Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d’un massacre d’Etat, Paris, Gallimard, 2006, (Folio-histoire).

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Décolonisation

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Voici un livre consacré à un événement longtemps minimisé par les historiens, mais constamment rappelé, voire commémoré, par les organisations du mouvement ouvrier. La manifestation du 8 février 1962, convoquée par l’UD-CGT, l’URP-CFDT, le PCF et le PSU pour protester contre une série d’attentats perpétrés par l’OAS, mais interdite par les pouvoirs publics, fut sauvagement réprimée, notamment par la police municipale, aux alentours de la station de métro Charonne. Le bilan fut très lourd : 9 morts et de nombreux blessés. Cet ouvrage, avec ses 669 pages de texte, complétées par un peu plus de 200 pages de notes et par un index des noms propres, constitue une véritable somme. A.Dewerpe donne une vision exhaustive du 8 février, un peu à la manière des livres de la collection « Les grandes journées qui ont fait la France », réédités chez Gallimard. L’aval, le moment et l’amont ont été explorés avec soin. Cet événement était globalement connu, à quelques détails près cependant: ainsi, les grilles de la station de métro étaient ouvertes ; elles ne peuvent donc être considérées comme la cause du bilan tragique. De même, pour l’auteur cette tuerie ne résulte pas de débordements individuels de la part des forces de l’ordre. Il montre très clairement que ni leur organisation, ni leur « culture » ne permettaient l’improvisation. On doit écarter également les provocations émanant de l’OAS. En fait, il s’est agi d’un massacre d’Etat. Les responsabilités sont en effet à rechercher au plus haut niveau. Pour comprendre cet événement l’auteur met à contribution l’ensemble des sciences sociales : géographie, sociologie, anthropologie, lexicologie et bien entendu l’histoire. Donnons quelques exemples. Ainsi, il étudie la doctrine opérationnelle des forces de l’ordre en cas de manifestation interdite, mais aussi le fonctionnement de l’Etat gaulliste et la place de la violence d’Etat dans une démocratie. De même les espaces et les pratiques manifestantes sont revisités, à la lumière des travaux de Danièle Tartakowsky (1998). La construction d’une mémoire articulée, notamment autour des lieux, fait l’objet d’une attention en dernière partie, dans la lignée des Lieux de Mémoire chers à Pierre Nora.

Le fait qu’A. Dewerpe, universitaire confirmé, soit le fils d’une des victimes du 8 février, Fanny Dewerpe, ne nuit pas au travail de l’historien. Certes, la douleur, la colère de l’auteur sont palpables quand il évoque les heures épouvantables passées dans la station de métro ou quand il parle de la responsabilité de la police et du pouvoir (cf. les pages consacrées aux « bidules », matraques utilisées par les policiers). Cette émotion transparaît aussi quand il tente d’établir le traitement judiciaire du massacre. Et en effet, la totale impunité dont ont bénéficié les responsables laisse perplexe le citoyen comme le chercheur. Mais la double qualité de l’auteur ne nuit en rien, au contraire, au sérieux de l’entreprise. Finalement les critiques ne peuvent porter que sur des points de détail. Ainsi, si une analyse des manuels scolaires est menée à bien, le traitement de l’événement par les enseignants n’est pas abordé. Au total une contribution précieuse pour notre connaissance de ce passé brûlant.

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Stéphane Paquelin, « Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d’un massacre d’Etat, Paris, Gallimard, 2006, (Folio-histoire). », Dissidences [En ligne], Mars 2012, Nos archives du mois : anticolonialisme, publié le 03 novembre 2011 et consulté le 21 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=714

Auteur

Stéphane Paquelin

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