« Non ho mai usato una sola parolaUsata dai miei padri (eccetto che per augurargli l’Inferno) ».
1. LE REFUS DE L’ORDRE PATERNEL
Les deux vers mis en exergue sont extraits du poème que Pasolini publia le 30 novembre 1968 dans la revue Tempo et intitulé Dutschke, du nom d’un leader de la contestation étudiante en Allemagne. Ils contrastent étrangement, à première vue, avec l’aisance, voire l’indifférence, avec laquelle le poète a toujours mis en avant ses emprunts littéraires. Dans un célèbre entretien accordé en 1968 à Jon Halliday, à la question de savoir qui avait raison entre Fortini, qui le considérait comme un piètre idéologue mais comme poète novateur, ou Asor Rosa, qui pensait exactement le contraire, Pasolini affirmait :
Per me, entrambi hanno torto...e ragione. [...] Io non sono un inventore di ideologie. Non sono un pensatore e non ho mai aspirato ad esserlo. A volte, entro il contesto di un’ideologia mi viene qualche intuizione, e così mi è capitato di precedere gli ideologi di professione. E stilisticamente sono un pasticheur. Adopero il materiale stilistico più disparato: poesia dialettale, poesia decadente, certi tentativi di poesia socialista; c’è sempre nei miei scritti una contaminazione stilistica, non ho uno stile personale, mio, completamente inventato da me, benchè possegga uno stile riconoscibile. Non sono riconoscibile perchè inventore di una formula stilistica, ma per il grado di intensità al quale porto la contaminazione e la commistione dei differenti stili. (Pasolini 2006a : 1300-1301)
Pasolini semble adopter, ainsi, une posture qui est l’exact contraire de l’attitude ‘antithétique’ identifiée par Harold Bloom dans The anxiety of influence, dont le modèle serait Nietzsche, et qui faisait dire à Richard Eberhart, avec le plus grand sérieux et une conception très personnelle de l’inconscient, qu’il n’avait jamais été influencé par personne, même inconsciemment (Bloom 1973 : 7). Est-ce à dire, pour autant, que Pasolini se reconnaît ‘des pères’, qu’il s’inscrit dans une descendance ? Rien n’est moins sûr. Naturellement, Pasolini est suffisamment lucide pour reconnaître un certain nombre d’influences, ou peut-être faudrait-il dire de préférences, qui deviennent parfois des références. Pasolini peut même les évoquer en tant ‘qu’ancêtres’ ou ‘pères’ mais toujours en grand nombre et avec un certain détachement. Ainsi, dans un entretien de 1963 avec Alberto Arbasino avouait-il :
L’unico antenato spirituale che conta è Marx, e il suo dolce, irto, leopardiano figlio, Gramsci. [...] Ti farò anche i nomi di Longhi e di Contini, sull’altra strada (il bivio è già così indietro, alle mie spalle). Ci sono state ultimamente delle annessioni di paternità, pazze. I Manieristi, il Pontormo. Di tutti gli altri padri che tu, spiritato critico, puoi aggiungere nella mia genealogia di apolide interregionale plurilinguista, nessuno è morto, perchè la mia caratteristica principe è la fedeltà. Non ne ho ucciso nessuno. Sono tutti lì sull’altare – sotto due dita di polvere. (Pasolini 2006b : 1573-1574)
Quant au cinéma, la question lui fut posée par Jon Halliday au sujet de Accattone : fallait-il considérer qu’il avait été influencé par Dreyer, Mizoguchi et Chaplin, ses cinéastes préférés ? La réponse de Pasolini est assez édifiante car, répondait-il :
Bé, non so se si possa veramente parlare di ‘influenze’. Non so se pensavo a questi autori quando ho girato il film; sono piuttosto delle fonti, dei riferimenti che ho individuato dal di fuori, dopo che l’avevo finito. Mentre lo giravo il solo autore al quale ho pensato direttamente è stato Masaccio. (Pasolini 2006a : 1312)
Bref, Pasolini puise, dans ses œuvres, à une multiplicité de ‘sources’, il se définit lui-même, d’ailleurs, comme un « pasticheur » (Pasolini 2006a : 1300) et cela d’autant plus librement qu’il est persuadé que le style ne fait pas la poésie.
