Michel Fievet et André Requi, Un monde solidaire et sans frontières, Beaune, La Toison d'Or, 2006.

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Aux éditions de la Toison d'Or, la collection itinéraires militants vient de s'enrichir d'un cinquième ouvrage retraçant le parcours d'un militant syndicaliste chrétien et associatif de la région parisienne, André Téqui. Décidément, la biographie n'est pas qu'illusion1. Approcher l'histoire à hauteur et à durée d'homme, pour certains sujets, constitue une approche permettant de mieux comprendre une époque.

Le parcours étudié ici par Michel Fiévet, autre militant et visiblement proche ami de Téqui, présente des similitudes fortes avec celui d'autres individus, engagés aux mêmes moments dans des structures identiques et inscrits dans les mêmes débats. Né au militantisme par la JOC, formé par elle, il a ensuite continué son action au sein de la CFTC, contribué à sa mesure à la déchirure de 1964, qu'elle soit considérée comme une évolution ou une rupture, qui a permis l'émergence de la CFDT.

A la lecture de ce livre on prend également conscience de l'importance de certains débats qui paraissent purement formels mais qui, en réalité, touchaient au fond de l'activité syndicale, nous songeons notamment à la question de la structuration en fédérations d'industries plutôt qu'en fédérations de métier, André Téqui penchant pour la première solution, la meilleure qui soit pour que la CFTC puisse accompagner les mutations économiques et industrielles qui survenaient durant cette période2. De même, la question du territoire maillé par le fait syndical ne fut en rien absente de son action, et cela apparaît notamment dans l'investissement qui fut le sien lorsque la formation d'une union régionale parisienne fut lancée.

On peut donc conclure en considérant que cette biographie tend d'une certaine manière vers le modèle exemplifiant3, tout au moins pour cette dimension de son parcours et pour cette forme de militantisme. En revanche, ce parcours s'est organisé autour d'autres engagements qui font basculer la biographie du côté du modèle totalisant, autrement dit qui tend à faire ressortir l'exhaustivité d'un parcours mais que l'on ne peut alors plus généraliser. Ces particularités qui font sortir cette vie des tendances apparaissent de deux manières, et tout d'abord en creux. A un moment où nombre de ses camarades, passés eux aussi par la JOC, les expériences de la Seconde Guerre mondiale, la CFTC puis la CFDT4, se laissaient tenter par une inscription dans des structures partisanes, notamment dans la mouvance de la deuxième gauche, puis après que F. Mitterrand ait réussi la synthèse d'Epinay, lui est resté en dehors, bien que proche de ces forces par ses opinions. Il a conservé, alors qu'il était extrêmement actif au sein de la CFDT, une ligne de conduite qui avait été celle de la CFTC entre le milieu des années 1950 et celui des années 1960 et qu'elle continua d'avoir après l'évolution de 1964. Cette dimension atypique apparaît également pour son insertion dans le mouvement associatif. La participation à ce type de structures n'a rien d'exceptionnel pour un militant syndical, en revanche la nature des associations animées l'est davantage, puisqu'il s'agissait de défendre les intérêts des immigrés, dans un premier temps des Portugais puis, dans un second temps, de ceux provenant d'autres horizons géographiques.

Comme c'est bien souvent le cas, ce parcours étudié montre qu'un individu ne peut échapper tout à fait aux contingences, mais également que ces dernières sont très variables, et d'autre part qu'il existe toujours la possibilité du choix. Restent quelques éléments que nous aurions voulu voir éclairés quant à ce parcours. La vie de la CFTC n'eut rien d'un long fleuve tranquille durant les années qui sont allées de la Libération à 1964. Des débats considérables l'ont traversée5. Or, assez peu de choses sont dites dans cet ouvrage sur la manière dont André Téqui s'est situé dans ces débats. Certes, on comprend qu'il s'agissait plus d'un organisateur que d'un idéologue, mais il devait bien avoir choisi entre les trois solutions qui, résumées à grands traits, étaient : le refus de l'évolution, l'acceptation sans équivoque, l'acceptation par défaut ou comme prix du maintien de l'unité. Il semble que André Téqui se soit senti plus proche de cette configuration, mais il aurait fallu creuser cette question.

Une lecture des annexes fournies en fin d'ouvrage nous permet de comprendre que les années 1980 ont signifié la fin de sa vie active et son retrait de tout ou partie de ses responsabilités syndicales parmi les structures d'actifs. Mais s'est-il engagé au sein des structures de retraités ? Cette question nous conduit naturellement à une autre, qui est celle du positionnement dans les débats, nous serions tentés de parler de crises, qui ont marqué la CFDT dans un contexte de « recentrage » et dont les déchirures provoquées par les décisions prises en 2003 sur le dossier des retraites ne sont que le dernier avatar. Or, tout cela s'est déroulé avant un décès survenu très brutalement en 2005, sans le moindre avertissement : il fut donc conscient de ce qui se passait.

Notes

1 Nous détournons ici le titre d'un article de Pierre Bourdieu, « L'illusion biographique », paru aux Actes RSS, N° 62/63, pp.69-72, dans lequel il se montrait critique sur le retour de l'acteur et sa pertinence comme élément d'explication. Retour au texte

2 Voir F.Géorgi, L'Invention de la CFDT , L'Atelier, 1995. Retour au texte

3 Selon un modèle définit par F.Sawicki, « l'apport des monographies à l'étude du socialisme français », in J.Girault (dir), L'implantation du socialisme en France au XXe siècle, Partis réseaux, mobilisation , Publications de la Sorbonne, 2001. Retour au texte

4 S.Paquelin, Roger Dessagne, Vivre et lutter au pays des gueules noires , La Toison d'Or, Beaune, 2005. Mais également les livraisons actuelles et à venir du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français , aux éditions de l'Atelier et sous la direction de C. Pennetier. Retour au texte

5 F. Géorgi, op. cit. Retour au texte

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Référence électronique

Stéphane Paquelin, « Michel Fievet et André Requi, Un monde solidaire et sans frontières, Beaune, La Toison d'Or, 2006. », Dissidences [En ligne], Février 2012, Nos archives : le mouvement syndical, publié le 04 novembre 2011 et consulté le 16 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=755

Auteur

Stéphane Paquelin

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