Ernest Mandel en résistance. Les socialistes révolutionnaires en Belgique, 1940-1945

Complément au numéro 7 de la revue papier : La Belgique sauvage

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Trotskysme

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Ernest Mandel, le théoricien marxiste flamand et militant politique radical a exercé une influence considérable sur la gauche durant la seconde moitié du siècle dernier1. Ses ouvrages ont été publiés dans plus de 40 langues, à des millions d’exemplaires. Il fut l’auteur belge le plus traduit, dépassé seulement par Simenon. Mandel était un orateur qui interpellait des foules de 20 000 personnes dans les stades durant la révolution des œillets au Portugal. En même temps, il fut un universitaire reconnu qui reçut le prestigieux prix Alfred Marshall Lectures en 1978 à la Cambridge University (Londres). Il a écrit une étude sur le développement du polar2, mais aussi l’introduction commentée de la traduction des trois volumes du Capital de Marx chez Penguin. A l’occasion de sa mort, la Frankfurter Allgemeine Zeitung commenta : « Ce politologue belge a été plus critiqué que n’importe qui, à la fois à droite et la part de la gauche orthodoxe… Mais pour la génération de 68, le nom de Mandel demeure une source d’inspiration et un exemple »3.

I. Origines

La vie de Mandel est constituée de plusieurs dimensions. Ces aspects peuvent être résumés dans sa biographie par l’histoire d’un jeune rebelle de la classe moyenne, issu d’un milieu juif de gauche. Il a vécu dans les années 30, ainsi que durant l’occupation nazie, au sein d’un cercle de réfugiés politiques. Cette expérience a développé chez lui une inclination profondément internationaliste. Le cercle des relations de ses parent l’a conduit à entrer en contact avec des révolutionnaires allemands, autrichiens et polonais à Anvers, mais a aussi favorisé sont entrée en résistance quand les troupes allemandes ont envahi et occupé le territoire belge. Quelle fut le genèse de la résistance de la gauche socialiste pendant l’occupation ? Quelle sorte de politique fut mise en avant ? Quel rôle y joua Mandel ? Quelle attitude développa-t-il durant cette occupation nazie ? On peut trouver des réponses à ces interrogations dans les volumineuses archives que Mandel a laissé derrière lui4.

Ernest Mandel grandit dans un milieu juif assimilé où les préceptes religieux n’étaient plus observés. Son père, Henri (Henoch) Mandel naquit le 12 mai 1896 dans une famille juive orthodoxe dans un village proche de Cracovie, situé alors dans la partie polonaise sous domination autrichienne.

La famille n’était pas désargentée. Le père d’Henri possédait un magasin textile. Il encouragea son fils à étudier la Torah. Mais le garçon ne manifestait d’intérêt pour cette éducation religieuse. Après avoir fini le lycée, il partit en juillet 1913 pour Anvers afin de poursuivre ses études dans un environnement moins religieux. Cependant le déclenchement de la première guerre mondiale en août 1914 l’empêcha de mener à bien ce projet. Craignant d’être mobilisé dans l’armée autrichienne, il émigra au Pays Bas.

A La Haye, il entra en contact avec de jeunes communistes à par leur intermédiaire avec des réfugiés allemands. Ces derniers publiaient un journal, Der Kampf (La lutte). Parmi les contributeurs se trouvait Wilhelm Pieck qui succédera comme dirigeant du Parti Communiste Allemand (KPD) à Ernst Thälmann en 1935, avant de devenir le premier président de la RDA après la seconde guerre mondiale5. Alors que la phase décisive de la révolution allemande commençait, Henri Mandel se précipita à Berlin. Là bas, il pris partie à la fondation de l’agence russe télégraphique Rosta, la première agence de presse soviétique qui précéda la création de l’agence Tass6. Il était intégré dans le milieu de gauche berlinois, ce qui l’amena à fréquenter des révolutionnaires comme Karl Radek, qui conseillait les révolutionnaires allemands en tant qu’émissaire de Lénine et Trotstky. Le meurtre de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en janvier 1919 heurta Henri si fort qu’il retourna aussitôt à Anvers7. Tout en demeurant intéressé par la vie politique, sa période de militantisme actif connut une éclipse.

Il décida de travailler dans l’industrie du diamant. Il rencontra une femme, qui se trouvait être une parente éloignée et tomba amoureux d’elle. Un an plus tard, Rosa Mateles, tel était son nom, était enceinte. Sa grossesse se révéla difficile. Suivant les conseils de son médecin, elle partit pour accoucher dans une clinique à Francfort sur le Main. C’est là que le 5 avril 1923 Ernest Ezra Mandel naquit.

Henri réussissait bien en affaires. Ses parents transmirent à Ernest leurs inclinations pour la littérature, la musique et la peinture dès son plus jeune âge. La famille possédait une très bonne bibliothèque. Non seulement les écrits politiques, incluant les ouvrages de Marx, Lénine et Trotsky, y étaient bien représentés, mais aussi les classiques de la littérature russe, française et allemande. A l’âge de 12 ou13 ans, Ernest Mandel lut Les Misérables de Victor Hugo. L’idéal moral de ce chef d’œuvre de Victor Hugo sur l’insurrection de juin 1832 le convertit au socialisme. Plus tard, il s’en souvenait : « Mon comportement politique pour le reste de ma vie y fut déterminé »8.

Au lycée royal d’Anvers, Ernest se montra un élève sérieux et il s’efforça d’être le meilleur de sa classe. Sa formation s’acheva par un examen final à l’été 1941. Il l’obtint avec plus de 90% des points possibles, devenant non seulement le meilleur de sa classe, mais le meilleur de toute l’école, décoré de la médaille national de la scolarité et de la plus haute distinction.

II. Réfugiés politiques et procès de Moscou

L’attachement aux études et aux choses de l’esprit n’était pas le seul centre d’intérêt auquel se consacrait Ernest durant ces années. Après la prise du pouvoir par Hitler, un flot constant de réfugiés politiques s’installa dans les pays proches de la frontières allemande, incluant Anvers. La maison des Mandel pris une place non négligeable à leur accueil. A mesure que le nombre de réfugiés augmentait sans cesse, l’intérêt d’Ernest pour la politique s’accroissait. Ses sympathies allaient à Trotsky et ses partisans –il pouvait difficilement en aller autrement étant donnée l’origine politique des réfugiés politiques –que Staline et Hitler persécutaient le plus férocement. C’était une période tragique, mais Ernest ressentait plus l’excitation que la peur. Il était peu à peu impliqué dans l’intense activité politique qui gagnait toute sa famille. Il ne pouvait en effet ignorer le contexte politique de montée du nazisme, comme à Laren, une idyllique colonie d’artistes à 20 km au sud-ouest d’Amsterdam. C’est là qu’en février 1934, une conférence internationale de jeunes se déroula pour la création d’un nouveau mouvement, la Quatrième Internationale. Les discussions venaient juste de commencer quand la police envahit le lieu et arrêta les délégués étrangers, dont Willy Brandt (alias Herbert Frahm), Yvan Craipeau, Fritz Besser (alias Brink) et Walter Held9.

Ces évènements faisaient l’objet de longues discussions dans la maison des Mandel. Mandel accueillit chaleureusement Besser quand il fut déporté en Belgique. Besser (1908-1977) “was raised in Dresden and fled to the Netherlands a few months after Hitler took power. With Heinz Epe10, alias Walter Held, he cared for the transport of illegal materials (a.o. Unser Wort) by vessel from Rotterdam to Germany »11. Besser s’entendit fort bien avec Ernest. Il jouait parfaitement au piano et donna des leçons à Ernest. Bientôt Ernest sentit qu’il avait suffisamment pratiqué ses gammes et ses études. Il préféra écouter les convaincants arguments politiques de Besser. Dans ses souvenirs il décrit Besser comme mon meilleur ami et professeur12. « Encore plus que mon père, il fit de moi un marxiste ».

Pour Henri et Ernest Mandel, l’année 1936 apparaît comme une année cruciale. Deux évènements eurent une influence profonde : la guerre civile espagnole et les procès de Moscou. Quand la terreur stalinienne heurta plusieurs centaines de militants du POUM et des anarchistes en 1937, ils furent impliqués dans une large campagne de collecte de fonds. Les gens dans le cercle autour des Mandel n’avaient aucune illusion sur le rôle de Moscou et des communistes staliniens. L’approbation des procès de Moscou par Lion Feuchtwanger en janvier 1937 fut reçue comme une bassesse supplémentaire13. Il avait bien connu le défenseur de Radek. Il était si indigné qu’il créa immédiatement un comité de solidarité et condamna la couardise de Feuchtwanger, pourtant renommé dans une publication Der Schutzgeist des Stalinischen Justiz (L’esprit protecteur de la justice stalinienne)14. C’est de cette manière que Henri Mandel fut impliqué dans les activités de la Quatrième Internationale. Son fils de 13 ans commençait par être son plus ardent sympathisant en participant à toutes les réunions.

Deux ans plus tard, il fut admis dans l’organisation trotskyste belge (Parti Socialiste Révolutionnaire, PSR), créée dans la foulée de la conférence de fondation de la Quatrième Internationale tenue en septembre 1938 à Perigny, dans la banlieue parisienne.

III. Mai 1940

Le 10 mai 1940, les Mandel furent réveillés en sursaut par la nouvelle de l’invasion des troupes allemandes en Belgique et au Pays-Bas. Beaucoup de gens furent arrêtés ce même jour. Parmi les internés se trouvaient des proches et plusieurs dirigeants de premier plan du Parti Communiste Belge, des membres du parti fasciste flamand VNV15 ainsi que des rexistes wallons16, des anciens activistes depuis la guerre de 14-18 et un nombre incalculable d’étrangers, allemands, autrichiens qui avaient fuit d’un pays à l’autre depuis des années17.

Les Mandel furent épargnés par les représailles ou le soupçon de sabotage. Ils avaient la citoyenneté polonaise et n’étaient pas connus comme communistes.

Depuis des mois, la guerre avait était la préoccupation principale des conversations. A cause du Pacte Molotov-Ribbentrop, le quotidien communiste La voix du peuple fut interdit en novembre 1939. L’interdiction concernait aussi la presse trotskyste. Dans les mois précédant l’occupation, l’activité révolutionnaire se déroulait dans une semi-clandestinité.

L’activité des trotskystes déclina car, ainsi que le constata René Groslambert de la section bruxelloise le « Nous sentions la guerre venir », mais « nous ne savions pas trop comment agir »18. Les Belges en général se tenaient tranquilles, adoptant une attitude passive et tournant leur regard vers le gouvernement qui prêchait la neutralité et l’unité nationale comme seule perspective.

La réaction timorée des Belges et la répression ne rendent pas compte à eux seuls de la faiblesse de réaction des trotskystes. Les divergences internes à la famille trotskystes contribuèrent également au désarroi. Une partie de l’organisation défendait la conception d’une activité légale, renforcée par la position de Walter Dauge, le dirigeant de la fédération des mineurs du Borinage. Un rapport parvenu au secrétariat de la Quatrième Internationale confirme ces faits :

« Depuis le début de la guerre, il (Dauge) a défendu des idées contraire à la volonté unanime de l’organisation. Il prône une adaptation à la dictature. Ne faites rien d’illégal : voilà le cœur de son argumentation. Il démoralise l’ensemble de la fédération »19.

Dauge rejetait fermement toute idée d’une préparation au travail illégal. Avant même que le PSR ne rentre dans la clandestinité, ses effectifs étaient en chute. De ses 600 membres dans le Borinage, une poignée seulement demeura active après le 10 mai.

Dauge rompit avec le militantisme. Il abandonna l’activité politique, fut impliqué dans le marché noir et fut assassiné en 194420.