S’agissant, en revanche, de la question de la descendance, de la lignée dans laquelle s’inscrire, de la filiation proprement dite, les choses sont certainement plus complexes. Et elles le sont, très clairement, par le fait que la filiation occupe une place centrale dans toute son œuvre. Entre 1940 et 1975, si on tient compte des inédits, mais sans compter les textes remaniés, Pasolini a écrit vingt mille pages. Une production énorme, foisonnante à tous points de vue sur le plan formel et néanmoins immuablement obsessionnelle. On pourrait emprunter à Empirismo eretico la formulation de cette obsession ; ma philosophie, explique-t-il, ou ma façon de vivre n’est autre que « un allucinato, infantile e pragmatico amore per la realtà. [...] ». Et pour expliquer de quoi est faite cette réalité, il ajoute :
Il mondo non sembra essere, per me, che un insieme di padri e di madri, verso cui ho un trasporto totale, fatto di rispetto venerante, e di bisogno di violare tale rispetto venerante attraverso dissacrazioni anche violente e scandalose. (Pasolini 2004c : 1544)
Cette formulation de l’obsession nous intéresse doublement. Tout d’abord, parce qu’elle met en crise le schématisme binaire auquel l’œuvre du poète a souvent été réduite et qui est construit sur l’opposition primaire et biographique entre le monde aimé de la mère et le monde haï du père. Ainsi, comme le fait remarquer Massimo Fusillo sur l’axe maternel on pourrait aligner :
le mythe, le Frioul paysan, le sous-prolétariat urbain, le tiers-monde et en général tout l’univers émotionnel, viscéral, corporel, pré-rationnel et pré-linguistique ; tandis que sur l’axe paternel on peut ranger le présent néo-capitaliste, la raison des lumières, la bourgeoisie, la civilisation industrielle. D’un côté le monde d’Œdipe et des opprimés, objet privilégié de l’érotisme pasolinien et, de l’autre, le monde répressif de Laïos, que Pasolini a ‘mis au défi’ et contre lequel il a ‘lutté’ (ce sont les mots par lesquels Contini termina son touchant témoignage humain). (Fusillo 2007 : 13 nous traduisons)
Mais elle est intéressante aussi parce qu’elle pointe l’un des traits les plus forts et les plus clairement revendiqués de Pasolini, à savoir la contradiction, dont le texte manifeste demeure Le ceneri di Gramsci. Une contradiction vécue qui rend une fois de plus partiellement inopérant le schématisme évoqué plus haut. Car, il faut bien reconnaître que dans toute l’œuvre de Pasolini la ‘paternité’ joue un rôle complexe qui ne saurait être réduit à celui d’objet de la libido parricide de l’artiste. Certains critiques se sont d’ailleurs penchés sur la figure du père dans l’œuvre pasolinienne. C’est le cas, par exemple, de Gian Carlo Ferretti, qui estime que si dans la vie de Pasolini sa mère fut, de l’aveu même du poète, la chose la plus importante, on ne peut pas en dire autant de son œuvre qui serait, en revanche, profondément marquée par la figure du père.
A la lumière de ces considérations, la question que nous voudrions soulever est celle de savoir si ce rapport complexe à la paternité se reflète dans la manière qu’a l’artiste de considérer sa propre filiation artistique. En d’autres termes, peut-on considérer qu’il existe un lien entre la manière de mettre en scène la figure paternelle dans l’œuvre et la manière de se représenter cette figure par rapport à l’œuvre ? Notre hypothèse, naturellement, est que ce lien existe. À partir d’un certain moment l’artiste commence à se projeter dans la figure paternelle, il aborde explicitement non seulement la figure de son propre père, mais il s’interroge aussi sur sa propre capacité à être père. Il s’agit là, incontestablement, d’un tournant dans son œuvre où la réflexion sur la paternité nous semble rejoindre la réflexion jamais interrompue du poète sur l’histoire de la poésie et de la langue et sur son positionnement par rapport à celle-ci.
1.1. La volonté de ne pas être père
S’il fallait dater l’émergence, dans l’œuvre poétique de Pasolini, d’une interrogation explicite sur la figure paternelle, y compris et surtout, comme lieu de projection de l’artiste, il faudrait remonter à la sixième section de Poesia in forma di rosa. Le recueil – auquel l’auteur attribue, « la forma interna […] di un diario [che] racconta punto per punto i progressi del mio pensiero e del mio umore in questi anni » (Naldini 2003 : CVII) – semble enregistrer un glissement progressif de la présence de la mère à celle du père. Il s’ouvre, en effet, par un poème intitulé Ballata delle madri, auquel fait suite Supplica a mia madre, l’un des plus beaux poèmes du recueil, où il évoque, en des termes tourmentés, le caractère irremplaçable et totalisant de l’amour qu’il éprouve pour sa mère. Déclaration reprise, peu après, dans le poème qui donne son titre à la section, La realtà, où on lit :
…Il mio amore
è solo per la donna : infante e madre.
solo per essa impegno tutto il cuore.
Per loro, i miei coetanei, i figli, in squadre
Meravigliose sparsi per pianure
E colli, per vicoli e piazzali, arde
In me solo la carne. [...]
