Le sujet de cette thèse a émergé lors de l’élaboration du DEA où nous nous avons mis en évidence combien le toucher était absent du discours des étudiantes infirmières alors même que cet acte de soins est permanent dans leur pratique professionnelle.
Nous en sommes venue à interroger la fonction du toucher, considérant l’acte de toucher comme un acte réparateur dans la construction du lien corps-psyché chez le soignant.
Plusieurs questions ont dirigé notre réflexion.
Le toucher est-il un moyen permettant de re-joindre le corps et la parole, et donc la pensée. Dans cette optique, le corps et la pensée seraient séparés. Inconsciemment, le soignant chercherait-il à combler un manque, un trou, un vide et dans l’affirmative quelle en serait l’origine ?
Etre infirmier, c’est passer la plus grande partie de son temps de travail à entretenir des relations duelles avec un patient. Le soignant est-il capable d’établir des relations avec un tiers, à accepter la différence ? Dans la négative, dans quelle mesure le corps pourrait assurer ce rôle de différenciateur en étant un objet de médiation entre le monde matériel et le développement de l’intériorité humaine.
Etre infirmier, c’est toucher toutes les parties du corps de l’autre. De fait, c’est se confronter plusieurs fois par jour, à une représentation du corps de l’autre dans sa jeunesse ou dans son vieillissement. Par extension, c’est donc modifier ou affiner la représentation de son propre corps. Inconsciemment, le soignant opte-t-il pour cette profession, pour développer sa propre image du corps, le corps devenant alors un lieu de subjectivité ?
De plus, comme la profession d’infirmier est la seule à toucher, chez une même personne, toutes les parties du corps – le kinésithérapeute, le médecin ne touchent qu’une partie du corps, celle malade – comment le soignant articule-t-il, dans son expérience intérieure, l’interdit de toucher et /ou la permission de toucher ? Est-ce dans une optique de contenir la personne et peut-être lui-même ? Est-ce dans une perspective de pouvoir ?
Quels impacts le toucher a-t-il sur sa propre pensée, sur sa sensualité ? Le soignant comble-t-il ses manques en touchant le soigné ?
Pour tenter de répondre à ces différentes questions, nous avons choisi la population d’étudiantes infirmières de 4ème année. En effet, tout comme la peau joue l’interface entre le dedans et le dehors, les étudiantes infirmières de 4ème année se situent à l’interface entre la formation et la profession. Si notre idée de départ était d’interpeller l’ensemble de la promotion de 4ème année, nous avons pris l’option de ne retenir que trois entretiens parmi les nombreux entretiens consignés dans notre corpus initial. En effet, pour mener à bien cette recherche, nous avons privilégié la multiplicité des approches, l’analyse en profondeur et la corrélation des résultats obtenus tant au niveau d’un test donné que sur le plan interpersonnel. Ce choix nous permettait également une première validation des instruments utilisés.
Les étudiantes infirmières ont participé à un entretien semi-directif et à deux tests projectifs : un test de phrases à compléter de Stein et un photo-langage. La chronologie de ce mode de passation visait à établir une relation duelle avec l’étudiante pour l’accompagner progressivement à laisser émerger son intériorité dans un face-à-face avec elle-même.
L’entretien semi-directif avait pour but de recueillir des éléments concernant les motivations à exercer cette profession, l’image idéale de l’infirmière, le rapport à la hiérarchie hospitalière, les soins, le rapport au toucher, à la distance et à la proximité, les changements à introduire dans les soins ainsi que des informations concernant la dynamique familiale.
Les entretiens ont été analysés sur un plan quantitatif mettant en évidence les noms, adjectifs et verbes utilisés. Sur le plan qualitatif, après l’analyse globale où nous avons mis en évidence l’attitude générale, la relation à l’autorité, la relation au soin et au toucher, nous nous sommes appuyés sur les travaux de Guittet1 pour retenir les axes sémantiques du désir, du pouvoir, de la quête ainsi que l’axe du changement.
Le test des phrases à compléter de Stein dérive d’une épreuve d’association de mots. Il vise à mettre en évidence les mécanismes de projection, à étudier les traits de la personnalité et la dynamique de ses problèmes. On peut distinguer, du plus superficiel au plus profond : les attitudes et les types de réactions, les conflits et les mécanismes de défense du Moi, les tendances, les désirs et les craintes, d’où l’on peut inférer le système des besoins et de motivations. (G. Serraf)2 A cela, nous avons ajouté pour notre recherche, des phrases pour cibler la frustration, la maladie et le soin, le toucher et le corps. Pour l’analyse, nous avons regroupé les éléments personnels relatifs au passé, les intérêts propres, les craintes et les gênes ainsi que les différentes attitudes autour des situations sociales de stress, de l’autorité, du futur, de la frustration, de la maladie, du soin et du toucher.
