Entretien avec Pierre Laguillaumie (Léo)

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Organisations, Trotskysme

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Militant à l’OCI pendant quelques mois en 1967, puis à la Ligue jusqu’en 1981. Un moment membre du CC. Militant du SNEP et de l’EE, participe à la rédaction du Chrono enrayé. Candidat aux élections législatives de 2002 sous étiquette LCR, il n’a pas encore réadhéré au moment de cet entretien. Professeur d’Education physique à la retraite.

Entretien réalisé à son domicile, 16, rue des Fontenelles, hameau de Serein, Chevannes, 89240, le 24 février 2003.

Je suis né à Appoigny à 10 kms d’Auxerre, le 22 juin 1941. Je suis le troisième garçon d’une famille de petits commerçants. Mon père était marchand d’œufs, de volailles, de lapins, ce qu’on appelait un coquetier. Mes parents étaient de gauche, athées, mais pas engagés.

Les années de formation.

J’ai fait mes études secondaires au lycée Jacques Amyot d’Auxerre puis à l’Ecole normale d’instituteurs. Après un an de prépa à Mâcon, en 1962 j’intègre l’ENSEP (Ecole nationale supérieure d’Education physique) à Paris. Après ma formation je suis revenu à Auxerre, au lycée Fourier pendant 20 ans, puis à l’EN-IUFM et j’ai terminé ma carrière, il y a un an, dans le premier degré comme conseiller pédagogique.

Ma première prise de contact avec la politique a lieu à l’EN. Tous les dimanches matins des militants de la JC organisaient des réunions d’information. Ils me paraissaient un peu frustes. J’ai eu une mauvaise impression. Un jour un des animateurs a planté son couteau dans la table avant de commencer la réunion ! Je suis passé à côté de la guerre d’Algérie. Mon frère y est allé mais n’a pas combattu, il était convoyeur de fonds.

Arrivé à Paris à l’Ensep, je me syndique au Syndicat national de l’Education physique (SNEP), comme 90/95% de la promotion. Les deux tendances dominantes (UID et UA) me déplaisent. J’ai un peu le sentiment que j’avais eu par rapport à la JC. Leur manière d’être ne me convient pas. En 1963 se crée la Tendance du Manifeste. Je rencontre Jean-Marie Brohm, Jean-Pierre Famose, Georges Vigarello, Guy Bonhomme, tous en quatrième année. Ils m’impressionnent, faisant tous parallèlement des licences de philosophie, de psychologie… Ils sont déjà en contact avec Boris Fraenkel, chargé à l’OCI (il est membre du CC) de la formation des jeunes. Il regardait le nom des dix premiers reçus aux divers concours aux grandes écoles et se débrouillait pour les contacter, se disant « il y a là des gens intelligents qui devraient être sensibles à nos idées ». Il leur donnait une formation politico-culturelle assez étonnante. Il nous a fait connaître Marcuse (L’homme unidimensionnel, Eros et civilisation), il traduit et réédite Reich (La lutte sexuelle des jeunes) chez François Maspero. Il nous explique comment on doit intégrer l’individu dans le processus de transformation sociale. Nous étions devenus des communistes libertaires, imprégnés de freudo-marxisme. Certains se penchent sur l’histoire du sport. La critique institutionnelle du sport naît de là. On est dans ce creuset. Un week-end de formation mémorable a lieu dans une auberge de jeunesse de la vallée de Chevreuse, à la Haquinière. Nous étions de 30 à 50. En 1964 paraît le premier article de Jean-Marie, premier d’une longue série de publications, « Forger des âmes en forgeant des corps » (in Partisans n°15, avril-mai 1964, pp.54-58).

Parallèlement je m’engage dans la lutte syndicale participant à une liste anti-bureaucratique dès ma deuxième année d’étude. Nous obtenons la majorité. Je n’étais pas encore à l’EE, mais je comprenais mieux. On était jeune, on luttait pour la liberté. On était à la veille de mai 1968 !

Rapide passage à l’OCI.

Lors de ma dernière année d’étude j’apprends l’existence de l’OCI. On me propose d’intégrer un Groupe d’études révolutionnaires (GER) à Auxerre, en 1965-1966. Nous sommes dix-douze, un gars vient assurer la formation tous les quinze jours, Christian Lidove. Il fait son service comme élève-officier, ce qui ne manque pas de m’interroger. Nous ne sommes pas tous convaincus. Je suis le seul à adhérer en janvier 1967. Mais je reste en contact avec Boris, qui est exclu en juin 1967 (sans doute au congrès de fondation de l’OCI) pour « révisionnisme corrompu ». Il lui était reproché de diffuser la pensée de Reich et de Marcuse. Également il était accusé d’être un suppôt du stalinisme pour avoir traduit Lukacs, ouvrage préfacé par Jean-Marie. L’OCI ne supporte pas des écrits qui vont à l’encontre de ses thèses catastrophistes. Les forces productives ayant cessé de croître, il faut résister, lutter contre l’intégration des syndicats à l’État… Dans le domaine de l’Éducation physique, il faut résister à cette politique de l’État qui s’efforce d’organiser la déchéance corporelle de la jeunesse pour mieux la soumettre. Au même moment Jean-Marie est suspendu de l’OCI pour six mois. J’assiste également au printemps 1967 à des Assises sur la Sécurité sociale à Paris, présidées par Pierre Lambert, Stéphane Just… Et là j’écoute une intervention d’Henri Weber qui me convient. Il parle de remontée des luttes, de radicalisation de la jeunesse. A l’automne 1967, lors d’une réunion de profs de gym de l’OCI, Pierre Lambert demande aux militants présents de voter les sanctions prises contre Boris et Jean-Marie. Lambert m’invite à boire un coup, me parle de Boris… qui boit du thé aux pétales de roses, à demi-mot il lui reproche son homosexualité. Après cette entrevue je sens que je n’ai plus rien à faire avec cette organisation.