(Pasolini 2003b : 1112)
Dans ces vers, où apparaît l’image récurrente d’une mère enfant, Pasolini parle de lui-même non seulement comme d’un fils, mais comme de quelqu’un qui a l’âge des enfants dont il est épris : « per loro, i miei coetanei, i figli… ». La référence à l’âge – nous sommes en 1962 et Pasolini a quarante ans – ne peut que souligner sa revendication du statut de fils. Mais elle peut aussi suggérer la présence d’un questionnement bien qu’il faille attendre la sixième section du recueil, vraisemblablement composée l’année suivante, pour que ce questionnement devienne explicite. Dans un poème sans titre, le poète évoque le malaise qu’il éprouve pendant un voyage en avion à cause du décalage qu’il ressent entre l’image publique d’homme de lettres qu’il incarne, et qui lui vaut les égards du personnel de bord, et la réalité d’une intériorité vide de toute inspiration. Au milieu du poème l’auteur s’écrie alors : « sono impari a ciò che “praticamente” sono,/se io ero fatto per restare ai piedi del mondo,/non qui tra i padroni, in un Caravelle ». La fin du poème est alors toute interrogative : « Devo tornare povero ? Ignoto ? Ragazzo ?/Non so, “effettivamente”, essere padre, padrone./È ridicola la mia influenza, la mia fama./Padre che cosa mi sta succedendo? » (Pasolini 2003b : 1234) La référence finale au Père (avec une majuscule) se charge d’une connotation toute particulière si l’on tient compte du fait que le voyage en question est selon toute vraisemblance le retour d’un repérage effectué en Israël en vue de la réalisation de l’Evangile selon saint Mathieu –dans le poème, d’ailleurs, le Tibre est comparé au Jourdain. Ici donc, Pasolini se compare au fils, et au fils par excellence, au Christ, tout en affichant, pour la première fois, le sentiment d’être « impari a ciò che “praticamente” sono ». Quel sens faut-il attribuer à ce vers ? Eh bien, son sens le plus évident est que le poète est très concrètement un père-patron c’est-à-dire un écrivain reconnu à qui on offre du champagne dans un avion, un réalisateur désormais célèbre qui guide une équipe sur le lieu d’un tournage etc. Mais on peut y voir aussi un autre sens d’autant plus plausible qu’à cette époque, qui précède de peu le tournage, Pasolini est entièrement plongé dans l’univers de l’Evangile de Mathieu. Le Christ, en effet, est un fils consubstantiel au père, ou si l’on veut, en simplifiant beaucoup, un fils qui est en même temps père. Cette consubstantialité, si l’on peut dire, du fils et du père, est un thème qui, à partir de ce moment, va marquer en profondeur l’ensemble de l’œuvre du poète. La question qui suit : dois-je redevenir pauvre ? inconnu ? jeune homme ? est significative de l’incapacité d’assumer cette réalité jusqu’au bout, en raison de la valeur symbolique attachée au père-patron et qui ne pourra l’être qu’au terme d’un parcours de re-sémantisation symbolique de celui-ci. On remarquera qu’à cette image du père-patron, pour simplifier, Pasolini consacre cette même année 1963 un projet de film intitulé Il padre selvaggio dont nous possédons le scénario et qui ne sera finalement jamais réalisé.
Cette référence au père demeure, cependant, isolée dans le recueil publié en 1964. Il n’en va pas de même dans le recueil suivant, Trasumanar e organizzar, publié en 1971, c’est-à-dire sept ans après Poesia in forma di rosa, sept années d’une activité absolument frénétique au cours desquelles Pasolini s’est définitivement affirmé comme l’artiste mondialement connu que l’on sait. Dans Trasumanar et organizzar la figure du père est récurrente sous la double forme de l’impossibilité et de la méconnaissance, c’est-à-dire de l’incapacité d’être père ou de l’ignorance du père. La première de ces deux formes est sans doute la plus complexe et la plus intéressante. Elle apparaît très clairement dans le poème que nous citions en ouverture, Dutschke, où l’on peut lire :
Per tutto il periodo in cui tu non eri nato,
io ho ragionato. Non so nel ventre di quale madre tu stavi.
Non l’ho fecondata io, quella donna, questo è certo.
Eppure, se considero il lungo periodo di tempo,
che per me passò dopo la nascita e per te prima,
non c’è dubbio: ti sono padre.
Perchè, allora, ti guardo con l’occhio del figlio?
La nostra esperienza ha le stesse parole; la nostra ragione
Ha lo stesso lessico. Ma tu, oltre a ciò ch’è tuo,
hai anche ciò ch’è mio: è questo che ti rende più adulto
[...] Ora io, invece, tutta la mia esperienza te l’ho data.
E tu dunque hai la tua più la mia: e ciò ti dà un’autorità...paterna.
[...]