Avec le recul, Ernest Mandel souligna que le PSR était moralement et politiquement non préparé à l’activité clandestine. Il attribuait cela au caractère hybride du groupe : une organisation de cadres à Bruxelles, Anvers ou Liège, mais « dans le Borinage et à Charleroi, c’était une organisation avec une base populaire. Une organisation avec des racines, des membres et des sympathisants, en particulier chez les mineurs, qui fut influencée par les conceptions, les préoccupations de son environnement social. Ils étaient le sang et la chair de la classe ouvrière. Par leur intermédiaire, les hésitations et la démoralisation provoqués par la guerre trouvèrent leur chemin dans les rangs du PSR »21.

Le malaise dura presque un an. L’organisation chuta à quelques douzaines de militants, qui eurent du mal à rester en contact les uns avec les autres. Quand les trotskystes réorganisèrent leur organisation en août 1940, les plus jeunes militants, qui avaient rejoints les rangs après 1932 et plus encore après 1937-38, prirent la direction.

IV. Le mot d’ordre : Résistance

En Belgique, les combats cessèrent le 28 mai. Tandis que le gouvernement, les dirigeants socialistes et syndicalistes fuyaient le pays le secrétaire général du PS, Hendrik de Man, en appelait à la coopération avec les occupants. Les communistes également hésitaient sur leur attitude. Ils continuaient de publier un journal légal qui critiquait d’abord les français et les anglais22. Le sentiment dominant dans la rue mélangeait le ressentiment contre les groupes dominants, qui avaient pris le parti de la fuite, et une attente inquiète des transformations consécutives à l’occupation. Ces évènements choquèrent Ernest Mandel. Au lycée, la plupart des gens était convaincu que les allemands gagneraient la guerre sans difficulté majeure23.Beaucoup de ses amis politiques avaient disparus.

L’annonce du meurtre de Léon Trotsky l’atteignit comme une bombe. Les journaux belges publièrent l’information aux alentours du 21 août. Lode Polk, un vieux militant communiste, arriva bouleversé dans la maison des Mandel. Il avait connu Trotsky personnellement, correspondu avec lui, l’avait accueilli chez lui quand le révolutionnaire russe était passé par Anvers en chemin vers la Norvège24.Bientôt sept ou huit autres camarades vinrent grossir le groupe. Ensemble, ils parvinrent à la conclusion que le temps de l’inaction était fini. Désormais, Résistance était le mot d’ordre. Dans les jours qui suivirent, ce petit groupe grossit jusqu’à environ 13 personnes qui se connaissaient depuis des années. Début septembre 1940, ils formèrent un groupe patriotique indépendant de résistance Vrank en Vrij (Franc et libre). Ils décidèrent rapidement de publier un mensuel. A la fin septembre, paraissait la première édition de Het Vrije Woord (Les mots libres), modeste journal reproduit à 3000 exemplaires sur la ronéo Gestetner que Henri Mandel avait acheté avant la guerre.

A partir du groupe originel autour de ce journal flamand illégal grossit jusqu’à rassembler environ 100 personnes, qui, pour des raisons de sécurité, étaient divisés en 6 branches. Camille Loots, un jeune trotskyste de 29 ans, ancien combattant de la guerre civile espagnole, était chargé de la distribution du journal à Bruxelles. Jean Briquemon, de 10 ans son aîné, s’occupa de la sécurité des membres, tout en dirigeant un groupe de résistance à l’école professionnelle de Woluwe-Saint-Pierre dont il était le proviseur. Marcel Devlieghere connaissait Henri Mandel par le biais des affaires. Il était inspecteur chef à la Compagnie Générale Belge d’Assurances. Il figurait parmi les fondateurs du groupe, comme Maurice Spiegel et Cécile Piller, dont le pseudonyme était Cylia. Spiegel et Piller faisaient partie de la famille des Mandel. Cylia, célibataire, était agent de liaison. En septembre 1943, elle fut dénoncée à la Gestapo de l’arrondissement Forest de Bruxelles. Spiegel avait un fils au lycée qui avec l’aide d’Ernest Mandel distribuait le journal à l’école. En 1942, alors que la déportation des juifs de Mechelen s’accélérait, la famille Spiegel tenta de fuir vers la France non-occupée. Maurice et sa femme furent capturés et moururent à Auschwitz. Leur fil Jan parvint à s’échapper et pris part en tant que membre de la résistance à la libération de la France.

Au départ, les journaux étaient diffusés à Anvers et dans les environs, dans la soirée dans les maisons et magasins, mais aussi dans à la poste, dans les gares, les trains et les trams. Ce journal de 4 et même parfois 6 pages, pouvait être trouvé aussi loin que Mechelen ou Turnhout. Il tirait en moyenne à 5000 exemplaires. Après l’invasion de l’Union soviétique en juin 1941, une édition allemande fut publié pour les soldats de la Wehrmacht. Durant les mois de l’hiver 42, quatre autres éditions en allemand furent publiées. Ce fut le seul journal de la résistance qui parut en langue allemande en Belgique. Het Vrije Word n’avait pas de ligne politique très marquée. C’était un journal indépendant anti-nazi, qui était distribué de la main à la min dans un milieu politique large25.Ce fait était marquant étant donné la proportion substantielle de trotskystes dans le groupe (environ 15%).

De plus, Ernest Mandel, bien que son père restât le premier rédacteur, écrivait la plupart des articles. Son idée centrale était la défense de la liberté et de l’indépendance de la Belgique contre l’occupant et ses collaborateurs, les fascistes de Rex et du VNV. La capacité de résistance de l’Angleterre donnait espoirs aux rédacteurs que « les peuples libres et non Hitler, l’Angleterre, la France et les Etats-Unis, et probablement l’Union soviétique, auraient le mot de la fin dans cette guerre mondiale »26.Quand Mussolini attaqua la Grèce, Ernest, jeune homme de 17 ans, exprimait sa conviction que « L’Angleterre viendra bientôt à l’aide du brave peuple grec… Ce n’est pas seulement une question d’honneur et une tradition britannique de loyauté à l’égard de leurs amis et alliés, mais aussi un moyen d’autodéfense dans cette guerre contre l’Axe »27. Ernest rompit avec cette perspective bien avant que le Britanniques ne noient dans le sang la révolution en Grèce quatre ans plus tard.

Le journal pris une position claire contre les premières mesures anti-juives, annoncées dans le journal d’occupation Verordnungsblatt du 6 novembre 1940. Het Vrije Woord fut le premier journal de la résistance à Anvers qui annonça la nouvelle et mis en garde contre l’ordonnance qui était « seulement un début », que « la barbarie nazie ne connaît pas de limite » et que face « au fléau vert de gris nazi, la seule réponse des vrais belges (ne pouvait) être que : sabotage ! »28.

En avril 1941, des émeutes éclatèrent après la projection du film « Der ewige Jude » (Le juif éternel) dans le cinéma Rex sur l’allée Keyzerlei. Het Vrije Woord insista une fois de plus que « la persécution nazie contre les juifs n’est pas une « mauvaise histoire » mais la cruelle réalité ! ». Un pogrom avait éclaté dans l’impunité, mais le journal concluait – en s’avançant beaucoup- que ces évènements avaient rempli les habitants d’Anvers « d’horreur et de dégoût »29. Des incidents antisémites devinrent pourtant régulier dans la ville de la Schelde30.

Ernest Mandel finit le lycée à l’été. Son intention d’étudier l’histoire à l’Université Libre de Bruxelles n’aboutit pas, car pratiquement tous les professeurs avaient suspendus leurs cours en novembre, contre le recrutement d’un trio d’enseignants pronazis31.

Depuis décembre 1940, les Mandel avaient été enregistrés comme juifs. Ne pas provoquer des problèmes était une raison commune. En juin 1942, ils furent contraints de porter l’étoile jaune. Ils devaient payer un franc par personne pour recevoir leur trois étoiles dans le bâtiment de la rue Belgiëlei où les enfants avaient été à l’école primaire. La lettre J fut apposée à l’encre noire sur leurs cartes d’identité. Onze jours plus tard, le mercredi 22 juin, les occupants entreprenaient les premières rafles. Les déportés allaient mourir à Auschwitz.

Ce n’était pas un secret pour Henri Mandel que l’étoile jaune était la dernière étape avant la déportation. Il en était à la conclusion quelques temps avant que « les barbares nazis » avaient l’intention de « détruire tous les juifs en leur pouvoir » ; pas seulement de « les persécuter de la manière la plus barbare », mais « de les exterminer de manière systématique »32. Ernest et son jeune frère, Michel, furent avertis de se préparer pour la clandestinité. Leur père vendit quelques biens, les bijoux de famille et trois tapis autrichiens. Une partie de la bibliothèque, des peintures et quelques biens de valeurs furent mis à l’abri chez des amis. Il se procura également de fausses cartes d’identité sous le nom de Nicolas Jules Robert. Michel, âgé de 14 ans, dont les parents pensaient qu’il ressemblait trop à un juif, fut interdit de sortie dans la journée. Les garçons cherchèrent une maison pour leurs deux perruches Bibi et Titi, qui avaient l’habitude de voler en liberté dans la maison de la rue Cruyslei.

Beaucoup des membres de Vrank en Vrij étaient d’origine juive et Henri Mandel se mouvait professionnellement dans un cercle largement constitué de juifs. Il mit en garde tout le monde de plonger dans la clandestinité et de ne pas se rendre aux baraques de Dossin, d’où les trains partaient pour l’Est. Le vieux père de Rosa et son frère Motek, des juifs orthodoxes, prirent la route dans l’espoir de pouvoir atteindre la Suisse. Maurice Spiegel partit avec sa famille, essayant de fuir aux Etats-Unis via le Portugal. « N’y allez pas, n’y allez pas – voulait crier » Jef van der Elst. Le centre, où selon le Arbeitseinsatzbefehl (l’ordre de travail) les juifs étaient supposés se rendre en vue d’un transfert à Mechelen était situé dans la Pelikaanstraat (la rue du Pélican). Comme les Mandel, le docker trotskyste Van der Eslt essaya d’empêcher les gens d’obéir à cet ordre. Les choses allèrent bien pendant quelques jours avant que le SD (Sicherheitsdienst )33 n’envahisse les rues. Van der Elst parvint tout juste réussir à se dégager34. Plusieurs amis ne purent s’enfuir. Lode Polk n’était plus en contact depuis un moment. Il était venu à la maison une fois et était supposé aller chez le dentiste, accompagné par un soldat allemand. Le soldat allemand avait déposé son arme contre la cheminée et demander si il pouvait tailler les plants de tomate dans le jardin. « Pourquoi ne pas prendre le fusil et le tuer ? » demanda désespérément le fils de Polk ? « Cet homme a des enfants. Tu ne peux pas faire ça ! » lui fut-il répondu35.

A la mi-août les Mandel étaient sur le point d’être arrêtés. Ils furent prévenus que la Gestapo était sur les traces des dirigeants de Vrank en Vrij. Il décidèrent tous de fuir. Ils enlevèrent l’étoile jaune de leur habits. La valise à la main, Henri, Rosa et Michel prirent le train pour Bruxelles. A Tervuren, ils logèrent dans une villa meublée qui avait été louée par le parti trotskyste pour fournir des caches provisoires pour des camarades. En attendant leurs fausses cartes d’identité, Rosa et Michel ne pouvaient pas quitter la maison36. Une fois les papiers en main, ils quittèrent le lieu pour un nouvel endroit clandestin dans les montagnes ardennaises.

Henri demeura à Bruxelles, où il se préparait à reprendre la publication de Het Vrije Woord. Un contact l’informa que la Gestapo avait perquisitionné l’appartement de la rue Cruyslei autour du 20 décembre 1942. Poursuivait-il l’éditeur de Het Vrije Woord ? Ou cette descente faisait elle partie de l’opération meubles (Möbelaktion ?)37. Les allemands s’emparèrent d’environ 1400 volumes, la partie de la bibliothèque qui n’avait pas été mise à l’abri. Ils quittèrent la maison dévastée. Sur les fiches de la SD était écrit à quatre reprises : « Disparu, effacé d’Anvers le 24/3/43 »38.

