Une sociologie des habitus nationaux. Norbert Elias et l’héritage de Heidelberg

DOI : 10.58335/individuetnation.167

Résumés

Norbert Elias revendique la légitimité du concept d’ « habitus national » de façon provocatrice, conscient qu’il lève un tabou, l’idéologie national-socialiste ayant abusé de la caractérisation nationale des peuples. Nous chercherons à comprendre pourquoi Norbert Elias accorde une place centrale à ce concept dispositionnaliste et quel sens il lui attribue. Ce faisant, nous interrogerons la place dans son œuvre de l’héritage de la sociologie de Heidelberg.

Norbert Elias claims the legitimacy of the concept of a « national habitus » in a provocative way. He was conscious he was breaking a taboo thereby because the National Socialists exploited the national characterization of peoples. We will try to understand why Norbert Elias gave this dispositionalist concept a central importance and what meaning he attributed to it. Therefore we will question the role that the heritage of Heidelberg’s sociology plays in his work.

Plan

Texte

Vu d’aujourd’hui, proposer une sociologie des habitus nationaux dans l’Allemagne fédérale des années soixante peut paraître paradoxal à deux titres au moins. On peut d’abord s’interroger sur le fait qu’un auteur de confession juive, contraint à l’exil après l’accession de Hitler au pouvoir en 1933, dont la mère a été exterminée par les nationaux-socialistes, utilise des caractérisations nationales dans le livre qu’il consacre à cette tragédie de l’histoire du XXe siècle. En effet, la psychologie des peuples paraît à beaucoup indissociablement liée à la pensée raciste et antisémite et notamment à celle promue par le IIIe Reich. Au point que certains voient même dans le développement de cette forme de psychologie l’une des racines intellectuelles de l’avènement du nazisme. Si l’historiographie récente nous a appris à nous méfier de ce genre de raccourcis, cet avis a longtemps été répandu en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, soit à l’époque où Norbert Elias rédige les Studien über die Deutschen1.

Il est un second paradoxe, qui est peut-être plus délicat encore puisqu’il touche au concept d’habitus lui-même, et qui tient au fait que les années soixante correspondent à une époque phare du développement du paradigme behavioriste, dont la caractéristique a été de rejeter tout usage de termes dispositionnels comme ceux d’habitus ou d’ethos et de manière générale d’affirmer que seuls les comportements empiriquement observables sont des objets scientifiquement légitimes.

Il est donc surprenant que les remarques théoriques de Norbert Elias sur les notions d’habitus et d’habitus national soient très rares dans son œuvre. Celles que l’on peut trouver sont très disséminées. C’est particulièrement étonnant en ce qui concerne la notion d’habitus que, rétrospectivement, les historiens de la sociologie associent pourtant souvent à la pensée d’Elias. Cela donne l’impression que, pour Elias, ces notions auraient présenté un certain caractère d’évidence, comme si elles avaient déjà fait partie des acquis de la toute jeune science sociologique.

Pour éprouver cette impression et comprendre la genèse et la fonction du concept d’habitus national chez Elias, je propose de revenir sur sa formation initiale et notamment sa confrontation avec les sciences humaines telles qu’elles se sont développées à Heidelberg depuis le début du XXe siècle. En effet, bien qu’étudiant en philosophie et en médecine à Breslau à partir de 1918, Elias étudie lors du semestre d’été 1919 à Heidelberg et y suit notamment le séminaire de deux amis de Max Weber : le néokantien Heinrich Rickert et Karl Jaspers (Elias 2005b : 25 ; traduction française : Elias 1991a : 119). Ce dernier l’entretient dès cette époque de Max Weber, mais ce n’est qu’après la grande crise inflationniste, lorsque Elias s’installe durablement en 1925 à Heidelberg pour préparer une thèse d’habilitation en sociologie qu’il se familiarise avec les œuvres principales de cette nouvelle science (Elias 2005b : 11, 227 ; traduction française : Elias 1991a : 49, 105). Selon Norbert Elias lui-même, le décès de Max Weber était loin d’avoir relégué l’importance de Heidelberg. Elle était au contraire devenue « une sorte de Mecque de la sociologie » (Elias 1991a : 49 ; original allemand : Elias 2005b : 227), dont Max Weber était la figure centrale sinon le prophète :

L’une des particularités de l’université de Heidelberg était alors que la sociologie y avait un statut élevé. Le souvenir de Max Weber y contribuait beaucoup. Alfred Weber ne se contentait pas de gérer son héritage spirituel, mais donnait à sa manière de nouvelles impulsions à ce domaine scientifique. Et la veuve de Max Weber, Marianne, jouait un rôle important en tant que légataire de la tradition (Elias 1991a : 117)2.

À la lecture des œuvres d’Elias, on perçoit cette domination de la référence à Max Weber y compris sur ceux dont il était proche : Alfred Weber, auprès duquel il avait amorcé une thèse d’habilitation sur le rôle de la société et de la culture florentines dans la naissance de la science (Elias 1991a : 122 ; original allemand : Elias 2005b : 28), et Karl Mannheim, dont il devint l’assistant à Francfort à partir de 1930 et qui finalement dirigea sa thèse d’habilitation sur l’homme de cour (Elias 1991a : 119-120 ; original allemand : Elias 2005b : 26). Si Elias se sent plus proche de Mannheim dans la querelle sur la sociologie du savoir qui l’oppose à Alfred Weber au cours du sixième congrès de sociologie en 1928 (cf. Raulet 2001), il ramène toutefois cette opposition à « une continuation et une nouvelle version de la querelle […] qui opposait Thomas [Mann], le conservateur, et son frère, Heinrich, plus à gauche », querelle qu’il avait analysée dès 1919 dans le cadre du séminaire de Karl Jaspers (Elias 1991a : 138 ; original allemand : Elias 2005b : 45-46)3. La reconstitution de la genèse de l’opposition entre « culture » et « civilisation » dans Über den Prozess der Zivilisation fut donc une manière pour Elias d’objectiver un inconscient d’école allemand qui était subrepticement passé dans la sociologie et qu’Alfred Weber comme Karl Mannheim reproduisaient sans le savoir4. Plus que ses contemporains vivants, Elias s’est donc surtout confronté, parmi les sociologues de Heidelberg, à Max Weber5. Cela explique pourquoi nous chercherons à élucider le sens du concept d’habitus national en le confrontant, pour l’essentiel, à la pensée de Max Weber.

