V-Effekt à la Braun (3) : la distanciation par le mythe (Don Juan)

DOI : 10.58335/individuetnation.90

Plan

Texte

Introduction

Le mythe de Don Juan commence en 1627 avec Tirso de Molina, auteur de El Burlador de Sevilla (le séducteur de Séville). Il est en fait plus juste de dire que le mythe prend alors forme pour la première fois, car la figure de séducteur existait certainement déjà à l’état latent dans la tradition. Tirso l’inventeur a mis en place un système de forces dont les diverses combinaisons possibles sont si nombreuses qu’elles n’ont cessé de provoquer depuis lors d’autres inventeurs (Rousset 1974 : 27).

Beaucoup d’auteurs ont été inspirés par le mythe de Don Juan et en ont donné leur interprétation : Schiller (Don Juan, Ballade), E.T.A. Hoffmann (Don Juan), Rilke (L’enfance de Don Juan, poème), Ödon von Horvath (Don Juan revient de guerre), Trakl (La mort de Don Juan, fragment, 1948), Max Frisch (Don Juan ou l’amour de la géométrie), ou plus récemment Peter Handke (Don Juan raconté par lui-même). Il y a aussi Molière, Baudelaire, Apollinaire, Byron, Tolstoï. Il est impossible de les citer tous.

Il semble que Volker Braun donne lui aussi une version du mythe de Don Juan. Pour étudier cet aspect du texte, nous prendrons comme modèle le Don Giovanni de Mozart, car non seulement, c’est l’une des versions les plus célèbres, mais c’est aussi avec celle-ci que nous avons trouvé le plus de ressemblances. Concentrons-nous tout d’abord sur les composants du mythe. Selon l’analyse de Jean Rousset, on trouve trois invariants : l’inconstant, le groupe féminin et le mort. Reprenons-les chez Braun.

1. Les invariants du mythe de Don Juan

1.1. L’inconstant séducteur

Don Juan est tout d’abord un inconstant, un perpétuel séducteur. A la page deux du roman, on peut déjà lire à propos de Kunze : « Trempa d’un air songeur son index dans la lumière laiteuse du soir et le lécha plein d’espoir, et Hinze pilotait, selon les instructions, en suivant les mollets d’une jeune personne. »1 (Braun 1988b : 8) A cet instant, Hinze a honte de Kunze dont les lèvres font penser à la gueule ouverte d’un poisson en train de crever. Kunze saute de la voiture encore en marche, arrache des mains d’une jeune femme un panier à provisions et en profite très vite pour l’importuner. La jeune femme finit par crier et il s’enfuit. Dès le début du roman, Kunze est dépeint comme un coureur de jupons, toujours à l’affût de nouvelles aventures sexuelles. Peu après, Kunze demande à Hinze de lui présenter son épouse qu’il va séduire. Cela ne l’empêchera pas de continuer à se retourner sur les femmes qu’il voit dans la rue et de rendre visite à une ouvrière qu’il tentera également d’attirer dans ses filets. Lorsqu’il aperçoit une paysanne penchée sur la terre, Kunze traverse le champ « tel un coq courant sur des charbons ».2 (Braun 1988b : 36) Quand il se rend dans une maison close et qu’il doit payer pour les différents ‘services supplémentaires’ (Braun 1988b : 79-82), il se met en rage et prend ce qui, selon lui, lui revient de droit. Il entretient une relation avec Marie, une autre avec Lieselotte dont il chargera finalement Hinze de l’en débarrasser. Kunze est marié, mais ne supporte plus la vie avec sa femme. Il a fait d’elle une femme instruite qui aime la position sociale qu’elle occupe. Dans sa vie, chaque chose a sa place. Routine. Lui se sent à l’étroit dans ce confort. Les tapis lui apparaissent comme des pré-servatifs (Braun 1988a : 111). On remarquera que Braun écrit pré-servatifs, donc avec un trait d’union entre autres révélateur des ‘services’ que les femmes-bonnes à tout faire rendent aux hommes.

