Il faut féliciter les éditions La fabrique d’avoir pris l’initiative de réunir 9 poètes français pour réfléchir aux liens entre poésie et politique. Cela nous donne un livre aussi stimulant que nécessaire où se mêlent les références à Mallarmé et Ponge, Kaplan et le Bartleby de Melville.
S’il s’avère impossible d’en faire une synthèse – « Thèse antithèse foutaise », comme l’écrit Yves Pagès (page 131) –, certaines tendances ne s’en dégagent pas moins. Tout d’abord, une certaine manière de poser la question. Ainsi, si la littérature « engagée » est évoquée ici ou là et qu’il est fait référence à plusieurs reprises à quelques manifestations politiques évidentes (Tarnac, la RAF), le lien entre poésie et politique est interrogé de façon plus organique et implicite. Plus critique également : « Ce n’est pas en mettant Sarkozy (tag), écologie (tag), émeute (guten tag), que nous faisons le plus de la politique » (page 189, c’est l’auteur qui souligne). Ensuite, les pistes d’écriture proposées, pour variées qu’elles soient (« méta-usage », à « contre-emploi », etc.), semblent privilégier une approche par la « tangente », tout en évitant le piège « de faire comme si l’ennemi n’était pas matériel, mais idéal » (page 98). Ce choix ne semble pas seulement le fruit d’une désillusion, des fourvoiements historiques passés d’une certaine poésie politique, ou le souci d’une relative humilité face à l’ambition poétique. Mais il tient également compte de la situation particulière actuelle tant de la politique que de la poésie, et de la dialectique entre les deux. Ainsi, des parallèles peuvent être tirés entre poésie et politique : les deux sont contestés dans leurs actions et dimensions, dans leurs formes et leurs légitimités (page 47). De la sorte, ils ouvrent la possibilité « de pratiques hétérogènes aux frontières extrêmement floues et mouvantes » (page 48). Il y a donc un glissement des questions politiques, « qui ne relèvent pas directement de ce qui se présente à nous comme « la » politique » (page 35), correspondant à un déplacement de la poésie, qui ne coïncide pas ou peu avec l’institution littéraire et occupe un « angle mort » (page 31). Cette mobilité se double souvent par ailleurs d’une vigilance ironique, d’une prise de distance humoristique – « « Liberté, j’écris ton nom », et ta sœur ! » (page 137) – vis-à-vis de réflexes affectant autant la politique que la poésie : le recours à la grandiloquence, à l’esprit de sérieux, à une surenchère spectaculaire dans le verbiage. D’où une dialectique fragile et complexe, prise dans les contours étroits et instables de cet entre-deux, « par-delà poétique et politique » (page 132) où « une certaine négation de la politique par la poésie est politique. Surtout si l’on veut bien admettre par ailleurs cette pratique de l’écriture de poésie comme négation endurante de la poésie » (page 44).
À lire les interventions de ces différents poètes, le lecteur ne pourra qu’être frappé par la richesse et la lucidité de leurs réflexions sur la question politique, la situation de la poésie et les moyens dont ils disposent. Le résultat le plus positif sera peut-être alors de se défaire d’une certaine image consacrée de la poésie, de se rendre compte de son potentiel offensif et, par prolongement, de sa capacité à bousculer les règles du savoir-faire politique commun. Seul bémol à cet excellent livre, l’absence d’explications plus explicites sur le choix des auteurs réunis ici alors que d’autres poètes contemporains auraient également eu toute leur place ici.