Entretien avec Marcelle Berthaud (Alouette, Eglantine)

Index

Mots-clés

Trotskysme

Plan

Texte

Membre des Faucons Rouges à partir d’octobre 1934 jusqu’à la guerre, secrétaire administrative à la SFIO (Lyon) de 1944 à 1947, militante de la LCR depuis 1972, candidate aux élections législatives de 1973 à La Rochelle-île de Ré. Institutrice à la retraite au moment des entretiens, Marcelle Berthaud est décédée le 12 janvier 2013 à l’âge de 95 ans.

Entretien réalisé par Jean-Paul Salles le mardi 16 novembre 1999 et par Pierrick Cariou en la présence de Jean-Paul Salles, le mardi 26 juin 2001, les deux fois à son domicile, Bâtiment 9, A 7, avenue du Luxembourg, La Rochelle, 17000.

Milieu familial.

Je suis née le 23 septembre 1918 à Lyon. Mon père Joanny, au départ charpentier en fer au titre de compagnon du Tour de France, fait une chute au travail en 1908. Il a 28 ans, reste douze jours dans le coma après une double trépanation. Il se marie à 31 ans. Mobilisé en 1914 à l’arrière, il travaille en usine où il est de nouveau blessé en 1915, il reçoit une paille d’acier dans l’œil. Le voilà borgne. Il n’est pas démobilisé mais apte à surveiller les prisonniers de guerre en Saône-et-Loire, à Montchanin puis à Decize. La guerre terminée, en 1919, il change de métier, devenant courtier receveur à la « France Moderne », magasin de vente à crédit. Il faisait des tournées pour récupérer les créances.

Avec quelques autres camarades également victimes d’accidents de travail, ils se mettent à revendiquer une aide permettant de subvenir aux besoins des familles de victimes à l’image de l’aide apportée aux victimes de la guerre. La prise de conscience de la justesse de cette revendication s’élève en de nombreux lieux du territoire et débouche sur la naissance d’un mouvement national « les Mutilés et Invalides du travail ». Ce mouvement social est une véritable avancée dans la lutte des travailleurs face au patronat qui néglige trop souvent d’observer les exigences légales devant assurer la sécurité dans le travail. Le mouvement s’organise nationalement et il se trouve que Joanny est élu trésorier national. Les congrès annuels s’étoffent. Il s’agit d’améliorer la législation sécuritaire et la défense des victimes face aux patrons au cours des procès intentés. Entre 1920 et 1930, voilà qu’à l’image de ce qui se passe dans la plupart des associations à cette époque, le stalinisme qui s’installe amène des problèmes internes. Or il se trouve que Joanny (qui était de sensibilité anarchiste au début du siècle) et ses camarades lyonnais militent à la SFIO depuis sa création, et que les membres du PC n’étaient pas rares dans d’autres villes et au Bureau national. Militants de la SFIO et militants du PC s’affrontent, je me souviens de la colère de mon père contre Jean-Baptiste Marcet, secrétaire national militant du PC. Mon père n’apprécie pas non plus sur le plan politique le radical Edouard Herriot, maire de Lyon. C’est l’affrontement annuel à propos de l’attribution de la subvention municipale devant assurer un bon fonctionnement de l’association. Par ailleurs si j’ai échoué trois fois au concours d’entrée à l’école normale, alors que j’étais une très bonne élève, plusieurs petits faits montrent que j’ai été victime des désaccords politiques de mon père avec la municipalité.

Mon frère Gabriel, né en 1912, est typographe après cinq ans d’apprentissage. En 1931, étant au chômage, il est embauché chez Berliet et adhère aux JS à Villefranche-sur- Saône. Il lance en 1934 le groupe Faucons rouges à Lyon, composé d’une quarantaine d’enfants, filles et garçons de 6 à 16 ans. Il est mixte en effet, ce qui était rare à l’époque dans les organisations de jeunesse. J’y adhère dès octobre 1934, ma première manifestation date du 12 février 1934, en riposte à la manifestation d’extrême droite du 6 février 1934. J’ai été reconnue comme absente volontaire dans mon Ecole primaire supérieure et stigmatisée pour ce fait par deux professeurs. J’ai été fière qu’on ne puisse attribuer cette absence à la grève générale des tramways.