Le test projectif du photo-langage a été créé à partir de photographies issues de divers magazines et de planches tirées du test d’aperception pour les personnes âgées (S.A.T).
Le choix des photographies fut déterminé en fonction de son rapport direct ou indirect au toucher. Nous avons recherché des images qui pouvaient éveiller des projections liées à la séduction, au rapport au corps, à une forme d’avidité – plaisir, violence, tendresse, sexualité - à l’insolite, au milieu hospitalier, au tiers-monde. Nous avons choisi autant des épreuves en noir et blanc, que d’épreuves en couleurs afin de diversifier la manière de les regarder. Nous avons demandé à l’étudiante infirmière de raconter une histoire à partir de la photographie et de lui donner un titre.
L’histoire élaborée par celle-ci a fait l’objet d’une analyse structurale du récit comprenant trois axes : le thème, la fonction et l’actant. Nous nous sommes référés :
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aux travaux de Greimas3 pour analyser le thème, mettant en évidence les principales forces thématiques présentes dans le discours.
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aux travaux de V.Propp pour analyser les fonctions des récits obtenus. Nous avons retenu les fonctions suivantes : manque, éloignement, objet magique, combat, punition, tâche difficile, transgression et méfait.
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et aux travaux de Greimas pour analyser les relations actantielles, mettant en évidence la communication entre les trois couples sujet-objet du désir, sujet-objet de la communication, adjuvant et traître- avec leur qualité de transmission du message et de la force de la quête de l’objet désiré.
Trois résultats ont particulièrement attiré notre attention.
- L’analyse des noms laisse apparaître une proportion importante de réponses faisant référence à la confusion de la pensée.
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L’analyse des verbes où la parole occupe la seconde place après l’action. Tandis que l’écoute est à la dernière place.
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L’analyse des fonctions où le manque tient une place prépondérante.
Que ressort-il de cette analyse ?
Nous sommes parties du postulat suivant : si l’interdit du toucher est intégré, alors les relations que les étudiantes entretiennent avec le corps médical, le corps infirmier et les soignés manifesteront l’intégration au tiers puisque comme le souligne Didier Anzieu dans le Moi-peau : « L’interdit du toucher en tant qu’acte de violence physique ou de séduction sexuelle, précède, anticipe, rend possible l’interdit œdipien, qui prohibe l’inceste et le parricide. »4 Nous avons donc questionné la place du tiers, représenté ici par le corps médical.
Un bref retour historique a été nécessaire pour éclairer la place occupée par le corps infirmier et le corps médical. Jusqu’au XIXème siècle, les religieuses et les femmes « bien nées », de la « haute société » prodiguaient des soins bénévoles à la population. Les valeurs qui les mobilisaient, étaient de type charismatique : faire le bien, aider son prochain mais aussi expier une faute. En retour, elles furent admirées, reconnues, légitimées d’autant qu’elles véhiculaient aussi le savoir, la culture et la richesse. La référence à Dieu-le-Père était présente, c’est lui qui déterminait si la personne dispensant le soin méritera ou non l’accès au paradis. Au retour de la guerre de Solferino, Henri Dunand met en place une formation de Samaritains prémisse de la formation d’infirmière tandis qu’à partir des découvertes scientifiques la formation de médecin va se développer. Un glissement va alors s’opérer de Dieu au médecin, ce dernier devenant une figure paternelle puissante, voire toute-puissante. Dans cette dynamique, les relations entre le corps médical, le corps infirmier et les étudiantes infirmières seront teintées de pouvoir et d’une difficulté à accepter l’autorité, ce que nous retrouvons dans les discours des trois étudiantes infirmières. Elles manifestent à des degrés divers, une annulation des positions hiérarchiques par le biais du copinage, un déni de la compétence médicale. Le corps médical est à annuler. Il est considéré comme absent ou dangereux alors même que dans cette lutte de pouvoir émergent des désirs inconscients de trouver des repères clairs sur lesquels s’appuyer, des options pour passer de l’obéissance à la gestion de conflit, ou pour obtenir à travers l’écoute paternelle la reconnaissance et l’accès à la différenciation. Si nous retrouvons la même dynamique entre le corps infirmier et les étudiantes, elle se caractérise ici, par la recherche d’une relation symbiotique. La compétition teinte les relations. Avec le corps médical il s’agit d’une compétition pour déterminer « qui a raison ou tort » alors qu’avec le corps infirmier, la question est de savoir « qui est le meilleur ou le moins bon ». En conclusion, nous retrouvons chez les trois étudiantes infirmières avec un niveau de conscience et un déni plus ou moins profond, une tendance à exclure le tiers, soit le médecin et une recherche à entretenir une relation symbiotique avec l’infirmière. La difficulté pour les étudiantes infirmières à reconnaître la place de chacun nous a fait penser à l’existence d’une faille au niveau de la parentification qui pourrait s’inscrire dans la lignée du déni des origines de P-C Racamier.
