolement, de certaines populations. Ce questionnement faisait écho à l’émergence de quelques réflexions, outre celles de la sociologie critique du sport, sur la remise en cause des vertus, dîtes, naturellement éducatives et intégratives du sport.
Fort justement, il devenait intéressant de questionner le monde sportif rural sous la forme d’une analyse des processus de structuration / relégation, d’intégration / exclusion en jeu dans ces associations.
Un objet d’étude original en sciences sociales
D’un point de vue méthodologique, dans un souci de généralisation et la pluralité des sociétés rurales étant entendu, la question de la localisation de la recherche se posa dès les prémices, tout comme celle de l’échelle d’analyse. Par cette collaboration avec la MSA FC, la recherche se limita à la région Franche-Comté, aux caractéristiques rurales avérées, où dans un souci de représentativité, cinq scènes socio-locales3 furent observées. Le choix de ces villages découlant de la construction d’une typologie des communes rurales entrecroisant différents indicateurs4.
A l’exception des travaux de Nicolas Renahy (2001, 2006) et de Jean-Michel Faure (1999), montrant bien les rapports particuliers qu’entretiennent les classes populaires avec leur sport préféré, le football, dans le maintien d’une « honorabilité populaire menacée » et la construction d’une vie sociale rurale, la littérature en sociologie du sport rural est quasiment inexistante. Donc, dès le départ, la base théorique et empirique demeurait relativement vierge. Pour tenter d’y remédier, trois grandes étapes ont permis de récolter une grande quantité de données :
- Une démarche quantitative avec le passage de trois cent trente trois questionnaires auprès de sportifs des clubs des villages étudiés et dont l’ambition première était de constituer une base de données suffisamment large concernant le sport à la campagne. Dans cette optique, plus de quatre vingt questions furent posées sur des thèmes divers et variés.
- Une démarche de type qualitatif avec la réalisation d’une quarantaine d’entretiens semi-directifs parmi ces mêmes sportifs ruraux ainsi que parmi d’autres acteurs du sport local. Entretiens retranscris intégralement et analysés sous forme longitudinale et transversale selon la méthode de saturation de variable.
- Parallèlement à ces deux phases, une observation participante a été réalisée au sein d’un club de football d’un de nos terrains de recherche, pendant plus de quatre ans.
De la sorte, à partir d’une posture inductive, nous avons conduit un raisonnement sociologique qui, partant de notre terrain – les associations sportives rurales –, a évolué à partir d’une inter-relation entre l’empirie et la théorie à chaque étape du travail pour faire émerger une théorie enracinée ou ancrée (Glaser, Strauss, 1967 ; Strauss, Corbin, 2004) dans la réalité sociale du champ d’étude, si bien que l’objet de recherche s’est peu à peu affiné.
En effet, la première intuition et les hypothèses qui en découlèrent étaient centrées sur un axe d’analyse tournant autour des questions identitaires et de la territorialisation, en rapport notamment avec une segmentation des différents types d’espaces ruraux5. Les premières observations et l’analyse rigoureuse des données quantitatives à partir de tris à plat et de tris croisés à l’aide du logiciel Sphinx ont servi de phase exploratoire. Or, seule une faible quantité de résultats demeurait significatifs6. Ainsi, confronté à ces premiers résultats, l’axe d’analyse initial conduisait dans une impasse. Il était donc nécessaire de réorienter la recherche sur un autre angle, qui lui, apparaissait beaucoup plus pertinent au regard de ces premiers résultats.
Dès lors, il devenait important de retravailler théoriquement notre angle d’analyse qui permettait d’appréhender l’intégralité des formes d’organisations ; celles d’associations sportives rurales insérées au sein d’un espace local plus vaste à travers un dense réseau d’échanges. La perspective adoptée prenait alors sa source dans la sociologie formelle de Georg Simmel où « il s’agit d’abord d’étudier une série de formes de vie collective, d’unifications et d’influences réciproques des individus.7 » Notre regard s’est donc porté sur ces échanges prenant la forme de liens, d’interactions sociales tissées dans et/ou à partir des associations sportives rurales.
Dans une acceptation générale, le lien social pourrait être défini comme un ensemble de forces (analysant des rapports) ou de caractéristiques (décrivant des traits) ou des mécanismes (étudiant les interactions) qui permettent de relier les individus entre eux et, simultanément, de rattacher chaque individu à une collectivité. Le lien social décrit le mode selon lequel un individu invente en même temps qu’il reproduit son intégration dans les groupes auxquels il participe.