Munie du Brevet supérieur je fais mes premiers pas d’institutrice suppléante en octobre 1937 à Oullins (Rhône) dans un cours préparatoire de 60 élèves. Ayant obtenu mon CAP en 1942, j’arrête d’enseigner de 1944 à 1947, ayant eu des problèmes avec la hiérarchie. J’obtins un congé pour convenances personnelles, ce qui me permet d’être secrétaire administrative à la fédération SFIO du Rhône, ma belle-sœur étant secrétaire politique. A partir de janvier 1947, je travaille à la maison d’enfants de l’Entraide française, dirigée par Jacques Lacapère, responsable du Mouvement de l’enfance ouvrière (MEO) ou Faucons rouges, lié à la IIème Internationale (en particulier à l’Internationale de l’éducation socialiste). On y pratiquait une pédagogie tout à fait différente, avec égalité entre garçons et filles, petits et grands, autoadministration, autodiscipline, autocritique. En 1947-1948, je fais une tentative pour me faire réintégrer à l’Education nationale. J’avais été radiée, ayant omis de redemander mon congé pour convenances personnelles chaque année. J’ai donc travaillé à la Maison de l’Entraide française, à Bures-sur-Yvette, « la Bastide de Beau souci », jusqu’à sa fermeture (été 1950). Je redeviens institutrice à la rentrée 1950, affectée dans un village de l’Ain (Académie de Lyon).

Pratique professionnelle.

Mariée en 1951 avec un homme qui se révèle alcoolique et violent (il décéda en 1970), je me suis sauvée en 1965, trouvant un poste aux Brises Marines à Ars-en-Ré, par l’intermédiaire des Lacapère. C’est une maison pour les enfants à problèmes, surtout familiaux. Ils ont un retard scolaire énorme. A dix ans ils ne savent pas lire. J’ai la classe des 7 à 12 ans. Je leur apprends à lire avec la méthode globale, audiovisuelle. Dans ma classe les enfants sont au maximum autonomes. Je m’intéresse à leurs sujets favoris. Il m’appellent Alouette et me tutoient. J’étais adjointe à la direction, je me promenais avec eux. On faisait aussi des activités de la vie quotidienne. Mon inspecteur était bienveillant avec moi, car il était intéressé par l’Association nationale des communautés éducatives (ANCE). Sinon je ne pense pas qu’il aurait été comme ça avec moi. Il m’a fait passer un nouvel examen pour renouveler mon diplôme qui n’existait plus. J’ai fait trois heures de classe devant lui. Il était ébahi. On s’est mis à chanter des chansons d’amitié, de camaraderie. C’était en février 1965, en fin de matinée. Ils étaient trop petits pour les chants révolutionnaires. Evidemment, si l’un se mettait à chanter l’Internationale, on ne lui disait pas de se taire. L’inspecteur m’a dit que la façon dont j’avais repris ma classe était formidable. En revanche une jeune collègue des Brises Marines partie enseigner dans le Sud du département a voulu reprendre des choses qu’elle m’avait vu faire. L’inspecteur lui a dit que ce n’était pas bien. Vous voyez, l’Inspection, c’est une connerie monumentale. Ils sont capables de dire tout et n’importe quoi. Dans ma vie professionnelle, j’ai appliqué les principes faucons rouges. On discute avec les gamins, ils décident ce qu’ils veulent faire. Moi je suis là avec eux pour les accompagner. Je ne suis pas le chef mais l’aide. J’ai été révolutionnaire dans ma classe. J’ai eu quelques petits problèmes notamment quand mes élèves m’ont demandé comment on faisait les enfants. Un soir, à force qu’ils me titillent, j’ai fait partir les petits, les grands sont restés. Mais une petite était restée derrière la porte et a raconté à tout le village ce que j’expliquais aux grands. Cela a fait un gros scandale. Le maire de la commune a averti l’inspecteur. J’ai eu un rapport sur le dos, une mauvaise note et on m’a rétrogradée. Je n’ai plus eu de promotion au choix. J’ai même été soupçonnée par l’inspecteur de pédophilie ! Il m’a pris dans le couloir et m’a dit « Que s’est-il passé entre le jeune Daniel Luçon et vous ? ». Je lui ai répondu « Que peut-il se passer ? ». J’avais trente ans, c’était impensable, même si j’avais vu Les Risques du métier.

