Cyrille Rougier a l’ambition d’étudier la façon dont les militants articulent militantisme et vie privée. Finalement sa recherche se limite à la LCR, son corpus étant constitué par 12 entretiens réalisés auprès de militant(e)s de la section de Bordeaux, une des plus importantes de France après l’adhésion en 2000 du groupe bordelais de Voix Des Travailleurs, une scission de LO. Justement dans l’échantillon observé – qui représente environ 10% de l’effectif total – figurent 6 anciens militants de LO-VDT.
Dans un premier temps, les militants interrogés notent, de manière désormais classique, les divers apports du militantisme, sur le plan culturel, sur le plan social. Cela permet de connaître des gens, curieusement aucun ne dit que cela peut aussi contribuer à fermer des portes. Pour une militante, militer permet « de temps en temps de se sentir utile ». D’autres prennent cette activité très au sérieux – en général ils viennent de LO – le militantisme, affirment-ils, étant la voie d’accès au bonheur (« Je ne me vois pas ne pas militer… parce que je ne serai pas heureux…quoi ! »). Il y a donc désormais à la LCR divers niveaux d’engagement. Certains revendiquent toujours le modèle du « révolutionnaire professionnel », « fiers de se battre pour changer les choses dans ce monde pourri ». D’autres, qualifiés de « militants professionnels autocritiques », décrivent leur engagement de manière lucide, comme André, militant depuis 40 ans (d’abord au PCI, à la JCR, à la LC) qui parle de son activisme comme « d’une forme de boulimie assez pathologique ». Enfin d’autres, comme Guillaume (Plate forme 3), militent à leur rythme, refusant de faire quelque chose s’ils n’en ont pas envie, même si ça apparaît important pour l’organisation. L’auteur parle à leur sujet d’un « militantisme politique par alternance ». Ces derniers qualifient leurs camarades venus de LO de « curés rouges » ou de « moines soldats ». L’apport le plus intéressant de cette recherche, c’est de montrer qu’une partie des anciens de LO-VDT, confrontés à un autre mode d’engagement, ont profondément modifié, et avec joie, leur façon de militer. Isabelle, professeur de LEP, avoue qu’à LO « on sentait une pression » sur le problème des enfants : « Jamais personne te disait comme ça, brut, faut pas avoir de gosse…hein c’était pas comme ça, mais bon, on le sentait, quoi, voilà ! ». Il y a quelques années, un militant de Lorraine interrogé par Yann Kindo, évoquait son passage de l’OCI à la LCR, comme l’équivalent d’un passage de l’Est à l’Ouest ! Souhaitons à Cyrille Rougier de poursuivre sa recherche sur la notion d’habitus militant, comme il en a l’intention, mais en lui suggérant d’élargir son corpus à d’autres villes, car la section LCR de Bordeaux est décidément atypique.