V. Les immigrants est-européens et les contacts internationaux.

Où était Ernest ? Personne le ne savait. Il vint rarement à la maison durant ces mois. Il baignait jusqu’au cou dans les activités de résistance et dormait chez des camarades, la plupart du temps autour de Bruxelles, à Liège ou Charleroi. L’organisation avait récupéré de sa crise du début de l’occupation. Après le meurtre de Trotsky de nombreux militants à Anvers avaient repris du collier. Les contacts furent rétablis avec des amis à Bruxelles qui avaient suivi le même cheminement39 Abram Wajnsztok (alias Abraham Léon), Optat Henry (alias Sem), Camille Loots (Cami) et Philippe Szyper (Fraim) étaient les principaux protagonistes. Il n’y avait pratiquement pas eu d’arrestations parmi ce groupe en mai 1940.

Abram Wajnsztok, un polonais de 22 ans né à Varsovie, joua un rôle clé dans le groupe, si ce n’est dans toute l’organisation. Il avait émigré à Bruxelles en 1928 avec ses parents et avait milité dans l’Hashomir Hatzair (La jeune garde), le mouvement de jeunes sioniste-socialiste fondé au moment de la première guerre mondiale40. En 1939, il rompit avec l’Hashomir Hatzair avec environ 20 autres membres pour rejoindre le mouvement trotskyste41.Son ouvrage « La question juive. Une interprétation marxiste », une analyse originale de la spécificité et de la continuité de l’histoire juive a été publié de manière posthume après la guerre. Dans son introduction au livre, achevé en 1942, Ernest Germain (Ernest Germain) écrivait :

« Quand Léon fut gagné au communisme internationaliste, le mouvement ouvrier semblait éteint en Belgique… La situation semblait justifier la résignation et l’attente patiente. Tout autre attitude pouvait apparaître comme une manifestation de désespoir et de révolte impuissante. Ce qui manquait n’était pas tant le courage d’agir que le courage de penser, et de penser correctement…. Etablissant avec justesse les raisons de notre espoir, Léon notait que le mouvement ouvrier européen avait pratiquement atteint le point le plus bas de son reflux. Il fallait s’attendre à une nouvelle montée. Il fallait la préparer et non attendre passivement… »42.

Après une première année de guerre, une nouvelle phase d’activités commença sous l’impulsion de Léon, qui fut nommé secrétaire politique aussitôt que le regroupement fut consolidé. Avant même la fin de l’année, le groupe commença la publication du mensuel La voie de Lénine. Le journal était composé à Bruxelles, puis transporté dans une valise à double fond, à Liège où il était fabriqué dans une imprimerie clandestine. Le journal Travail du Mouvement syndical unifié d’André Renard était imprimé au même endroit43. Les trotskystes étaient restés en contact avec Renard, dirigeant des métallurgistes liégeois, depuis son retour d’un camp de prisonniers en 1942.

Ernest Mandel rencontra Léon pour la première fois à Bruxelles à l’occasion d’une réunion du Comité central du parti nouvellement reconstitué. Le parti avait changé d’appellation. Le Parti communiste révolutionnaire (PCR) remplaçait désormais le PSR. La réunion se tint peu de temps après le 22 juin 1941, le jour où l’Allemagne déclencha la guerre à l’aube contre l’Union soviétique.

Beaucoup d’enfants d’immigrants de l’Est avaient rejoint mouvement trotskyste à la fin des années 30.Comme Léon, ils avaient fait partie du Hashomir Hatzair. Là, ces jeunes avaient été préparés pour l’émigration en Palestine. Des branches du Hashomir Hatzair furent fondés à Anvers et à Bruxelles au milieu des années 20.La seconde génération d’immigrés comme Léon, dont l’intégration à la société non-juive tourna court du fait de la crise économique et qui rejetait tout retour à une vie juive traditionnelle, entra en rébellion. Se préparer à partir pour la Palestine se révéla incompatible avec une existence marquée par la pauvreté et le chômage. Le communisme apparut comme une porte de sortie. Alors qu’au début des années 30 la radicalisation profitait essentiellement à la IIIe Internationale, cette situation changea quand les communistes allemands se montrèrent incapables de bloquer l’accession d’Hitler au pouvoir. Les politiques nationalistes de Front populaire inspiré par la stratégie du Comintern et les procès antisémites de Moscou fermèrent définitivement la porte à ces jeunes juifs en voie de radicalisation. Tandis que le groupe anversois maintenait sa sympathie pour Staline, les jeunes pionniers bruxellois se révélaient plus ouverts à l’influence trotskystes à partir de 1936-37. Encouragés par Léon, ils rejoignirent finalement les rangs du PCR. Ce groupe juif a été renforcé également par un côté. En 1939 Paul Widelin (alias Victor) rejoignit le parti. Il avait aussi été membre de l’Hashomir Hatzair et avait vécu à Berlin jusqu’à l’invasion de la Pologne44.La Gestapo à ses basques, il fuit à Bruxelles en 1939.

Mandel était réellement surpris par l’audace de ce prometteur étudiant en mathématicien :

« Il ne ressemblait pas au type juif. Il regardait les allemands de haut, sans aucun complexe. Il était déjà expérimenté dans le travail clandestin »45.

Widelin partit pour Paris en mai 1943, et sortit le premier numéro du journal Arbeiter und Soldat (Travailleurs et soldat). Des soldats allemands participèrent à la distribution du journal jusqu’à ce que la trahison de l’un d’eux rende impossible la poursuite de ce travail. Widelin fut exécuté par la Gestapo en juillet 194446.

Dès que le parti fut rétabli, Léon commença à rétablir ses liens internationaux. Utilisant une liaison sûre entre Tourcoing et Mouscron, une délégation française apparut pour la première fois à Bruxelles en janvier 1942. Puis, la réunion de fondation du premier secrétariat européen se tint à Saint Hubert, dans les Ardennes. Les militants se rencontrèrent dans le plus grand secret dans une ferme, propriété de la famille de Optat Henry (Sem). Avec Sem, Léon et probablement Widelin représentèrent les Belges. Le discret Sem, enseignant à l’Université de Bruxelles, était membre depuis 1936. La réunion consacra son attention essentiellement à la question suivante : quelle analyse les trotskystes devaient-ils avoir sur la question nationale. Cette question concernait également les révolutionnaires belges.

Aussi longtemps que le régime nazi ne montra pas de signe de désintégration, voir et attendre plutôt qu’agir semblait l’attitude la plus sage. Lutter pour restaurer la démocratie parlementaire n’avait pas de sens. Cette position était en particulier défendue par Georges Vereeken, un militant de 45 ans, dans son journal Contre le courant. Cette position reçut un certain écho au sein du PCR. Au début de l’année 41, il y avait déjà eu des discussions en vue de la fusion entre le PCR et ce groupe de 20 ou 30 dissidents trotskystes. Mais en plus de vieilles divergences d’avant guerre –positionnement différent à l’égard du POUM espagnol, la politique d’entrisme (dans les partis sociaux-démocrates) ainsi que sur la nécessité de fonder une quatrième internationale- l’attentisme de Vereeken à l’égard de la résistance constitua une pierre d’achoppement. Léon n’avait que faire de Vereeken, chauffeur de taxi bruxellois et de son fatalisme à courte vue. Léon en appelait au soutien des trotskystes pour toute forme de résistance et la construction d’un mouvement ouvrier révolutionnaire. Tandis que certaines critiques laissaient entendre que le PCR n’était pas dénué d’accents chauvins47, Léon pouvait fièrement déclarer à son congrès de 1943 que pas une seule action sociale n’avait eu lieu en Belgique depuis 1941 sans que le parti n’y ait joué un rôle. C’était vrai en particulier en ce qui concerne les réactions provoquées par la fermeture de l’Université de Bruxelles, la grève de 1941 à Liège et la résistance à la déportation et aux mesures anti-juives.

Cependant, malgré ces actions encourageantes, aucune rupture ne se manifestait réellement. Selon Yvan Craipeau, le membre français du secrétariat européen, qui assistait au congrès belge, la conception que le parti se faisait de la résistance était trop éloignée de ce qu’elle était réellement. Mandel se demandait si le PCR serait capable de conduire le prolétariat à la victoire48. Dans un document de 25 pages serrées, il soulignait que tout dépendait de la capacité organisationnelle du groupe. Il argumentait pour un développement de la propagande au sein des jeunes ouvriers qui avaient moins été affectés par les démoralisantes défaites du passé. Mandel n’hésitait pas à se lancer dans la bataille de conviction. Quiconque qualifiant de germanophobie le combat contre les déportations ou encore de nationaliste une manifestation de la faim contre le quartier général allemand ne comprenait rien au combat prolétarien, expliquait-il. Il rejetait naturellement les illusions chauvines, mais insistait sur le soutien que les militants devaient apporter à tout type de combats. Chaque peuple, y compris les Flamands et les Wallons, a le droit à l’autodétermination disait Mandel qui venait de fêter ses 20 ans.

Même si des forces, comme le Front de Libération Nationale, sous influence des communistes, luttaient pour des objectifs nationalistes, rompre avec eux conduirait à la conclusion absurde que « le combat révolutionnaire et le combat de classe devait être suspendu tant que durerait l’occupation ». La contribution de Mandel démontrait une compréhension du patrimoine théorique du mouvement ouvrier. Il s’appuyait sur un riche réservoir de savoir historique et appuyait ses arguments sur une connaissance intime de Marx, Lénine, Luxemburg et Trotsky. Il était un pédagogue plus qu’un polémiste ou un pamphlétaire, même s’il assumait aussi cette fonction. Derrière les mots se tenait une personne qui montrait une pleine confiance dans ses capacités, avec une vitalité ici ou là pouvait aller jusqu’à la prétention.

VI. Arrestation

Etait ce une insouciance ou une sous estimation des risques ? Ou les trotskystes se montraient-ils seulement fatigués d’entendre toujours et toujours et combien l’activisme était dangereux ?

Toujours est il que les règles pour le travail clandestin n’étaient pas toujours suivies strictement. Les militants imaginaient que la Sicherheitspolizei (Sipo)49 avait à s’occuper d’ennemis plus important que d’un peu groupe de trotskystes. Mais avec l’opération Solstice –une vague d’arrestations le matin même de l’invasion allemande de l’URSS – ils furent néanmoins atteints. Au moins 13 militants furent arrêtés ce 22 juin 1941. C’était au moins un soulagement que la Sipo ne soit pas parvenue à atteindre les dirigeants. La plupart des 13 avaient arrêté leur activité au moment du début de l’occupation. Clairement, la Sipo avait conduit ses arrestations sur la base d’informations d’avant-guerre50. Néanmoins, ces arrestations constituaient un sérieux avertissement.

Pourtant, la vigilance laissa place à la routine. Les dangers ne menaçaient que rarement la vie. Qu’en était-il de la peur quand la réaction de l’occupant aux grèves massives dans la région de Liège se soldait par une punition imposant 8 jours de travaux forcés à ces centaines de grévistes ? La situation n’était pas sensiblement différente dans d’autres parties de la Belgique. Jef van der Elst rapporte comment le patronat ne réagissait guère en cas de sabotage de peur de problèmes plus importants51.

Van der Elst et Mandel discutaient ouvertement et régulièrement. Dans la marge du manifeste jaune, Van der Elst nota : « Ecrit et distribué grâce aux capacités de Mandel », témoignage silencieux de leur intense collaboration. Van der Elst a été amené à travailler dans l’entreprise d’aéronautique EKLA, à côté de Deurne. En tant que plombier il gagnait un très bas salaire. Des avions de la Luftwaffe y étaient réparés. Un collègue allemand lui montra comment saboter les freins d’une manière à ce que l’avion ne s’écrase qu’au troisième ou quatrième atterrissage Quand il en eu la possibilité, il revint à son travail dans les chantiers navals. C’était l’endroit où son cœur résidait, parmi des travailleurs qui l’accueillirent comme un de leurs dirigeants.