La ressemblance avec Don Juan est évidente. Kunze est, comme lui, un libertin dans le sens premier, c’est-à-dire un « homme sans Dieu [qui] désire, séduit, déshonore, et, sitôt lassé de sa possession, l’abandonne » (Brunel 1999 : 3). La haute fonction de Kunze n’intéresse pas Lieselotte, l’une de ses conquêtes, qui a été séduite par l’homme et non par le haut-fonctionnaire. « Maintenant elle était facile à avoir, maintenant elle était accrochée à son cou. Lieselotte : un nom qui en disait trop. »3 (Braun 1988b : 91) Lassé de cette femme véritablement amoureuse, il ne veut plus d’elle et demande à Hinze de la reprendre en mains « dans l’intérêt de la société »,4 (Braun 1988b : 95) comme Don Juan demande à Leporello de s’occuper de son inconditionnelle admiratrice dont il ne sait plus que faire puisqu’elle lui est désormais acquise. Les conquêtes de Kunze sont multiples, comme celles du Don Juan de Mozart ; que les femmes qu’il attire dans ses filets ne se situent pas sur le même échelon de l’échelle sociale lui importe peu, au contraire, cela renforce son sentiment de toute-puissance ; il séduit la femme de Hinze, comme Don Juan a séduit la femme de Leporello ; il se sent incompris quand les autres considèrent qu’il est malade (Braun 1988b : 102).

1.2. L’inconstant manipulateur

Outre le fait que Kunze est un séducteur, il est aussi, comme Don Juan, manipulateur. Il pose des questions à Hinze sur la relation avec sa femme, puis lui demande de faire une auto-critique et de donner lui-même un jugement sur son mariage. Habilement, Kunze tente de convaincre Hinze qu’il est égoïste, qu’il n’a plus le temps de s’occuper de sa femme et ne la respecte plus. « Tu te conduis mal avec elle. Tu n’es pas un être humain, je parie que tu t’en branles. Tu n’as aucun droit sur elle. »5 (Braun 1988b : 32) Lors d’une seconde discussion qui a lieu peu après, Kunze déclare que Lisa n’est pas « sa » femme (la femme de Hinze) et introduit l’idée qu’elle est maintenant « leur » femme (Braun 1988b : 49-50). Il va s’occuper d’elle puisque Hinze ne le fait pas. Il va faire en sorte que Lisa se fasse sa place dans la hiérarchie socialiste et la soutient politiquement. A la fin, il parviendra même à convaincre Hinze de lui céder la paternité de l’enfant de Lisa (Braun 1988a : 175).

1.3 Don Juan et son double

La dernière caractéristique flagrante que nous étudierons est le fait que le personnage don juannesque est accompagné d’un double : Don Juan a pour valet Leporello, Kunze a Hinze comme chauffeur. Leporello est lâche, peureux et ne pense qu’à son propre intérêt. Hinze fait de même. Il confie ses soucis à Kunze et soulage « son petit coeur noir et fripé »6 (Braun 1988b : 72)

A présent l’ami était au courant et c’était à lui d’en supporter les conséquences. Désormais il s’agissait d’un cas important, on allait bien voir. Il se tirait d’affaire. Il n’avait plus à s’en faire. Quoi qu’il advînt maintenant, ce n’était pas son problème.7 (Braun 1988b : 72)

En tant que double de leurs maîtres, Leporello et Hinze ne sont pas que des créatures bonnes et affables. Ils ont aussi leurs mauvais côtés sans lesquels ils ne pourraient supporter les vices de leurs maîtres : «  Hinze et Kunze, comme le nom l’indique : nous sommes une unité. Nous devons être à l’unisson. »8 (Braun 1988b : 147) La prise de conscience de cet état de fait provoque chez Hinze un accès de colère au cours duquel il démolit la voiture de fonction de Kunze qui se tient à carreau à l’intérieur de la voiture et prendra sa défense lorsqu’un policier interviendra. Ils ont besoin l’un de l’autre, ils sont soudés l’un à l’autre, mais cette union est conflictuelle et menace à tout moment de se rompre : « […] Les succès de Kunze étaient impensables sans Hinze, tout comme l’étaient les succès de Hinze sans Kunze. »9 (Braun 1988b : 141) Seule la situation globale les contraint à rester liés l’un à l’autre, mais le moindre incident peut faire éclater cette constellation. Inséparables ils sont, séparables ils restent. Néanmoins, comme Leporello vis-à-vis de Don Juan, Hinze n’hésite pas à dire à Kunze ce qu’il pense (Braun 1988a : 77). Comme Leporello, Hinze réfléchit beaucoup, de plus en plus même. Au premier acte et dans la première scène de Don Giovanni, donc tout au début, Leporello chante :

Nuit et jour je me fatigue

Pour qui ne m’en sait nul gré

Je supporte la pluie et le vent,

De manger mal et de ne pas dormir !