Depuis toujours je vote Ecole Emancipée et je m’intéresse aux problèmes pédagogiques. J’ai rencontré des Decroliens en Belgique en 1949 et je suis entrée à l’Ecole Moderne (Mouvement Freinet) au milieu des années 60, en Charente-Maritime. J’y ai rencontré André Durand et les Coudray en septembre 1968. Ma nièce Ginette Berthaud étant en couple avec Jean-Marie Brohm, je profite de leur présence aux vacances de février 1969 pour organiser deux réunions EE, l’une à l’île de Ré (15 présents), l’autre aux Nouillers, qui permettent de lancer le Groupe Départemental (GD). J’ai connu les instituteurs « gauchistes » de l’île de Ré, dont Jacques-Yves Larfeuil, en mai 68. L’un d’entre eux allait à la Rochelle le matin et rapportait ce qui s’y disait. La grève s’est traduite aux Brises Marines par la suspension des cours, les enfants se levaient plus tard et ensuite on les amenait en promenade.

Après mai 1968, la rencontre avec la Ligue communiste.

Après mai 68 à La Rochelle j’ai milité au Mouvement mondialiste. Ce mouvement qui s’est bientôt appelé Mouvement mondialiste anti-impérialiste réunissait la gauche large sur les problèmes coloniaux. C’était Raymonde Etienne qui en était responsable. Elle avait quelques groupes ailleurs et dirigeait ce mouvement au niveau national. Chrétienne, elle est rentrée au PC et a voulu faire entrer le mouvement dans la ligne du parti. A ce moment-là, les gens sont partis sur la pointe des pieds. Je suis restée seule jusqu’au jour où je lui ai expliqué pourquoi je partais. Elle soutenait le PC qui défendait la Coupe du monde de football en Argentine. Faire passer le Mouvement mondialiste dans la ligne du PC, c’était une connerie monumentale. Depuis toute petite, je suis a-nationaliste : pas de frontières, pas de drapeaux, pas de Marseillaise ! C’est mon père qui m’a influencée. Il était tendance gauche SFIO. J’enseignais ça à mes élèves. Il y a différentes manières d’enseigner l’histoire. Pour moi Napoléon c’est l’ogre, l’horrible. Mon livre d’histoire, que j’avais à 14 ans, s’ouvrait tout seul à la page de Robespierre. Il était beau et racontait des choses géniales ce type! Quand je suis arrivée en cours élémentaire première année, la première leçon était Jeanne d’Arc, j’avais sept ans. Je rentre à la maison où je lis la leçon, scandalisée. Elle entend des voix patati patata ils se foutent de moi ! Enfin je l’ai dit en d’autres termes car je parlais mieux que ça.

J’ai connu Rouge et la Ligue communiste lors des élections présidentielles de 1969, grâce à la candidature Krivine qui a eu un grand impact sur moi. Je participe peu après à la création du Secours rouge, je serai questionnée pour cela par les gendarmes de l’île de Ré. En 1972, à plusieurs, instituteurs membres du GD, nous décidons de créer la Ligue communiste en Charente-Maritime et de présenter une candidature aux élections législatives de 1973 sur la circonscription de La Rochelle île de Ré. Je serai candidate et André Durand suppléant. La campagne fut intéressante, Alain Krivine fit salle comble à l’Oratoire, de nombreux contacts sont pris, la cellule grossit du fait de l’adhésion de nouveaux instituteurs, Jean-Paul Gardré, Suzanne Tallard, Catherine Bourgeois, et de la mutation de professeurs du second degré déjà militants, Jean-Paul Salles venu du Havre et Gilbert Dufourcq, professeur de maths venu de Toulouse, en poste dans un collège de Cognac, mais rattaché à la cellule de La Rochelle.