Malgré le courage des gens, la frivolité et l’absence d’expérience finirent par faire des victimes. Ernest Mandel vivait dans la clandestinité depuis août 1942, soit depuis longtemps que d’autres dirigeants. Recherchant les rédacteurs de Het Vrije Woord, la Sipo l’avait forcé à la clandestinité. Les rafles de juifs à Anvers l’avaient également contraint à faire attention. Aussi longtemps que les autres membres du parti avec qui Mandel était en contact continuaient à vivre légalement, les risques restaient grands. L’un d’entre eux était Camille Loots que deux agents en civil de la Gestapo arrêtèrent le 4 décembre 1942 à son travail, juste après la pause déjeuner. Loots travaillait comme assistant au fonds central pour la distribution des primes sociales et fiscales dans la rue Royale à Bruxelles. Des collègues de travail l’avait trahi quand il avait essayé de manière peu discrète de recruter un de ses collègues pour la résistance. Loots fut transféré dans le prison de Saint-Gille et interrogé plusieurs fois au quartier général de la Gestapo dans l’avenue Louise. En même temps, sont appartement à Sint-Agatha- Berchem à proximité de Bruxelles était recherché.

Mandel s’y cachait depuis septembre 1942 et il venait juste de quitter l’appartement lorsque les allemands y arrivèrent. Soudain, il s’aperçut de l’oubli de son sac à provisions, retourna chez lui et tomba nez à nez avec la Gestapo. Qui était il et que portait-il dans son sac ? Mandel leur montra sa carte d’identité au nom de Ernest Raes et ouvrit son sac, tandis qu’un paquet de tracts qu’il avait imprimé la veille avec Loots s’en échappait. A leur quartier général de l’avenue Louise, la Gestapo se rendit compte que la carte d’identité de Mandel était falsifiée. L’adresse qu’il donné était également fausse. L’interrogatoire s’intensifia. Un échange de courriers entre Referat IV A –le département de la Sipo spécialisé dans la lutte contre le communisme et le marxisme – et la prison de la Wehrmacht à Saint-Gilles montre que l’identité du prisonnier fut rapidement découverte52. Un avertissement urgent : une étoile juive était apposée au stylo dans les marges. A Anvers, la Sipo confirmait que la maison de la rue Cruyslei avait été abandonnée depuis un moment ; leur recherche touchait à sa fin. Un petit groupe de camarades, dont Albert Clément et Claire Prowizur, se rencontra à Bruxelles. Albert, mécanicien de 26 ans, appartenait à la cellule n° 3, chargé des tâches techniques et financières. Il était responsable de pour l’obtention du papier et u matériel d’impression, payer les salaires des permanents et soutenir les camarades et leur familles qui avaient plongé dans la clandestinité. Il n’y avait jamais assez d’argent, mais avec des moyens dérisoires ils se débrouillaient toujours.

« Combien ça coûterait ? » demanda Clement, brisant le silence, «c’est ce qu’ils avaient trouvé pour essayer de libérer Ernest ». « Il faut qu’on ait le contact » dit-il en se tournant vers Claire, « avec une femme qui a des relations avec la Gestapo et qui peut avoir une influence sur sa relâche. Peux-tu faire ça ? »53. Clairette avait 20 ans et venait juste de se marier avec Philippe Szyper, un tailleur, membre du Comité central du PCR. Les deux étaient enfants d’immigrants polonais. Ils s’étaient connus dans la branche bruxelloise du Bund, le mouvement socialiste juif non-sioniste affilié l’Internationale socialiste. Le PSR avait demandé à Philippe d’adhérer au Bund afin de développer des contacts avec ce qu’ils considéraient comme des éléments intéressants. A 17 ans –« j’évoluais lentement vers le trotskysme » –Claire avait abandonné le judaïsme et rejoint le PSR.

Claire ne connaissait pas Mandel personnellement. Elle l’avait rencontré une seule fois dans les bois de Waterloo, près de Bruxelles, où se tenaient des réunions. Claire ne réfléchit pas longtemps à la demande de Clément. Elle considérait comme un honneur que ses camarades l’aient chargé de cette dangereuse entreprise.

Deux jours plus tard, après un rendez vous téléphonique, elle se présenta dans l’après-midi à la rue Vleugatsesteen. « Elle ouvrit la porte… En face de moi se trouvait une femme qui était encore belle, grande, les ongles faits, fière… Elle avait 40 ans. J’en avais 20. Nous avions une seule chose en commun : nous étions toutes les deux juives ! » Clairette demanda si l’autre femme pouvait entrer en contact avec Ernest. Il était clair qu’elle était dans la gueule du lion. A l’étage inférieur, des hommes parlant allemand poursuivait une vive conversation.

« Quand elle demandait, je répondais « Oui, il est juif ». Claire se souvenait : « J’ai répondu à sa seconde question « Oui, moi aussi ». Claire lui fournit une description sommaire d’Ernest : grand, cheveux noirs, des yeux profonds et perçants, une forte bouche et une voix enrouée, un rire sarcastique avec lequel il conclut en général ses phrases ». La femme dit qu’elle ferait de son mieux et demanda à Claire de revenir dans trois jours. Clairette consulta Clément sur ce qu’elle devait faire. La prochaine fois qu’elle verrait la femme, elle demanderait à combien se monterait la rançon.

A la rencontre suivante, la femme déclara avoir rencontré Ernest et confirma qu’il était détenu comme prisonnier politique et non comme juif. Clairette l’interrogea sur la somme, ainsi que sur des preuves que la personne avec qui la femme s’était entretenue était bien Ernest. Ernest avait deux perruches. Pouvait elle lui dire lors de la prochaine rencontre quels étaient les noms des perruches et le titre du morceau de musique que la mère d’Ernest aimait à écouter ?

Le père d’Ernest qui suivait de près les négociations avait suggéré les deux questions. De fait, Henri était en train de remuer ciel et terre pour assurer la libération de son fils. Indirectement, il avait même essayé d’entrer en contact avec Von Falkenhausen, le commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France. Cette tentative n’aboutit nulle part. Cette nouvelle lui parut plus prometteuse et aussitôt qu’il y eut des nouvelles, il sortit de l’endroit où il se cachait pour se rendre à la maison des parents de Claire pour écouter les dernières informations rapportées par la jeune trotskyste. La femme avait demandé une rançon de 100 000 F, une somme considérable correspondant à la moitié du budget mensuel du parti.

De plus, elle demandait une avance de 30 000 F. Claire prit les billets fourni par Clément en silence, dans demander de précision sur la provenance de cet argent. Il ne le lui aurait pas dit de toute façon. A la rencontre suivante Claire reçut les réponses à ses questions : les perruches s’appelaient Titi et Bibi et le morceau préféré de la mère d’Ernest était Für Elise. Claire était enchantée, les réponses étaient absolument exactes. Elle tendit l’avance et sortit. Commença une longue période d’attente du coup de fil lui annonçant où et quand elle devrait déposer le reste de l’argent. Finalement, le message tant attendu parvint : la femme demandait à Claire d’apporter l’argent à l’adresse devenue familière. « Elle compta l’argent et me dit : demain matin, Ernest sera libre »54.

Dans sa cellule159 de la prison Saint6Gilles, Ernest ignorait tout de ces négociations étranges desquels dépendait pourtant son sort. La Sipo l’interrogea plusieurs fois, non seulement au quartier général de l’avenue Saint Louis, mais aussi directement à la prison. Le 5 janvier, un mois après son arrestation, la Sipo vint de nouveau le chercher. Un nouvel interrogatoire dans l’Avenue Saint- Louis ? Mandel surpris, ne pouvait pas imaginer que quelque chose puisse se passer. Il n’essaya pas de voir le document que les policiers avaient devant eux : « Ernest Mandel, né le 5-4-1923 à Francfort-sur-le-Main, dernière résidence connue 83 rue Cruyslei, Anvers-Deurne, doit être relâché aujourd’hui et amené au signateur de cet ordre »55. Mandel était menotté et s’assit sur le siège arrière de la voiture. Il se rappelle : Avant d’arriver à l’avenue Louise… là où se trouvait le quartier général de la Gestapo, la voiture s’arrêta à un carrefour. J’avais les menottes. Ce qui me permit de m’échapper c’est que du côté où j’étais assis, la porte de la voiture n’était pas fermée à clé. J’ai donc ouvert la porte et sautai hors de la voiture arrêtée et me perdis dans la foule. Ils me poursuivirent, mais sans parvenir à me rattraper »56.

Si l’on en croit le récit de Mandel, il ne devait sa liberté qu’à sa propre initiative. Quand il fut interrogé plus tard sur la version de Prowizur et la rançon versée, il ne voulut jamais l’admettre. Des documents provenant de son père, confirme bien qu’une rançon de 100 000 F fut payée pour Mandel. La coïncidence ne peut être écartée, mais il semble quand même improbable qu’un prisonnier soit transporté dans une voiture dont les portes ne sont pas fermées. La Gestapo, dont la discipline et la méticulosité étaient proverbiales, commettait rarement des erreurs comme celle là. N’est ce pas possible que l’évasion de Mandel ait été provoquée afin d’éviter les perturbations qu’une libération officielle eût immanquablement provoquée ? Un manque de précaution eut été plus facile à pardonner qu’un scandale liée à la corruption.

Quoi qu’il en soit, la raison pour laquelle Mandel tint en public sa propre version est néanmoins étrange. La raison la plus probable est certainement que Mandel éprouvait de la gêne à accepter que sa vie avait été sauvée ainsi alors qu’au même moment le parti semblait incapable ni organisationellement ni financièrement d’aider ses membres juifs à se cacher ou d’obtenir de faux papiers. Plusieurs sympathisants et un ou deux membres avait déjà été rassemblé à Mechelen, le premier pas vers leur déportation à Auschwitz en raison de doutes, de peurs, sans voix, peut-être ? Ils ne voyaient pas comment s’organiser pour leur propre sécurité et s’inquiétaient d’être perçus comme une charge57.Mandel n’avait pas exercé la moindre influence pour obtenir sa propre libération, pourtant un sens aigu de culpabilité le rongeait : pourquoi ai-je été épargné et pas eux ? De plus, Mandel ne ressentit pas l’intervention de son père comme libératrice. Elle accentuait sa dépendance à son égard alors qu’il cherchait à acquérir son indépendance. Après la guerre, Mandel ne revint que rarement en détail sur cette expérience difficile. En 1977 il s’adressait à Rodolphe Prager qui se penchait sur l’histoire de la résistance trotskyste durant la résistance :

« J’ai pu m’échapper grâce aux conditions crées par mon père… Mais je te demande de demeurer discret sur cette question de ma biographie car elle implique encore de délicates questions concernant la sécurité »58.

Durant son congrès de juillet 1943, le PCR reconnu qu’il avait failli « dans ses responsabilités en matière de cache de camarades juifs. Une ferme et claire direction aurait dû s’opposer au départ de camarades juifs ». Il mentionnait comme circonstances atténuantes que « Cacher des camarades de la direction, ceux les plus indispensables pour le Parti, constituait un problème pratiquement irrésoluble. De plus, la situation financière du parti se révélait particulièrement précaire à cette période »59.

Une fois libre, Mandel passa 14 jours dans les Ardennes, dans le village et la maison où se cachaient ses parents. Une fois qu’il eut récupéré, il choisit l’anonymat de la ville en lieu et place de la tranquille campagne. La ville fournissait protection et peu à peu les règles du travail clandestin était plus strictement appliquée dans le parti trotskyste. Les finances avaient commencé à se renflouer une fois que la commission financière-technique ait commencé à fonctionner60. De plus la direction était située à Bruxelles : Abram Wajnsztok (Léon), Optat Henry (Sem) professeur à l’Université de Bruxelles, Philippe Szyper, Charles Szatan (Bop) et Widelin (Victor).