Je veux faire le gentilhomme

Et je ne veux plus servir. (Da Ponte / Mozart 1993 : 209)

C’est ce qui se met lentement en place dans la tête de Hinze. C’est lui qui, à la fin, mène la discussion d’une manière analytique attestant nombre de connaissances et une grande réflexion ; à un moment, lui et Kunze en arrivent même à envisager d’échanger leurs métiers. Le renversement des relations maîtres-valets ou, plus généralement, maîtres-esclaves est en marche.

2 Le groupe féminin

Venons-en maintenant au second invariant évoqué dans l’analyse de Don Juan par Jean Rousset : le groupe féminin. Kunze a une femme qu’il trompe, une maîtresse, Lisa, pléthore d’autres aventures amoureuses avec Marie, Lieselotte et toutes les autres qui n’ont même pas de nom dans le roman. Et puis il y a Agatha, l’infirmière :

Jambes blanches sans bas dans des bottes en caoutchouc noir [...] un filet scintillant sur une chevelure d’un noir corbeau. Visage long plein de bourrelets, regard sévère sur l’homme accroupi, dents serrées, moustache. »10 (Braun 1988b : 112)

Cette fois, c’est un rapport masochiste qui le lie à une femme : « C’était vache, c’était magnifique, c’était inhumain.11 (Braun 1988b : 114) La force du jet d’eau le fait tomber à genoux, mais il veut endurer ces tortures et les savoure :

Agathe, son amante impitoyable, lui en faisait voir : c’est ainsi que ça se passe dans les lits. L’un domine, l’autre se soumet ; l’amour ne demande pas mieux ; entre les draps, pas question d’égalité... Agathe le maîtrisait (maîtrisait son métier), il fallait filer droit. »12 (Braun 1988b : 114)

Pour un instant, il oublie toutes les femmes du monde et ne veut plus en entendre parler. Bien sûr, on ne trouve pas cette figure de femme dans le Don Juan de Mozart. A l’époque, pas question d’introduire pareille relation dans une oeuvre destinée au grand public. Braun, lui, peut se le permettre. Don Juan fait des expériences avec tous les genres de femmes et entretient donc aussi des relations masochistes. Il est certain qu’Agatha lui permet aussi entre autres de se moquer de Kunze et de montrer que dans chaque dominateur se cache le souhait d’être dominé. Force et faiblesse sont inséparables dans l’être humain, quelles que soient les conditions dans lesquelles il vit et les règles que lui impose la société ou le régime.

En deux points, Braun s’éloigne du Don Juan de Mozart en ce qui concerne le second invariant. Le premier, c’est que Kunze tombe apparemment amoureux de Lisa, justement peut-être parce qu’il ressent de sa part une constante résistance qui ne disparaît jamais vraiment. Lorsque Kunze rend pour la seconde fois visite à Lisa, il lui plaît ; c’est son apparence physique qui l’attire, mais aussi le fait qu’il est quelqu’un d’important et qu’il sait ce qu’il veut. Elle dit prendre ce dont elle a besoin ; c’est elle qui choisit et non Kunze qui devient alors un Don Juan ‘Don juannisé’. Kunze souligne le pouvoir de séduction de Lisa, dont il se rend compte :

Aux yeux de cette carne, je compte pour rien, pas plus que mon chauffeur [...] Nous sommes égaux, c’est une femme fantastique, un corps utopique, celui qui s’approche d’elle est déshabillé, dépouillé de sa dignité, renvoyé, cela ne fait pas un pli, il se retrouve dans la masse et peut faire la queue chez le boucher pour des billets de réservation à l’office du logement, avec un numéro d’attente.13 (Braun 1988b : 48, souligné par l’auteur, VL)

Lisa, de son côté, sait que Kunze est en son pouvoir et qu’elle peut le manipuler, car elle le sent faible, vulnérable, dépendant (Braun 1988a : 66). Kunze, de son côté, fait une fixation sur Lisa ; cela devient une véritable obsession. Il a besoin de cette femme, il est fou de désir, surtout parce que les sentiments ne sont pas réciproques (Braun 1988a : 21-22). Lisa va savoir en profiter. Elle semble du reste avoir agi de même avec son supérieur avec qui elle entretient également une relation. A la fin du roman, elle est assise dans la voiture avec Hinze et Kunze, deux personnes qui lui sont « agréablement indifférentes »14 (Braun 1988b : 143). Hinze, lui, est carrément devenu son « serf »15 (Braun 1988b : 145). Elle finit par mettre les deux hommes dehors, toujours maîtresse de la situation et de leur attachement à elle, qu’elle a su cultiver et faire prospérer.

