1. Présentation
Sacralisée ou mise à mort, la figure de l’auteur a subi au fil des siècles de multiples avatars. Témoin de cela, sa déclinaison sous des formes variées : auctor, author, actor et même hacedor et sa substitution par le terme d’écrivain (qui renvoie au monde : celui dont c’est le métier d’écrire, de décrire et non plus de créer), son effacement enfin au profit du narrateur. À l’origine l’auteur est acteur, il est celui qui dit le texte. Il devient ensuite créateur, démiurge, celui qui fait œuvre, qui a autorité (il autorise le texte et il a sur lui une autorité, un droit juridique). Le structuralisme finit par annoncer sa disparition au profit du texte. Mais si pour d’aucuns le texte n’est jamais ce qu’en fait l’auteur, c’est par le nom de l’auteur que le texte est indexé à un corpus, à la littérature même. De l'Antiquité à nos jours la réponse a connu des versions différentes et le fait de lier un nom à un écrit est une tendance propre à la société moderne. L'attribution d'un discours à son producteur n'est pas un fait spontané mais le résultat d'une opération complexe qui varie selon les époques et les types de discours. Comment pourrait se définir donc cette relation qui unit l’auteur au texte, à l’œuvre ? Comment se dessine, se construit, au fil des textes et des contextes, une figure de l’auteur ? Figure abstraite, avant tout, qui, loin de désigner un individu réel, incarne le principe d'unité de l'écriture, image en grande partie fabriquée à partir de la projection ou du traitement qu'on fait subir aux textes. Éditions, médias, critiques ne tissent-ils pas autour de l'auteur un autre discours, une « image qui déplace l'événement » (Baudrillard) ou une autre « fiction » (Borges) ? On ne devrait donc pas être étonnés par la tendance à l’autofiction et à l’autoreprésentation observable dans le roman contemporain ou bien par la mise en fiction de diverses représentations auctoriales. Après le comment de la représentation de l’auteur se pose aussi la question du pourquoi de sa déconstruction. Est-elle le terme final d’un processus de mise à mort de l’auteur ou prône-t-elle au contraire une résurrection à travers l’affirmation d’un moi exclusif qui recouvre tout l’espace littéraire, appelant ainsi à la disparition du roman ? La question se pose surtout pour le roman, genre qui a des liens plus étroits avec la notion de fiction mais elle n’est pas à exclure pour les autres genres (théâtre, poésie, essai). Et dans tout cela où est le lecteur, le destinataire, l'autre moitié de la création ?
C’est afin d’ébaucher une réponse dont on sait qu’elle ne peut être que partielle à l’ensemble de ces interrogations à la fois plurielles et convergentes que s’est faite la programmation de deux journées d’études, conçues comme le point de départ d’un projet de recherche plus vaste, celui des représentations de l’écrivain. Même s’il a été conçu à l’origine comme un projet centré sur la littérature d’expression espagnole, celui-ci s’est voulu aussi délibérément ouvert à d’autres champs géographiques, tout simplement parce que la littérature contemporaine va bien au-delà des frontières géopolitiques et parce que les problématiques qu’elle énonce restent présentes dans la plupart des littératures dites « étrangères ».
La première de ces journées a donc eu lieu en notre université le 6 mars 2008, avec pour vocation explicite celle de fixer les modalités de la représentation auctoriale dans la littérature hispanique contemporaine. C’est là le sens de l’étude introductive proposée par Antonio Gil González. Pour ma part, j’ai essayé de dessiner à sa suite les modalités de cette représentation dans le contexte hispano-américain, dégageant également une différenciation entre ce qui pour moi relève de l’écrivain et ce qui relève de l’auteur. Marta Álvarez, quant à elle, a dessiné l’usage de ce procédé dans l’œuvre de deux écrivains espagnols contemporains, José Manuel de Prada et Antonio Orejudo.
Une interrogation n’a pas manqué de traverser nos esprits lors de nos réunions préparatoires : ce système de représentations fonctionnait-il à l’identique dans le cas d’une écriture féminine ? Assiste-t-on de la même façon à ce mouvement de balancier qui conduit d’une sacralisation de l’écrivain à sa déconstruction ? Ces questionnements ont été au centre d’une deuxième journée d’étude tenue à l’Université de Bourgogne le 10 juin 2009 et l’on trouvera une première réponse à ceux-ci à travers les exemples de Marina Mayoral, Gioconda Belli, Elena Poniatowska et Doris Lessing, étudiés respectivement par Anne Charlon, Sophie Large, Aline Janquart-Thibault et Marianne Camus.
Comme le souligne Antonio Gil González le recours aux procédés métafictionnels est aussi très présent dans les arts visuels. Il l’est particulièrement aujourd’hui dans le cinéma, il l’est aussi dans le théâtre. Emmanuel Larraz nous introduit à cette analyse avec une étude de La flor de mi secreto de Pedro Almodóvar.
2. Sommaire
2.1 Figures de l’auteur
– Figuras del autor en la literatura española contemporánea, Antonio J. Gil González (Université de Santiago de Compostela, Espagne).
– Figures de l’auteur dans la littérature hispano-américaine contemporaine, Jean-Claude Villegas (Université de Bourgogne).
– Exemples d’une quête: José Manuel de Prada et Antonio Orejudo, Marta Álvarez (Université de St Gallen-Suisse).
2.2 Auteures, création et autorité
– La représentation et la présence de l’auteure dans The Golden Notebook de Doris Lessing, Marianne Camus (Université de Bourgogne).
– La représentation de la femme-poète dans la poésie de Gioconda Belli, Sophie Large (Université de Bourgogne).
– Les auteures et l’autorité : absence ou refus. L’exemple de Marina Mayoral, Anne Charlon (Université de Bourgogne).
– Portrait de l’artiste en jeune chèvre, Elena Poniatowska, Aline Janquart-Thibault (Université de Bourgogne).
2.3 Postface : Mises en scène de l’auteur(e)
– La flor de mi secreto de Pedro Almodóvar, Emmanuel Larraz (Université de Bourgogne).