Ernest pouvait facilement faire un saut au domicile familial de ses parents qui avait déménagé en mai 1943 dans une maison patricienne de la rue Charles Quint. Avec l’aide de Marcel Devlieghre, inspecteur chef de la compagnie général d’assurances belge, la maison était astucieusement camouflée en une agence de cette importante compagnie. Pendant que Henri Mandel recevait ses clients et leur faisait bénéficier des ses conseils, la machine à stencil dans la cave imprimait le journal en allemand Das Freie Wort61 (La parole libre) durant la nuit et les week-ends, puis poursuivait par le journal en flamand Vrank en Vrij62. Ces journaux furent publiés jusqu’en septembre 1944. Das Freie Wort, sous titré édition spéciale pour les soldats allemands et le personnel de la Wehrmarcht , était si populaire que deux soldats allemands, convaincu que leurs camarades devaient lire cette presse, trouvèrent moyen de rentrer en contact et offrir leur aide en le diffusant63. Joseph, un employé social-démocrate du service postal des armées, réussit à introduire « une rageuse propagande anti-nazie » dans des lettres de et à des soldats allemands déjà passées à la censure durant une période de 4 mois. Etant donnés les risques liés à la diffusion, les exemplaires était jeté dans des camions allemands et laissés derrière les baraques, restaurants et cafés où des soldats se retrouvaient, le journal ne comptait que deux pages.

Rétrospectivement, l’entreprise semble aussi incroyable qu’absurde. Michel et sa mère pouvait bien déjà avoir de faux papiers, mais sous un autre nom que ceux de Henri. A des voisins curieux, il fut expliqué que Henri Mandel était célibataire, Rosa sa soeur et Michel son neveu. On ne pouvait les voir que les week-ends, dans le rôle de visiteurs qui venaient s’occuper d’Henri. Ils restaient le reste de la semaine dans le sous sol, ne sortant cherche l’air qu’à la tombée de la nuit. A partir de 1943, le sous sol accueillit également le père de Rosa ainsi que son frère célibataire Motek. Ils avaient essayés de rejoindre la Suisse, mais leur guide grassement payé les avait pourtant abandonné. Paniqués, ils retournèrent à Bruxelles, où ravitaillement contrefaits sur la marché noir. Il compléta ses moyens par des vols et des escroqueries.

Henri les installa. Etant pratiquant, ils laissèrent repousser leur barbes rasées pour s’enfuir et refusèrent un le moindre morceau de viande jusqu’à la fin de la guerre car elle n’était pas kasher.

VII. Clandestinité en France

Ernest n’ayant pas de penchant patriotique ou volonté de défendre l’effort de guerre allié, il contribuait régulièrement à Das Freie Wort. Il était responsable de la rubrique « Les poètes allemands s’adressent à vous », avec des vers rebelles de poésies de Schiller, Herwegh et Goethe, destinés à miner le moral au sein des troupes de Hitler. Il analysait aussi l’évolution des fronts militaires64. Son article sur les camps d’extermination en Pologne était aussi plein de rage qu’alarmiste :

« Les assassins et criminels nazis sont en train de tuer des milliers des innocents sans défense, femmes et enfants, simplement parce que ces polonais, russes et juifs sont considérés comme des sous-hommes ! L’humanité civilisée ne peut et ne veut tolérer ça ! Chacun d’entre vous, soldats allemands, est complice, même si vous ne faites que garder le silence, à moins de ne se rebeller contre ce crime. Pas un seul de vous ne se réfugier derrière les « ordres venus d’en haut » ou son devoir de soldate. Même dans cette situation, il y a des limites qu’un soldat ne peut pas franchir. Votre devoir est d’arrêter les activités des brutes nazies : les chiens enragés doivent être enchaînés »65.

En même que la propagande pour le groupe Vrank en Vrij, que La Voie de Lénine des trotskystes et du de son édition flamande Klassenstrijd (Lutte de classes), Ernest Mandel se trouva impliqué dans le travail international. Après Stalingrad (novembre 1942) et la chute de Mussolini, les camarades sentirent souffler le vent de la révolution. Les contacts avec les camarades français furent intensifiés. Dans l’été 43 un nouveau Secrétariat européen provisoire fut formé. Lequel développa un projet d’une conférence européenne pour février 1944 élargie et ouverte à toutes les organisations qui acceptaient les principes de la IVe Internationale et du programme de transition66. En novembre 1943, Ernest Mandel, accompagné de Paul Widelin, se rendit à Paris. C’était un voyage risqué car Widelin était recherché par les Allemands en France. Il avait vécu à Paris pendant un moment après mai 1943, aidant à la publication de Arbeiter und Soldat, qui avait une audience parmi les soldats allemands, en particulier à Brest67. Quinze soldats allemands participèrent même à la diffusion du journal. A la suite d’une dénonciation, le groupe avait été brisé en octobre. Widelin était parvenu à s’échapper et à fuir en Belgique. Un mois plus tard, il était de retour à Paris avec Mandel. La conférence se déroula début février 1944 à Saint-Germain-La-Poterie, à côté de Beauvais (Oise). C’était le premier rassemblement international depuis la mort de Trotsky en août 1940. Mandel et Léon se rendirent à Beauvais via Paris, où ils furent pris en charge cachés sous la toile d’un petit camion de livraison.

La réunion dura 6 jours et nuits, interrompue seulement par quelques heures de sommeil sur le plancher d’une grange isolée. La chaleur du feu ne réchauffait que la moitié de la pièce si bien que les 15 délégués échangeaient régulièrement leur place près du feu. Les jeunes militants de la section française assuraient la sécurité, armé de revolvers68.Le débat porta entièrement sur la révolution européenne à venir, dans laquelle, chacun en était convaincu, le prolétariat allemand jouerait un rôle clé. Les évènements en Italie entre Juillet et septembre 1943 n’étaient qu’un modèle réduit de ce qui se préparait pour l’Europe. Une fois que la classe ouvrière allemande suivrait l’exemple italien, plus rien ne pourrait se dresser contre la guerre civile révolutionnaire tant attendue. Après tout, les trotskystes partageaient cette analyse avec Roosevelt, Churchill et Staline, bien que les aspirations des trotskystes soient à l’opposé de celles des dirigeants alliés. Ils consacrèrent beaucoup de temps à débattre de l’importance de campagnes destinées à la fraternisation avec les « travailleurs allemands sous l’uniforme ». Les trotskystes étaient certainement très optimistes. Peu d’entre eux doutaient de la capacité du prolétariat à former des partis révolutionnaires. Seul Mandel et Abraham Léon en appelaient à la prudence. Mandel parla d’une crise structurelle internationale du mouvement ouvrier, liée au bas niveau de conscience des travailleurs et à leur réformisme69. Les camarades français rejetèrent cette analyse comme non-marxiste. Selon eux, Mandel adoptait une position fausse en reliant la classe, le parti et la direction révolutionnaire, de telle sorte que « si la direction dégénère, le prolétariat a aussi dégénéré »70. Selon les opposants de Mandel, les défaites étaient la conséquence non du de la crise du mouvement ouvrier, mais d’une crise de la direction révolutionnaire seule. Leur argument se situait dans le prolongement du programme de transition71. Qui alors oserait remettre celui-ci en question ?

Pourtant, là résidait le talon d’Achille de l’analyse trotskyste : la perspective révolutionnaire apparaissait réduite au court terme. Que se passerait il si le mouvement de masse en Europe ne suivait pas l’exemple italien ? Que se passerait il si le rythme et l’étendue de la radicalisation en Allemagne et en France traînait ? Que se passerait-il si de nouveaux partis révolutionnaires n’émergeaient pas ? N’étaient ce pas des possibilités après 25 ans de défaites ? Fondamentalement le fascisme et le stalinisme étaient les conséquences des défaites sociales, non leur cause.

Peut-être une analogie trop rapide avec les évènements suivant la première guerre mondiale était-elle proposée ? Même si l’analogie était valable, ne fallait il pas logiquement prendre aussi en compte le destin tragique de la révolution des conseils de novembre 18 et pas seulement la révolution victorieuse en Russie ? Quand un mouvement révolutionnaire avait échoué en Allemagne, les révolutionnaires avaient été complètement coupés des masses. Ils avaient passé plus de 15 ans entraînés dans une bataille sans résultat contre le réformisme. Cette situation pouvait peut-être porter de fortes ressemblances avec les circonstances dans lesquels se débattait les trotskystes actuellement : le même isolement et les mêmes difficultés et si ce n’est le même sectarisme au moins la même faiblesse ? Les révolutionnaires seraient-ils en mesure, cette fois-ci, d’influencer le cours de l’histoire ? S’il restait une chance, selon Mandel, c’était uniquement en raison de : « la stagnation de son mouvement… seule impose une tâche plus importante, plus urgente et plus compliquée sur la jeune direction communiste en Europe pour conduire le mouvement révolutionnaire à la victoire : la tâche de reconstruire l’ensemble du mouvement ouvrier sur des nouvelles bases, ré-éduquer les masses et créer les préconditions subjectives pour une victoire après la période des plus noires défaites »72.

Pour Mandel, le problème ne se résumait pas le « facteur subjectif » à la question du partie ou de la direction révolutionnaire. La reconstruction du mouvement ouvrier dans son ensemble était prise en considération.

VIII. Nouvelle arrestation et déportation

Jusqu’alors, le centre de gravité du parti avait été situé à Bruxelles. Le parti avait été peu impliqué dans les centres industriels de Liège, Anvers et Charleroi. Dans le Centre et le Borinage, l’influence qu’il avait eu au début de l’occupation avait en fait largement disparu. A partir de cette période, l’activité en direction des usines et des mines de Liège et de Charleroi devint l’objectif principal. Pendant que Mandel prenait la responsabilité de Liège, Abraham Léon était chargé du travail en direction des mineurs de Charleroi. Afin d’être en contact quotidiennement, Léon décida de s’installer à Charleroi avec sa femme Tsica Silberstein (alias Marie).

L’activité de solidarité avait commencé dès la grève de mai 1941 à Liège. La Voie de Lénine était distribuée à la porte de l’entreprise Cokerill une compagnie métallurgique géante de 20 000 employés. Les trotskystes considérèrent l’organisation des métallurgistes de Liège comme le prototype des combats futurs. Les comités d’usines s’étaient organisés eux-mêmes sous la direction de André Renard dans un syndicat unifié, le MSU (Mouvement syndical unifié), indépendant des partis socialistes et communistes. Fâché de la perte de son influence dans l’industrie métallurgique liégeoise –un bastion communiste jusqu’en 1942- le PC s’engagea dans une campagne contre Renard et le journal Travail. Le fait que les premiers numéros de Travail aient été imprimés sur les presses de La voie de Lénine contribuait à l’hostilité communiste. Le PCR fut l’objet de sérieuses attaques. « Ils se dressaient totalement contre nous dans trois ou quatre numéros de leur journal en Une. Ils nous traînaient dans la boue, nous traitant de fascistes, collaborateurs »73. C’était ordurier disait Mandel. Se référant au meurtre de Walter Dauge peu de temps après, il ajoutait « Ce n’était pas suffisant pour eux d’argumenter politiquement, ils allèrent jusqu’aux actes ».

L’influence du PCR parmi les ouvriers métallurgistes de Liège était somme toute limitée. Il n’y avait qu’une poignée de militants. Jusqu’à la fin 43, sa presse n’avait que des sources limitées : le téléphone arabe, bien sûr, la presse allemande et collaborationniste, la BBC, Radio Moscou, puis, après le débarquement en Afrique du Nord, Radio-Alger. Une fois les sources d’information européennes restaurées, les nouvelles passèrent à travers la résistance française, mieux organisée. L’information selon laquelle des contacts existaient entre les entreprises allemandes et américaines via le Portugal fut un scoop sensationnel. La voie de Lénine rapporta cette information et les trotskystes décidèrent de la publier dans des tracts bilingues à destination des soldats allemands avec le point principal suivant : « Vous avez été envoyé à l’abattoir, conduit au poteau d’exécution pendant que les maîtres réels de l’Allemagne sont en train de négocier pour sauver leur bénéfices mal-acquis »74.