Or, nous observons une montée en puissance des travaux traitant de cette problématique et portant essentiellement sur une impression de dégradation, de décomposition et d’affaiblissement de ces liens (Farrugia, 1993 ; Mendras, 2001). De plus, compte tenu du large champ sémantique qui entoure le concept de lien social, de la fréquence de son emploi par le sens commun, de sa définition délicate et de la difficulté de l’employer en tant que catégorie d’analyse (Bouvier, 2005), la recherche méritait de procéder à une « reconstruction conceptuelle » (Passeron, 1986) et de mobiliser plutôt celui de « connectivité », plus riche et plus adapté à la complexité de notre objet.
Nous envisageons ce concept comme le produit de l’action en tant que relations interpersonnelles instables, dynamiques et actions réciproques. En sciences sociales, il demeure relativement peu utilisé si bien que nous le mobilisons en l’articulant autour de trois dimensions empruntées à Rogers Brubaker (2001) :
- La « communalité » dénote le partage ou la possession avec autrui ou avec un groupe d’individus, d’une caractéristique, d’un attribut ou d’un ensemble d’attributs communs.
- La « connexité », deuxième dimension de la connectivité, représente les attaches relationnelles qui lient les gens entre eux.
- Mais ni l’une, ni l’autre de ces dimensions ne suffit à engendrer la « groupalité », comme sentiment d’appartenir à un groupe particulier, limité, solidaire.
Pour autant, d’autres concepts auraient pu être mobilisés, et notamment dans le champ sportif, celui de sociabilité, à partir desquels les travaux se contentent, le plus souvent de décrire la nature des liens sociaux, mais laissent de côté l’analyse minutieuse des mécanismes et des étapes qui les sous-tendent : les sociabilités sont souvent décrites en tant qu’état de fait sans que soit abordé leur processus de construction8. Or, les sociabilités sportives n’impliquent pas nécessairement que les relations soient exemptes de tensions et de conflits que nous avions l’intention d’analyser à travers le concept de connectivité et de ses trois dimensions.
Ces dernières représentent d’ailleurs les clés de la recherche puisqu’elles permettent de prendre en compte les échelles macrosociologiques mais aussi et surtout micro et méso sociologiques. De plus, elles autorisent également, non seulement à envisager ces relations comme des états de fait mais à appréhender leurs mécanismes de construction et de déconstruction ; dès lors, nous pouvions envisager aussi bien les « connectivités » que les « dé-connectivités ».
Ainsi, cette démarche inductive par laquelle les données empiriques ont servi de point de départ au développement d’une théorie sur un phénomène social, permet de conserver le lien d’évidence avec les données de terrain et de développer une analyse pertinente quant au sport en milieu rural. Cette démarche nous a donné l’occasion de déceler les mécanismes subtils d’intégration et d’exclusion au sein des associations sportives à travers l’analyse de la dialectique connectivité / dé-connectivité.
Même s’il existe quelques approches, notamment psychologiques dans la littérature anglo-saxone (Funk, James, 2001 ; Bradbury, 2002 ; Carr, 2009), interrogeant les modes de structuration des relations interpersonnelles des groupes sportifs, l’objectif de notre recherche est de fournir un éclairage nouveau sur un pan de la sociologie du sport peu exploité jusqu’à présent et elle apporte un éclairage sur les zones d’ombre provenant des écrits existants en sociologie du sport et en sociologie rurale.
Dans une perspective compréhensive, ce travail contribue à établir une théorie des connectivités sportives associatives rurales à partir de l’observation, la description, la compréhension et l’explication de ces phénomènes observés.
L’ « esprit club »
Tout d’abord, afin de poser le cadre général dans lequel s’insèrent les connectivités / dé-connectivités sportives, nous avons caractérisé les deux entités, (les associations et les adhérents) qui permettent de définir une configuration particulière, au sens de Norbert Elias9.
Au centre de celle-ci, nous avons repéré des éléments objectivables permettant de caractériser l’ « esprit club », chaînon essentiel permettant de relier ces deux entités, et d’appréhender la construction et la déconstruction des connectivités à partir de ses trois dimensions (« communalité », « connexité », « groupalité »).