1. Lever un tabou

Norbert Elias reconnaît, dès la première page des Studien über die Deutschen, que pour des citoyens de la République fédérale d’Allemagne, s’interroger sur l’habitus national relève d’un tabou. La question du caractère national rappelle trop l’idéologie national-socialiste pour pouvoir même être abordée :

À cela s’ajoute que, dans le cas des Allemands de la République fédérale, le fait de s’occuper de l’habitus national conduit dans une zone taboue. La sensibilité accrue vis-à-vis de tout ce qui rappelle des doctrines national-socialistes a pour conséquence que le problème d’un « caractère national » continue à être frappé de silence. (Elias 1992 : 7-8)6

Cette concession masque toutefois mal la critique. En remarquant que cette question relève d’un tabou, Elias la restreint à un problème moral reconduit à sa genèse psychologique : il parle en effet de « sensibilité accrue » vis-à-vis de tout ce qui rappelle les doctrines national-socialistes. Il légitime à vrai dire de la sorte et par avance sa théorie de l’habitus national puisque, si les citoyens de la République fédérale d’Allemagne éprouvent une sensibilité accrue à tout ce qui évoque l’idéologie du IIIe Reich, c’est, comme il le montre dans la dernière partie du livre, parce que s’est formé « un nouvel ethos » largement partagé au sein de la population et qui rejette tout ce qui rappelle l’autoritarisme7. Les réticences vis-à-vis de toute recherche d’un habitus national seraient elles-mêmes l’effet de l’habitus national allemand postérieur à 1945.

Elias cherche donc à rompre ce silence en l’expliquant et en prônant le recours aux sciences de l’homme, des sciences « détendues » [gelassen], dont le critère semble être qu’elles sont affranchies des tabous. Une fois cet obstacle levé, il énonce le critère d’un usage légitime du concept d’« habitus national » :

On voit ensuite de façon suffisamment rapide que l’habitus national d’un peuple n’est pas biologiquement fixé une fois pour toutes. Il est bien plutôt lié de la façon la plus étroite avec le processus de formation de l’État qui lui correspond. (Elias 1992 : 8 ; Elias 2005a : 8)8

Le tabou associé à la notion d’habitus national serait ainsi tout entier lié à l’interprétation biologisante de ce concept. Celle-ci empêcherait de mettre en évidence le caractère processuel de la constitution des habitus nationaux. Pour Elias, les sciences de l’homme sont avant tout des sciences historiques qui ont vocation à mettre au jour la genèse des phénomènes qu’elles étudient9 et, si elles font des habitus nationaux un objet d’investigation légitime, c’est parce qu’elles supposent la distinction entre race et habitus national. À la fixité de la race, Elias oppose l’historicité de l’habitus national.

Ce propos liminaire frappe avant tout par son caractère lapidaire. Une fois le tabou levé, Norbert Elias passe, sans plus attendre et dès l’introduction des Studien über die Deutschen, à une analyse des causes qui expliquent la spécificité de l’habitus national des Allemands et ne reviendra plus, sinon de façon subreptice, à des considérations théoriques sur ce concept. Il ne reconnaît pas non plus sur ce point de filiation théorique. Seule la comparaison des usages de ce concept peut permettre de mettre au jour ce qui serait une théorie éliasienne de l’habitus national. Nous avancerons donc prudemment et garderons en tête que notre travail cherche avant tout à proposer quelques hypothèses de lecture.

2. L’habitus national : un concept évident ?

2.1. L’héritage de la critique heidelbergienne du Volksgeist

La notion historiste de Volksgeist a connu dans l’Allemagne du XIXe siècle une fortune considérable. Mouvement multiforme et complexe, né en réaction aux théories modernes du droit naturel, l’historisme prétendait mettre au jour et expliquer la singularité des devenirs historiques des différentes nations. Celles-ci, conçues sur le modèle romantique du « génie », requéraient un type d’approche spécifique car, à l’image de l’acte humain de création, les textes, les monuments, les événements historiques ayant marqué l’histoire d’une nation étaient compris comme les productions intentionnelles d’une instance ayant une vie propre, le peuple. La science historique des nations se devait donc de prendre en compte l’intention objectivée et dès lors d’être interprétative, c’est-à-dire de montrer la genèse, dans l’« esprit du peuple » [Volksgeist], du droit, de l’économie, de la langue ou de l’art (Wittkau 1994).

Heidelberg fut au tournant des XIXe et XXe siècles l’un des bastions d’une critique des pensées du Volksgeist. Le premier article épistémologique de Weber – « Roscher et Knies et les problèmes logiques de l’économie politique historique » –, publié entre 1903 et 1906, constitue ainsi l’une des critiques les plus précoces et les plus virulentes de l’interprétation historique en termes de Volksgeist10. Dans la pensée du Volksgeist, Weber voit à l’œuvre ce qu’il nomme, à la suite de son collègue philosophe de Heidelberg, Emil Lask, une logique émanatiste11. Dans son ouvrage Fichtes Idealismus und die Geschichte (L’Idéalisme de J. G. Fichte et l’histoire), ce dernier distingue en effet deux théories du concept : une logique analytique et une logique émanatiste.

[La première] considère ce qui est empirique comme la réalité unique et entière, et le concept comme une partie artificiellement séparée, incapable d'une existence propre, […] et qui s’avère n’être qu’un produit de la pensée. La conceptualisation s’accomplit ici par l'analyse du donné immédiat ; nous pouvons nommer logique analytique celle qui défend ce point de vue. […] Dans le cas [des] théories [émanatistes], le concept doit toujours nécessairement apparaître doté d’un contenu plus riche que la réalité empirique, il ne faut pas le penser comme une partie de la réalité empirique, mais au contraire se le représenter englobant cette dernière en tant qu’elle est une partie de lui-même, une émanation de son essence supra-réelle [überwirklich]. […] Puisque le concept délivre pour ainsi dire chacune de ses réalisations à partir de sa richesse extrême, une conception qui promeut de tels résultats peut être qualifiée de logique émanatiste. (Lask 1923 : 29-30)

Lask considère les philosophies de Kant et de Hegel respectivement comme les représentantes les plus typiques de la logique analytique et de la logique émanatiste. Mais cette distinction a vocation à être bien plus générale et à rendre compte de l’ensemble des théories conceptuelles dont témoigne l’histoire de la philosophie.

Lask la prépare en opposant, quelques pages auparavant, deux conceptions de l’individualisme. Une première qui « affirme l’autonomie de l’individu isolé vis-à-vis de tous les contextes (historiques comme sociaux) » et dont le rationalisme des Lumières est l’un des meilleurs représentants ; une deuxième qui « combat la signification autonome de l’individualité de valeur vis-à-vis de toutes les valeurs simplement abstraites, mais affirme au contraire son incorporation dans une totalité de valeur » (Lask 1923 : 21). Les exemples choisis par Lask pour illustrer cette deuxième conception permettent de comprendre pourquoi Weber a interprété les travaux des économistes Wilhelm Roscher et Karl Knies en ce sens. Les représentants de cette seconde conception de l’individualisme sont, selon Lask, « le christianisme (la valeur de l’âme de chacun, à côté de cela l’idée de communauté), la conception historique et moderne du monde (une énonciation dans différents domaines : l’école historique du droit, l’école historique en économie nationale etc. ; leur polémique commune contre le rationalisme abstrait et l’ ‘atomisme’), enfin des philosophes comme Schleiermacher » (Lask 1923 : 21). L’inscription organiciste [Eingliederung] de l’individu dans une totalité – conçue de façon holiste comme différente de la somme de ses parties – est donc partagée, selon Lask, par l’historisme, par Schleiermacher et par Hegel. Cette lecture va certes à l’encontre de la manière dont les différentes écoles historiques allemandes présentent leur épistémologie puisqu’elles définissaient leur projet dans le cadre d’un rejet de la pensée hégélienne. Mais ce rejet était motivé surtout par une vision de Hegel comme continuateur du droit naturel abstrait des Lumières, un philosophe négligeant la contingence au profit de ce que Weber nommera un « panlogisme », et déterminant a priori un sens objectif de l’histoire (Cf. Colliot-Thélène 1990 : 11-12).

