Paul Faure, « Le patriotisme de parti », La Correspondance socialiste, 22 mai 1926, Maison socialiste, EUD, 2005.

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Socialisme

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De durée réduite - de mai à décembre 1926 -, la Correspondance socialiste se créée dans une conjoncture où l’identité énoncée à Tours ne porte plus la sfio, où les propositions de Léon Blum dégagent un espace conceptuel d’unité du parti, où la droite socialiste conçoit son projet comme avenir pour le Parti socialiste. Face à ce triple défi, le secrétariat, des militants se reconnaissant à gauche choisissent d’affirmer leurs conceptions ancrées sur la tradition, l’autonomie dans la République. Une expression fixe leur position, le patriotisme de parti. Le secrétaire général donne au parti une forme intangible : il est patrie dont les frontières ne sauraient bouger. La diversité est possible mais ses limites sont énoncées clairement, la pérennité de l'organisation autonome dans la soumission à la règle majoritaire. Par là, Paul Faure investit le secrétariat d'un rôle que les statuts ne lui avaient pas donné. Son inscription dans la sfio est politisée, ne ressort plus d'une logique administrative; il devient le garant de la France socialiste expression du parti territorialisé dont les bornes sont fixées avec le Cartel : autonomie dans la République, refus de l'unité avec les communistes, lien avec les militants privilégié au détriment de l'action sur l'opinion publique. Si la diversité est admise, elle a désormais des frontières dont le respect ressort du secrétaire général. Sa situation de garant lui permet de peser sur le parti par la délégation. Dans les fédérations où le position du secrétariat est majoritaire, le responsable fédéral assoit sa propre autorité sur le patriotisme de parti dans une éventuelle concurrence avec les élus. Quand la droite est la plus forte, les minoritaires sont investis de la tâche de préserver le patriotisme de parti en liaison avec le secrétariat. Ainsi, le secrétariat met à disposition des militants un outil de légitimité interne opposable à toute tentative d'extériorisation de la pratique socialiste. Le patriotisme de parti devient instrument au service du secrétariat pour attribuer légitimité ou illégitimité à la diversité interne.

Document

« C’est une expression récemment employée par Otto Bauer au cours d’une conférence donnée aux hommes de confiance du socialisme autrichien. Je voudrais la voir devenir nôtre. Je voudrais que chacun des militants s’en inspirât dans tous les actes de sa vie politique.

Aimer son Parti, le servir, le défendre en toutes circonstances, ardemment, passionnément, ne cherchons pas autre part de meilleurs et plus sûr moyen de développer notre force et d’étendre le rayonnement de notre influence.

Si j’écris cela, c’est que parfois j’ai la sensation que dans le feu de nos discussions, on ne songe pas toujours assez aux coups que le Parti reçoit pendant nos bagarres et qui risquent de le blesser profondément.

Prenez, par exemple, ceux des nôtres qui ont soutenu l’utilité de la participation de socialistes au gouvernement.

Ils avaient à préconiser cette conception, un droit que personne n’a jamais songé à leur contester. Mais, enfin, une fois, deux fois, dix fois, le Parti a refusé de les suivre.

La bonne règle et la discipline leur commandaient de s’incliner et de se rendre solidaires, pour l’extérieur, d’une décision prise et confirmée par la majorité de nos adhérents après des débats amples et renouvelés.

Au lieu de cela, nous avons entendu quelques-uns d’entre deux, faire chorus avec des radicaux pour accuser le Parti d’avoir par la non-participation, sa part des insuffisances, des faiblesses et des fautes des deux premières années de la législature actuelle ! A quoi pensaient-ils en énonçant une telle énormité, N’ont-ils pas conscience qu’ils sacrifiaient ainsi à de pauvres et mesquines préoccupations de tendance, l’intérêt grandiose et général du socialisme, tout en faussant gravement la réalité des faits ?

J’adresserai les mêmes reproches à ceux, qui, trouvant la politique du parti a été un peu incohérente, sa discipline trop relâchée, développent en public d’âpres et violents réquisitoires dont l’adversaire s’empare avec aussitôt avec une joie bien naturelle. Même si l’intention est sincère, le procédé est fâcheux.

D’abord, il n’est pas vrai que le Parti soit une telle pétaudière et que sa politique mérite tant d’outrages. Les sympathies persistantes, et en beaucoup d’endroits, croissantes, qu’il rencontre dans les masses laborieuses des villes et des campagnes, témoignent que justice lui est rendue et que le bon sens populaire sait discerner ce qu’il y a en lui de bonne volonté, d’idées claires et de saines doctrines.

Quand on veut se donner la peine de réfléchir honnêtement à la situation qui nous est faite aujourd’hui, conséquences des terribles problèmes qu’on sait, et rendue plus délicate encore par l’exercice des cartels électoraux, il convient d’être mesuré, indulgent et fraternel dans le nécessaire effort de redressement qu’on a raison de demander au socialisme français.

Quand on aime et veut servir son Parti, on ne s’en fait pas l’accusateur au carrefour des chemins, et surtout, on ne va pas chercher, ni chez les radicaux, ni chez les communistes, des armes empoisonnées. Est-ce donc si difficile de calmer ses nerfs et de penser davantage à l’ensemble de l’armée qu’à sa cuisine de bataillon ? Sans doute aucun de nous n’est sans reproche, et il est hautement désirable que notre action au Parlement et dans le pays s’exerce avec plus d’harmonie et de vigueur, comme il est indispensable d’obtenir plus de discipline et de respect des décisions prises et des tactiques arrêtées. Nous l’obtiendrons à Clermont-Ferrand, sans mettre le feu à la maison. Critiquons-nous et corrigeons nous, certes, mais faisons-le avec mesure et cordialité, ce qui n’exclut pas la fermeté. Notre parti n’a pas au surplus que des défauts. Il a aussi, j’imagine, quelques qualités et quelque vertu qui nous ont fait nous donner à lui corps et âme. Il est et demeure le Parti socialiste, c’est-à-dire l’organisation politique de la classe qui travaille et produit, le Parti qui a reçu du passé le dépôt glorieux et sacré des idées des penseurs qui l’ont créé et servi, des souvenirs de ses héros et de ses martyrs, et qui dans le présent, rattaché à des millions d’autres travailleurs de l’Internationale cherche à tâtons, dans les formidables inconnus qui nous entourent, les routes de l’avenir où, par le triomphe de sa doctrine se fonderont la paix du monde et l’affranchissement des hommes.

N’oublions jamais que le Parti, c’est cela.

Alors, nous saurons toujours trouver dans les sentiments de notre cœur et dans la raison de notre esprit, des arguments pour l’aimer, le servir, le défendre, accroître ses forces et son élan. »

Citer cet article

Référence électronique

« Paul Faure, « Le patriotisme de parti », La Correspondance socialiste, 22 mai 1926, Maison socialiste, EUD, 2005. », Dissidences [En ligne], 1 | 2011, publié le 23 mars 2011 et consulté le 18 avril 2024. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=120