Ce livre, dont la dernière publication date de 1973 aux éditions 10-18, reprend le témoignage d'un voyage de Daniel Guérin aux États-Unis en 1947-1948, lié à une analyse historique et politique du mouvement noir américain. Dans la préface, Les bons caractères soulignent avec raison l'intérêt d'une telle lecture depuis l'élection de Barack Obama.
L'auteur revient sur l'histoire du racisme et de la ségrégation dans ce pays, en étudiant les enjeux, mécanismes d'intimidation, techniques de terreur et véhicules du préjugé social. Si la trame de ces événements est mieux connue aujourd'hui, elle ne cesse de heurter, et l'auteur de mettre en relief la dimension socio-économique moins visible. On regrettera certes quelques erreurs ponctuelles (date de l'engagement du Parti communiste des Etats-Unis dans la stratégie du Front populaire, p. 155 et 177) et ici ou là la conception du racisme déterminé uniquement par « l'infrastructure » ; l'auteur allant jusqu'à affirmer qu'« avant la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, en 1492, le monde n'avait jamais connu le racisme » (p. 33). Mais heureusement, cette vision fait très vite place à une analyse passionnante dont la richesse réside dans le croisement d'une lecture complexe en termes de classes et de « couleur »1. Dès lors, Guérin est à même de mettre en lumière les clivages générationnels et sociaux au sein du mouvement noir - des mouvements noirs faudrait-il dire : Black Muslims, Black Power, Black Panthers, … -, qui se traduisent par des revendications différentes, ambiguës, voire contradictoires : « pouvoir noir », « nationalisme », « capitalisme noir », « révolution », … Par ailleurs, il montre au sein des Blancs les voies divergentes prises par le mouvement d'émancipation raciale et le mouvement pour l'émancipation sociale. Ce faisant, il n'esquive pas le problème du racisme profond de la classe ouvrière blanche, exacerbée par la classe possédante, la mise en concurrence sur le marché du travail (et l'instrumentalisation des Noirs comme briseurs de grève), la consolation et compensation qu'offrent aux pauvres Blancs la fierté d'appartenir à la « race supérieure ». En conséquence, la dialectique d'avance ou de repli, d'ouverture ou de « racisme à rebours » du mouvement noir, est fonction du contexte international (décolonisation, guerre du Vietnam) et de l'espoir mince ou inexistant de constituer une alliance avec les progressistes blancs. D'où la mobilisation et la jonction qui se fait en périphérie de la classe ouvrière : les étudiants blancs radicalisés et le « lumpen » noir. Les pages sur les Panthères noires comptent aussi comme les plus intéressantes. Tout en y reconnaissant le mouvement le plus important, le plus révolutionnaire, Guérin ne ménage pas ses critiques.
Le seul reproche que l'on puisse faire à l'auteur est de ne pas avoir suffisamment insisté sur la force du nationalisme et de l'impérialisme américain comme facteurs de massification et de confusion des clivages. Ce livre offre cependant, non seulement une lecture fine et articulée de la question noire aux États-Unis, mais aussi un modèle d'analyse pour la confrontation entre les mouvements culturels, ethniques et le mouvement ouvrier.