A la Ligue de La Rochelle, dans les années 70, je ne sais pas s’il y avait un gros travail sur l’international. En tout cas Rouge a lancé une souscription pour la libération d’Hugo Blanco et j’ai versé tout de suite. Je l’aime beaucoup. Bref, l’international m’intéresse depuis toujours. Les Faucons rouges étaient internationalistes ! J’ai milité en 1973 au Comité Chili. Il y en avait de deux types, un avec le PC et l’autre, le Comité de soutien à la lutte révolutionnaire du peuple chilien. On n’était évidemment pas avec les communistes. Les comités étaient en relation entre eux. On avait des camarades chiliens, Donato et Monica, une camarade française qui parle castillan, Marie-Françoise. Elle nous a beaucoup aidés. J’ai fait en 1984 un séjour au Nicaragua. Je suis allée à une réunion à Nantes avec des Chiliens et je me suis décidée à partir. Je ne connaissais personne là-bas, on était environ une cinquantaine de Français à partir pour Managua. J’ai discuté avec un jeune d’Aix-en-Provence qui était seul dans le groupe de Marseille. Quand tu ne connais personne dans un groupe comme ça, personne ne te parle. J’ai vécu la même chose au syndicat dans l’île de Ré. Localement à la LCR tous les nouveaux sont bien intégrés. En revanche pendant les universités d’été, tu tombes à une table où tu ne connais pas le groupe qui s’y trouve, personne ne te parlera. Quand ça m’arrive je leur parle. Les gens vont rencontrer ceux qu’ils connaissent. Une fois un petit jeune est venu aux JCR. Pendant deux jours, personne ne lui a parlé jusqu’à ce que je leur fasse la remarque. Mais il n’y a pas que les trotskystes qui font ça, c’est partout pareil.

Sur La Rochelle, il y a eu un essai de JCR avec Patrick Miniscloux. Il est venu aux vacances rouges l’année où l’on a lancé les JCR, y compris internationalement. C’était en Italie en 1978. Il a essayé de les monter sur La Rochelle mais cela n’a pas marché. Les JCR se sont mis à faire des stages à partir de 1979. Je crois que c’est Philippe Pignarre et Olivier Sabado qui les ont lancées en France. Olivier remplace un peu Krivine sur Paris. Il travaille à mi-temps car il passe la moitié de son temps au local. Miniscloux m’a alors aidée à aménager ma maison pour les JCR. A partir de 1979, il y a eu cinq années de stage chez moi à Luay. Ils arrivaient à la gare de Surgères, on allait les chercher, on les accompagnait pour acheter à bouffer. Ils préparaient leurs repas eux-mêmes. On avait installé le réfectoire dehors avec des planches et des douches la deuxième année. C’est d’ailleurs Christophe Aguitton qui les a installées. Il fait aujourd’hui parti de l’encadrement. On parle beaucoup de lui en ce moment, il est syndicaliste et milite à Attac. C’est le fils de Christine Daure-Serfaty. Le stage durait une semaine. Le matin ils se levaient vers dix heures et discutaient un peu. Chacun avait sa tâche à faire. C’est important d’organiser la vie collective, ce qui n’est pas simple. Ils préparaient des exposés, débattaient, chantaient des chants révolutionnaires. Les voisins ne disaient rien. Une fois en 1982, les flics sont venus nous faire chier. Sur Rouge il était écrit que les JCR faisaient des stages en Saintonge alors que Luay est en Aunis (un écart de la commune de Grenouillé). Bref Philippe avait écrit ça sans faire gaffe. Les pauvres flics ont arpenté toute la Saintonge mais ont fini par les trouver à Genouillé. Ils ont ennuyé les jeunes mais sans plus. J’ai aussi fait chez moi des réunions EE et des réunions amicales. J’ai légué cette maison à la LCR, n’ayant pas d’héritier direct. On a fait une fausse vente. La Ligue a créé une société car une organisation politique n’existe pas juridiquement. Michel Rousseau a fait une société civile immobilière qu’il a baptisée Les Alouettes puis a racheté cette maison. Il fallait la vendre le moins cher possible car les frais sont proportionnels au prix de vente. Mais on ne peut pas la vendre trois fois rien. Certains copains de Paris viennent y passer des vacances. J’en ai le droit de jouissance jusqu’à ce que mort s’en suive.

La question des femmes.