(Pasolini 2003c : 31)
Ce poème dans lequel on reconnaît l’incapacité pasolinienne, largement développée dans le célèbre article La volontà di non essere padre, de suivre avec un regard paternel la révolte étudiante de 1968 nous intéresse tout particulièrement pour la signification méta-historique que le poète attribue à son impossibilité d’être père. Pour saisir le sens de ce sentiment d’être le fils de celui dont on est, objectivement, c’est-à-dire historiquement, le père il faut faire un saut en arrière et se reporter à la note conclusive de Poesia in forma di rosa. Dans ce bref texte, Pasolini affirme que :
il motivo ossessionato di tutto il libro [è] il tentativo, stentato, di identificare la condizione presente dell’uomo (diviso in due Razze, ormai, più che in due classi) come l’inizio di una Nuova Preistoria [...]. (Pasolini 1993 : 826)
Nous reconnaissons là le thème sans cesse repris par Pasolini d’une véritable coupure anthropologique entre la période qui précède et celle qui suit l’éclosion de la société de consommation avec ses conséquences économiques et socio-culturelles. Les années quarante et cinquante du XXe siècle représentent à ses yeux la fin d’une ère qui n’est en rien comparable avec celle du capitalisme consumériste dont les années soixante constituent les balbutiements c’est-à-dire, précisément, la préhistoire. De ce fait Dutschke, tout comme les autres protagonistes des révoltes étudiantes américaines ou allemandes de la fin des années soixante, sont l’expression d’une mutation anthropologique, ils sont les hommes nouveaux nés des ruines de l’ère qui les précède et à laquelle appartient Pasolini. Voilà pourquoi le poète peut dire à ce jeune étudiant : « oltre a ciò ch’è tuo,/hai anche ciò ch’è mio: è questo che ti rende più adulto. » La coupure anthropologique situe Dutschke sur un autre plan, à un degré de maturité historique et anthropologique supérieur, en quelque sorte, qui fait qu’il possède « un’autorità […] paterna » et que Pasolini peut donc se représenter comme le fils de celui dont, en principe, il devrait être le père. Et c’est suivant cette même logique que, dans un autre poème du recueil, Il mondo salvato dai ragazzini, le poète peut, tout en refusant d’être père, concevoir d’être grand-père, à condition que cela le place dans un temps définitivement révolu :
Cari studenti medi, io non ho voluto esser padre,
ma non mi rifiuto, lo confesso, di esser nonno.
Vedervi da lontano, è atroce e dolce, nipotini pazzarielli perbene.
Avrete le vostre belle scuole,e i vostri professori non autoritari.
Noi grandi saremo ormai dentro i nostri avelli [...]
(Pasolini 2003c : 51-52)
D’autres poèmes du recueil, comme nous le disions, affichent, en revanche, la méconnaissance du père. C’est notamment le cas de la section La città santa, marquée par la figure de Maria Callas à qui Pasolini oppose, impossible amant, sa totale étrangeté à l’univers du père, comme dans le poème Timor di me ? :
Chi c’è, in quel vuoto del cosmo,
che tu porti nei tuoi desideri e conosci?
C’è il padre, sì, lui!
Tu credi che io lo conosca? Oh, come ti sbagli [...]
(Pasolini 2003c : 189)
Ou encore dans Rifacimento:
ciò che conta [pour Maria] è lui, il Padre, sì, lui:
lo dice uno che non lo conosce
non ne sa nulla, non lo ha mai visto,
non gli ha mai parlato, non l’ha mai ascoltato,
non l’ha mai amato, non sa chi è, non sa se c’è [...]
(Pasolini 2003c : 193)
Naturellement on ne saurait limiter la portée de cette méconnaissance réitérée – le thème est repris dans d’autres poèmes encore – à la confrontation somme toute troublante avec le regard de femme, et de femme qui sait être rapace – « uccellino con potente voce di aquila » – de Maria Callas. Le thème de la méconnaissance est en fait complémentaire de celui de l’incapacité à être père et de l’appartenance à la condition de fils. Et il lui est complémentaire, nous insistons sur ce point, sur le plan méta-historique. Car la méconnaissance du père est depuis toujours, pour le poète, synonyme de sa difficulté, voire de son incapacité, à porter sur l’histoire un regard paternel, à la fois normatif et empreint d’un certain positivisme progressiste – selon la logique symbolique adoptée dès Le Ceneri di Gramsci qui lui permettrait de s’inscrire activement dans le flux de l’histoire du côté du père, c’est-à-dire du côté de la raison, de la maîtrise technique, du pouvoir, etc. On se souvient, à ce propos, des vers où le poète avoue, devant la tombe du penseur marxiste, la qualité de sa passion pour le monde :
Mi so ad esso attaccato nel calore
degli istinti, dell’estetica passione;
attratto da una vita proletaria
a te anteriore, è per me religione
la sua allegria, non la millenaria
sua lotta: la sua natura, non la sua
coscienza; è la forza originaria
dell’uomo, che nell’atto s’è perduta,
a darle l’ebrezza della nostalgia.
(Pasolini 2003a : 820)
La volonté de ne pas être père, la volonté et la conscience d’être fils, tout comme la méconnaissance du père, convergent vers une seule et même volonté : celle de se soustraire à une représentation rationnelle et partant linéaire de l’histoire pour se tenir à l’endroit où se situe « la forza originaria dell’uomo » laquelle, précisément, « nell’atto », c’est-à-dire dans l’histoire, « s’è perduta ». Être fils, c’est rester dans cette condition originaire, c’est se maintenir dans un monde où la vie possède une énergie, une force dont prive nécessairement la condition paternelle. « La cultura, déclare Pasolini dans Il sogno del centauro, impoverisce, semplifica man mano la natura. Più si vive nello stato di natura, più il codice è complesso, e vivo. » (Pasolini 2006b : 1461) Une idée reprise un peu plus loin par l’affirmation: « la parola barbarie – lo confesso – è la parola al mondo che amo di più » (Pasolni 2006b : 1485) ; et à Jean Duflot qui s’en étonnait et demandait les raisons d’un tel goût archaïque pour la barbarie, il expliquait :
Semplicemente, nella logica della mia etica, perchè la barbarie è lo stato che precede la civiltà, la nostra civiltà: quella del buon senso, della previdenza, del senso del futuro (Pasolini 2006b : 1485-1486).
