Ce recueil rassemble plusieurs des chansons et poèmes de l’auteur du célèbre Temps des cerises, reproduit ici pages 59-60. Cette œuvre, devenue le symbole de la Commune, n’en a pas moins été écrite, comme le rappelle Roger Bordier, 5 ans auparavant. Mais les correspondances sont telles que le « J’aimerai toujours le temps des cerises : / C’est de ce temps-là que je garde au cœur / Une plaie ouverte » résonne encore à nos oreilles contemporaines comme un écho de la Commune et de son écrasement.
La trentaine de chants réunis dans ce recueil évoquent les grands thèmes de l’amour, de la nature et des luttes sociales. Poète populaire et sentimental, Clément garde un mordant certain en refusant au chant et au poète leur caractère inoffensif, qu’il moque, en 1863 déjà, dans Muse, chantons les oiseaux et les fleurs :
« Faisons des vers qui rapportent du pain.
Mais gardons-nous d’une pensée amère,
Car je suis pauvre et je crains les censeurs.
Pour être en grâce auprès du ministère,
Muse, chantons les oiseaux et les fleurs » (page 29).
Au contraire même, les chansons et divertissements prennent une allure plus mélancolique, voire inquiétante : « Et tout ça jeûne et tout ça danse / Pour se venger de l’abstinence » (page 86). La dédicace du poème, Les Traîne-Misère, dont sont extraites ces lignes convient en réalité à toute son œuvre : « Dédiée à ceux à qui l’on dispute le pain, l’air, la vie… » (page 85).
Si ses chants sont de valeur inégale et que le Temps des cerises constitue bien sa plus belle chanson, son évocation de la répression de la Commune et de l’esprit du temps reste forte et émouvante. Ainsi, comme la plupart des communards en exil, il chante les vaincus et la vengeance. La semaine sanglante dénonce : « La mode est au conseil de guerre / Et les pavés sont tous sanglants ». Mais c’est pour maintenir le spectre de la révolte :
« Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.
Oui, mais…
Ça branle dans le manche.
Ces mauvais jours-là finiront.
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront » (page 72).
Il semble d’ailleurs que l’expérience amère de cette coalition « des mouchards et des gendarmes », apparaissant à deux reprises dans ce poème et, des années plus tard, dans La grève, ait hanté l’auteur. Elle est le propre d’une époque, dénoncée non sans talent par le poète ; époque qui faisait tout « pour ne pas laisser jeûner / Sa Majesté du dividende » (page 129). De manière ironique, son Ah ! Le joli temps ! en dessine les contours :
« Il pleut de la misère,
Il pleut des croix d’honneur,
Il pleut des gens sans cœur
Et des armes de guerre.
(…)
En fait d’art et de gloire,
Plus rigide à présent,
On veut, pour son argent,
De quoi manger et boire.
On ne s’incline plus,
En ce temps d’aventures,
Que devant les écus
Et les caricatures ! » (pages 104-106).
Dans son intéressante mais parfois véhémente préface, Roger Bordier restitue l’œuvre et la vie de Jean-Baptiste Clément dans son époque tourmentée, esquissant le parallèle avec Pierre Dupont et l’un ou l’autre caricaturiste. Il est dommage cependant qu’il ne justifie pas le choix de textes présentés ici. Ceux-ci ne sont d’ailleurs accompagnés d’aucun appareil critique de notes. Mais le format plaisant de cet ouvrage et surtout les belles illustrations qui accompagnent les poèmes en font un livre agréable à lire et à découvrir.