3. Le Mort

Le troisième invariant du mythe de Don Juan est le Mort, le célèbre Commandeur du Don Juan de Mozart. Chez Volker Braun, c’est la Mort qui menace Kunze sous la forme de sa maladie qui s’aggrave, mais qu’il défie néanmoins constamment. Ce qui le punit ici, ce n’est pas le père d’une de ses conquêtes, ce sont ses sentiments amoureux, interdits par sa position sociale et matrimoniale, par une société qui n’est fondée que sur le ‘bien commun’, l’ ‘intérêt social’. Mais c’est aussi l’Etat socialiste, figure suprême du père, qui le fait souffrir et mourir à petit feu. Au fil du récit, l’état de santé de Kunze empire, ses crises se font de plus en plus menaçantes. Il arrive un moment où il ne peut plus s’investir dans ses relations sexuelles. Il reporte alors son énergie sur la politique et se met à parler d’élan, de fiabilité, de bilan (Braun 1988a : 114-115). La sublimation est devenue son seul recours. Mais cela ne suffit pas. Il est ensuite admis à l’hôpital, puis envoyé en cure. Peut-être la situation de Kunze est-elle encore pire que la mort. C’est un état de non-évolution, de stagnation, d’inconfort, d’insatisfaction perpétuelle, de refoulement des sentiments au profit de pulsions à l’état pur qui ne suffisent pas à rendre un être humain heureux. Les fantômes qui reviennent sans cesse sont celui du régime et celui de l’amour, écarté par le socialisme mais qui pourtant ne saurait mourir vraiment.

4. Le mythe comme moyen de distanciation

Dans quel but Volker Braun a-t-il introduit le mythe de Don Juan dans son roman ? Il lui sert de moyen de distanciation pour dénoncer plusieurs facettes du régime de la RDA. Braun critique par exemple l’abus de puissance des hauts fonctionnaires. Tout se passe ‘dans l’intérêt de la société’. Le bien de la communauté socialiste devient le prétexte à toutes les actions, communes ou personnelles. Grâce à sa position, Kunze exerce des pressions sur les femmes qu’il veut séduire ; ainsi, une dictature se trouve également instaurée dans le domaine sexuel. La femme accepte, par peur des possibles conséquences d’un refus pour elle et ses reproches. Par le choix d’ouvrières et de paysannes, Volker Braun souligne encore plus le parallèle avec les rois qui se ‘servaient’ dans la réserve de leur royaume pour assouvir leurs pulsions, ainsi qu’avec la noblesse qui exerçait le droit de cuissage. Braun condamne en même temps l’inégalité entre les hommes et les femmes, la domination qu’exercent les premiers sur les secondes qui n’ont d’autre choix que la soumission.

« Tu n’as pas envie. Je ne comprends pas. Aujourd’hui n’importe qui s’y met ». La femme : « Je ne suis pas n’importe qui. » [...] « Et mon mari ? Il ne voudra plus me voir. » – « On règlera ça. S’il ne l’admet pas, il faudra que tu le fasses à son insu ».)16 (Braun 1988b: 36)

Kunze continue : « Fais un effort. Mets-y du tien. Fixe-toi un objectif. »17 (Braun 1988b : 37) Une fois sorti des buissons, il explique qu’il s’agissait de convaincre une camarade méritante de faire un stage. « Un entretien comme celui-ci, en passant, par exemple près d’une lisière, était au cœur des préoccupations du pays […] »18 (Braun 1988b : 37) Il présente le rôle ‘nouveau’ de la femme : « Elle n’était plus une servante, elle tenait son rôle d’homme dans la planification aussi bien que n’importe lequel, elle fut promue à son bonheur, un aimable service où la société avait infiniment à gagner […] »19 (Braun 1988b : 37) Braun souligne l’hypocrisie révoltante, tout comme le fait que l’on prônait une haute moralité de la famille, mais que les hauts fonctionnaires, de par leur pouvoir, poussaient selon leurs envies à l’adultère, toujours sous couvert, évidemment, du ‘bien de la société’.

