Le secteur informel sur les Hautes terres centrales de Madagascar

DOI : 10.58335/shc.399

Résumé

Les études sur le secteur informel à Madagascar sont nombreuses et souvent à caractère très économique. Celle que nous proposons essaie d’apporter un regard socio-anthropologique sur un phénomène complexe qui ne peut se réduire au seul domaine productif. Après avoir mené une démarche critique des cadrages théoriques existants sur le sujet, nous nous focalisons sur les spécificités des activités de subsistance des Malgaches qui se caractérisent par l'enchevêtrement de l'économie formelle et l'informel. La mondialisation n'a fait qu’accroître cette imbrication sous plusieurs aspects, parfois criminels. Nous terminons cette contribution par une partie prospective où nous évoquons les tentatives de l’État, sinon de réguler, du moins d’engager des processus de régularisation de ce secteur. À travers la rédaction de notre thèse, nous avons montré que ce processus reste difficile pour diverses raisons, en particulier la corruption, l’affaiblissement de la sphère publique et les crises politiques cycliques.

Plan

Texte

Introduction

Selon l'Institut national des statistiques de Madagascar, l'informel se définit comme, « toute activité génératrice de revenus qui ne dispose ni de numéro d’identification ni de numéro statistique ». A priori, le sujet se révèle à caractère économique compte tenu des aspects les plus connus ou les plus visibles. D'ailleurs, la plupart des ouvrages et des théories existants s'inscrivent dans cet ordre. Néanmoins, après avoir pris un certain recul face à ce phénomène, nous avons pu mettre en évidence ses éléments invisibles. Il s'agit du fondement socio-anthropologique de la société malgache en générale qui transparaît d'une façon particulière par l'économie informelle multidimensionnelle (création d'emplois, échanges commerciaux, épargne familiale, exploitation de ressources naturelles, etc.). Aux paramètres juridiques et administratifs, nous avons ajouté le critère de l’organisation interne souple et flexible. Bien que certaines unités soient recensées par l’État, elles présentent des critères d'informalité qui échappent aux contrôles de celui-ci. Il s'agit par exemple des embauches sans contrat de travail, de l'absence de livret comptable, de l'implication des membres de la famille dans différentes tâches, etc.)

I. Les particularités méthodologiques

Pour éviter de revenir sur les aspects dits « classiques » de la méthodologie (c'est-à-dire les enquêtes par questionnaire sur 240 personnes identifiées comme principaux acteurs informels, une soixantaine d'enquêtes semi-directives et récits de vie, la participation observante, l'observation participante, etc.), nous avons choisi d'évoquer les quatre aspects singuliers de nos démarches.

I. 1. L'interdisciplinarité à travers la socioéconomie de Karl Polanyi

Cette approche se fonde sur le travail de K. Polanyi sur la subsistance de l’Homme. Notre définition du terme « subsistance » s’inspire de celle proposée par celui-ci dans le passage suivant :

« L’économie au sens ‘substantiel’ est le processus institutionnalisé d’interaction entre l’homme et son environnement, destiné à fournir à la société ses moyens d’existence, sa ‘subsistance’, au sens large du terme ; comme c'est souvent le cas. […]. Toute société possède une économie dans ce sens substantiel. Le ‘formalisme’ ou la représentation de l’‘économie formelle’ renvoie, non à la mathématisation de la science économique, mais à sa conception de la rationalité, comme ajustement individuel des moyens aux fins, dans un univers supposé marqué par la rareté. » (Polanyi K. 2011 (1977), p. 31)

À cette définition interdisciplinaire de la subsistance s'ajoute la pluridisciplinarité, tenant compte un regard croisé sur le sujet. Il s'agit notamment de la combinaison des différentes approches inhérentes aux sciences économiques, à l'histoire, à l'anthropologie, à la sociologie du travail, de la famille, etc...

I. 2. L'écriture photographique

L'écriture photographique présente un réel intérêt scientifique. Les photos - une quarantaine environ - que nous avons réparties en six portfolios ne sont pas illustratives. Elles s'avèrent être porteuses de sens et de connaissances utiles pour une meilleure compréhension des activités informelles et de leur contexte. La photographie fixe les « choses » et prolongent le regard du chercheur. Il s'agit d'une ressource à part entière pour l'analyse qui met en relief des caractéristiques sociales. Ici, nous citons Sylvain Maresca quand il dit : « il faut regarder une photographie au lieu de glisser sur elle […] c'est une émanation du réel. »1

Les qualités esthétiques des photographies n'enlèvent rien de la scientificité. C'est un parti pris ou encore un point de vue qui porte un regard, une pensée. Le lecteur doit pouvoir lire la composition photographique à la manière de François Cardi : « intérêt scientifique et émotion esthétique [qui] constituent les pôles entre lesquels le langage et les catégories d'analyse sont amenés à se séparer et à se ressembler pour faire le travail du sociologue. »2 Les photographies présentées dans notre thèse sont de cette veine. Elles plongent le lecteur dans le contexte, dans la dynamique sociale et culturelle, dans des interactions et nous permettent de voir (au sens d'être proche de) des individus, de rentrer dans les paysages, etc.