1.2 L’enfant barbare : Ur-père et über-père
Nous avons jusqu’ici mis l’accent sur la poésie, mais il va de soi qu’à partir de la publication de Poesia in forma di rosa, le cinéma est le lieu où le thème de la paternité et du retour vers la barbarie est exploré de la manière la plus ample. De Uccellacci e uccellini (1965) à Porcile (1969) en passant par Edipo re – « In Edipo io racconto la mia storia del complesso di Edipo », déclare Pasolini – Medea ou Teorema, l’artiste met en scène la fin d’une ère et de son idéologie, son désir parricide et incestueux et son pendant méta-historique, l’exaltation du monde archaïque et de sa sacralité ou encore toute l’horreur de la société capitaliste et bourgeoise, fascisante et infanticide. Il est hors de question d’aborder ici cette partie de l’œuvre cinématographique qui, par ailleurs, est l’objet d’un intérêt constant de la critique (cf. Fusillo 2007). Nous nous arrêterons, en revanche, sur un texte théâtral écrit par Pasolini en 1966, comme tout le reste du théâtre pasolinien, intitulé Affabulazione. Ce texte célèbre semble représenter le parfait pendant d’Edipo re en cela qu’il met en scène, bien que de manière très ambivalente, le désir infanticide d’un père. Il s’agit d’un texte extrêmement dense et complexe qui se prête à d’intéressants rapprochements, comme l’a très bien montré Massimo Fusillo, avec ce que la psychanalyse post-freudienne a désigné comme le complexe de Laïos (cf. Fusillo 2007 : 44-52). Ce qui nous intéresse dans ce texte, c’est une fois de plus l’inversion des rôles entre père et enfant. Pour le dire très grossièrement, Affabulazione oppose un père, un industriel représentant de la grande bourgeoisie du nord de l’Italie, qui réunit en lui-même tout l’univers symbolique que nous avons vu précédemment être rattaché à la figure paternelle, à un fils qui est, en revanche, l’incarnation même de cette pureté barbare faite d’innocence, de sacralité et de mystère. Or, dans un passage du cinquième épisode, le père tombe en extase devant la jeunesse de son fils et réalisant pour la première fois qu’il ne le connaît pas « dalla cintola in giù », il est frappé par une sorte d’illumination et il lui dit :
Così davanti alla tua giovinezza,
piena di seme e di voglia di fecondare,
il padre sei tu.
E io sono il bambino. L’ho capito adesso.
(Pasolini 2001b : 510)
La suite du drame se construit autour des raisons de cette révélation. Ce que le père pétri de raison bourgeoise n’arrive pas à comprendre, c’est la raison de son sentiment, le pourquoi de cette inversion des rôles qui le conduit à se sentir le fils de son fils. Or, comme le lui laissera entendre l’apparition de l’ombre de Sophocle, la raison en est que son fils est irréductible à l’univers de valeurs auquel lui, puissant industriel pétri de rationalisme bourgeois, appartient. L’intérêt d’Affabulazione, quant à notre propos, tient donc au fait qu’il nous présente, pour la première fois, l’autre visage de la volonté/nécessité pasolinienne de demeurer dans la condition de fils. Et ce visage est, paradoxalement, celui du père mais d’un père plus puissant que le père naturel, car possédant la force de la barbarie, du mystère, du sacré. A cet endroit, et ce n’est d’ailleurs pas le seul, il y a véritablement quelque chose de nietzschéen chez Pasolini, qui fait que le fils peut être considéré à la fois comme un ur-père et un über-père. Tout en ne voulant pas être père, tout en réclamant sa condition de fils, Pasolini finit par camper la figure d’un fils immémorial qui bouleverse l’ordre linéaire de la descendance se situant en amont du père, dans un lieu originel où la figure du fils et du père, en quelque sorte, se confondent. Les vers extraits de Poesia in forma di rosa que Pasolini fait déclamer à Orson Wells dans La Ricotta expriment, d’une autre manière, cette “consubstantialité” du père et du fils dont l’une des expressions majeures est la figure du père-pédagogue que Pasolini incarne dans la première partie des Lettere luterane où il s’adresse à un enfant imaginaire nommé Gennariello qui donne d’ailleurs son nom à ce « trattatello pedagogico ». Dans ce texte, une fois de plus, la condition de fils de Pasolini est inscrite en creux dans la coupure qui le sépare de son époque, dans cette jeunesse méta-historique dont la vérité et la force fondent cependant aussi, et en même temps, son autorité de père-pédagogue.