Mais Braun va plus loin puisqu’il aborde par ce biais le problème de la sexualité en général. La RDA tabouisait tout ce qui relevait du domaine sexuel et érotique. Le développement sexuel des enfants était accompagné d’un sentiment de culpabilité, de honte et de peur (Maaz 1998 : 38). Le résultat à la puberté se concrétisait dans des relations qui n’étaient que pure activité sexuelle sans relation vraiment intime. Le changement de partenaire était fréquent et les relations avaient lieu dans des endroits peu propices à l’abandon : dans les champs, les parcs, les arrière-cours, etc... (Braun 1988a : 38). Souvent, la sexualité n’était en fait qu’un moyen de compenser les tensions psychiques et les souhaits inexaucés. L’approche totalement objective, biologique, fonctionnelle, rationnelle de l’acte amoureux restait frustrante. Les sentiments n’y avaient pas leur place. La norme imposait la maîtrise de soi, le contrôle, le courage, la dureté et l’obéissance inconditionnelle (Maaz 1998 : 34). A l’exemple de Kunze, Braun montre que cette interdiction, par l’intermédiaire des pulsions contrariées, peut entraîner une maladie gravissime et incurable.

Lisa est un exemple typique de la vie qui attendait une femme en RDA. Elle n’était jamais l’égal de l’homme, même si on lui faisait miroiter que sa soumission aux contraintes économiques et sociales, sa ‘virilisation’, serviraient le pays et la mèneraient sur les hautes marches du pouvoir. La femme avait alors encore plus de contraintes : le travail, qu’elle devait assurer comme un homme, les tâches ménagères et l’éducation des enfants. Certaines femmes espéraient qu’en ayant un enfant, elles auraient enfin un ‘objet d’amour’ qui les dédommagerait de leurs privations, qui les distrairait de leur misère et de leur insatisfaction, qui leur donnerait la tendresse qui leur manquait depuis toujours. Concernant la conception de l’enfant de Lisa, on ne sait pas qui est le père et si cette grossesse était ou non voulue. C’est probable. Ce qui est réjouissant, en revanche, c’est que le livre se termine sur la figure de la mère triomphante qui met à la porte le père jouisseur et le père dominateur pour ne laisser de place qu’à l’humain, aux sentiments qui lient une mère et son enfant. La dernière image que nous avons de Lisa est celle d’une femme qui prend ses distances par rapport à un mode de vie imposé qui n’a pour but que la déshumanisation et qui entraîne frustration, désorientation et déchéance. Lisa reprend sa vie en main, sa vie d’être humain à part entière et repousse les figures d’une société patriarcale qui soit se sert de sa féminité, soit veut l’étouffer.

Conclusion

L’intertextualité dans le Hinze-Kunze-Roman de Volker Braun est un procédé qui a recours à de très nombreux textes. Ce que nous venons de dire sur le mythe de Don Juan, nous pourrions le répéter pour Don Quichotte, Jacques le fataliste et bien d’autres encore. La relation maître-valet, la séduction des femmes par la contrainte ou par l’appât d’avantages matériels, la mort qui plane sur une société qui veut ignorer les sentiments et refuser aux femmes et aux hommes ce qui fait justement leur humanité, voilà ce que Volker Braun prend dans le mythe de Don Juan en l’adaptant à la situation en RDA. Grâce à cette intertextualité, parfois difficilement reconnaissable il est vrai, parce que faisant référence à de très nombreux textes, Volker Braun introduit une distance et souvent des effets humoristiques qui, finalement, font moins rire que réfléchir.

Braun, Volker (1988a). Hinze-Kunze-Roman. Frankfurt am Main : Suhrkamp Taschenbuch.

Braun, Volker (1988b). Le roman de Hinze et Kunze. Traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein. Paris : Messidor.

Bibliographie

Brunel, Pierre. Dictionnaire de Don Juan. Paris : Robert Laffont.

Da Ponte, Lorenzo / Mozart, Wolfgang Amadeus. « Don Giovanni », in : Massin, Jean : Don Juan, Mythe littéraire et musical, Paris : Editions Complexe

Maaz, Hans-Joachim (1998). Der Gefühlsstau. Berlin : Argon.