L’école historique du droit présente, peut-être parce qu’elle l’a créée, un exemple paradigmatique de l’explication en termes d’« esprit du peuple », et un bon aperçu de ses attendus épistémologiques et métaphysiques. Max Weber, qui concède par ailleurs la diversité des positions au sein de cette école (Weber 1988b : 9 n 1), y pointe ainsi, malgré tout, la récurrence d’une conception organiciste du peuple [Volksleben], qui a pour conséquence « l’hypostase du concept – nécessairement irrationnel et individuel – d’« esprit du peuple », créateur du droit, de la langue et des autres biens culturels des peuples » (Weber 1988b : 9). En saisissant la langue, le droit, l’art ou l’économie d’un peuple donné comme des « expressions » de l’esprit de ce peuple, a été forgée une psychologie métaphysique attribuant des intentions à un esprit collectif objectivé. La diversité des monuments, œuvres d’art, textes juridiques ou productions littéraires produits sur un même territoire est interprétée comme procédant d’une raison réelle unique, l’« esprit du peuple ».

L’émanatisme se présente donc comme un avatar métaphysique du déductivisme et prétend surmonter le hiatus entre concept et réalité. Combinée à la pensée de l’« esprit du peuple », la logique émanatiste conduit à placer une psychologie métaphysique au fondement des sciences des productions humaines. Entité réelle, riche d’un contenu en attente d’actualisation, l’« esprit du peuple » est déjà gros de ses virtualités. Travaillée par une finalité interne, la psyché de l’« esprit du peuple » constitue l’essence de cet esprit. Dans l’ordre de la découverte, l’herméneute part certes de la diversité des phénomènes culturels historiques, mais guidé par la raison réelle qu’est l’« esprit du peuple », il les déchiffre comme les actualisations de son essence.

On trouve parallèlement dans les Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung (1902) de Rickert, directeur de thèse de Lask et ami de Weber, une critique de la notion de Volksseele. Dénoncée comme une hypostase métaphysique, elle n’est, pour le philosophe qui reprend ainsi l’expression spinoziste, qu’un « asile de l’ignorance » (Rickert 1902 : 428). Dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Weber reprend d’ailleurs quasiment la même expression pour critiquer ceux qui auraient tendance à expliquer la spécificité du sérieux puritain « consistant à donner à la vie [intramondaine] la valeur d’une tâche » en ayant recours à la notion de Volkscharakter :

Faire appel au « caractère national » n’est pas seulement, d’une manière générale, un simple aveu de non-savoir ; c’est aussi, dans notre cas, tout à fait dépourvu de pertinence. Attribuer aux Anglais du XVIIe siècle un « caractère national » unitaire serait tout simplement erroné historiquement. (Weber 2003 : 87 ; original allemand : Weber 1988a : 81)12

Chez Weber, ces critiques des notions historistes de Volksgeist ou de Volkscharakter n’impliquent nullement le refus de toute question relative à la spécificité nationale des dispositions à l’action. Sa réserve porte sur la fonction d’origine attribuée à ces notions par l’historisme. Les « caractères nationaux » – si jamais l’on veut conserver l’expression – ne sont pas le point origine de l’explication, ils doivent eux-mêmes être appréhendés génétiquement. Voici comment Weber résout la question des caractéristiques nationales :

Ce que l’on ressent chez les Allemands comme de la « cordialité » et du « naturel », à l’opposé de l’atmosphère – qui s’étend jusqu’à la physionomie des personnes – anglo-américaine, […] et qui déconcerte habituellement les Allemands qui y voient de l’[étroitesse], un [manque de liberté] et une inhibition intérieure – ce sont là des oppositions dans la conduite de vie qui proviennent [pour une part tout à fait essentielle aussi] de cette moindre pénétration ascétique de la vie par le luthéranisme que par le calvinisme. (Weber 2003 : 150)

2.2. « Habitus national » et « caractère national »

Elias semble tout à fait conscient des critiques que l’on a pu adresser à la notion de « caractère national ». Il les évoque d’ailleurs dans un texte tardif (1987) où il distingue le « caractère national » de l’« habitus social » :

La notion d’habitus social permet de soumettre à un examen scientifique des données de la réalité sociale qui s’y sont jusqu’à présent dérobées. Que l’on songe par exemple au problème de ce que l’on recouvrait à un stade préscientifique par la notion de caractère national – c’est un problème d’habitus par excellence (Elias 1991b : 238 ; original allemand : Elias 2001 : 244).

Comme dans L’éthique protestante, garantir la scientificité de sa démarche suppose de prendre conscience que ce que l’on nomme communément « caractère national » recouvre la constitution d’un habitus. De même que Weber expliquait l’impression d’étroitesse et d’inhibition intérieure que laissent les Anglo-Saxons aux Allemands en expliquant sa genèse par la conduite de vie ascétique, Elias nous fait entrer dans la science en passant du vocable de « caractère national » à celui d’habitus. À vrai dire, Elias ne renonce pas à ce concept puisqu’il en limite simplement la portée : le « caractère national » est un des niveaux d’intégration de l’habitus social. Il n’existe à proprement parler que « chez les représentants d’une société au stade d’évolution de l’État moderne » (Elias 1991b : 240 ; original allemand : Elias 2001 : 245). Voilà qui explique sans doute que – contrairement à Weber qui renonce définitivement aux notions de Volksgeist et de Volkscharakter13 – Elias n’a cessé d’employer le concept de Nationalcharakter. Dans les Studien über die Deutschen, on trouve même davantage d’occurrences de la notion de Nationalcharakter (12) que de celle de nationaler Habitus (10).

Mais le plus surprenant est qu’Elias ne renvoie jamais à Weber quand il est question de la critique de la notion de Nationalcharakter ou de la promotion du concept dispositionnaliste d’habitus.

2.3. Max Weber, un individualiste méthodologique ?

La plupart des passages de ses œuvres où Elias parle de Max Weber sont très critiques. Parmi les reproches qu’il lui adresse, celui qui revient le plus souvent consiste à en faire le parfait représentant de ce qu’il nomme la théorie de l’homo clausus. Cette expression désigne un schème de pensée qui considère « l’homme singulier […comme] un petit monde pour soi, qui, en dernier ressort, existe tout à fait indépendamment du grand monde » (Elias 1997a : 52). Selon cette conception, le véritable moi d’un homme est intérieur, séparé de tout ce qui est extérieur à lui par un mur. Ce schème très général connaît ainsi des avatars dans de multiples domaines : homo philosophicus, homo economicus, homo psychologicus, homo historicus et surtout homo sociologicus que vise prioritairement la critique d’Elias. En adoptant cette vision monadique et asociale de l’homme, Weber reprendrait une anthropologie héritée de Descartes14. Bien qu’Elias lui préfère l’expression d’homo clausus, l’interprétation qu’il propose de la sociologie wébérienne n’a rien d’original, elle correspond à celle qui en fait un défenseur de « l’individualisme méthodologique » opposé au « holisme » durkheimien. Was ist Soziologie ? reprend d’ailleurs l’opposition entre les deux pères fondateurs de la sociologie. Alors que Weber tenterait de « faire rentrer de force dans un cadre théorique l’‛individu absolu’ considéré comme la réalité sociale véritable »15, qu’il considèrerait la société comme une abstraction sans réalité propre, Durkheim tendrait symétriquement à une position inverse mettant l’accent sur l’autonomie de la société par rapport à la conscience des individus16.