I. 3. L'utilisation de deux langues, français et malgache, tout au long de la recherche et de l'écriture

Les nombreux va-et-vient, entre les normes exigées par le savoir académique et les besoins de retranscription des données recueillies dans une langue vernaculaire (malgache), se sont dessinés d’une manière particulièrement enrichissante. Grâce à la traduction que nous avons effectuée personnellement, nous avons « redécouvert » la langue malgache avec ses richesses et ses subtilités, mais aussi les difficultés de sa transcription vers le français. D’origine arabo-austronésienne, elle est essentiellement basée sur l’oralité. En effet, la préparation des enquêtes a demandé plus de temps, non seulement à cause de notre éloignement géographique par rapport au terrain mais aussi à cause de la traduction du matériau du français au malgache. Cette dernière initiative consiste en l’adaptation des outils au langage et aux lexiques locaux. Par exemple, on a directement utilisé le vocable asa fivelomana que l’on peut traduire par activités de subsistance parce que le mot « informel » n’est pas accessible à la majorité des enquêtés. D’ailleurs, le sens de ce terme le plus proche du malgache se traduit par « activités illégales » ; or, les gens n’associent pas leur travail à l’illégalité, bien que les interprétations officielles considèrent certaines d’entre elles comme telles. Le même mot « informel » a été utilisé en guise de métissage linguistique lors des entretiens menés auprès des personnes initiées aux procédures administratives. Dès lors, la traduction ne peut se réaliser comme une simple transposition d’une langue à l’autre, mais requiert un degré d’interprétation supplémentaire. Voici quelques éléments qui apparaissent dans les extraits d’entretiens :

- l’utilisation des « sasin-teny » et des « sarin-teny » dans le quotidien, qui signifient respectivement « jeux de mots » et « paraboles » ou « images » ;

- la référence permanente à la religion dans le discours, c’est-à-dire à la divinité, au Créateur dénommé Zanahary et aux ancêtres ;

- la référence temporelle qui s’inscrit principalement dans le rapport aux deux saisons très marquées : la saison pluviale et la saison sèche.

Par ailleurs, les règles grammaticales du malgache ne se réfèrent ni aux genres – masculin ou féminin – ni aux nombres. Le pluriel d’un mot s’écrit et se prononce de la même façon que son singulier. Ainsi, par convention, nous avons respecté ces normes en conservant l’orthographe du singulier dans l’énonciation au pluriel des mots malgaches. Au cours de la traduction et de la transcription, nous avons également aperçu que nos interlocuteurs utilisent de manière indifférenciée les pronoms personnels « je », « on » et « nous ». C’est également le cas pour les adjectifs possessifs (notre, nos, ma, mon ou mes). Cela signifie que la plupart des métiers s’exercent en famille. Par exemple, une fabricante de glace dira plutôt : « Je me suis réveillée à 5h du matin pour rattraper nos retards dans la livraison. On a intérêt à se serrer la ceinture si nous voulons obtenir beaucoup plus d’argent » au lieu de « Je me suis réveillée à 5h du matin pour rattraper les retards dans la livraison. J’ai intérêt à me serrer la ceinture si je veux obtenir beaucoup plus d’argent ». Cet aspect communautaire et familial qui apparaît dans le discours montre que l’individu pris isolément est dépourvu de sens et n’a pas de réalité « sociale » dans la société malgache.

Ainsi, le « passage » d’une langue à une autre va au-delà de la confrontation des langages en eux mêmes pour laisser apparaître deux modes de pensée différents. Au final, les outils d'enquêtes élaborés en français ont été traduits en malgache et les 98 % du matériau recueilli en malgache ont dû être interprétés en français.

I. 4. La distanciation par rapport au terrain

La thèse étant réalisée dans sa grande partie à distance, l’utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC) a permis de différencier nos rapports avec le sujet dans la mesure où nous avons dû recouper les informations. Permettant l’accès à une multitude de données, Internet a fourni d’autres sources de réflexion toutes aussi pertinentes sur Madagascar. L’éloignement géographique a construit notre profil d’ethnologue à la manière dont Florence Weber le conçoit, en ce sens que la distance s’est concrétisée non seulement sur le plan géographique mais aussi par la nécessaire traduction et interprétation des résultats d'enquêtes. Le matériau, récolté en quantité a été reconnu d'une pertinence scientifique en dépit des nombreuses contraintes inévitables, à savoir : mauvais états des routes à Madagascar, temps imparti de la présence sur le terrain et enfin cyclones qui sont survenus à plusieurs reprises lors des périodes d'enquêtes.