L’infirmière joue deux rôles pour l’étudiante infirmière : celle de collègue avec qui elle entretient peu ou prou une relation symbiotique, comme nous venons de le voir, et celle de formatrice vis-à-vis de laquelle l’étudiante s’appuie pour se connaître et se comprendre, soit au travers du désir d’être nourrie, soit en regard de la fonction de miroir que la formation assure, soit comme ouverture à la communication.
Quant à la rencontre entre le soigné et l’étudiante, elle se caractérise par la mise en scène de trois facteurs : le regard, la parole et le toucher. Rencontre qui se répète plusieurs fois par jour et qui selon le temps de l’hospitalisation aura une incidence sur les processus mis en jeux chez chacune des personnes. Ainsi, au début de l’hospitalisation, la personne soignée adoptera une position d’Enfant tandis que l’étudiante celle de Parent, et inversement dès que le soigné sort de la « crise ».
Lors de l’hospitalisation, le regard que la personne pose sur l’étudiante, véhicule la représentation de sa maladie, l’expression de sa douleur et son espoir. Il correspond à celui d’un enfant face à sa mère. La personne soignée attend soulagement, compréhension, respect et sécurité. A son arrivée à l’hôpital, il est vulnérable, dépendant du monde qui l’environne, tant au niveau des informations, des examens que des lieux. La douleur l’envahit, influençant sa capacité de penser. Ses mécanismes de défense sont fragilisés. La personne peut présenter une régression qui la ramène à une étape antérieure de son développement. Dès lors, la personne soignée va lire l’étendue de sa souffrance, mesurer son état physique et psychique dans le regard de l’infirmière. Parallèlement, elle va évaluer sa capacité à l’accueillir, son aptitude de réceptivité ce qui lui permettra peu ou prou de s’abandonner.
Dans ce jeu de miroir, où chacun voit l’autre, est vu et se voit, l’infirmière se reconnaît aussi dans le regard de la personne soignée. Pour l’étudiante, l’Autre devient la personne soignée qui lui réfléchit l’image qu’elle projette sur lui : sa propre naissance, son besoin de reconnaissance par exemple. Elle lui permet aussi d’apprivoiser sa propre souffrance en mettant des mots, du sens. Toutefois, il semble qu’avec la répétition des stimuli jour après jour, elle ne puisse assurer à long terme la fonction de pare-excitation.
Au moment de la crise, la parole de la personne soignée est un cri de souffrance et un appel à l’aide. En écho, l’infirmière est touchée, sensibilisée, appelée dans un de ses mécanismes de base de parentification : système relationnel où l’enfant prend en charge les besoins, les désirs du parent au détriment de la satisfaction des siens. Le cri de la personne soignée va être contenu dans l’enveloppe sonore créé par l’infirmière. Comme une mère le ferait, elle va prendre en elle les éléments expulsés, mettre des mots sur la douleur, donner du sens au vécu intérieur de la personne soignée ce qui correspond à la fonction Alpha décrite par Bion. Sous cet angle, l’excès de parole par rapport à l’écoute s’explique d’une part parce qu’elle met des mots sur la douleur de la personne soignée et d’autre part parce qu’elle traduit le discours médical en terme compréhensibles pour chacun. Toutefois, ces proportions rendent compte également d’un glissement qui s’opère autour du savoir. Si dans un premier temps le savoir est au service de la personne soignée lui apportant réconfort, réassurance, sentiment de comprendre et possibilité de faire des choix éclairés, dans un second temps, il pourrait avoir une fonction manipulatoire, renforçant une attitude moralisatrice. Sous cet angle, la verbalisation excessive chez l’infirmière peut rendre compte de sa difficulté à se situer face au silence. L’absence de mots la confronte à ses propres angoisses qu’elle tente de colmater en envahissant l’espace psychique de l’autre. Elle répand et projette chez la personne soignée, ses maux à travers ses sentiments ou ses pensées non élaborés, dans l’espoir qu’il puisse à son tour assurer la fonction Alpha, la libérant des éléments Béta. Car elle cherche dans les images d’autrui, la vérité de soi que le langage échoue à lui fournir auxquelles elle va s’identifier. D’un autre coté, cette hémorragie verbale peut à la fois combler le vide de mots de l’enfance et en même temps avoir une fonction « narcissisisante » et auto-gratifiante : l’infirmière s’écoutant parler s’autonourrit d’un fond sonore qui peut la bercer, la sécuriser. Cela lui permettrait de faire face aux activités quotidiennes, aux souffrances de la personne soignée tout en calmant son vécu émotionnel. Toutefois, la parole de remplissage, de répétition ne peut remplir le vide relationnel qui s’installe insidieusement dans la répétition des gestes et des rencontres automatiques. Car la naissance du langage va et vient au-delà d’un apprentissage. Elle est avant tout une relation qui s’affirme dans l’émotionnel du corps. Celui-ci gardera ancré en lui les stigmates, les vicissitudes, les joies, l’amour ce qui servira de base à la rencontre.