En effet, à travers son itinéraire (de son engagement à son désengagement) au sein du club, tout adhérent acquiert des dispositions, des schèmes d’action ou de perception lui donnant l’occasion d’incorporer un ensemble de manières de penser, de sentir et d’agir, relatif à cet « esprit club ».
C’est bien la dimension référant à la « groupalité » - soit les manières de penser la vie du groupe, le sentiment d’appartenir à un groupe particulier, limité, solidaire - qui nous donne l’occasion, ici, d’appréhender le concept de connectivités puisque la formation de cet « esprit club » se réalise autour d’une structure de relations sociales entre des individus appartenant à un même groupe générant des normes (parfois fluctuantes) auxquelles chacun peut se référer.
Par conséquent, lors des différentes temporalités sportives et extra-sportives, l’intériorisation et l’appropriation de l’ « esprit club » donne l’occasion aux acteurs associatifs d’intégrer un esprit de discipline et de développer un attachement au club à travers les différents codes sociaux, les comportements, les obligations, les pratiques, les manières d’être et les valeurs qui permettent aux individus de construire des connectivités et/ou des dé-connectivités au sein de la configuration.
Même si les associations sportives rurales possèdent bien évidemment leur propre « esprit club », il n’en demeure pas moins que différents éléments objectivables ressortent de notre recherche et nous permettent d’en apporter une définition précise.
Une histoire
L’histoire constitue un élément important de l’ « esprit club » puisqu’elle permet de faire prendre conscience aux adhérents qu’ils s’inscrivent dans une tradition forte, remontant parfois à plusieurs générations. Son intériorisation peut passer par la connaissance des différentes étapes de l’histoire du club : les modalités de création de l’association, son développement (en termes organisationnel ou structurel) et son palmarès sportif.
Des marqueurs identitaires
L’intériorisation de cet « esprit club » passe par un processus d’identification des adhérents. Or, au sein de la configuration, cet « esprit » permet, d’un point de vue identitaire, de faire le lien entre l’individuel et le collectif parce qu’il se matérialise par quelques facteurs d’identification auxquels les membres peuvent facilement se rattacher :
- Un logo
- Des couleurs
- Des objets propres au club puisque la présence de certains objets dans les locaux du club est destinée à maintenir la mémoire d’un « nous », auquel chacun peut s’affilier et elle donne l’occasion à chacun des membres de pouvoir s’identifier en s’inscrivant dans la continuité de cette histoire.
- Une chanson
- Un langage particulier
Des valeurs
L’ « esprit club » se conforme également à un système de valeurs qui condense des manières de penser, d’agir, d’être. Ces valeurs sont appelées à orienter l’action des membres de l’association, en fixant parfois des objectifs ou plus généralement des idéaux. Cependant, ces valeurs ne sont ni figées une fois pour toute, ni imposées de manière autoritaire par quelques individus, mais, au contraire, elles sont évolutives et dépendent du collectif.
- Une bonne mentalité. Tous les clubs sportifs ruraux souhaitent, plus que tout, dégager une bonne image, qu’elle soit sportive ou plus globale, en défendant les valeurs de fair-play, de solidarité, de respect, qui d’ailleurs se traduisent plus ou moins réellement dans la pratique.
- Le club sportif : une deuxième famille. En effet, la métaphore de la famille demeure très récurrente pour évoquer les associations sportives rurales. Pour beaucoup de sportifs ruraux, celles-ci sont comparables à des grandes familles.
- Une pratique tournée vers le loisir
- La ruralité comme caractéristique majeure de l’ « esprit club » puisqu’un large champ sémantique gravite autour de cette notion à travers tout un imaginaire, autour des racines champêtres, des traditions bucoliques, des paysages, qui semble avoir été intégré par les sportif ruraux et parfois même revendiqué.
L’esprit club marqué par l’interconnaissance
Si certains auteurs, au premier rang desquels Henri Mendras (1967), ont souligné l’évolution et la perte d’influence de la société d’interconnaissance au sein de la ruralité, il semblerait tout de même que celle-ci subsiste encore au sein de quelques sphères sociales, notamment dans les associations sportives. En effet, les comportements et les attaches relationnelles semblent régis par cette interconnaissance qui apparaît dès lors, comme une caractéristique essentielle de l’ « esprit » de ces clubs. Cette caractéristique exerce également une influence réciproque sur certaines autres valeurs défendues, comme la solidarité ou la convivialité.