II. Les principaux résultats

II. 1. L'imbrication des économies formelles et informelles pour la subsistance de la population

L'exemple le plus parlant serait sans doute l’écoulement dans les taxiphones et les petits kiosques des 60 % des produits et services des TIC. Par exemple, le volume d'investissements de la société Orange à Madagascar est estimé à 150 milliards d’Ariary (50 millions €) entre 2009 et 2011. Le PDG de France Télécom, lors de sa visite au pays en décembre 2011, s’est dévoilé en tenant le propos suivant : « Même si le budget 2012 n’est pas encore fixé, nous comptons déjà rester sur la même tendance d'investissements. Nous croyons au marché malgache du mobile. Et nous sommes résolus à rester à long terme. »3

Nous pouvons également citer le cas de l’ensemble de la « bourgeoisie compradore » d’origine indopakistanaise qui déverse dans les rues de la capitale malgache différentes sortes de produits manufacturés, en high-tech, en appareillages électroménagers, en fournitures de bureau, etc. Ces produits importés concernent essentiellement des biens de consommation courante et non pas des biens d'investissements. Aucun processus de transformation, visant la diminution de la dépendance extérieure, ne semble être mis en œuvre. L'importation joue un rôle considérable dans l'écoulement dans l'informel des produits d’origine chinoise de qualité souvent médiocre.

À travers ces deux cas présentés d'une manière très synthétique, nous constatons que les activités informelles contribuent, d'une certaine manière, à l'élargissement des écarts entre les catégories riches et pauvres. D'un côté, une masse de gens appauvris se trouvent « soumis » au gré du consumérisme, tandis que de l'autre une poignée de personnes s'enrichissent. On ne saurait en déduire que l’informel fait perdurer, d'une certaine façon, le statu quo. Ce constat se justifie, à en croire le ressenti d’un étudiant en droit qui nous a accompagnée lors de nos enquêtes. Nous lui avons posé la question suivante : « Qu’est-ce qui t’as le plus marqué parmi les interviews réalisées aujourd’hui ? » Celui-ci a répondu : « Le niveau de vie des gens ! Juste des petits étalages pour assurer toute une vie. J’ai compris comment les grands distributeurs s’enrichissent sur le dos des petits vendeurs démunis qui écoulent leurs produits à la masse populaire. On ne doit pas les sous-estimer ! […] Ceux-ci se débrouillent pour récupérer les produits de très loin, en essayant de négocier le prix au plus bas pour pouvoir ensuite les revendre à des gens aussi pauvres qu'eux. On dirait que la clé de leurs vies se trouve dans les mains des riches capitalistes qui fixent les prix. Les petits vendeurs se trouvent entre les acheteurs pauvres et les grands distributeurs qui dictent les prix. Je me demande bien, comment ils peuvent assurer leur survie dans ces conditions ! […] Le cas du réparateur de "portables"4 m’a meurtri l’âme. J’essaie de me mettre à sa place et je constate que son cadre de vie reste très limité. Il ne pourrait même pas se permettre d’être ambitieux ou d’investir au-delà du peu de moyens mis à sa disposition. Sa vie tourne autour d’achats, de réparation et de reventes de produits informatiques pirates et bon marché. […] Il essaie tout de même de se débrouiller, sauf que la débrouillardise reste limitée et ne lui permet pas de franchir un autre seuil de la vie. À son niveau, il se bat pour réussir, sauf que ses efforts ne semblent l’emmener nulle part. »

II. 2. L'existence des activités criminelles qui se développent grâce à la prégnance de l'informel

Dans ce paragraphe, nous allons voir la manière dont le système socio-économique s'avère être corrompu. Nous pouvons nous demander de quelle façon la crise politique a aggravé cette situation à Madagascar. Il est vrai que les autorités en place manquent de légitimité aussi bien par rapport à la population que vis-à-vis de l'extérieur, appelé également « Communauté internationale ».

Voici le cas de quatre aventuriers d’origine russe arrivés à Madagascar en 2012. Il s'agit d'exploitants clandestins qui ont pris un visa touriste de trois mois pour y entrer. Peu de temps après leur arrivée, ils ont directement pris la direction de Miarinavaratra car ils savaient déjà qu’il y avait un gisement d'or important dans cette commune rurale de notre région d'investigation.5

Le mécanisme que ces exploitants ont mis en place – dans un laps de temps record – paraît suspect et incompréhensible par la population environnante. Cette dernière ne pouvait que s’étonner de voir une quarantaine de trous creusés en l’espace d'un mois, dans un petit hameau d'environ 1 200 habitants. Qualifier cette activité de criminelle serait justifiée par l’absence de données minières récoltées ou diffusées officiellement.