J’ai pris conscience du problème des femmes tard. Pour moi et les Faucons rouges, il n’y a pas de problème car garçons et filles font la même chose. On n’avait pas une perception très aiguë de l’oppression spécifique des femmes dans la mesure où on est pour l’égalité. J’ai milité dans le mouvement des femmes à partir de 1978. André Durand fait l’impossible pour que sa femme Maryse s’occupe du problème des femmes. Pendant un an, on a des réunions dans l’EE avec la présence des camarades hommes. Politiquement Maryse a un problème. Quand on avait décidé qu’André serait tête de liste pour les législatives de 1973, elle s’est affolée. Elle a dit non car ils habitaient dans un petit village et qu’il aurait sa photo dans le journal. Bref, j’ai été candidate et lui suppléant. Sud-Ouest était fou de rage, je leur ai raconté ce que je voulais. Je leur ai dit que je pensais être trotskyste sans le savoir, mais c’était vrai. C’est la concrétisation de multiples idées qui m’ont parcourue pendant des années. Ils ont publié la photo d’un gars vu de dos en écrivant « Monsieur André Durand vu de dos », Maryse l’avait exigé. Ma candidature a été très bien accueillie par mon entourage. Les monitrices m’adoraient et mes collègues ont voté pour moi. Bien sûr certains d’entre eux n’étaient pas d’accord avec moi. Ils se sont réjouis lors de mon départ à la retraite, mais malheureusement mon remplaçant s’est mis à acheter Rouge. Je le connaissais bien. Mes collègues du SNI étaient de gauche. Ce sont des gens corrects, mes opinions ne les dérangeaient pas.

Le débat sur les femmes dans le cadre de l’EE a débouché mais il fallait qu’on le lance sur La Rochelle. Le travail d’un an a donné naissance à un groupe femme. Des copines sont allées à des réunions féministes dans le Sud de Paris, dont Alice. C’étaient les réunions de départ du mouvement femme en France. Il y a eu une réunion importante à Bièvres. Je ne suis pas allée à cette rencontre de tous les groupes femmes. Je crois que c’était en 1975 ou 1976. Une question nous importait beaucoup, celle des femmes battues. Des gens qui ont travaillé sur ce cas en France sont venus à La Rochelle. Dans le cadre de la mairie, nous avions un local près de la Préfecture, où on se réunissait. On a lancé le mouvement « femmes battues ». La première femme sauvée habitait près de chez moi, je la connaissais bien ce qui n’était pas simple. Le groupe femmes existait à ce moment-là. En 1977-1978 on était une centaine. Le chiffre est redescendu après. On se réunissait au Carré Amelot. On avait ouvert une librairie en face de l’Oratoire où étaient affichés tous les trucs femme. Avant que le Centre d’Information des Femmes (CIDF) se forme dans les années 80, on avait un local dans la rue des Merciers. On n’hébergeait pas les femmes battues, on se contentait d’informer. C’est à cette époque que quelque chose d’officiel a été fait par la Mairie pour les femmes battues, dont je ne me rappelle plus le nom. Le CIDF a pris le relais. On a gardé notre local un peu, j’y ai fait des réunions pour l’emploi, y compris avec des bonnes femmes de droite. La suppléante de Michel Crépeau, Colette Chaigneau, était là. Cela était en relation avec les femmes battues. En effet, quand on est battue, il faut se sauver et pour se sauver, il faut travailler.

Le MLAC existait avant le groupe femmes. On était dans le MLAC. J’ai fait une réunion de quartier sur Mireuil. Ce qui a affolé ces messieurs, c’est la pilule. Si ces dames peuvent baiser sans avoir d’enfant, qu’est-ce qu’on devient, que devient notre pouvoir ? C’était affolant la façon dont réagissaient ces hommes moyens.

Pour en revenir au CIDF, nous sommes dans les années 80, il a été crée avec le Secrétariat d’Etat à la condition féminine. Ce centre est officiel. Cet organisme est là pour renseigner les femmes, pour les aider. Il comprend des bénévoles et des gens rémunérés. Il y a une permanence pour les problèmes de divorce, avec des avocats(e)s, on les aide à trouver du travail. Au début du CIDF, on était vraiment dedans mais on l’a abandonné petit à petit. Dans les années 70, le problème des femmes a été pris en charge par les gauchistes avec les premières mobilisations pour le droit à l’avortement… Avant 1974 et le vote de la loi Veil, l’avortement n’était pas possible. Dans certains endroits de France, les gauchistes organisaient des voyages en Angleterre pour les femmes qui devaient avorter. Enfin les autorités ont pris en charge le problème. Il y a eu une conférence internationale sur la condition de la femme en 1983. On dénonçait le fait que la femme soit là pour produire et reproduire. Elle est là pour travailler et faire des enfants. J’y suis allée pour les aider un peu à traduire. Il y a eu une autre manifestation la même année à Paris à la Mutualité.