Nous pouvons, à présent, tirer une première conclusion. La volonté pasolinienne de ne pas être père est l’expression d’une volonté de se soustraire à l’ordre linéaire – rationnel, bourgeois, paternel – de l’histoire, elle exprime le refus de l’ordre que la filiation paternelle suppose. Cela conduit Pasolini à substituer à l’ordre paternel un nouvel ordre : l’ordre filial. Celui-ci implique naturellement un déplacement vers l’univers symbolique de la mère ; la recherche du primitif, du naturel, de l’originel correspond au niveau psychique à la nostalgie de la symbiose avec le corps de la mère. Toutefois, il serait réducteur, comme nous le disions au départ, de n’y voir que cela. Chez Pasolini, la dimension de la libération passionnelle n’est jamais une fin en soi. Œdipe n’est pas un aboutissement, comme nous l’apprend, d’une certaine manière, Affabulazione. Autrement dit, l’ordre filial est bel et bien un ordre dont la force extrême, son côté paternel, tient en cela qu’il suppose la subversion même de l’ordre paternel, en plaçant le fils en amont du père. En reprenant le système d’équivalences établi par Pasolini à l’intérieur du nouvel ordre, on pourrait dire que de même que la culture appauvrit et simplifie au fur et à mesure la nature, de même le père n’est qu’un fils appauvri.
2. PASOLINI, FILS ET PÈRE
Venons-en donc, maintenant, aux conséquences qu’a cette représentation de la paternité et de la filialité dans le domaine de la filiation littéraire. Ce que nous nous proposons de montrer, c’est que la recherche poétique de Pasolini de même que son discours méta-poétique procèdent de la même volonté de substitution d’un ordre filial à l’ordre paternel. Cette démonstration suppose trois moments : le premier, assez simple, c’est l’identification d’un ordre paternel. Le deuxième, plus complexe, c’est l’affirmation de l’ordre filial qui advient, conformément au mécanisme que nous venons de décrire, par un mouvement subversif tendant à faire de l’ordre paternel un dérivé appauvri de l’ordre filial. Le troisième, enfin, correspond à la révélation du visage paternel de l’ordre filial par l’adoption, dans la création littéraire elle-même, de ce que j’appellerai une posture socratique.
2.1 Pascoli : l’ordre du père
Premièrement, donc, l’identification d’un ordre paternel. Passione e ideologia, publié en 1960, réunit un certain nombre d’articles de critique littéraire écrits entre 1952 et 1958. La deuxième section du recueil s’ouvre par un essai, intitulé tout simplement Pascoli, paru en 1955 dans le premier numéro d’Officina. 1955 est l’année du centenaire de Pascoli mais l’article ne se veut pas purement de circonstance car, dans l’analyse du phénomène stylistique pascolien nous pouvons, explique Pasolini, « fondare una revisione di tutta l’istituzione stilistica novecentesca (da farsi appunto in gran parte risalire alla ricerca pascoliana) ». Or, quel est le trait caractéristique de cette « ricerca pascoliana » ? C’est, nous dit-il, la coexistence d’une « ossessione, tendente patologicamente a mantenerlo sempre identico a se stesso » et d’une « forza intenzionale che lo porta alle tendenze stilistiche più disparate » (Pasolini 2004a: 1000). C’est sur de telles bases que Pasolini passe en revue les courants et les auteurs qui ont subi son influence stylistique, à savoir, grosso modo, tous les courants et poètes importants de la première moitié du XXe siècle : des Crepuscolari à Montale, en passant par Saba, la poésie dialectale du début du siècle, Govoni et Ungaretti, jusqu’à la poésie orphique d’Onofri et à l’hermétisme de Gatto et Bertolucci. Toutefois, Pascoli n’étant expérimental et révolutionnaire que sur le plan linguistique et demeurant, pour le reste, enfermé dans son obsession psychologique, il n’a fait que conforter, en dernière instance, la tendance formaliste, esthétisante, psychocentrique de la tradition poétique italienne.
Bref, le cas de Pascoli est intéressant dans la mesure où il nous fournit la démonstration que même la meilleure poésie italienne du XXe siècle, la poésie qui fait un effort de réalisme, la poésie « plurilinguistique » n’arrive jamais à sortir du formalisme de la poésie pure. Son réalisme est en réalité un faux réalisme ou un réalisme extrêmement limité car il est auto-référentiel, il ne s’intéresse pas à la réalité mais à la réalité de la poésie. Pour cette tradition poétique qui, en tant que tradition et courant dominant, constitue l’ordre paternel, nomina sunt res, le réalisme n’est au fond qu’un formalisme.
2.2 En amont du père
Venons-en, maintenant, au deuxième moment, à la substitution de l’ordre filial à l’ordre paternel qu’incarne Pascoli héritier d’une tradition qu’il relance sur de nouvelles bases stylistiques au XXe siècle. C’est dans un article de 1957, également paru dans Officina, que Pasolini expose sa propre poétique.