Or, le corps est essentiellement perçu comme un corps-machine qui nécessite des soins pour être réparé. L’infirmière va directement franchir les distances publiques, sociales, personnelles et toucher la personne soignée sans qu’aucun préliminaire verbal, aucune autorisation de toucher l’autre n’ait été sollicitée. Si ce geste est d’une certaine manière demandé implicitement par la personne soignée, il témoigne aussi de la difficulté pour les infirmières à gérer les frontières interpersonnelles. Naturellement ceci renvoie autant à leur mode d’attachement construit durant l’enfance qu’à la manière dont elles-mêmes ont été touchées. Tant Donald Winnicott que A. Montaigu ont montré que la manière dont la mère va assurer le holding et le handling aura un impact signifiant sur la construction du sentiment de sécurité. Plus la mère s’occupe de son bébé, moins il pleure. Ainsi, le besoin d’une stimulation tactile tendre est un besoin primaire qui doit être satisfait pour que le bébé se développe et devienne un être humain sain et équilibré. Le toucher est une nourriture affective nécessaire voire primordiale pour le développement de la santé mentale, pour la construction du Self.
Chez les trois étudiantes, nous retrouvons une problématique autour du toucher. Chez l’une la soif du contact physique n’a pas été satisfaite durant son enfance. Les limites corporelles internes et externes paraissent floues au point qu’au niveau psychique elle ne puisse penser, ou imaginer que l’autre n’aime pas du tout être touché. Chez l’autre étudiante, le toucher a été un mode relationnel où elle a pu se livrer à la caresse, se laisser toucher pour combler chez la mère un manque affectif, lié à un deuil figé. Quant à la dernière, elle semble avoir manqué de holding et de handling.
Nous avons interrogé l’interdit du toucher en l’associant à la notion de pudeur. Celle-ci est un témoin qui signale la construction des frontières interpersonnelles, le respect de son corps, de ses pensées, de ses émotions, de son être et le respect de l’autre. Elle est un repère qui sépare le normal du pathologique, qui inscrit une frontière entre ce qui est permis de voir et ce qui ne l’est pas. Sigmund Freud analyse la pudeur comme force de résistance à la pulsion scopique, participant en cela au développement normal d’un sujet, mais oscillant dans ses effets entre névrose et perversion. C’est donc le regard de l’autre qui va stimuler ou non l’expression de la pudeur. Regard qui sera porteur ou non de respect, de séduction ou d’abus. Sur les trois étudiantes, une seule se questionne sur le port des gants lors de la petite toilette, la sexualité marquant autant un désir qu’une difficulté à intégrer l’Œdipe. Pour les deux autres étudiantes, la question de la sexualité est cachée derrière le rôle professionnel où elle témoigne du besoin de contrôler la relation et le toucher. Nous constatons que l’interdit de toucher est peu intégré chez les étudiantes. Cela ne nous étonne guère puisque le tiers et sa fonction sont peu présents chez chacune d’elle et que les besoins de base présentent un déficit comme le besoin de sécurité, d’amour, de tendresse. Les données recueillies nous font penser que durant leur prime enfance, les étudiantes ont vécu un défaut de maternage. Leur peau ne semble pas avoir été suffisamment touchée, bercée, nourrie et leur corps n’a pas été suffisamment bercé ce qui a un retentissement autant sur la satisfaction de leurs besoins de base que sur la capacité à penser- nous nous souvenons de l’importance de la confusion dans leur discours- que sur la capacité à entrer et à se maintenir dans une relation. Cela renvoie à la notion de frustrations précoces décrites par Paul-Claude Racamier. Ces frustrations précoces impliquent une atteinte à la personnalité et réalise un réel préjudice, une carence alors que la frustration des désirs n’entraine que déception et manque. Les frustrations des besoins de base ne peuvent que se compenser et se réparer. C’est peut-être ce qui motive inconsciemment les infirmières à choisir ce métier.