La solution proposée par Elias à cette aporie témoigne à mon avis du fait que sa connaissance de l’œuvre de Weber restait peu approfondie et surtout dépendait de cette grille interprétative opposant l’individualisme au holisme17. On trouve en effet dans La société des individus le passage suivant :

En particulier la notion d’habitus social, que j’ai définie, occupe dans ce contexte une position clef. Alliée à la notion d’individualisation croissante ou décroissante, elle augmente les chances d’échapper à l’alternative brutale que présentent souvent les analyses sociologiques du rapport entre individu et société. (Elias 1991b : 239)18

La notion d’habitus apparaît donc à Elias comme une solution à l’aporie présentée. Si l’on veut pallier l’absence de définition positive de l’habitus chez Elias, il faut au moins noter qu’il est conçu comme un concept permettant de dépasser des alternatives unilatérales. Il permet surtout de penser la présence du social en l’homme.

Quand on sait quelle place occupe le concept d’habitus dans l’œuvre wébérienne, on ne peut qu’être étonné qu’elle ne serve que de repoussoir à Elias. Les raisonnements de Weber mobilisent en effet toute une panoplie de termes dispositionnalistes comme « habitus », « ethos », « disposition » [Gesinnung] ou encore « conduite de vie » [Lebensführung]. Ainsi peut-on dire que Weber défend une position dispositionnaliste qui, pour expliquer les conduites humaines, souligne la nécessité de recourir à des entités non directement observables : facultés, aptitudes, tendances, propensions à faire quelque chose, à se comporter ou à réagir d’une façon caractéristique dans certaines situations.

Les partisans de l’individualisme méthodologique récusent au contraire l’emploi de telles notions illégitimes à leurs yeux. Ils défendent une position actualiste qui consiste à ne considérer que les entités actuelles comme réellement existantes. En sociologie, cela implique que l’analyse porte sur les actions attestées, avérées ou observables. Toute hypothèse concernant l’effet causal, sur le comportement, de dispositions dont l’agent serait porteur est repoussée sous prétexte de ne pas être vérifiable.

Tout se passe donc comme si Norbert Elias avait d’une part bien hérité inconsciemment du dispositionnalisme wébérien, de sa critique de l’hypostase de la notion de Volksgeist et de sa promotion de celle d’habitus, mais comme si d’autre part sa lecture consciente de Weber s’était faite selon les grilles interprétatives de l’individualisme méthodologique.

2.4. Norbert Elias sourd aux critiques du dispositionnalisme ?

Plus surprenant encore, Elias semble avoir développé sa sociologie de l’habitus indépendamment d’une bonne part du contexte scientifique qui l’entourait. Il paraît être resté sourd aux critiques du dispositionnalisme. Celles-ci auraient pourtant pu le conduire à justifier son usage de ce type de concepts.

À partir des années vingt, le dispositionnalisme se voit en effet critiqué de plusieurs parts : l’individualisme méthodologique actualiste dont nous avons parlé, mais surtout le positivisme logique et le behaviorisme. Ils réactualisent tous la critique cartésienne des qualités ainsi que son évocation populaire par Molière dans le IIIe Intermède du Malade imaginaire, où le bachelier se ridiculise en affirmant que l’opium ferait dormir parce qu’il a une vertu dormitive. Les représentants du behaviorisme rejettent toute forme d’introspection et restreignent la tâche de la psychologie à l’étude des comportements observables. Leur objectif est de réduire tout comportement à la réponse à une stimulation externe initiale. Dépourvu d’intériorité, le sujet behavioriste ne saurait donc présenter de qualités latentes, de dispositions. En sciences de l’homme, le vocabulaire traditionnel des passions, des humeurs (colérique, flegmatique, mélancolique…), des tendances, constitue un héritage historique très important. Si cet héritage n’est en rien une garantie de scientificité, les recherches qui ont tenté d’éliminer ces termes, comme les travaux behavioristes, permettent difficilement de rendre compte du spectre très étendu des modalités de conduites, qui vont du pur réflexe à l’action rationnelle en finalité. Elles ne permettent pas non plus de rendre compte de la constitution historique de traditions d’actions ; enfin, les croyances semblent exclues du domaine comportemental.

Je n’ai trouvé que deux passages dans ses œuvres où Elias débat avec le behaviorisme. Dans l’introduction de 1969 à Über den Prozess der Zivilisation (Elias 1997a : 49) et dans Was ist Soziologie ? (Elias 1970 : 143-145 ; traduction française : Elias 1991c : 159-161). Pour Elias, l’image behavioriste de la black box pour qualifier l’intériorité inaccessible par la science n’est qu’un héritage de la théorie de l’homo clausus qui en reste à l’opposition entre intériorité et extériorité. La restriction de l’investigation au comportement est une façon de réduire la sociologie à la psychologie, de nier l’interdépendance entre les hommes et de ne pas tenir compte des processus historiques de grande ampleur qui structurent la vie des hommes. Si Elias rejette l’approche behavioriste, les rares critiques qu’il en propose ne l’amènent toutefois pas plus à préciser sa compréhension de la notion d’habitus ou d’habitus national.

3. De l’habitus social à l’habitus national

Concept servant à dépasser l’opposition entre individu et société, l’habitus est d’emblée un habitus social. L’habitus national n’est ni l’extrapolation d’une psychologie individuelle ni une hypostase métaphysique dont les comportements individuels seraient une émanation, il est un indicateur du fait que les hommes intériorisent, souvent inconsciemment, des normes comportementales [Verhaltensstandard], mais aussi le « destin de leur peuple » (Elias 1992 : 27 ; Elias 2005a : 30) et que leurs comportements en sont ensuite une actualisation. L’individualisation n’est que seconde, elle se fait sur le fond du partage d’un habitus social commun (Elias 1991b : 239 ; Elias 2001 : 244).