Des comportements
Les activités codifiées (manières de se dire bonjour) et ritualisée (3ème mi-temps) demeurent d’importants vecteurs de structuration tant pour l’individu que pour le collectif et ceux-ci correspondent à des pivots de la sociabilité sportive rurale. Ces comportements s’insèrent dans le « non-dit » de nos connectivités sportives rurales. Appel à la participation, rassurant, légitimant et intégrateur, il institue l’ordre du collectif et résulte d’un mouvement incessant produit par des constructions sociales qui, par le support de pratiques corporelles, génèrent au niveau des groupes ou des communautés, des moyens d’affirmation identitaire.
Des connectivités sportives rurales différenciées
Dans le prolongement, notre enquête empirique laisse entrevoir une diversité des formes d’attachement organisées par les associations sportives en milieu rural. L’intérêt de notre recherche est de mettre en ordre ce contenu empirique afin de clarifier et de proposer une classification des ces connectivités différenciées. Pour cela, nous avons donc réalisé une construction idéal-typique pour rendre intelligible la diversité de nos données et pour déceler les régularités sociologiques dans la construction sociale des connectivités.
En mobilisant la théorie des liens faibles de Mark Granovetter (1973) qui propose de mesurer la force et l’intensité des liens sur la base de quatre critères – la durée de la relation, l’intensité émotionnelle, les services réciproques que se rendent les partenaires et la multiplexité de la liaison – trois niveaux concentriques d’intensité de connectivités sportives rurales se distinguent : intimes, distanciés et éloignés.
Le premier niveau, « intime », se caractérise par un vécu commun au club très important et une forte régularité de rencontres, que ce soit dans le cadre du club ou à l’extérieur de ce cadre. Le niveau d’interconnaissance demeure très élevé et ce type de relations se rapproche des liens fraternels où le club est parfois considéré comme une « seconde famille ». Des attaches relationnelles peuvent être importées dans la sphère sportive alors que celles créées dans le club peuvent être exportées dans d’autres domaines sociaux. Le poids de ces connectivités demeure important dans la vie sociale des sportifs ruraux dont le club accapare, parfois, tous les intérêts.
Le niveau intermédiaire, « distancié », traduit une intensité relationnelle moyenne entre les membres du club. Ici, l’effet de génération entraîne un niveau d’interconnaissance entre les membres, plus faible. De plus, contrairement à l’ideal type précédent, le club constitue le cadre principal des rencontres entre les individus reliés par ce type de relation et ne représente donc pas le centre de leur vie sociale.
Le troisième type de connectivités sportives rurales, « éloignées », représente le plus faible niveau d’intensité relationnelle dans les clubs puisque les rapports restent à un niveau superficiel ; ils se rapprochent de simples principes d’usage de courtoisie.
Pour autant, au sein de ces associations, la réalité de la vie sociale n’est pas aussi catégorique et si, au premier abord, la construction d’idéaux–types passe par une réduction de la complexité des logiques d’attachement, les connectivités sportives rurales se déclinent au pluriel. C'est-à-dire que, même si chaque situation sociale de connectivité organisée est singulière, ces logiques oscillent entre les divers modèles empruntant les caractéristiques des uns et des autres. Au sein d’un même club, suivant les groupes de pratiquants, nous pouvons retrouver une combinaison particulière de modèles de connectivités. Par conséquent, nos résultats montrent que l’adhésion sportive se caractérise par la coexistence de multiples formes d’engagement associatif10 et de connectivités socialement construites. Nous parlons donc bien de connectivités sportives différenciées.
Des dé-connectivités sportives rurales
Par ailleurs, au regard de la fluidité des connectivités qui sont noués entre les individus, notre analyse de l’itinéraire des sportifs ruraux au sein de société liquide (Bauman, 2006), montre que ces connectivités sont en mouvement perpétuel laissant le droit au désengagement et à la relégation au frontière de l’institution sportive.
L’analyse des processus par lesquels les individus se déconnectent les uns des autres au sein des clubs ruraux nous renseignent sur ces logiques d’exclusion, et aussi sur les phases de marginalisation, d’exclusion douce, de rejet, etc.
Dans notre dernier chapitre, nous avons alors mis en évidence les différentes situations qui favorisent le délitement, l’effritement des relations ainsi que l’émergence de dé-connectivités pouvant conduire à une forme d’exclusion des associations sportives rurales11.