Problèmes de modes de vie.

La LCR s’est intéressée assez tôt au problème de l’homosexualité. Il y a certainement des personnes de la Ligue qui ont adhéré à toutes les conneries que l’on peut raconter sur les homos. Ce n’est en tout cas pas la préoccupation majeure de la Ligue. Si personne n’écrit d’article dans Rouge, on n’en demandera pas. C’est pareil pour le Pérou, personne ne s’est intéressé aux dernières élections dans ce pays. En tout cas, il y avait une Commission nationale sur l’homosexualité rattachée au Comité Central. Elle était chargée de suivre le problème et de définir la position de l’organisation. Moi, j’avais 40 ans quand j’ai appris que l’homosexualité existait… Il n’y a pas d’âge pour apprendre. On en causait moins que maintenant quand même. Pour moi chacun fait ce qu’il veut, Philippe est le premier homo que j’ai rencontré. Il m’a appris beaucoup de choses. En 1981, un mois avant l’élection de Mitterrand, les homos ont fait une grosse manifestation à Paris. J’y suis allée. Dans le cortège j’ai vu un petit copain de La Rochelle mais je ne savais pas qu’il était homo. J’ai fréquenté beaucoup d’homosexuels, je les connais bien, je suis une fille à pédés (rires).

J’ai vécu avec un mari alcoolique, ce qui est une catastrophe. Comme aux Faucons rouges, nous disions « nous luttons contre l’usage de l’alcool et du tabac », cela ne m’a pas fâchée d’entendre ça. J’adhère car cela concerne un problème de santé, de liberté de l’individu. Ne pas fumer et boire, c’est la liberté. Nous ne sommes pas esclaves de ces drogues. Pour moi c’est ça. A la Ligue on se réfère aux textes de Trotsky qui vont dans ce sens.

Aujourd’hui le mot cellule n’existe plus. On dit section. Il en va de même pour les pseudonymes. Je ne sais pas si c’est parce que le PC dit cellule. Par contre, les gens qui ont un pseudo le conservent. Mais officiellement non. C’est une volonté de l’organisation. Alouette n’est pas un pseudo. C’est mon surnom personnel. Quand je suis arrivée sur l’île de Ré, je ne voulais pas que l’on m’appelle par mon nom de jeune fille ni par le nom de mon mari qui est David. J’ai dit que je m’appelais Alouette, nom d’une ancienne élève que j’avais eu en 1950. J’ai pris le nom d’une gamine parce que ça sonnait bien et qu’elle était mignonne, voilà. Mon pseudo est Eglantine. Je ne m’en suis pratiquement jamais servi. J’avais décidé vers dix-huit ans que si j’avais une fille, je l’appellerai Eglantine. Bien sûr, je cherchais un prénom qui ne soit pas un prénom de saint.

A propos de la Deuxième Guerre mondiale et de la Résistance.

Je suis née en 1918. Pendant la deuxième guerre j’étais institutrice. Je n’ai rencontré de résistants qu’à la fin de la guerre. J’étais anti-nazie mais pas anti-allemande et encore moins anti-boche. Je suis totalement a-nationaliste. Je ne veux pas savoir ce qu’est la patrie. Je ne supporte pas ce mot. On est tous frères. Je n’ai pas eu l’occasion de faire de la résistance. La première année j’étais à Lyon où j’enseignais dans une classe unique avec des garçons. Les filles étaient chez les religieuses. Les gens trouvaient que j’avais une vie scandaleuse parce que j’allais danser. Pendant la guerre on ne dansait plus

Citer cet article

Référence électronique

« Entretien avec Marcelle Berthaud (Alouette, Eglantine) », Dissidences [En ligne], 7 | 2014, publié le 03 août 2014 et consulté le 09 décembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=370