Pasolini nous dit, donc, que Pascoli est un réaliste contrarié par l’obsession de son moi poétique. Et en cela Pasolini voit juste ; il avait longuement étudié le poète de Castelvecchio et il savait que celui-ci avait passé sa vie à répéter que la poésie n’est pas dans les mots mais dans les choses. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire Il fanciullino ou La mia scuola di grammatica où Pascoli met en garde contre « il pericolo, in che spesso noi incorriamo, di scriver di nulla, [...] e di poetare sognando mentre la realtà canta intorno a noi. » (Pascoli 2003 : 1390). Le ‘chant du réel’ est précisément ce que saisit le sentiment du fanciullino. Or, pour Pasolini aussi ce qui fait la poésie c’est le sentiment des choses. Mais les choses ce sont la réalité vécue et comprise dans toute sa complexité, le sentiment des choses est :
amore fisico e sperimentale per i fenomeni del mondo, e amore intellettuale per il loro spirito, la storia: che ci farà sempre essere « col sentimento al punto in cui il mondo si rinnova. (Pasolini 2004a : 1237)
Ces derniers mots : « essere “col sentimento al punto in cui il mondo si rinnova” » est une auto-citation, il s’agit d’un vers extrait de Il pianto della scavatrice (Cf. Pasolini 2003a : 846) et il exprime, selon Pasolini, l’essence de sa recherche poétique, comme il le dit lui-même dans la suite de la réponse à Jon Halliday que nous citions en ouverture. Après s’être défini comme un « pasticheur », il ajoutait :
Quello che conta è il grado di violenza e di intensità, e ciò investe sia la forma sia gli stili, nonchè l’ideologia. Quello che conta è la profondità del sentimento, la passione che metto nelle cose; non sono tanto né la novità dei contenuti, né la novità della forma. (Pasolini 2006a : 1301)
Au sentiment du fanciullino Pasolini oppose donc la violence, l’intensité, la profondeur du sentiment. L’ordre filial est déjà là en tant que volonté de déborder l’ordre paternel du côté naturel du sentiment, des pulsions, des passions violentes. Mais, la substitution de l’ordre filial à l’ordre paternel, l’institution du fils en ur-père présuppose encore qu’advienne ce renversement de l’ordre linéaire paternel, ce retour aux origines, vers cette nature dont la culture n’est, comme nous l’avons vu, qu’un long et progressif appauvrissement. Or, un premier indicateur de ce renversement était naturellement la prose dialectale des romans Ragazzi di Vita et Una vita violenta. Mais le véritable renversement advient par la découverte du langage cinématographique.
À ce nouveau langage Pasolini a consacré des centaines et des centaines de pages d’analyses passionnantes qu’il serait vain de vouloir résumer ici. Nous nous limiterons donc à deux observations qui illustrent, nous semble-t-il, notre propos. La première a trait au réalisme très particulier du langage cinématographique. C’est ce que Pasolini exprime très bien dans son entretien avec Jon Halliday :
la passione che aveva assunto la forma di grande amore per la letteratura e per la vita si era spogliata dell’amore per la letteratura diventando ciò che era davvero, ossia una passione per la vita, per la realtà, per la realtà fisica, sessuale, oggettuale ed esistenziale attorno a me. Questo è il mio primo, unico grande amore e in un certo qual modo il cinema mi ha costretto a rivolgermi ad esso e a esprimerlo in forma esclusiva. Come è avvenuto? Studiando il cinema come sistema di segni, sono giunto alla conclusione che è un linguaggio non simbolico e non convenzionale [...] ed esprime la realtà non per mezzo di simboli ma attraverso la realtà stessa. (Pasolini 2006a : 1302)
Qu’y a-t-il de plus fort, nous dit Pasolini, de plus intense, de plus naturel aussi comme sentiment du réel que la réalité elle-même ? Le cinéma, écrit-il dans Empirismo eretico, « Il cinema riproduce la realtà : immagine e suono ! Riproducendo la realtà, che cosa fa il cinema ? Il cinema esprime la realtà con la realtà » (Pasolini 2004c : 1417). La référence au son n’est pas anodine. À cette époque (nous sommes au milieu des années soixante), Pasolini tient, dans la revue Rinascita, un journal linguistique. En 1966, il publie un long article dans Nuovi Argomenti qui expose une série de réflexions sur la langue, mais la langue orale par opposition à ce qu’il appelle la langue orale-écrite. Et cela nous amène à notre deuxième observation qui a trait au retour aux origines. Dans une note, Pasolini écrit :
La caratteristica forse più importante della lingua orale è quella della conservazione di una certa unità, metastorica, attraverso le continue stratificazioni e sopravvivenze di ogni lingua. Nessun « substrato orale » va perduto: esso si dissolve nella nuova lingua orale, amalgamandosi con essa, e rappresentando quindi in concreto la continuità. (Pasolini 2004c : 1321)
L’idée est que la langue orale garde intacte la trace de ses origines, à travers elle, notamment dans ses expressions pré-grammaticales ou dans certaines sonorités dialectales – et on peut se souvenir ici des onomatopées et des recherches dialectales de Pascoli –, il est possible de remonter le temps jusqu’aux origines mêmes de l’humanité. La parole orale, le son, fonctionne de ce fait comme l’image suscitant en nous, à travers la mémoire et notre inconscient, des effets de réminiscence des origines.