Aussi, la première étape de ce processus réside en une non-intégration au sein des clubs où les adhérents sont, dès le départ, mis à l’écart des groupes déjà établis. Les responsabilités sont partagées entre les marginaux et les établis. Outre les contraintes (familiales, professionnelles, scolaires, sportives, de santé ou de multi-adhésions associatives) qui peuvent s’abattre sur eux, les premiers ne peuvent avoir ni la volonté et ni la manière pour s’intégrer. Quant aux seconds, ils peuvent percevoir d’un mauvais œil l’intégration de nouveaux membres dans leur groupe.
Ensuite, après avoir franchi cette étape d’intégration, des facteurs peuvent influencer l’apparition de dé-connectivités, signalant une diminution du degré d’intensité des relations entre les membres. Des relations individuelles qui se délitent suite à un changement de statut dans le club, un désengagement progressif vis-à-vis du club, un manque de cohésion dans les groupes, un « esprit club » qui évolue et le cloisonnement des sportifs au sein de groupes particuliers, constituent des déterminants à la formation de ces dé-connectivités.
A un degré supérieur, des tensions et des conflits, lors des discussions de 3ème mi-temps, et à la suite de problèmes majeurs, comme par exemple le fait de voler de l’argent dans la caisse du club, peuvent matérialiser ces dé-connectivités entraînant des mises à l’écart et parfois, une relégation des clubs.
De plus, la présence des femmes exercent un rôle important dans l’émergence de ces dé-connectivités. Dans un premier temps, la répartition des tâches au sein des clubs dits masculins tend à montrer une forme de discrimination par les hommes à l’égard des femmes ; elles semblent confinées à des rôles ingrats. Durant les différentes temporalités, certaines d’entre-elles peuvent se sentir exploitées et, alors, des dé-connectivités peuvent apparaître. Dans un deuxième temps, leur présence peut exercer une influence sur la formation / déformation de couples au sein du club ce qui entraîne des conflits entre les personnes concernées. A partir de là, nous assistons à un effritement des connectivités lorsque les membres outrepassent ces évènements. Dans le cas contraire, une véritable rupture des contacts peut émerger, marquant la naissance de dé-connectivités entre les protagonistes.
Les connectivités peuvent également être mises (temporairement) à l’écart, suite à différentes contraintes, individuelles, professionnelles ou sportives.
En fin de cycle, nous distinguons aussi, quelques fois, une exclusion associative plus ou moins formelle, de certains membres devenus indésirables. Elle a pour conséquence la rupture immédiate des connectivités sportives puisque les exclus perdent instantanément leur sentiment d’appartenance au collectif du club.
Pour autant, à postériori, ces dé-connectivités ne représentent pas systématiquement une rupture définitive des relations, puisque dans certains cas, des attaches relationnelles peuvent subsister.
Conclusion
Nous considérons donc l’association sportive rurale à la fois comme une sphère de vie collective et un groupement organisé (référence à la « groupalité ») qui met en relation des individus (référence à la « connexité ») venus pratiquer la même activité physique et sportive ou qui ont cette activité pour intérêt (référence à la « communalité »). D’une manière générale, celle-ci peut créer, façonner et structurer les connectivités / dé-connectivités sportives rurales.
Cependant, nos résultats mettent en évidence une hétérogénéité des relations entre les acteurs associatifs qui, pour des raisons diverses, se sont engagés et/ou désengagés dans un club sportif rural ; de nombreux paramètres interfèrent leur construction ou leur déconstruction au travers d’un entremêlement des divers niveaux du social (société, associations, adhérents). Néanmoins, l’empreinte de ces instances de socialisation ne marque de la même façon, ni au même niveau, les connectivités. Aussi, sans négliger l’influence sociétale, les caractéristiques des associations peuvent jouer un rôle dans l’émergence de connectivités / dé-connectivités sportives associatives rurales, tout comme les « dispositions individuelles » (Lahire, 2002) à partir desquelles le social incorporé par les adhérents peut être à l’origine de leur construction différenciée (Lahire, 2004). Plusieurs variables individuelles exercent une influence sur l’intériorisation de normes, de valeurs, de dispositions, de schèmes qui engendrent une différenciation des relations sociales tissées dans l’association.
Ainsi, les composantes et les niveaux de relations entre les individus au sein de l’institution sportive sont multiples et complexes. Ces facteurs participent donc à une mise en forme particulière et différenciée des connectivités / dé-connectivités sportives rurales qui constituent de véritables révélateurs du processus d’intégration et/ou d’exclusion.