Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, La fracture coloniale. La société française au prisme de l'héritage colonial, Paris, La Découverte/Poche, 2006, 315 p.

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Décolonisation, Immigration

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Déjà à l'origine de « Zoos humains », les co-directeurs de cet ouvrage ont su rassembler plus de 20 historiens et sociologues pour sonder la profondeur de la fracture française – plutôt une des fractures françaises - et proposer une issue. L'idée de ce livre est née d'une grande enquête menée à Toulouse en 2003 sur les mémoires coloniales et l'immigration. Le « modèle français » d'intégration des immigrés est gouverné par l'idéologie de l'Unique. Toute différence, toute altérité, sont perçues comme menaçantes. De plus, beaucoup pensent que la construction de la nation française est achevée depuis longtemps. Donc les nouveaux arrivants sont sommés de s'intégrer, de « couvrir d'un voile opaque ce dont ils sont porteurs » (Achille Mbembe, Université de Johannesburg). L'universalisme à la française est hostile à la différence, et par extension, à la figure d'Autrui. En effet l'universel s'incarne dans des figures historiques représentant le groupe dominant : « le neutre est un homme blanc des classes moyennes et supérieures » (Bancel, Strasbourg II, Blanchard, CNRS). L'invention de l'indigène est ancienne, elle remonte au Code de l'Indigénat (1874) et aujourd'hui perdure ce regard stéréotypé sur l'autre.

Cette situation est due en partie, selon Sandrine Lemaire, au déficit des études sur les périodes coloniale et postcoloniale. Or de nombreux processus contemporains, brûlants, ne peuvent se comprendre sans la profondeur du champ historique. Apporter des connaissances permettrait de réduire les replis identitaires, d'aider à la pacification des mémoires multiples et contradictoires. Ce n'est pas évidemment une loi comme celle du 23 février 2005 – abrogée 11 mois plus tard – qui vantait le caractère positif de la colonisation française qui pouvait contribuer à réduire la fracture coloniale. Mais de là à radicaliser un contre-discours, comme l'ont fait les Indigènes de la République (apparus en 2005), pour qui la France reste un Etat colonial, continue à appliquer des schémas coloniaux aux populations issues de l'ex-Empire, c'est une voie que les co-directeurs de ce livre refusent de suivre. Ils seraient plutôt pour « passer de l'un au multiple » (p.29), ce qui permettrait de relativiser ce qui est encore ressassé en permanence, à savoir le « génie français », « la mission universelle de la France ». « Faire de la différence un élément, non de délitement, mais de construction du national », tel devrait être le but. Assumer cette « multiplicité dispersante » chère à Edouard Glissant.

Mais jusqu'où va-t-on dans l'acceptation des différences ? Jusqu'à accepter une certaine visibilité de l'islam dans l'espace public – tolérer le voile – comme semble le suggérer Michel Wieviorka (EHESS). Par contre il semble impossible d'accepter l'excision sous prétexte de respecter les différences ! Mais les contributeurs à cet ouvrage refusent à juste titre les mots d'ordre tranchants hérités du passé : la civilisation ou la barbarie. Nacira Guérif (Paris XIII) s'interroge : « La Beurette doit-elle faire la démonstration de son émancipation en affichant son mépris pour la virginité et en dénonçant les hommes qui s'aviseraient de l'opprimer, la marier de force, la violer ou la faire exciser ? ».

Un livre dense, passionnant sur un problème qui n'est pas prêt d'être résolu, car en même temps que les descendants des colonisés sont sommés de s'intégrer, la société ne leur fournit pas les moyens de se construire. Ils doivent tricher sur le CV, tricher au téléphone pour décrocher un emploi ou obtenir une location d'appartement. D'où les replis identitaires qui en tentent beaucoup.

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Jean-Paul Salles, « Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, La fracture coloniale. La société française au prisme de l'héritage colonial, Paris, La Découverte/Poche, 2006, 315 p. », Dissidences [En ligne], Mars 2012, Nos archives du mois : anticolonialisme, publié le 04 novembre 2011 et consulté le 29 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=716

Auteur

Jean-Paul Salles

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