Le passage de l’habitus social à l’habitus national est ainsi plus aisé à comprendre. Ils ne sont pas de nature différente. Elias montre ainsi dès Über den Prozess der Zivilisation que ce que nous considérons comme un trait typique du caractère national allemand, la valorisation de la Kultur et le dédain pour la Zivilisation associée aux mondanités typiquement françaises était en réalité au départ une spécificité sociale :

La lente montée de la bourgeoisie allemande qui, de couche négligeable, s’était hissée au rang de porte-parole de la conscience nationale et même – plus tard, dans une certaine mesure – à celui de classe dominante, qui après avoir pris ses distances par rapport à l’aristocratie de cour avait fini par fonder sa raison d’être et son action sur une stricte délimitation par rapport aux nations concurrentes, s’accompagnait d’une modification de sens et de fonction de l’antithèse « culture » – « civilisation » et de son contenu : l’antithèse à prédominance sociale s’était transformée en une antithèse à prédominance nationale. (Elias 1973 : 54)19

Cette explication de la genèse de l’habitus national allemand, celui que l’on verra prospérer pendant une longue partie du XIXe siècle et dont l’idéalisme culturel sera le symbole national et international – Land der Dichter und Denker – rappelle fortement les analyses de la sociologie wébérienne des religions. Le concept de Trägerschichten occupe ainsi, chez Elias comme chez Weber, une place centrale. Ce dernier justifiait en effet, dans l’avant-propos à son recueil d’étude de sociologie des religions, l’absence d’exhaustivité de ses analyses sur la religiosité asiatique en précisant :

Nous nous sommes cru autorisé à ne pas le faire, essentiellement parce que notre analyse devait porter ici sur la structure de l’éthique, déterminée par la religion, propre aux couches sociales qui ont été des « porteurs de culture » dans leurs aires respectives. (Weber 1996 : 506)20

Si Weber focalise son attention sur les couches porteuses, c’est parce qu’elles ont déterminé la conduite de vie de l’ensemble des hommes de la région étudiée. L’ethos d’un groupe social déterminé devient ainsi la norme pour toute une nation.

Mais s’il est un point où l’impact de la lecture de Weber sur la pensée éliasienne de l’habitus national semble avoir été particulièrement important, c’est la question du monopole par l’État de l’usage légitime de la violence. Chez Elias, il joue un rôle cardinal pour expliquer la civilisation précoce des mœurs à la cour de France. Sur ce point, il reconnaît d’ailleurs sa dette envers Weber dans l’avant-propos à Über den Prozess der Zivilisation (Elias 1976a : LXXVIII ; Elias 1997a : 81) et considère que son apport spécifique est de proposer une explication historique de la formation de ce monopole dont Weber s’était limité à faire un critère définitionnel de l’État.

Surtout, bien plus que Weber, il en fait un « point nodal » [Knotenpunkt] permettant d’expliquer la formation de l’habitus social et « du type d’angoisses qui jouent un rôle dans la vie de l’individu » (Elias 1976a : LXXVIII ; Elias 1997a : 82). Ce dernier point sera capital pour expliquer ce qu’Elias nomme, dans Studien über die Deutschen, « le manque d’assurance relative à la valeur et au sens qu’il y a à être un Allemand »21.

Toutefois, c’est précisément ce point par lequel il semble si proche de Weber qui, à mon avis, indique combien sa pensée s’en distingue nettement. Dans son « Esquisse d’une théorie de la civilisation », Elias récapitule son propos de la façon suivante :

Le refoulement des impulsions spontanées, la maîtrise des émotions, l’élargissement de l’espace mental, c’est-à-dire l’habitude de songer aux causes passées et aux conséquences futures de ses actes, voilà quelques aspects de la transformation qui suit nécessairement la monopolisation de la violence et l’élargissement du réseau des interdépendances. Il s’agit donc bien d’une transformation du comportement dans le sens de la « civilisation ». (Elias 1975 : 189-190)22

Ce qui importe ici, c’est l’adverbe utilisé – « nécessairement » [notwendigerweise]. La théorie éliasienne débouche sur une explication nécessitariste de l’articulation entre monopolisation de l’usage de la violence par l’État et pacification des affects. Weber, au contraire, ne cesse de souligner le caractère contingent des causalités historiques et sociales. C’est d’ailleurs très certainement ce qui explique, qu’à la différence d’Elias, il n’a jamais produit de « théorie du changement social »23.

4. La « mécanique sociale » [Gesellschaftsmechanik] de Norbert Elias

De façon générale, ce qui frappe à la lecture d’Elias, c’est la récurrence du vocabulaire « mécanique », qu’on peut relever dans Über den Prozess der Zivilisation : Entwicklungsmechanik der Gesellschaft, Mechanismen der Feudalisierung, Monopolmechanismus, Königsmechanismus, Gesellschaftsmechanik.

Dans les multiples entretiens qu’il a donnés, Elias a souvent souligné son désir de garantir la scientificité de la sociologie. Il semble que cela se soit traduit par la volonté de mettre en évidence des mécanismes sociaux structurels et universels.

À ce titre, le cas allemand ne présente pas une exception, un Sonderweg, par rapport à la théorie de la civilisation esquissée en 1939, il semble, bien au contraire, en confirmer la pertinence. Si le monopole de la violence légitime exercé par l’État explique l’intériorisation des contraintes extérieures et le refoulement des pulsions agressives parmi les citoyens, Elias souligne au contraire que :

Les sociétés au sein desquelles la violence n’est pas monopolisée sont toujours des sociétés où la division des fonctions est peu développée, où les chaînes d’actions qui lient leurs membres les uns aux autres sont courtes. (Elias 1975 : 189)24

L’usage de l’adverbe « toujours » [immer] montre au fond que, par-delà la diversité historique et nationale, l’objectif d’Elias est de dégager une mécanique anhistorique valable, indépendamment de tout autre facteur que le monopole de la violence légitime par l’État.

Dans les Studien über die Deutschen, Elias ne reviendra pas sur ce point. Il soulignera, et ce jusqu’à la fin de sa vie, que la faiblesse structurelle de l’État allemand suscita en réaction l’idéalisation d’un habitus militariste :

La faiblesse structurelle de l’État allemand, qui a toujours incité de nouvelles troupes appartenant à des États voisins à l’envahir, suscitait en réaction parmi les Allemands une estime souvent idéalisée de postures militaires et d’actions guerrières. (Elias 1992 :13-14 ; Elias 2005a : 15)25

Tant le souci de construire une théorie universelle et anhistorique que celui de la mise en évidence de rapports de nécessité témoignent de l’écart entre la pensée d’Elias et celle de Weber. Le vocabulaire mécaniste lui-même est tout à fait étranger à Weber, sinon lorsqu’il critique ceux qui cherchent à expliquer les phénomènes sociaux par un déterminisme mécaniste. L’expression wébérienne est faite de constantes corrections et nuances qui cherchent au contraire à échapper à toute conception monocausale de l’histoire et ne prétend jamais dégager d’invariants. Son intérêt va, au contraire, à la contingence des processus historiques singuliers. Quand il s’efforce de systématiser, c’est sous une forme idéaltypique, une pratique qu’Elias critique au contraire (Elias 1976b : 457 ; Elias 1997b : 468). L’insistance d’Elias sur le vocabulaire mécanique et nomologique [Gesetzmäßigkeit] peut sans doute être interprétée comme une critique implicite de la tradition sociologique de Heidelberg.