Nous n’avons que peu développé la notion de l’image du corps, notre matériel d’investigation ne nous le permettant pas. Toutefois, nous pouvons poser quelques jalons. Les infirmières voient à longueur de journée des personnes. Leur corps témoigne du vécu passant de la naissance à la mort, de la jeunesse à la vieillesse. De fait la vue du/des corps donne des repères au niveau des générations et en même temps indique ce qui est normal et/ou pathologique.
Le regard que la personne soignée va porter sur l’étudiante va généralement nourrir son image du corps, par les valorisations, la reconnaissance qui y est véhiculé. La nourriture narcissique qui en découle va permettre à l’étudiante de déployer son image du corps, sachant que celle-ci comme le souligne Françoise Dolto est la synthèse vivante des expériences émotionnelles : interhumaines, répétitivement vécues à travers les sensations érogènes, archaïques ou actuelles.
La profession d’infirmière s’inscrit dans une dynamique de « corps à corps ». Aussi serait-il intéressant de comparer la modification de l’image du corps chez les soignants avec l’étude réalisée par André Giordan auprès des étudiants en médecine des premières années. Cette étude démontrait que les représentations du corps n’avaient pas évolué après une année de formation.
Une autre piste de recherche aiguise notre curiosité qui met en relation l’image du corps, les frustrations précoces, les notions de distance décrites par Edward. T. Hall et les enveloppes psychiques. S’il s’avère qu’une proportion signifiante des infirmières ont vécu des frustrations précoces, la manière dont elle regarde la personne soignée est probablement celle qu’elle a de regarder un objet comme elle-même a été regardée. La facilité avec laquelle, elle traverse les distances personnelles et intimes peut témoigner de l’intrusion de la mère. Existerait-il une enveloppe psychique-énergétique qui n’aurait pu être construite et que l’infirmière tendrait de construire dans ce « corps à corps » ? Ceci pourrait constituer une hypothèse de travail ultérieure
C’est ce qui nous amène à envisager une suite à donner à cette recherche. Elle pourrait se poursuivre ainsi : Il nous faudrait dans un premier temps valider les hypothèses que nous avons construits tout au long de ce travail, en particulier celle de l’existence des frustrations précoces sur un large échantillon.
Si elles se confirmaient notre intérêt se porterait sur la fonction d’auto-guérison de l’infirmière à travers le « miroir sonore ». Nous avons observé que les étudiantes parlent beaucoup plus qu’elles n’écoutent. En enregistrant les mots utilisés par l’infirmière auprès des soignés, nous repérerions probablement que ces mots concernent le registre de la sécurité, du réconfort, de la réassurance. Nous aurions besoin de comparer ces mots du début de formation et de fin de formation pour mesurer l’impact de la construction du parent professionnel chez l’étudiante. Si cet impact est signifiant, nous pourrions identifier pour chacun de ces mots, le degré de vibration de ceux-ci.
La répétition de ces mots avec la sonorité qu’ils comportent, pourrait constituer un « auto-massage » interne permettant à l’infirmière de traverser ses souffrances et de se rejoindre de plus en plus dans ses préoccupations propres. La recherche pourrait se poursuivre dans le sens de démontrer l’importance de l’enveloppe sonore par rapport à l’enveloppe tactile sans oublier le miroir visuel, premier registre structurant pour l’être humain.
En conclusion, nous pourrions insister sur le rôle important que joue le toucher pour la profession d’infirmière. Le toucher qui est un geste permanent et incontournable dans tous les soins prodigués. Le corps s’inscrit dans un rôle de médiateur à plusieurs niveaux : il éveille la conscience autour du processus de vie et de mort ; il active les processus d’identification et de différenciation et il assure un rôle de miroir dont nous venons de dire qu’il peut être visuel, sonore et tactile et dont nous avons tenté de souligner l’importance au cours des échanges soignés et soignants, importance que notre recherche a essayé de constamment mettre en évidence.