On ne sait pas combien de temps ils restèrent à distribuer leurs journaux et tracts dans la rue Jean à Seraing. Mais la Gestapo a du les prendre par surprise. Seul Optat Henry parvint à s’enfuir. Pour Mandel, il n’y avait aucune chance de s’échapper. Un mois avant la conférence européenne, il était arrêté pour la seconde fois. Le 29 mars, un jour après son arrestation il était transféré à la prison Saint Léonard, près de la citadelle de Liège. Son procès se déroula un mois et demi plus tard. Paradoxalement, il eut de la chance d’être accusé de s’attaquer à la Wehrmacht. Cela signifiait qu’il tombait sous la juridiction militaire plutôt que sous celle de la SS. Le 12 mai 1944, devant la cours martiale du Haut commandement de Liège il était condamné à deux ans et demi de travaux forcés. En étant ramené à sa cellule, Mandel eut la joie d’entendre son gardien allemand lui parler du contenu du tract qui avait été brandi comme preuve contre lui : « C’est une information vraiment intéressante. Pensez vous que ce soit vrai ? »75. C’était une récompense d’avoir semé le doute au moins parmi quelques rares sujets du Reich allemand.

Indirectement, Mandel écrivit à ses parents qu’il était « en possession de ses moyens intellectuels, en pleine forme et bine. Bien sûr je souffre en pensant à mes pauvres parents. Si seulement je pouvais savoir où est ma chère petite mère - hélas, je suis totalement dans l’ignorance- je pourrais la prier de rester forte et courageuse »76. A l’aide de ses lignes, il exprimait clairement, dans un langage codé, qu’il n’avait pas oublié l’adresse de la rue Charles Quint. Les allemands étaient intéressés par le groupe Vrank en Vrij, pas par la

Quatrième Internationale. De nouveau, dans sa dernière lettre que Mandel écrivit avant sa déportation, il mettait en garde dans un passage réellement inquiétant, que ses parents avaient jouer un rôle important dans ses interrogatoires ! « Il y a deux semaines, un SS Oberstumführer me disait qu’ils étaient tous à Auschwitz en Haute Silésie et que sans doute mon père y exerçait là bas sa profession. J’étais très heureux d’entendre ça »77.

Après sa condamnation, les conditions d’emprisonnement devinrent moins dures. Il pouvait recevoir des paquets, écrire des lettres et était autorisé à recevoir des visites. « Mais, évidemment, je ne m’y attendais pas », écrivit-il, réaliste. Il approfondit ses lectures de Verlaine, Rimbaud et Melville. La veille de son transport, il était pleinement confiant en lui, seulement un peu mélancolique : le cœur peut être troublé et l’esprit peut divaguer ; mais mon inébranlable volonté dit : « Patience. Tout vient à qui sait attendre »78. Et j’attendrai ». Il avait été convenu que Abraham Léon serait le responsable du travail à Charleroi. Deux semaines après soit expédié en camp, Léon et sa femme s’installèrent à Charleroi. Ce soir là, ils s’installèrent dans la maison de Olivia Ruland, alias Yvonne, 28 ans. Dans le cours de la soirée, plusieurs autres camarades les rejoignirent : le petit Jules Henin, plus de 50 ans, avec des cheveux blonds et la majesté d’un patriarche, Florent Gallois, ancien mineur comme Henin. Il y avait aussi un échappé, prisonnier de guerre russe, qui avait travaillé dans les mines et qui se cachait dans la maison d’Yvonne. La maison était remplie de littérature clandestine, d’argent, une radio, des textes de propagande et du matériel d’imprimerie. Cette absence de précaution habituelle était caractéristique de la manière dont l’activité clandestine était conduite.

« Aufmachen ! Aufmachen !! » (Ouvrez, ouvrez !!). Avant même qu’Yvonne n’ait totalement ouvert la porte, la police militaire allemande était à l’intérieur. Il était passé minuit et les allemands faisaient une ronde de vérification d’extinction des feux. Ils remarquèrent un rai de lumière provenant d’une fenêtre. Aussitôt qu’ils entendirent le bruit, Henin, Gallois et Tisica, la femme de Léon s’échappèrent par la porte de derrière. Léon et l’évadé russe se trouvaient dans les chambres en haut. Les soldats trouvèrent du matériel suspect partout. Ils appelèrent immédiatement du renfort et procédèrent à une fouille minutieuse durant quatre heures. Léon admis lors de son premier interrogatoire être un juif se cachant. Yvonne, Léon et le russe furent expédiés en prison. De longs jours de torture physique et psychologiques suivirent. Léon nia être militant politique79.Il parvient à gagner la confiance d’un garde qui l’aida à sortir en fraude du courrier pour ses camarades de parti. Il les pressait, sans ressentiment, d’être extrêmement prudent :

« Votre propre peau ne ressentira pas les effets de votre absence de précaution mais celle de quelqu’un d’autre »80. Un plan fut élaboré pour libérer Léon. Ils devaient faire vite. Léon avertit que Yvonne ne pourrait pas supporter la torture plus longtemps81. Les SS menaçaient : si je ne parlais pas, ils me battraient à mort » et il ajoutait « ils sont capables de tenir leur promesse. Tentez tout pour organiser une évasion »82. Léon demanda qu’on lui procure du poison. Le mardi 20 juillet, il écrivit ses dernières lignes. Il pensait qu’il allait être transféré à Mechelen : « J’espère que ferez tout ce qui est possible pour poursuivre la lutte après mon départ… Je ne sais pas quel sort m’attend, mais vous devez savoir que quoiqu’il arrive, mes derniers mots seront « Vive la Quatrième Internationale »83. De Mechelen, Léon fut déporté à Auschwitz.

Mandel et Léon avaient partagé d’intenses années ensemble. C’étaient deux garçons qui avaient rompu avec la communauté juive sans renoncer à leurs origines. L’histoire ne leur laissa pas le choix. Ce n’est pas tant leurs idées que la vie elle-même qui avait rendu un futur respectable impossible pour eux. Les contradictions de la société moderne –entre les riches et pauvres, entre dominants et dominés et le fossé apparemment insurmontable entre les juifs, les étrangers d’une part et le monde d’autre part – semblaient insupportables. Leur esprit mit en forme leur faculté de rébellion qu’ils portaient dans leur âme. L’un vint en contact par l’intermédiaire des réfugiés politiques allemands, l’autre par le biais de la gauche du mouvement de la jeunesse sioniste. Ils tentèrent de comprendre le monde sur la base de la notion de lutte de classes. Cela les aida à rompre les liens familiaux et le respect pour l’autorité traditionnelle. Ainsi que l’exprima Mandel, leur esprit libéra leurs caractères. Ils apprirent à les mettre au service d’un seul but : la lutte pour le socialisme. Leur individualité fusionna avec leur idéal. Et plus ils subirent d’épreuves durant les années de guerre, plus ils s’engagèrent dans la résistance.

Ils partageaient l’aversion pour le chauvinisme, y compris dans sa version sioniste de gauche.

Léon s’en est libéré par le biais de son étude de l’histoire juive. Mais ils étaient également déterminés dans leur opposition à l’indifférence pour la question nationale. En aucune manière leur internationalisme n’excluait la participation aux luttes contre l’oppression des occupants. Maintenant, l’un et l’autre étaient victimes de cette lutte et personne ne connaissait le sort de l’autre. Léon ajouta un post-scriptum à son dernier courrier sorti clandestinement de prison : « Je compte sur toi pour publier, aussitôt que les circonstances le rendront possible, mon travail sur la Q (Question) J (Juive), qui est très important pour moi »84. Immédiatement après la guerre, les éditions Pionniers à Paris publièrent de manière posthume « La question juive. Une interprétation marxiste ». Sous son nom de plume de Ernest Germain, Mandel écrivit une esquisse biographique de son camarade de combat dont il se considérait l’élève.

IX Vers la Libération

Quand il fut déporté vers le IIIe Reich au printemps 1944 en compagnie de neuf autres prisonniers, Mandel commença un voyage qui voulait l’amener à une demi-douzaine de prisons et de camps de travail. Le fait qu’il en soit sorti vivant peut être considéré comme un miracle. En tant que combattant de la Résistance, que juif et trotskystes, méprisés par ses compagnons staliniens de détention, ses chances de survie étaient minimes. Il disait lui-même :

« Je ne voudrais pas exagérer parce qu’il fallait aussi compter avec la chance. Mais… Je ne me comportais pas comme la plupart des prisonniers belges et français qui étaient très antiallemands. Je cherchais délibérément des sympathies politiques parmi les surveillants. C’était la chose la plus intelligente à faire, y compris du point de vue de survie »85.

Dans le camp de Hürtl-Wesseling, près de Cologne, les gardes n’étaient pas membres de la SS, comme dans les camps de concentration, mais des gardiens professionnels depuis les années 20. Une petite partie d’entre eux avait un passé social-démocrate, ainsi que le remarqua Mandel. Il trouva également un esprit similaire parmi les compagnons allemands de prison. Il entra en contact avec le fils d’un cheminot socialiste de Cologne qui lui assura que son père l’aiderait s’il parvenait à s’échapper. De cette sorte le plan d’évasion de Mandel prit forme.

Mandel fut affecté à un travail à l’IG Farben, un des plus grand complexe chimique allemand. Environ 60 000 travailleurs – russes et prisonniers de guerre occidentaux, prisonniers politiques, travailleurs forcés des camps de concentration ainsi que des ouvriers civils allemands – produisaient du pétrole synthétique pour la machine de guerre nazie. C’était un microcosme de la société européenne sous la férule nazie. Dans un camp précédent, il avait été affecté à un poste d’infirmier assistant. Là, le travail devint une charge beaucoup plus pénible. Il n’avait jamais fait de travail physique lourd auparavant. De plus, il devait en franchir toutes les étapes. Plusieurs prisonniers polonais découvrirent qu’il était juif. Seule l’intervention d’un prêtre permis d’empêcher que les antisémites ne l’assassine. Revenu à la maison, il écrivit :

« Le travail forcé est une grande école de stoïcisme et de patience et Dieu sait si j’en avais pris bonne leçon. On y prend une meilleure conscience de la vraie valeur des choses. Plus d’une fois des pensées essentielles ont sombré dans l’insignifiance et les vraies choses précieuses apparaissent dans une clarté lumineuse. Je pense –j’en suis convaincu – que non seulement je ne quitterai pas le camp plus sérieux et plus réfléchi mais aussi que plusieurs de mes défauts de caractères auront disparu »86.

Avec l’aide de compagnons de prison, Mandel parvint à se procurer des gants et échanger son uniforme de prisonniers pour des vêtements civils. Il avait remarqué que l’électricité pour la barrière électrique était temporairement arrêtée pendant le changement de gardes. Il décida de prendre le risque. Il escalada les fils de fer barbelés aussi rapidement que la lumière et disparut dans la forêt. C’était une tentative désespérée avec 9929% de chance de se faire tuer immédiatement si sa tentative échouait. Il profita de la liberté un jour durant. Le matin suivant, il fut capturé en direction de Aachen, dans les forêts proches de la frontière belge. Ne donnant pas le nom du camp duquel il s’était évadé, il fut conduit à la prison de Sieburg, où il fut battu pendant deux semaines et enchaîné dans le donjon avec deux tranches de pain comme seule nourriture. Finalement, il révéla le nom du camp et fut conduit devant le commandant. Mandel se souvenait encore de l’étonnement du commandant un quart de siècle plus tard :

« Vous êtes un oiseau rare. Savez vous que si vous aviez été immédiatement ramené au camp, vous auriez pu être pendu immédiatement ? Je répondis oui. Il me regarda comme un fou »87. Ces épreuves avaient affectés Mandel. Depuis le début de l’occupation il avait de l’eczéma lui rongeant les jambes de temps en temps. Il était terriblement maigre et avait des palpitations cardiaques. D’être transbahuté de camp en camp aggrava encore sa situation. Il fut mis à l’infirmerie a Eich en raison d’un oedème de la faim. Le 25 mars 1945, les américains le délivraient à Niederroden.