Mai 1968.

En juillet 1966 je fais mon service militaire comme professeur d’éducation physique et d’hygiène dans une école de formation de sous-officiers à Monéteau près d’Auxerre. Par le plus grand des hasards Jean-Marie y est nommé en 1967 comme moniteur de sport, lui aussi dans le cadre de son service. Nous nous voyons beaucoup. Jean-Marie affine ses idées, prépare une synthèse qui ne paraîtra qu’en juillet 1968, elle aurait dû paraître deux mois plus tôt ! (C’est le fameux numéro de Partisans n°43, juillet-septembre 1968, « Sport, culture et répression », réédité en 1972 et 1976 chez F.Maspero). Cette réflexion a donc précédé Mai plus qu’elle ne l’a suivi. Mai 68 apparaît comme l’aboutissement. A Auxerre nous sommes 30-35 à nous réunir dans un Comité d’action révolutionnaire, des gens du PSU, des anarchistes, un ancien de la CNT espagnole. Après mai 1968, je travaille un moment avec la Voie communiste de Denis Berger. C’est Boris qui m’a mis en contact avec ce petit groupe très stimulant, proche du luxemburgisme. Ce fut pour moi un intéressant moment de formation. Au cours de l’été je fais un voyage militant à Londres. Avec un autre militant de cette organisation -D. Berger qui devait être du voyage avait raté son avion !- je participe à plusieurs meetings à Londres, me faisant applaudir comme représentant de « mai 68 ». Ce fut une expérience étonnante.

L’adhésion à la Ligue.

Après 1968 le Comité d’action révolutionnaire se transforme en comité de soutien à la candidature Krivine. Bidasse, jeune, dénonçant la farce électorale… Krivine était notre candidat naturel. Quelques personnes quittent le comité. Notre premier meeting à Auxerre, animé par Camille Scalabrino, fut une catastrophe, l’orateur ayant été long, jargonneux. Heureusement avant le deuxième tour Daniel Bensaïd en a tenu un autre, réussi ! On a donc pu organiser un cercle rouge à la rentrée 1969. Nous étions trois militants, Michèle, Valentin et moi. Nous avions un certain nombre de sympathisants, enseignants, lycéens, deux parents d’élèves aussi, anciens du PC. Nous étions en contact sur Migennes avec des militants du PC critiques, certains depuis 1956, avec des gens du PSU, un lecteur de Témoignage chrétien. A moment donné nous avons eu trois cellules sur Auxerre (enseignante-lycéenne, ouvrière-Fruehoff, SNCF-Migennes), nous étions une trentaine. Depuis longtemps il y avait dans le PC une opposition de gauche (le groupe Unir-Débat), représentée à Auxerre par dix-douze militants. L’un d’entre eux, ancien député, Robert Simon, a été exclu. Camille Foutrier a démissionné et a adhéré à la Ligue. Il était déjà à la retraite. On allait sur Migennes avec lui, on apparaissait comme crédible. Une fois on a vendu jusqu’à 35 Rouge. Camille retrouve une jeunesse, on sort une Taupe rouge, mais on a du mal à structurer les sympathisants, on se heurte à la bureaucratie et à partir de 1976 ça commence à descendre. Le fils de Camille, Bernard Foutrier, journaliste à l’Humanité, a été rejeté. Il a fait une grosse déprime, se réfugiant dans les études. Assez vite aussi les gens d’Unir-Débat se démoralisent aussi quand ils apprennent que leur coordinateur (un certain Courtois) est en même temps agent de la CIA et du Guépéou.

Militantisme dans le secteur de l’Education physique.

Dès avant 1968 des tensions existent entre l’OCI et la Ligue à l’EE. La rupture est consommée après Mai. Au cours de l’été se tiennent deux semaines Ecole Emancipée. Au printemps 1969, un vote dans tous les GD entérine la scission. L’EE-FUO liée à l’OCI met au premier plan les revendications catégorielles, faisant de la défense pied à pied. Nous, nous sommes pour montrer le chemin de la révolution. Au cours de la semaine de Briare, Jean-Marie présente ses thèses sur le sport. Il a un gros impact sur les anarchistes. Les Ligards sont plus réservés. D’ailleurs jamais la Ligue n’adoptera complètement les thèses de Jean-Marie. La rupture se fera au moment des Jeux olympiques de Moscou en 1980. La LCR ne participe pas au Comité pour le boycott mis en place par Quel Corps ?.