5. L’économie psychique de l’habitus national

Le vocabulaire mécaniste d’Elias témoigne à mon sens bien moins d’un héritage de Heidelberg que de celui de Freud, dont il reconnaît d’ailleurs plus souvent positivement l’apport. Il fait l’objet de plusieurs éloges, dont le plus éloquent26 se trouve dans Über den Prozess der Zivilisation ; il contraste fortement avec les jugements sévères à l’encontre de Max Weber :

Il est inutile de relever ici les éléments dont nous sommes redevables à Freud et à l’école psychanalytique (mais nous avons tenu à en faire état en passant). Tous les familiers de la littérature psychanalytique n’auront aucune peine à discerner les points de convergence ; nous avons renoncé à mettre en évidence les éléments communs, d’autant plus que cela n’eût pu se faire sans une étude détaillée. (Elias 1973 : 387 n 75)27

Elias fut incontestablement un grand lecteur de Freud, ce qui transparaît nettement dans son vocabulaire : Trieb- (Affekt) Kontrolle, Über-Ich Bildung, Wir-Ideal, psychische Apparatur. Il a d’ailleurs adressé une première impression de son opus magnum au psychanalyste dès 193728. Par la suite, il reviendra à plusieurs reprises sur l’apport mutuel de la sociologie et de la psychanalyse29 et collaborera pendant de nombreuses années aux travaux du fondateur de la psychothérapie de groupe, Steven Foulkes qu’il avait connu à Francfort30.

La dynamique freudienne qui conçoit le rapport entre les instances psychiques sur le modèle physique du parallélogramme des forces31 irrigue la théorie éliasienne de la civilisation et explique qu’une telle théorie soit possible. En réduisant à deux les facteurs principaux en jeu – d’un côté les pulsions, de l’autre le surmoi – Elias peut espérer ramener le développement de l’économie psychique de toute nation à deux possibilités fondamentales : ou bien l’État possède le monopole de la violence légitime ; en quel cas la contrainte extérieure qu’il exerce se transforme en autocontrainte et permet la pacification des affects ; ou bien l’État reste faible et alors l’autocontrainte ne peut se développer et les pulsions agressives s’expriment (Cf. Elias 1975 : 189 ; Elias 1976b : 322 ; Elias 1997b : 333). On voit ainsi comment, en articulant la psychogenèse individuelle à la sociogenèse de l’État, Elias peut prétendre développer une théorie de l’habitus national. Il souhaite par là échapper au reproche adressé à la psychologie des peuples d’hypostasier un caractère singulier en caractère général. Il inverse au contraire le rapport. Dans l’avant-propos de 1939 à Über den Prozess der Zivilisation, il se risque ainsi à imaginer une « loi sociogénétique fondamentale » qui ne pense pas l’évolution de la société sur le modèle de la vie individuelle (de l’enfance à la vieillesse), mais celle de l’individu sur le modèle de l’histoire de la société à laquelle il appartient.

L’imposition par l’État d’une contrainte à l’égard de tous les citoyens explique la généralisation de certaines dispositions. Toutefois, en réduisant cette genèse au conflit entre l’énergie pulsionnelle et le surmoi constitué par les contraintes imposées par l’État, Elias réduit considérablement la contingence historique. On pourrait même dire qu’il la ramène à deux possibilités fondamentales. Les enfants, les primitifs et les Allemands seraient ainsi trois incarnations analogues d’un même habitus possible : celui qui – faute d’être refoulées par un surmoi fort – voit l’expression des pulsions prendre le dessus sur l’autocontrôle des affects32. À l’inverse, l’habitus national anglais et le célèbre détachement qui caractérise son way of life serait l’effet d’une fierté nationale indissociable d’un État fort et centralisé de longue date33.

Le modèle freudien offre ainsi la possibilité de développer une mécanique – ou plutôt une dynamique – des habitus nationaux34 qui transcende la diversité des situations historiques. Surtout, en insistant sur le rôle fondamental du monopole par l’État de la violence légitime, Elias semble ôter toute complexité aux dispositions et en faire de simples fonctions de l’état social35. Enfin, en lissant le concept freudien de surmoi et en gommant tout à fait sa dimension mortifère au profit de sa fonction « civilisatrice », Elias simplifie encore sa théorie de l’histoire.

La parenté entre la sociologie des habitus nationaux d’Elias et la sociologie de Max Weber s’avère en fait plus apparente que réelle. La recherche par Elias d’une mécanique sociale capable de rendre compte de la spécificité des habitus nationaux le conduit, en réalité, à s’écarter profondément du projet de Max Weber. Son modèle de référence semble être bien plutôt la dynamique psychique freudienne.

Parmi les critiques qu’ont suscitées les travaux d’Elias, les plus fréquentes portent sur son supposé évolutionnisme. Ses partisans ont alors beau jeu de brandir les Studien über die Deutschen.

À mon sens, si l’on veut émettre des réserves à l’égard de la théorie d’Elias, elles devraient plutôt porter sur le paradoxe suivant : Elias ne cesse de souligner que la spécificité de sa sociologie est d’avoir pris en compte des processus historiques de longue durée. L’analyse met toutefois en évidence que son objectif ultime est de dépasser le point de vue de l’historien – dont Weber s’est contenté – pour mettre au jour une mécanique universelle et anhistorique du changement social et de la formation des habitus nationaux.

Bibliographie

Agard, Olivier (1998). « Norbert Elias et le projet d’une “psychologie socio-historique” », in : Revue germanique internationale, 10/1998, 117-140.

Colliot-Thélène, Catherine (1990). Max Weber et l’histoire, Paris : PUF.

Colliot-Thélène, Catherine (2001). Etudes wébériennes. Rationalités, histoires, droits, Paris : PUF.

Delzescaux, Sabine (2001). Norbert Elias. Une sociologie des processus, Paris : L’Harmattan.

Delzescaux, Sabine (2002). Norbert Elias. Civilisation et décivilisation, Paris : L’Harmattan.

Elias, Norbert (1970). Was ist Soziologie?, 2 Bände, München : Juventa Verlag.

Elias, Norbert (1973). La civilisation des moeurs, Paris : Calmann-Lévy.

Elias, Norbert (1975). La dynamique de l’Occident, Paris : Calmann-Lévy.

Elias, Norbert (1976a). Über den Prozess der Zivilisation, 1. Band, Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (1976b). Über den Prozess der Zivilisation, 2. Band, Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (1991a). Norbert Elias par lui-même, Paris : Fayard.

Elias, Norbert (1991b). La société des individus, Paris : Fayard.

Elias, Norbert (1991c). Qu’est-ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues : Editions de l’Aube.

Elias, Norbert (1992). Studien über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert, Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (1997a). Über den Prozess der Zivilisation. Erster Band (= Gesammelte Schriften, Band 3.1), Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (1997b). Über den Prozess der Zivilisation. Zweiter Band (= Gesammelte Schriften, Band 3.2), Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (2001). Die Gesellschaft der Individuen (= Gesammelte Schriften, Band 10), Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (2002). Frühschriften (= Gesammelte Schriften, Band 1), Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (2005a). Studien über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert (= Gesammelte Schriften, Band 11), Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (2005b). Autobiographisches und Interviews (= Gesammelte Schriften, Band 17), Frankfurt am Main : Suhrkamp.