Rousset, Jean. « Don Juan ou les métamorphoses d’une structure », in Don Juan ; Analyse d’un mythe, Volume I

Notes

1 Stippte versonnen den Zeigefinger in das milchige Abendlicht und leckte ihn erwartungsvoll ab, und Hinze steuerte, der Weisung folgend, den Waden einer jungen Person hinterher. (Braun 1988a : 8) Retour au texte

2 […] wie der Hahn über die Kohlen […] (Braun 1988a : 39) Retour au texte

3 Jetzt war sie zu leicht zu haben, jetzt hatte er sie am Hals. Lieselotte: das klang schon nach zuviel. (Braun 1988a : 102) Retour au texte

4 Im gesellschaftlichen Interesse. (Braun 1988a : 107) Retour au texte

5 Du bist schlecht zu ihr. Du bist kein Mensch, ich wette du wichst. Du hast kein Recht auf sie. (Braun 1988a : 35) Retour au texte

6 […] sein kleines faltiges schwarzes Herz […] (Braun 1988a : 80) Retour au texte

7 Nun wusste der Freund Bescheid und hatte die Folgen zu tragen. Nun war es ein höchster Fall, da sollte man nun sehn. Er zog sich aus der Affäre. Er brauchte sich weiter keinen Kopf zu machen. Was nun kommen würde, es war nicht sein Problem. (Braun 1988a : 80) Retour au texte

8 Hinze und Kunze, wie schon der Name sagt : wir sind eine Einheit. Wir müssen einig sein. (Braun 1988a : 166) Retour au texte

9 […] Kunzes Erfolge waren nicht denkbar ohne Hinze, Hinzes Erfolge nicht ohne Kunze. (Braun 1988à : 158) Retour au texte

10 Schwarze Gummistiefel an den weißen unbestrumpften Beinen... ein glitzerndes Haarnetz über dem Rabenhaar. Schmales wulstiges Gesicht mit strengem Blick auf den Kauernden, die Zähne zu, ein Oberlippenbart. (Braun 1988a : 126) Retour au texte

11 Das war gemein, das war herrlich, unmenschlich. (Braun 1988a : 128) Retour au texte

12 Agatha, seine strenge Geliebte, gab es ihm : so geht es zu in den Betten. Einer dominiert, der andre unterwirft sich: liebend gern; von Gleichheit keine Spur zwischen den Laken [...] Agatha beherrschte ihn (ihr Handwerk), er musste parieren. (Braun 1988a : 128) Retour au texte

13 Vor diesem Luder zähl ich nicht, nicht mehr als mein Fahrer [...] Wir sind gleich. Sie ist eine fantastische Frau, eine utopische Körperschaft, wer ihr nahe kommt wird ausgezogen, seiner Würde entkleidet, flieg glatt aus dem Amt, der findet sich in der Masse wieder und kann anstehn vor dem Fleischladen Platzkartenschalter Wohnungsamt, mit der laufenden Nummer. (Braun 1988a : 52-53) Retour au texte

14 […] angenehm gleichgültig […] (Braun 1988a : 161) Retour au texte

15 […] mit ihrem Leibeigenen […] (Braun 1988a : 163) Retour au texte

16 Hast Du keine Lust? Das versteh ich nicht. Da macht doch heute jede mit.“ Die Frau: „Ich bin nicht jede“[...] „Und mein Mann? Der sieht mich nicht mehr an.“ – „Das findet sich. Wenn er es nicht gestattet, musst Du ihn hintergehn.“ (Braun 1988a : 39) Retour au texte

17 Streng Dich an. Mach mit. Hab ein Ziel vor den Augen. (Braun 1988a : 40) Retour au texte

18 So ein Gespräch am Rande, z.B. des Waldes, traf ins Zentrum aller Bemühungen im Lande […]. (Braun 1988a : 40) Retour au texte

19 Sie war keine Magd mehr, sie war so gut wie ein Mann wie jeder in der Planung, sie wurde gefördert zu ihrem Glück. Ein Liebesdienst, bei dem die Sozietät unendlich zu gewinnen hatte […]. (Braun 1988a : 40) Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Véronique Liard, « V-Effekt à la Braun (3) : la distanciation par le mythe (Don Juan) », Individu & nation [En ligne], vol. 1 | 2008, publié le 14 février 2008 et consulté le 21 novembre 2024. DOI : 10.58335/individuetnation.90. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=90

Auteur

Véronique Liard

Centre Interlangues « Texte Image Langage » (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues & Communication, 2 boulevard Gabriel, F-21000 Dijon – veronique.liard [at] u-bourgogne.fr