Stéphanie Rizet, La distinction militante. Transformations et invariances du militantisme à la Ligue communiste révolutionnaire, thèse de doctorat en Sociologie, sous la direction de Vincent de Gaulejac, Université Paris VII-Denis Diderot, 2006, 486 p

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Trotskysme

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Dans une première partie méthodologique intéressante, l'auteure se présente et explique sa démarche. Elle a travaillé à partir de 40 entretiens réalisés auprès de militant(e)s ou d'anciens militant(e)s, pour la plupart parisiens et sans responsabilités importantes dans l'organisation. A ce corpus elle a ajouté des entretiens (34) réalisés par d'autres chercheurs, plutôt en province. En comparant ces divers témoignages, Stéphanie Rizet écrit qu'elle n'est pas si loin du travail de recoupement des sources effectué par l'historien. A discuter. Mais surtout, de façon très fine, cette jeune sociologue nous explique les avantages de la proximité existant entre elle et son objet d'étude. Elle mena une véritable « observation participante », ce qui lui permet avec perspicacité d'évoquer les façons d'être entre soi, les interactions entre militants, s'intéressant surtout aux militants de base. Mais elle a dû, au moment du bilan final, prendre ses distances, faire un véritable travail de « désenchantement émotionnel », explique-t-elle.

Dans un deuxième temps, la sociologue se fait historienne, n'hésitant pas à remonter à l'origine du trotskysme. Inévitablement des oublis apparaissent et des erreurs se glissent… Ainsi lors de la célèbre grève Renault d'avril-mai 1947, le rôle capital de Barta et de Pierre Bois, militants de l'Union communiste (UC), lointain ancêtre de LO, n'est pas noté. De même, les Comités Vietnam (plus précisément CVN : Comités Vietnam National) ne succèdent pas au Front Solidarité Indochine (FSI, p. 271), puisqu'ils lui furent antérieurs, et Raymond Marcellin n'était pas Préfet de police, mais Ministre de l'Intérieur, et en même temps député-maire de Vannes (p. 261). Quant à l'AGOL (p. 128), cette Avant-garde ouvrière large dont l'existence était certaine pour les théoriciens de la Ligue, après 1968, elle n'est pas bien comprise (p.128). Par contre, la description des conditions dans lesquelles se fait le militantisme dans les années 1980 est bonne, l'importance des Coordinations lors des grèves bien notée. Cependant le poids de l'idéologie libérale (véritable « déferlante ») entraîne une importante baisse des effectifs militants, ceux qui restent (pas plus de 1000 dans les années 1980) faisant le dos rond, de « pionniers » devenant « résistants » ou « passeurs ». Avec 1995, le renouveau de la conflictualité bénéficie à la LCR. Ses militants participent à la recomposition du champ syndical (naissance de Sud) et politique (AC, DAL, SOS Racisme et surtout Ras le front…). La LCR a même des élus, dans les municipalités, au Conseil régional de Midi-Pyrénées et au Parlement européen. Cependant, l'engagement à la Ligue ne permet pas d'espérer de grands avantages. Les nouveaux militants sont plutôt animés par de hautes exigences morales, hostiles aux compromissions liées à l'exercice du pouvoir. Ils considèrent que la démocratie est le bien le plus précieux, et à la différence de la génération antérieure, « la question de la violence comme passage obligé est problématique et souvent source de malaise » (p. 224). Mais l'afflux de « sang neuf », et c'est là l'apport tout à fait précieux de ce travail, n'amène pas un renouvellement des discours et des manières de s'engager, les « invariances ».

Certes le statut de stagiaire a disparu à la Ligue, de même que l'usage des pseudonymes depuis 1998, mais il faut s'y exprimer dans le « langage requis ». Il y a un chemin à parcourir, un « habitus » à acquérir. C'est après un véritable rite de passage, par la formation – toujours importante – et les nombreuses discussions avec les anciens que se soude un « nous » partisan. Dans un intéressant chapitre sur l'activisme, l'auteure affirme même que ces nombreux échanges sont source de réassurance, car débattre permet de « serrer les rangs », d'éviter le surgissement du doute. De même, le fait d'appartenir à une avant-garde impose aux militants un certain nombre d'obligations – « noblesse oblige ». Certes ce sentiment ne transforme pas – ne transforme plus – les militants en professeurs rouges, les militants d'aujourd'hui prétendant plutôt aider à « l'auto-organisation ». Voyant ce que son développement a de schématique, l'auteure nuance, et reconnait que le niveau d'exigence varie, selon les cellules ou les sections. L'utilisation du travail récent de Cyrille Rougier sur la LCR de Bordeaux lui aurait permis d'aller plus loin dans cette direction1.

Il semble bien que, comme au Parti communiste, il y ait pour l'adhérent de la Ligue implication de la totalité de l'être dans l'engagement, pour preuve le fort taux d'endogamie observé dans ce milieu militant. Mais la Ligue, contrairement au PCF de la belle époque, n'a pas les moyens de contrôle institutionnel. Le mode de vie militant résulte donc de l'intériorisation du modèle idéal du militant. Les nouveaux adhérents sont appelés à faire un « travail sur soi » pour correspondre à cet idéal, ainsi ce jeune ouvrier qui se décrit : « Moi, jeune prolo, je n'étais pas différent des autres, j'avais des photos de cul dans mon placard. Et grâce à la Ligue…je suis devenu, j'espère, féministe » (p. 336). Cette cohérence du mode de vie militant aboutit à une forme de distinction pour soi, pour ses pairs, vis-à-vis de l'extérieur.

Un ouvrage dense et bien écrit, dont on peut certes discuter tel ou tel passage, mais qui apporte un éclairage supplémentaire sur la Ligue qui, décidément, continue jusqu'à aujourd'hui à être un lieu d'apprentissage. Et comme le remarque Stéphanie Rizet : « On peut se demander si le peu de ressentiment dont font aujourd'hui preuve les militants de la Ligue à l'égard de leur ancienne organisation ne tient pas justement en partie à cette capacité de l'organisation à faire de ses militants de brillants animateurs et meneurs… comment en vouloir à l'organisation qui vous a formé » (p. 323).

Notes

1 Cyrille Rougier, La vie personnelle dans le militantisme d'extrême gauche. Les relations d'interdépendance entre sphère publique et sphère privée, Mémoire de M1 sous la direction de Michel Jamet et Laetitia Bucaille, Bordeaux II, 2005. En fait il n'est question que de la LCR. Return to text

References

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Jean-Paul Salles, « Stéphanie Rizet, La distinction militante. Transformations et invariances du militantisme à la Ligue communiste révolutionnaire, thèse de doctorat en Sociologie, sous la direction de Vincent de Gaulejac, Université Paris VII-Denis Diderot, 2006, 486 p », Dissidences [Online], 2 | 2011, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=200

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Jean-Paul Salles

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