Elias, Norbert (2006). « Soziologie und Psychiatrie » in : Elias, Norbert (2006). Aufsätze und andere Schriften I, 287-330.

Feuerhahn, Wolf (2005). « Max Weber et l’explication compréhensive », article précédé de la traduction des pages 42 à 47 et 64 à 70 (Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre) d’un essai épistémologique de Max Weber inédit en français et intitulé « Roscher et Knies et les problèmes logiques de l’économie politique historique » (1903-1906), in : Philosophie n° 85, 3-41.

Jellinek, Georg (1900, 1914, ND 1960). Allgemeine Staatslehre, Berlin : O. Häring.

Korte, Hermann (1988). Über Norbert Elias, Frankurt : Suhrkamp.

Lask, Emil (1923). Gesammelte Schriften I, Tübingen : Mohr-Siebeck.

Raulet, Gérard (2001). « La « querelle de la sociologie du savoir » - Introduction au texte de Mannheim », in : L’homme et la société, n°140-141, 9-25.

Rickert, Heinrich (1902). Die Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung, Tübingen : Mohr.

Weber, Max (1988a). Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie I, Tübingen : Mohr-Siebeck (UTB).

Weber, Max (1988b). Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre, Tübingen : Mohr-Siebeck (UTB).

Weber, Max (1996). Sociologie des religions, Paris : Gallimard.

Weber, Max (2003). L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme suivi d’autres essais, Paris : Gallimard.

Wittkau, Annette (19942). Historismus. Zur Geschichte des Begriffs und des Problems, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht.

Notes

1 Cet ensemble de textes a été écrit entre 1961 et 1989. Retour au texte

2 „Auch das gehörte zu der Eigenart Heidelbergs in dieser Zeit. Soziologie hatte an dieser Universität einen hohen Status. Die Erinnerung an Max Weber trug viel dazu bei. Alfred Weber verwaltete nicht nur das Erbe, sondern gab in seiner Weise dem Fach neue Impulse. Und die Witwe Max Webers, Marianne, spielte eine wichtige Rolle als Sachwalterin der Tradition“ (Elias 2005b : 24). Retour au texte

3 Sur cette intervention au sein du séminaire de Jaspers : cf. Elias 1991 : 119 ; original allemand : Elias 2005b : 25. Retour au texte

4 « Je compris très vite que les recherches sociologiques effectuées par Alfred Weber dans le domaine de la culture reprenaient et développaient une tradition allemande plus ancienne qui s’est exprimée notamment dans l’opposition antithétique entre « culture » et « civilisation » » (Elias 1991 : 129). Original allemand : „Mir wurde schnell klar, dass hier in Alfred Webers kultursoziologischen Arbeiten eine ältere deutsche Tradition aufgenommen und weitergeführt wurde, die unter anderem ihren Niederschlag in der antithetischen Gegenüberstellung der zwei Begriffe „Kultur“ und „Zivilisation“ gefunden hatte“ (Elias 2005b : 36). Retour au texte

5 Dans Über den Prozess der Zivilisation, Max Weber est cité à six reprises alors que Karl Mannheim n’y est cité que deux fois et Alfred Weber jamais. Retour au texte

6 „Hinzu kommt, dass im Falle der Bundesdeutschen die Beschäftigung mit dem nationalen Habitus in eine Tabuzone führt. Die erhöhte Empfindlichkeit gegenüber allem, was an nationalsozialistische Doktrinen erinnert, hat zur Folge, dass das Problem eines „Nationalcharakters“ weithin mit Schweigen belegt wird“ (Elias 1992 : 7-8 ; Elias 2005a : 8). Retour au texte

7 „Dabei ist das Bekenntnis zu einem neuen Ethos bei den nach dem Kriege Herangewachsenen ganz und gar nicht auf Gruppen beschränkt, die unter dem Banner des Marxismus kämpfen. [...] aber einer neuen sozialethischen Grundstimmung, einem Gefühl für das Unrichtige vieler autoritärer Haltungen, die bei den Elterngenerationen in der Periode der europäischen Hegemonie gang und gäbe waren, begegnet man recht allgemein bei Menschen der Nachkriegsgenerationen, auch bei vielen, die nicht Marxisten sind.“ (Elias 1992 : 531-532 ; Elias 2005a : 605). Retour au texte

8 „Man sieht dann rasch genug, dass der nationale Habitus eines Volkes nicht ein für allemal biologisch fixiert ist. Er ist vielmehr aufs engste mit dem jeweiligen Staatsbildungsprozess verknüpft.“ (Elias 1992 : 8 ; Elias 2005a : 8). Retour au texte

9 Cf. la préface à l’édition de 1969 de La société de cour sur les rapports entre sociologie et science historique. Retour au texte

10 Cf. Feuerhahn 2005. Je prépare actuellement une édition critique de la traduction intégrale de ce texte en français. Retour au texte

11 Pour le renvoi explicite à Lask : Weber 1988b : 16 n 1. Retour au texte

12 Dernier exemple de cette critique commune aux universitaires de Heidelberg du début du XXe siècle : le juriste Georg Jellinek, lui aussi ami très proche de Weber, considère les concepts de Volksgeist et de Volksseele comme de « véritables ectoplasmes » [wahre Spukgestalten] (Jellinek, 1900, 1914, ND 1960 : 153). Retour au texte

13 Rares sont les passages où l’on retrouve ce concept sous la plume de Weber, le sociologue l’emploie toujours entre guillemets et marque ainsi sa méfiance (Weber 1988a : 95-96). Retour au texte

14 „Das Bild vom Einzelmenschen des Descartes, das Max Webers oder Parson’s und vieler anderer Soziologen, sie alle sind aus dem gleichen Holz geschnitzt. Wie ehemals Philosophen, so akzeptieren heute auch viele Theoretiker der Soziologie diese Selbsterfahrung und das Einzelmenschenbild, das ihr entspricht, unbesehen als Grundlage ihrer Theorien.“ (Elias 1976a : 50 ; Elias 1997a : 53). Retour au texte

15 „Webers Versuch […] das „absolute Individuum“ als die eigentliche soziale Realität in einen theoretischen Rahmen einzuzwängen, mit dessen Hilfe die Soziologie sich als eine mehr oder weniger autonome Disziplin ausweisen könnte, war von vornherein zum Scheitern verurteilt“ (Elias 1970 : 125). Retour au texte

16 La critique vise toutefois davantage Weber que Durkheim, dont Elias loue les efforts pour dépasser cette opposition (Elias 1970 : 126). Retour au texte

17 Pour une critique de cette interprétation : Colliot-Thélène 2001 : 133-168. Retour au texte

18 „Insbesondere dem schon früher von mir eingeführten Begriff des sozialen Habitus kommt in diesem Zusammenhang eine Schlüsselstellung zu. ImVerein mit dem Begriff der zu- oder abnehmenden Individualisierung vergrössert er die Chance, dem Entweder-Oder, das sich so oft in soziologischen Erörterungen des Verhältnisses von Individuum und Gesellschaft findet, zu entkommen.“ (Elias 2001 : 244). Retour au texte

