En choisissant de limiter son étude à la première moitié des années 1950, l'auteur de cet ouvrage, tiré d'une thèse dirigée par Jean-Marie Guillon, nous fait faire un voyage plein d'enseignements au cœur du stalinisme. C'est l'apogée du système : très haut dans le ciel brille l'astre Staline, accompagné des étoiles Thorez pour la France, François Billoux pour la Provence, « apparatchik » bien oublié aujourd'hui. Bien sûr l'anniversaire de chacun d'entre eux est bruyamment fêté, entre autres le 50 e anniversaire de F. Billoux le 17 mai 1953. Les épouses des « grands hommes », Jeannette Thorez-Vermeersch par exemple, partageant leur charisme, ne se privent pas d'intervenir dans la vie du parti, destituant celui-ci parce que, pendant la guerre, il n'appartenait pas à la bonne organisation de Résistance, rétrogradant tel autre que les électeurs avaient eu le mauvais goût de placer avant le héros local F. Billoux.
Le dernier tiers de l'ouvrage est particulièrement passionnant : il nous montre les différentes formes de sociabilité mises en œuvre par le parti. Il ne possédait pas moins de 39 bars à Marseille en 1948. Outre les réunions de cellules, le parti organise des goûters et des séances récréatives pour les enfants, les personnes âgées, des bals, des arbres de Noël et même des élections de « miss ». Commémorations de la révolution d'Octobre et du Congrès de Tours se succèdent, de même que l'anniversaire de l'Appel du 10 Juillet 1940, appel à la résistance soi disant lancé par le PC à cette date alors qu'il est postérieur. Pour crédibiliser cette imposture un faux numéro de l'Humanité a été réalisé par le PC après la guerre (Voir le dernier ouvrage qui l'évoque : Besse Jean-Pierre, Pennetier Claude, Juin 40, la négociation secrète , Paris, Editions de l'Atelier).
Au cours de cette période de guerre froide, l'exaltation de la « saine » jeunesse soviétique est de rigueur alors que « l'invasion du chewing-gum » et du coca-Cola est dénoncée, le dernier menaçant « notre pastis et nos apéritifs français ». Le puritanisme caractéristique du PC à cette époque, qui amène par exemple M. Thorez à se désolidariser de son camarade Jacques Derogy, journaliste ayant dénoncé les drames de l'avortement clandestin, n'est peut-être pas assez souligné par l'auteur. Dans sa lettre ouverte à Derogy (publiée dans l'Humanité du 2 mai 1956) Thorez n'est pas loin de penser que le « birth control » est une invention de l'impérialisme américain destinée à affaiblir le peuple de France.
Mais ne sont oubliées ni les cérémonies de remise des cartes, ni les obsèques des membres du parti au cours desquelles est mise en place une véritable liturgie funèbre communiste. Tous ces moments sont l'occasion de renforcer les liens entre les membres de la « famille » communiste, autour des valeurs de « fidélité, de probité, de sens des responsabilités ». La fédération communiste des Bouches-du-Rhône intervient aussi dans le champ culturel, commandant des œuvres picturales à des artistes militants ou sympathisants, destinées à exalter la lutte des dockers du port de Marseille (l'une d'entre elles, réalisée par Antoine Serra, proche stylistiquement d'André Fougeron et du réalisme socialiste, est reproduite en couverture). L'histoire du groupe Cinépax, dirigé par le cinéaste communiste Paul Carpita, est rappelé : son film « Le rendez-vous des quais », vite interdit par la censure, a été réalisé grâce à l'aide financière du PC. Bien évidemment les liens entre militants se renforcent aussi par l'action, les manifestations ou les grèves, minutieusement détaillées par l'auteur, des grèves de plus en plus politiques, de plus en plus minoritaires. Le refus de charger des armes pour l'armée française engagée en Indochine ou de décharger les armes venues des Etats-Unis se heurte à une sévère répression. Malgré l'association à cette lutte de celle pour des augmentations de salaires, cette action dure périclite peu à peu au printemps 1950.
Certes les effectifs de la fédération communiste se sont réduits au cours de la période, les mouvements de masse voient leurs effectifs fondre, mais elle garde, durant les années de guerre froide, une capacité d'action importante à Marseille. L'homogénéité d'un noyau de cadres expérimentés l'explique. Cet ouvrage, qui vient à la suite d'un mémoire de DEA consacré par l'auteur aux « Mouvements de dockers (1949-50). Reflet de la Guerre froide et spécificité marseillaise » (1997), constitue une bonne approche du « communisme marseillais » qui, stalinisme oblige, partage bien des caractéristiques avec le communisme hexagonal. Les sources utilisées par l'auteur sont rappelées en fin d'ouvrage, mais regrettons encore une fois l'absence de bibliographie récapitulative.