Malgré sa joie d’être libéré, Mandel se posait de nombreuses questions. Retrouverait-il sa famille saine et sauve de la clandestinité ? Qu’en était il de la si attendue révolution allemande ? Cet espoir allait-il se réaliser ou en rester au stade du rêve ? L’attente de la révolution avait permis à Mandel de tenir : « J’étais presque heureux d’avoir été déporté en Allemagne. J’étais rempli d’une folle confiance. : J’étais sur le point d’être au cœur de la révolution »88.

Dans la rue Charles Quint à Bruxelles les parents d’Ernest ignoraient le destin de leur fils. Personne ne savait s’il était toujours en vie et si oui, où il était. Le 26 avril, le service des rapatriés les informa qu’il n’avait trouvé aucune trace de lui. Ils furent sans voix quand Ernest frappa à la porte le même après-midi. Il avait pris un train depuis Darmstadt, dans des souliers militaires, terriblement amaigri, vêtu de hardes, sans sous-vêtement ou manteau. Pendant presque un mois, il avait travaillé comme traducteur pour ses libérateurs et aider au rapatriement de prisonniers politiques. Il s’était remis rapidement sur pieds, à en juger par une lettre (en anglais) arrivé peu après son retour : « Je serai là sous peu avec plein de souvenirs à écrire, écrire et écrire tout ce que j’ai vu, entendu et vécu seulement et qui m’a confirmé dans mes convictions. Je suis aussi impatient de me remettre au travail –s’il vous plaît essayer de recueillir des informations sur les facilités d’examen offertes pour des étudiantes de ma sorte »89.

Toute la famille avait survécu à la guerre –même le vieux père de Rosa et son frère Motek était en vie- mais ils n’étaient pas heureux pour autant90. Une ombre pendait sur eux en raison du sort réservé à la mère d’Henri, à sa sœur et son frère à Auschwitz.

Les gens qui étaient revenus des camps ou qui s’était sorti de l’étreinte de la Gestapo n’avait que peu d’inclination à s’étendre sur le passé. « Tu ne peux me demander de te raconter sans cesse la terreur nazie », écrivait Henri91 ; les Mandel trouvèrent douloureux de déterrer les souvenirs. Ernest préférait également oublier la guerre. Le jour où les nazis capitulèrent, il fit une exception pour Gina, la sœur de son père qui avait émigré en Palestine en 1926 :

« Les conditions de vie furent pire que tout, l’obligation à vivre avec de faux papiers, de se cacher, de rester cloîtré quand ce n’était pas absolument nécessaire de fuir, l’absence de lien avec le monde libre et la pensée libre. Le seul luxe que nous puissions éprouver était la radio que nous avions l’habitude d’écouter du matin jusqu’au soir.
Jusqu’à mon emprisonnement dans les camps, je dois reconnaître que je n’avais jamais étébattu ou mal-traité. Néanmoins, les conditions de vie étaient insatisfaisantes, principalement en raison du manque de nourriture, du dur travail –spécialement pour un étudiant comme moi qui n’était pas habitué au travail manuel –et toutes sorte de tracas moraux : cheveux rasés, nous n’avions pas le droit de lire ou d’écrire. Durant quatre mois nous n’avons pas eu d’eau pour nous laver, on était contraint d’exécuter des travaux repoussants, étions commandés par des criminels, etc. J’ai vécu dans cette atmosphère durant 14 mois »92.

Ernest ne rentré pas plus dans les détails. Il avait le futur devant lui et non derrière. Il y avait des questions plus urgentes qui demandaient son attention

X. Epilogue

Après la guerre, Ernest Mandel se consacra à la construction de la IVe Internationale en formant une tendance révolutionnaire dans la social-démocratie belge. A la demande d’André Renard, il prit part à une commission d’étude de la FGTB chargée de développer une alternative au pouvoir des multinationales financières. Son résultat consista en un programme pour des réformes structurelles anticapitaliste qui devint la plate-forme de la grève générale Belge de l’hiver 1960-61.

Dans le même temps, il finit ses études à l’Université Libre de Bruxelles et commença ses récentes sur les tendances du développement du capitalisme moderne. Cela le conduisit à la publication, en 1962, de sa Théorie économique marxiste, suivi dix ans plus tard par son oeuvre maîtresse « Le troisième âge du capitalisme »93. La Freie Universität de Berlin accepta ce travail comme doctorat.

L’activité politique révolutionnaire et les études universitaires furent les piliers sur lesquels Mandel essaya de construire une nouvelle Babylone, qu’il enrichit avec des aperçus non orthodoxes, dans la meilleure tradition du mouvement ouvrier marxiste.

Depuis son jeune âge Mandel avait toujours impressionné les gens en raison de son talent, de sa créativité et de son sens aigu de la justice. L’éducation et son milieu familial juif d’orientation socialiste lui offrirent un moyen de d’orienter son tempérament et sa rébellion contre le monde extérieur. Alors que la montée du fascisme et l’empreinte du stalinisme assombrissait ce monde, il pouvait compter sur l’attention de ses parents prévenants et sur ses amis politiques. Ils lui transmirent l’amour des études et des arts et lui firent faire connaissance avec la solidarité et la résistance à la période de la guerre civile espagnole et des procès de Moscou. Il apprit à comprendre le monde sur le base de ces idées et à rechercher des contacts qui lui permettent de donner forme à ses hautes aspirations. La vie parmi le milieu des révolutionnaires exilés lui inspira une vision internationaliste au sein de laquelle son origine culturelle et ethnique demeura visible.

Mandel préférait se caractériser comme un « internationaliste flamand d’origine juive ». Cette caractérisation le définissait comme, selon l’expression empruntée à Isaac Deustcher, un « juif non-juif » : un hérétique évoluant le long de la frontière entre différentes civilisations et cultures, dont la pensée transcendait le niveau de sa propre société94.

L’occupation renforça les convictions internationalistes de Mandel –pas moins qu’à travers ses contacts avec les soldats allemands, les gardes et ses compagnons de prison qui l’aidèrent à survivre aux camps nazis. La terreur nazie le força à prendre conscience de ses origines flamandes et juives. Dans sa postface au livre d’Abraham Léon, Mandel dessine un lien entre la question juive et la possibilité d’une révolution mondiale. Comme Léon, il défendait le droit à l’autodétermination pour les peuples occupés et opprimés sans cacher ses critiques des alliés ou de ceux qui rejoignant la Résistance officielle placèrent le prolétariat dans la dépendance de sa propre bourgeoisie. La contribution de Mandel aux débats sur la question nationale, la stratégie révolutionnaire, le stalinisme et l’Holocauste figurent parmi ses écrits les plus marquants dans ces années là.

D’un autre point de vue également, le mouvement trotskyste était moins marginal que sa petite taille aurait pu le laisser supposer. L’idée que la guerre aurait des conséquences sociales et politiques profondes sur chaque continent était particulièrement répandue parmi les cercles trotskystes. Ce pronostic fut amplement confirmé par la réalité. Les espoirs trotskystes, liés à ce pronostic, de créer une rupture en direction d’un nouveau parti de parti de la révolution, une alternative à la Deuxième et la Troisième Internationale, était une autre chose. Mandel figurait parmi les rares à modérer l’optimisme et les illusions de ses camarades de parti. Il avait peur que les trotskystes sous-estiment l’impact de 20 ans de défaites sur la conscience du mouvement ouvrier européen. Dans son esprit, ils réduisaient la question du facteur subjectif à celle du parti ou de la direction révolutionnaire. C’était une remarquable appréciation clinique provenant d’un homme qui était heureux d’apprendre qu’il était déporté en Allemagne, l’épicentre de la future révolution mondiale.

Le scepticisme de Mandel ne peut être compris sans la prise en compte les difficultés croissantes du mouvement trotskyste en Belgique. La rapide reconstruction du PSR-PCR était due au groupe de jeunes et énergiques militants qui avaient été recrutés à la fin des années 30. Ernest Mandel appartenait à ce groupe, qui incluait une forte représentation de juifs immigrés.

Mais leur nombre ne pouvait compenser la perte de centaines de mineurs du Borinage. De plus, ils étaient vulnérables à la répression anti-sémite dont furent victimes beaucoup de membres des cercles trotskystes à partir de 1942. Un amateurisme organisationnel et des activités risquées accrurent la vulnérabilité des trotskystes. Quand en 1943 et ensuite, un mouvement de masse s’éveilla et que la révolution européenne sembla faire de grands pas en avant, les trotskystes se trouvèrent dans l’incapacité d’y répondre. Au moment de la libération en 1944, les arrestations de Léon, Widelin et Mandel avaient décapités le PCR. Une petite centaine de trotskystes sans dirigeant n’étaient pas en mesure d’avoir la plus petite influence sur la course des événements. Les masses semblaient peu enclines envers une solution révolutionnaire.

Notes

1 Mes remerciements au professeur Rudi Van Doorslaer pour ses commentaires critiques. Merci également à Anne Mandel-Sprimont, au professeur Michel Mandel, Willy van der Helst et Jan Debrouwere pour leur attention à partager leur mémoire avec moi. Il s’agit d’une version révisée de l’article paru sous le même titre dans les Cahiers d’histoire du temps présente/Bijdragen tot de Eigentidjdse Geschiednis (Bruxelles), novembre 2003, n° 12, pp 7-49. Cette traduction française, réalisée par Georges Ubbiali, relue par l’auteur, provient de la version anglaise publiée dans Left History, 10.1, fall/winter 2004. Retour au texte

2 Meurtres exquis. Histoire sociale du roman policier, Paris, La Brèche, 1987 Retour au texte

3 Frankfurter Allgemeine Zeitung, 21 juli 1995 Retour au texte

4 L’ensemble des archives d’Ernest Mandel a été déposé à l’International Institute for Social History (IISH) à Amsterdam depuis 1996. Retour au texte

5 Voir Jan-Willem Stutje, De man die de weg wees. Leven en werk van Paul de Groot, 1899-1986, Amsterdam, 2000, p. 314. Biographie de Paul de Groot, dirigeant de Parti Communiste Néerlandais pendant la période 1930-1977. Retour au texte

6 Interview avec Ernest Mandel (Collection jours de guerre, SOMA, AA 1450). Retour au texte

7 Entretien entre Rodolphe Prager et Ernest Mandel, 12 novembre 1977 (IISH Amsterdam, Archives R. Prager, 270) Retour au texte

8 Souvenirs d’Ernest Mandel (De Internationale, vol. 39, n° 55, automne 1995, p. 21 Retour au texte

9 Albert Glotzer, Trotsky : Memoir and Critique, Buffalo: Prometheus Books 1989, p. 195. Retour au texte

10 Heinz Epe (Walter Held)1910 (Remscheid)- 1942 (Saratov). Pierre Broué, Quelques proches collaborateurs de Trotsky, in: Cahiers Leon Trotsky, n° 1, janvier 1979. Retour au texte

11 Walter Held aan Leon Trotski, 31 oktober 1933. Archief R. Prager, map 178. Walter Held aan Erwin Ackerknecht, 10 november 1933. Archief R. Prager, map 187 Retour au texte

12 Ernest Mandel à Walter Besser, 9 décembre 1991 (IISH Amsterdam, Archives E. Mandel). Retour au texte

13 Lion Feuchtwanger über den Prozsesz, Moskau, 30 Januar, Rundschau, vol. 6, n° 5, 1937 Retour au texte

14 Henri Halmond (pseudonyme de Henri Mandel), Der Schutzgeist der Stalinschen Justiz. Eine Abrechnung mit Lion Feuchtwanger, février 1937 (Archives Trotsky. The Houghton Library, bMs, 13.1 (17185 Retour au texte