19 „Mit dem langsamen Aufstieg des deutschen Bürgertums aus einer zweitrangigen Schicht zum Träger des deutschen Nationalbewusstseins und schliesslich – sehr spät und bedingt – zur herrschenden Schicht, aus einer Schicht, die sich zunächst vorwiegend in der Abhebung gegen die höfisch-aristokratische Oberschicht, dann vorwiegend in der Abgrenzung gegen konkurrierende Nationen sehen oder legitimieren musste, ändert auch die Antithese „Kultur und Zivilisation“ mit dem ganzen Bedeutungsgehalt, der dazu gehört, ihren Sinn und ihre Funktion : Aus einer vorwiegend sozialen wird eine vorwiegend soziale Antithese.“ (Elias 1976 : 37-38 ; Elias 1997a : 126). Retour au texte

20 „[es schien] deshalb erlaubt, weil es hier gerade auf die Zusammenhänge der religiös bestimmten Ethik jener Schichten ankommen musste, welche „Kulturträger“ des betreffenden Gebiets waren.“ (Weber 1988 : 15). Retour au texte

21 „die Unsicherheit über den Wert und Sinn, den es hat ein Deutscher zu sein“ (Elias 1992 : 25). Retour au texte

22 „Dämpfung der spontanen Wallungen, Zurückhaltung der Affekte, Weitung des Gedankenraums über den Augenblick hinaus in die verschiedenen Ursach-, die zukünftigen Folgeketten, es sind verschiedene Aspekte der gleichen Verhaltensänderung, eben jener Verhaltensänderung, die sich mit der Monopolisierung der körperlichen Gewalt, mit der Ausweitung der Handlungsketten und Interdependenzen im gesellschaftlichen Raume notwendigerweise zugleich vollzieht. Es ist eine Veränderung des Verhaltens im Sinne der Zivilisation“ (Elias 1976b : 322 ; Elias 1997b : 333). Retour au texte

23 Pour une confrontation systématique des épistémologies respectives de Weber et d’Elias, je renvoie à : Colliot-Thélène 2001 : 77-99. Retour au texte

24 „Gesellschaften ohne stabiles Gewaltmonopol sind immer zugleich Gesellschaften, in denen die Funktionsteilung relativ gering und die Handlungsketten, die den Einzelnen binden, verhältnismäßig kurz sind.“ (Elias 1976b : 321 ; Elias1997b : 332, je souligne). Retour au texte

25 „Die strukturelle Schwäche des deutschen Staates, die immer von neuem Truppen von Nachbarstaaten zum Einmarsch anreizte, löste im Gegenzug unter Deutschen eine oft idealisierende Hochbewertung militärischer Haltungen und kriegerischer Handlungen aus“ (Elias 1992 : 13-14 ; Elias 2005a : 15). Retour au texte

26 „Ich möchte nicht sagen, dass ich Freud kritisiere. Ich möchte eher sagen, dass ich in gewisser Hinsicht über ihn hinausgehe“ (Elias 2005b : 149) ; „Ohne das, was Freud geleistet hat, hätte ich meine Arbeit nicht leisten können“ (Elias 2005b : 360) ; „Freud hat ein recht vereinfachtes, aber im Grunde sehr gutes Modell gegeben.“ (Elias 2005b : 363). Retour au texte

27 „Es braucht dabei kaum gesagt zu werden, aber es mag hier einmal ausdrücklich hervorgehoben sein, wieviel diese Untersuchung den vorausgehenden Forschungen Freuds und der psycho-analytischen Schule verdankt. Die Beziehungen sind für jeden Kenner des psycho-analytischen Schrifttums klar, und es schien unnötig, an einzelnen Punkten darauf hinzuweisen.“ (Elias 1976a : 324n77 ; Elias 1997a : 416n77). Retour au texte

28 Cet exemplaire se trouve désormais à la Library of Congress de Washington. Freud a d’ailleurs remercié Elias de son envoi par une carte postale en date du 3 janvier 1938 (Delzescaux 2001 : 179n). Retour au texte

29 Cf. « Soziologie und Psychiatrie » (Elias 2006 : 287-330). Retour au texte

30 Foulkes a rédigé l’un des premiers comptes rendus de Über den Prozess der Zivilisation (Foulkes, S. H., « Über den Prozess der Zivilisation Bd 1 und Bd 2. Basel 1939 », in : Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse XXIV (1939), 179-181 und XXVI (1941), 316-319) dans lequel il affirme que cet ouvrage a vocation à devenir un classique de la psychanalyse. Significativement, Foulkes ne s’intéresse toutefois qu’à la psychogenèse de l’habitus et non à son explication par la sociogenèse de l’État (Korte 1988 : 20). Retour au texte

31 Sur l’image du parallélogramme des forces, voir l’article de Gérard Raulet dans ce même numéro. Retour au texte

32 Sur les enfants et les sociétés primitives, voir : Elias 1976a : LXXV ; Elias 1976b : 488. Elias reprend le concept freudien de « horde primitive » (Urhorde) (Elias 2001 : 236 ; Elias 1991b : 232). Retour au texte

33 Sur l’opposition « polaire » entre les habitus allemands et anglais, voir : Elias 1992 : 418-419. Retour au texte

34 Hermann Korte suggère même que la théorie d’Elias aurait inconsciemment répondu à un souhait émis par Freud en 1933 dans ses Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse : « Si quelqu’un avait la capacité de montrer dans le détail comment ces différents facteurs, le dispositif pulsionnel général de l’homme, ses variations relevant de la race et ses transformations culturelles s’engendrent, s’entravent et se favorisent mutuellement dans les conditions de l’adaptation sociale, de l’activité professionnelle et des possibilités d’acquisition, si quelqu’un pouvait réussir cela, il complèterait le marxisme pour en faire une véritable science de la société ». [„Wenn jemand in Stande wäre, im einzelnen nachzuweisen, wie sich diese verschiedenen Momente, die allgemeine menschliche Triebanlage, ihre rassenhaften Variationen und ihre kulturellen Umbildungen unter den Bedingungen der sozialen Einordnung, der Berufstätigkeit und Erwerbsmöglichkeiten gebärden, einander hemmen und fördern, wenn jemand das leisten könnte, dann würde er die Ergänzung des Marxismus zu einer wirklichen Gesellschaftskunde gegeben haben“] (Korte 1988 : 194). Retour au texte

35 En témoigne l’usage très fréquent du verbe « correspondre » (entsprechen) : cf. par exemple : Elias 1997b : 324, 327, 334. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Wolf Feuerhahn, « Une sociologie des habitus nationaux. Norbert Elias et l’héritage de Heidelberg », Individu & nation [En ligne], vol. 3 | 2009, publié le 20 avril 2009 et consulté le 24 novembre 2024. DOI : 10.58335/individuetnation.167. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=167

Auteur

Wolf Feuerhahn

Chargé de recherches au C.N.R.S., Centre Alexandre Koyré (UMR 8560), Muséum National d’Histoire Naturelle Pavillon Chevreul, 57, rue Cuvier - 75231 Paris cedex 05 – wolf.feuerhahn [at] damesme.cnrs.fr