Pasolini illustre cela par une anecdote : celle de Ninetto qui voit pour la première fois la neige tomber. Face à ce spectacle, Ninetto se met à crier et à danser. Or le cri de joie, écrit-il, orgiastique et enfantin que lance en ce moment, sous mes yeux, Ninetto :
congiunge in un continuo senza interruzione, il Ninetto di adesso a Pascasseroli, al Ninetto della Calabria area marginale e conservatrice della civiltà greca, al Ninetto pre-greco, puramente barbarico, che batte il tallone a terra come adesso i preistorici, nudi Denka nel basso Sudan. (Pasolini 2004c : 1332)
Et voilà donc pleinement réalisé, grâce au langage cinématographique, le renversement, le retour aux origines, à l’endroit où peut s’exprimer « questo dato necessario e individualistico – precedente idealmente la società, ossia la cultura » qu’est, à titre d’exemple, l’image de la neige qui tombe et de Ninetto qui dance et qui crie face à ce spectacle. On a pu remarquer que cette « joie barbare du rire et de la danse » est une constante de tous les rôles de Ninetto et on pourrait ajouter qu’elle renferme symboliquement le sens du langage cinématographique pour Pasolini :
la comunicazione visiva che è alla base del linguaggio cinematografico è [...] estremamente rozza, quasi animale. Tanto la mimica e la realtà bruta quanto i sogni e i meccanismi della memoria, sono fatti quasi pre-umani, o ai limiti dell’umano: comunque pre-grammaticali e addirittura pre-morfologici [...] Lo strumento linguistico su cui si impianta il cinema è dunque di tipo irrazionalistico: e questo spiega la profonda qualità onirica del cinema, e anche la sua assoluta e imprescindibile concretezza, diciamo, oggettuale. (Pasolini 2004c : 1463)
2.3 La posture socratique
Venons en maintenant, pour conclure, à la troisième et dernière phase de l’affirmation de l’ordre filial, à savoir ce que nous avons appelé la révélation du visage du père et qui correspond, comme nous le disions, à une posture socratique. Socrate est une figure qui revient assez souvent dans les discours de Pasolini et elle pourrait être associée à cette vis pedagogica qui traverse l’œuvre de l’artiste et qu’a si bien mise en évidence Enzo Golino dans son livre Il sogno di una cosa. Mais par rapport à la question qui nous occupe, la dimension socratique se situe ailleurs. Une fois que l’ordre filial s’est affirmé comme étant en amont de l’ordre paternel, il est à même de révéler toute sa force. C’est ce que nous avons formulé de manière synthétique en disant que le fils est un ur-père et un über-père. Cette force est naturellement déjà présente dans le langage cinématographique, mais celui-ci ne représente au fond qu’un moment négatif, le moment où Pasolini déborde l’ordre paternel dans la direction d’un réalisme puissant et global qui présuppose un renversement qui est aussi en partie une régression vers le naturel, l’originel. Or, il faut bien voir que de cette position originelle Pasolini se tourne à nouveau vers la littérature et regardant de haut, en quelque sorte, l’ordre paternel, il affirme :
Mi ci è voluto il cinema per capire una cosa enormemente semplice, ma che nessun letterato sa. Che la realtà si esprime da sola; e che la letteratura non è altro che un mezzo per mettere in condizione la realtà di esprimersi da sola quando non è fisicamente presente. Cioè la poesia non è che una evocazione, e ciò che conta è la realtà evocata che parla da sola al lettore, come ha parlato da sola all’autore. (Pasolini 2004c : 1421)
Le visage paternel surgit du nouvel ordre filial comme une révélation, la révélation d’un nouveau message, d’un nouvel évangile, pourrait-on dire, de la littérature. Mais qu’y a-t-il de socratique dans ce message ? Le socratisme tient au caractère accoucheur qu’attribue Pasolini à la littérature ou plus exactement au réalisme en littérature. Le propre de la littérature est d’évoquer une réalité qui va se tenir énigmatique et interrogatrice face au lecteur. Au moment où il écrit cela, Pasolini a sous les yeux un texte de Barthes qu’il cite en traduction, où on lit : « L’arte […] sembra adoperarsi, soprattutto oggi, non a fare del senso ma, al contrario, a sospenderlo; non a costruire dei sensi ma a non riempirli esattamente » (Pasolini 2004c : 1422). « Sospendere il senso », ajoute alors Pasolini:
ecco una stupenda epigrafe per quella che potrebbe essere una nuova descrizione dell’impegno, del mandato dello scrittore. [...] quel « qualcosa » che sta accadendo nel mondo borghese, questo rovesciarsi nella quotidianità di valori negativi e ideali, violenti e non violenti: questo ripresentarsi della « povera e nuda problematicità » [...] ci parla col suo linguaggio ogni giorno, trascendendo – in un senso ancora indefinito [...] i nostri significati – è bene, mi pare, piegare a questo i significati! Se non altro per porre, appunto, delle domande in opere anfibologiche, ambigue, a canone « sospeso » [...] ma nient’affatto in questo, disimpegnate, anzi! (Pasolini : 2004c : 1423-1425)
Six ans plus tard Pasolini commençait la rédaction d’un roman fleuve dont tout le monde connaît le caractère amphibologique, ambigu, formellement allégorique et composite. Un roman où « tutto […] è allegoria, quasi medioevale (appunto illeggibile) » (Pasolini 2005 : 1215), fait de « materiali apparentemente significativi » (Pasolini 2005 : 1343). Nous faisons naturellement référence à Petrolio dont l’exergue est une merveilleuse phrase de Ossip Mandelstam : « Col mondo del potere non ho avuto che vincoli puerili ».
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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