Le 5 novembre 1969 nous créons à une douzaine l’EE-SNEP. J’en serai responsable pendant deux ans, Etienne Valette (Totenka) prendra la suite, puis des Parisiens, Danièle Dardour, Dominique Robert. Nous sommes presque tous à la Ligue. Jean-Marie a aussi adhéré à la Ligue, il se réclame de la Quatrième Internationale. Mais il y est resté peu de temps. Il a des divergences sur l’URSS qui est pour lui « un capitalisme d’Etat ». De toute façon Jean-Marie est intenable dans une organisation ! Je rentre assez vite au CC non comme théoricien, ce que je n’ai jamais été, mais plutôt pour mon parcours original.

Dans l’EE on fonctionne de manière autonome. On a fabriqué un bout de génération, diffusant nos idées grâce au Chrono enrayé, allant faire des meetings un peu partout. A la Ligue, Daniel Bensaïd est le plus proche de nos positions. C’est avec lui que nous avons rédigé le paragraphe sur le sport pour le Manifeste de 1972. On est dans une logique « A bas le sport ! ». Le sport a été construit par la bourgeoisie à la fin du XIXème siècle, et l’ensemble des activités physiques sportives ont reproduit la logique des records, de la compétition. L’OCI était sur une position différente de contrôle ouvrier sur le sport. Nous étions favorables à ce que les travailleurs se réappropient l’idéologie sportive initiale. Mais où est-elle cette idéologie ? C’était une position difficile. Il n’y a pas de sport ouvrier, il faut l’inventer. Et cela est possible seulement dans une nouvelle société. Pour nous le sport n’était pas neutre. Nous nous faisions conspuer par les Staliniens. Nous avons participé activement au boycott des JO de Montréal en 1976 et au boycott de la coupe de monde de football en Argentine en 1978. Malgré notre petit nombre –nous n’avons jamais été plus de 20 militants- nos idées avaient un écho considérable. Tout cet aspect de dénonciation du sport est passé dans la vie quotidienne aujourd’hui.

On recherchait des pratiques culturelles alternatives, non compétitives. On faisait des stages entre nous, par exemple de relaxation relationnelle. On recherchait le ludique, le plaisir corporel. Dès 1966, Georges Vigarello écrivait un article précurseur, « Entraîneur-Educateur ? » (Partisans n°28, avril 1966, pp.39642). Il en est resté une identité des profs de gym opposés aux animateurs sportifs venus de l’extérieur de l’école. Nous pensions que les gens étaient capables d’inventer leurs propres conduites. Nous nous sommes bien sûr mobilisés contre les sections sport étude, mais on était bien isolés. On était pour l’éducation physique mais contre la compétition.

Le désengagement.

En 1976 mon fils Jérôme, 10 ans, s’est noyé. J’étais en conférence à Paris. En 1978 j’ai eu une fille avec Michèle, Laura, puis une deuxième, Johanne en 1980. A partir de la naissance de Johanne, je commence à appeler Laura, Jérôme, très fréquemment. Je décide d’aller voir un psychothérapeute pendant deux ans. Il m’aide à faire mon deuil. C’est à ce moment-là que je démissionne de la DV et de la DR. Au moment de l’élection de Mitterrand je quitte la cellule. J’ai désormais une autre relation à la vie, à l’organisation.

Et puis quelque chose m’avait toujours turlupiné, le rapport à la violence. Je suis profondément non violent. Je n’ai jamais eu envie de me battre même en jouant. Je me souviens d’un stage du CC, au cours duquel Ludo a voulu jouer à la bagarre, j’étais passif, ce qui l’a désarmé. La mort de Jérôme, extrême violence, n’a fait qu’accroître cette répulsion. De plus je ne supporte pas la foule hystérique, l’embrigadement. Notre décorum, nos drapeaux rouges, nos chants révolutionnaires, je ne supporte pas. Il est difficile pour moi de dire des slogans dans une manifestation. Comment gérer cette question de la violence ? Quelle trace ça va laisser au niveau personnel ? On disait , « nos manifs c’est différent d’un match de foot parce qu’on a la conscience ». Je n’en suis pas persuadé. Ceci dit je peux comprendre la hargne d’Alain Cyroulnik, venu présenter « Mourir à trente ans », contre les fascistes, lui dont toute la famille a disparu dans la Shoah.

J’ai été candidat aux législatives de 2003 à Auxerre pour la LCR, mais je n’ai pas encore réadhéré. On est une dizaine, on se réunit une fois par mois. On va peut-être se structurer, les gens décideront. On va être obligé d’adopter un sigle, on aimait bien 100% à gauche. J’espère que se construira quelque chose de beaucoup plus large que la Ligue.

Citer cet article

Référence électronique

« Entretien avec Pierre Laguillaumie (Léo) », Dissidences [En ligne], 7 | 2014, publié le 03 août 2014 et consulté le 19 mars 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=375