15 Vlaams Nationaal Verbond, Union nationaliste flamande, dirigé par Staf De Clercq. NDT Retour au texte

16 Le rexisme fut le plus important des mouvements fascistes qu’ait connu la Belgique. Son dirigeant était Léon Degrelle. NDT Retour au texte

17 Jules-Gérard Libois, José Gotovitch, L’an 40 : La Belgique occupée, Bruxelles : Crisp 1971, p. 105. Retour au texte

18 Cité dans Marc Lorneau, Contribution à l’histoire du mouvement trotskyste belge, 1939-1960, Liège 1983, vol. III,p. 273. Retour au texte

19 Joseph à « Mon cher Stuart », 1er mai 1940, (Archives R. Prager, 143). Retour au texte

20 Renaud Lefevbre, Dauge et le daugisme, Une page de l’histoire du mouvement ouvrier dans le Borinage, Bruxelles, 1979, p. 83 Retour au texte

21 Interview avec Ernest Mandel (Marc Lorneau, op. cit., vol IIII, pp. 281, 301). Retour au texte

22 José Gotovitch, Du rouge au tricolore. Résistance et Parti Communiste, Bruxelles : Labor 1992, p. 97. Retour au texte

23 Entretien avec Ernest Mandel (Collection Jours de guerre, SOMA, AA1450) Retour au texte

24 Voir Pierre Broué, Trotsky, Paris, Fayard, 1988, p. 808. Retour au texte

25 A notre avis, Lieven Saerens se trompe en caractérisant Het Vrije Woord comme une publication trotskyste. Lieven Saerens, Vreemdelingen in een wereldstad. Een geschiedenis van Antwerpen en zijn joodse bevolking (1880-1944), Tielt : Lannoo 2000, p. 670 (Etrangers dans une métropole. Une histoire d’Anvers et sa population juive) Retour au texte

26 Het Vrije Woord, oct. 1940, n° 1 (Henri Mandel, Hun taak en de onze), (leur mission et la nôtre) Retour au texte

27 Het Vrije Woord, nov. 1940, n° 2 (Ernest Mandel, De sluipmoordenaar van Mateotti delft zijn eigen graf) (L’assassin de Mateotti creuse son fossé) Retour au texte

28 Het Vrije Woord, novembre 1940. Retour au texte

29 Het Vrije Woord, septembre 1941. Retour au texte

30 Rivière qui traverse Anvers. NDT Retour au texte

31 André Uyttenbrouck, Andrée Despy-Meyer, Les cent cinquante ans de l’Université libre de Bruxelles, (1834-1984, Bruxelles : Ed. de l'Université de Bruxelles 1984, p. 38-47. Retour au texte

32 Het Vrije Woord, décembre 1941 Retour au texte

33 SD, sécurité intérieure, dirigée par Heydrich. Un des piliers répressifs du système hitlérien. NDT Retour au texte

34 Conversation entre Jan-Willem Stutje et Willy van der Helst, 28 mai 2002. Retour au texte

35 Interview avec Philippe Polk in : Zeno, 16 mars 2002 Retour au texte

36 Claire Prowizur, Conte à rebours. Une résistance juive sous l’Occupation, Bruxelles : Louis Musin, [1979]., p.160. Retour au texte

37 Johanna Pezechkian, « La Möbelaktion en Belgique », Cahiers d’histoire du temps présent./Bijdragen tot de Eigntijdse Geschiedenis, 2002, n° 10, pp. 153-180 Retour au texte

38 Enregistrement de la SD, Dienst voor de Oologsslachtoffers (Service pour les victimes de guerre), Bruxelles,Ministère des Affaires Sociales et de la Santé) Retour au texte

39 « The luck or a crazy youth : Ernest Mandel interviewed by Tariq Ali », p. 220-221, in Achcar Gilbert, ed., The Legacy of Ernest Mandel, Verso, London, 1999. Retour au texte

40 Meir Yaari, « L’Hachomer-Hatzair. Hier et aujourd’hui”, Cahiers Bernard Lazare, novembre 1967. Retour au texte

41 Quatrième Internationale, 1953, n° 5-7, p. 21. Retour au texte

42 Traduit d’après la version anglaise : Abram Léon, The Jewish Question : A Marxist Interpretation, New-York, 1970, p. 18-19. Traduction française : La conception matérialiste de la question juive, Paris, EDI, 1968. NDT Retour au texte

43 Rik Hemmerijckx, “De KPB, haar syndicale strategie en haar verhouding tot het renardistisch symdicalisme (1940-1944)”, Vlaams Marxistisch Tijdschrift, 1987, vol. 21, n° 1, p. 36 [ PCB, sa stratégie syndicale et ses relations avec le syndicalisme renardien (1940-1944)] Voir aussi : Rik Hemmerrijckx, Syndicaat in oorlog. De socialistische vakbeweging in oorlogstijd en de ontstaansgeschiedenis van het Renardisme (1940-1945), Bruxelles, VUB, 1985. (Syndicat dans la guerre. Le mouvement syndical socialiste pendant la guerre et la naissance du renardisme Retour au texte

44 Rudy Segall, „Die Gestapo hat mich erschossen. Leben und Tod eines deutsch-jüdischen Widerstandskämpfers“, Bresche, n° 89-11, 1979. Retour au texte

45 Conversation entre Rodolphe Prager et Ernest Mandel, 12 novembre 1977 (Archives R. Prager, 290). Retour au texte

46 Clara &Paul Thalmann, Revolution fûr die Freiheit. Stationen eines politschen Kampfes, Grafenau-Döffingen, 1987, p. 334. Publié en français sous le titre : Combats pour la liberté, Quimperlé, La Digitale, 1997, NDT. Retour au texte

47 Harry Ratner, « Report on the PCR, Belgian Section of the Fourth International, 18 January 1945 », Retour au texte

48 E.R. (Ernest Mandel), « Les tâches du parti et la montée révolutionnaire », Bulletin interne. Cuisinez à l’électricité, propreté ! Confort ! Economie !, avril 1943 (Archives R. Prager, 146) Retour au texte

49 NDT La Sicherheitspolizei englobe la Gestapo, la Grenzpolizei et la Kriminalpolizei. A partir de septembre 1939 la Sicherheitspolizei a fusionné avec le SD pour donner la Reichs Sicherheits Hauptamt (RSHA). Retour au texte

50 Marc Lorneau, op. cit., vol. III., pp. 350-351; José Gotovitch, Du rouge au tricolore…, p. 138. Retour au texte

51 Jozef van der Helst, Rapport over de industriële kontra resultaten voor de Nazi-Duitse oorlogseconomie op het werkhuis. The Engineering in de jaren 1940-1944, n. d. (Soma, AA 902) Retour au texte

52 Der Militärbefehlshaber für Belgien und Nordfrankreich M V CH. Der Beauftragte des Chef der Sicherheitspolizei und des SD. Für Belgien und Frankreich an das Wehrmarchsuntersunchungsgefrängnis Sint- Retour au texte

53 Claire Prowizur, op. cit., p. 65. Interview avec Claire Prowizur-Szyper (Collection Jours de guerre, Soma, AA Retour au texte

54 Claire Prowizur, op. cit., p. 71 Retour au texte

55 An das Kriegswehrmachtsgefängnis St. Gilles, 5 janvier 1943 (Dossier Ernest Mandel, dossier 33446, Dienst Retour au texte

56 Entretien avec Ernest Mandel, (Collection Jours de guerre, Soma AA 1450) Retour au texte

57 Claire Prowizur, op. cit., p. 48, 56. Entretien avec Albert Clément (cité in Marc Lorneau, op. cit., vol. IIII, p. Retour au texte

58 Ernest Mandel à Rodolphe Prager, 2 oct. 1977 (Archives R. Prager, 290). Entretien entre Rodolphe Prager et Retour au texte

59 Résolution du 4e congrus du congrès du PCR (partie II), Archives R. Prager, 146 Retour au texte

60 Le parti acquit la majorité de ses revenus en produisant et vendant de faux papiers d’identité, des tickets de Retour au texte

61 Au total, 21 numéros de Das Freie Wort furent publiés, à un tirage moyen de 4000 exemplaires. (Rapport sur Retour au texte

62 Dix sept numéros de Vrank en Vrij furent publiés, avec une moyenne de 4300 exemplaires. Le journal était Retour au texte

63 Rapport sur Das Freie Wort (Archives Léo Lejeune, Soma AA 756) Retour au texte

64 Das Freie Wort, mai 1943 Retour au texte

65 Das Freie Wort, sept. 1943 Retour au texte

66 Rodolphe Prager, Les congrès de la Quatrième Internationale, vol. 2 : L’Internationale dans la guerre, Retour au texte

67 NDT Cette expérience est racontée dans le livre d’André Calvès, Sans botte ni médaille, Paris, La Brèche, Retour au texte

68 Rodolphe Prager, Les congrès de la Quatrième Internationale, vol. 2 : L’Internationale dans la guerre, Retour au texte

69 E.R (Ernest Mandel), « La crise mondiale du mouvement ouvrier et le rôle de la IVe Internationale », Retour au texte

70 A.J. (Rodolphe Prager et Marguerite Bonnet), « La crise de la direction révolutionnaire, unique cause des Retour au texte

71 Trotsky avait fourni l’armature idéologique de la Quatrième Internationale avec le Programme de transition Retour au texte

72 E.R. (Ernest Mandel), « La crise mondiale du mouvement ouvrier et le rôle de la IVe Internationale », Retour au texte

73 Entretien avec Ernest Mandel (Collection jours de guerre, Soma, AA 1450) Retour au texte

74 Entretien avec Ernest Mandel (Collection jours de guerre, Soma, AA 1450) Retour au texte

75 Ibid. Retour au texte

76 Ernest Mandel, 14 mai 19444 (Archives H. Mandel) Retour au texte

77 Ernest Mandel, 2 juin 1944 (Archives H. Mandel) Retour au texte

78 En allemand dans le texte original, en français. Retour au texte

79 Correspondance, 24 juin-20 juillet 1944 (Archives E. Mandel, lettre 2) Retour au texte

80 Ibid. (Archives E. Mandel, lettre 3) Retour au texte

81 Ibid. (Archives E. Mandel, lettre 6) Retour au texte

82 Ibid. (Archives E. Mandel, lettre 6) Retour au texte

83 Ibid. (Archives E. Mandel, lettre 7) Retour au texte

84 Ibid. (Archives E. Mandel, lettre 7) Retour au texte

85 The luck of a crazy youth. Ernest Mandel interviewed by Tariq Ali”, in Gilbaert Achcar (ed.), The Legacy of Retour au texte

86 86Ernest Mandel à “Lawyer”, 6 août 1944 (Archives H. Mandel). Retour au texte

87 « The luck of a crazy youth… », p. 223. Retour au texte

88 Entretien entre Rodolphe Prager et Ernest Mandel, 12 nov. 1977 (Archives R. Prager, 270). Retour au texte

89 Ernest Mandel, 18 avril 1945, (Archives H. Mandel) Retour au texte

90 « Notre sentiment de bonheur est très terne », écrivit Henri Mandel à Hector Goldman, 31 juillet 1945 Retour au texte

91 Henri Mandel à Maurice Piller, 12 déc. 1945 (Archives H. Mandel) Retour au texte

92 Ernest Mandel à Gina Triffon, 8 mai 1945 (Archives H. Mandel, en anglais dans l’original). Retour au texte

93 E. Mandel, Le troisième âge du capitalisme , nouv. ed. revue et corr. Paris : Editions de la passion, 1997. Retour au texte

94 Isaac Deutscher, The non-Jewish Jew and Other Essays, Cambridge, 1968. Publié en français sous le titre : Essais sur le problème juif, Paris, Payot, 1969. NDT. Retour au texte

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Référence électronique

Jan-Willem Stutje, « Ernest Mandel en résistance. Les socialistes révolutionnaires en Belgique, 1940-1945 », Dissidences [En ligne], 2 | 2011, publié le 05 mai 2011 et consulté le 22 novembre 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=129

Auteur

Jan-Willem Stutje