À titre de témoignage, nous aimerions évoquer un extrait d' échanges que nous avons eu avec une jeune fille de 20 ans, qui travaille avec ses parents dans une extraction minière traditionnelle dans le même hameau.

« Nous n’avons pas entretenu de relations particulières avec eux. Ils avaient leurs matériels : des bulldozers, des machines pour trier la terre, etc. Ils circulaient en 4x4. Ils sont restés à peu près un an dans un endroit où les gens ne mettaient même pas les pieds [pause]… Ils semblaient être très futés ! À mon avis, ils ont dû avoir une quantité importante d'or vu les machines qu'ils ont utilisées. Le principe d'extraction était le même que le nôtre, sauf que nous, nous avons des moyens limités, contrairement à eux qui utilisaient de gros engins. »

D’après ce dernier propos, ces exploitants mafieux n'entretenaient pas de contacts avec la population locale, ne serait-ce que pour des embauches ponctuelles ou des actions de bienfaisance. Au contraire, ils ont minimisé le coût de leur « expédition » en embauchant le moins de monde possible, en l’occurrence un seul interprète.

Les séquelles les plus importantes restent les vastes espaces abandonnés dans un état de destruction dû aux forages. Bien que les villageois environnants ne possèdent que très peu d’informations, nous avons réussi à obtenir d’autres données lors d’une conversation informelle avec un entrepreneur local.

« On savait juste, de bouche à oreille, qu'ils ont utilisé des mèches, des compresseurs d’air, etc. Une fois que la machine se met en route, ça arrive à récupérer une motte de terre qui contient environ 5 kg d'or... De plus, contrairement aux méthodes manuelles, leurs procédés semblent tellement efficaces. Une profondeur de 50 mètres est facilement atteinte. S’ils mobilisent autant de matériels, cela signifie que l'extraction vaut le coût ! […] Mais….on m'a aussi dit qu’ils ont enfreint au fady (interdit) par rapport au porc. Tout à coup, l'or a disparu ! Au lieu de profiter davantage du gisement, ils ont quitté l'endroit et le pays plus tôt que prévu. »

À défaut d'informations officielles et recoupées par des sources fiables, la population ne peut que faire courir sa vision des choses qu'il faudrait pouvoir vérifier. Elle ne peut qu'observer le phénomène et en subir les conséquences environnementales à long terme, dans une attitude de peur et d’immobilisme.

II. 3. L'informel comme base constitutive de la société malgache

En dépit des aspects quelques peu sombres de l'informel, cette dernière rubrique des résultats tentera de montrer les aspects de socialité de celui-ci. Bien que le système informel ait connu des transformations, il continue d'assurer la survie de l'ensemble de la population. Sa souplesse de même que sa flexibilité présentent des aspects accessibles à l’entrepreneuriat familial. En d'autres termes, il répond aux besoins pécuniaires et existentiels tout en étant non compétitif et enclin à la pluriactivité. Dans leur aspect peu capitaliste, les unités informelles n’apparaissent pas assujetties au « joug de la croissance ». Elles ignorent l’accumulation primitive. En ce sens, la logique essentiellement « familiale » de leur fonctionnement maintient la création d'occupations et d'emplois à destination des membres de la parenté. Ainsi, elle absorbe beaucoup plus facilement les incertitudes des différentes conjonctures économico-politiques. Grâce à leur flexibilité et à leurs faibles coûts salariaux, les initiatives informelles compensent – a minima – les emplois perdus dans les grandes entreprises.

Cela constitue néanmoins une réponse limitée à la crise. Dès lors, on pourrait se demander pourquoi l’État s'en accommode. Bien qu'il ne procure pas de recette, en termes d’imposition, l'informel garantit la présence de personnes qui travaillent, produisent et consomment.

Par exemple, la crise politique des dernières années a supprimé des milliers d’emplois formels dans notre région d’investigation. Ici, nous pouvons citer la fermeture du magasin Magro local – qui appartenait à l'ancien Président de la république évincé – ainsi que le retour dans la région de certains travailleurs licenciés par les zones franches d'Antananarivo. Les chômeurs ont dû dénicher des « petits boulots de secours ». Le multi-service informatique de même que le micro-commerce semblent être très prisés et deviennent une sorte d’ « amortisseurs à la crise ». Ils mobilisent des variétés de travail où les nouveaux chômeurs proviennent des milieux et des cursus différents (jeunes diplômés, anciens cadres d'entreprises, femmes techniciennes, assistants de vente, responsables administratifs, etc.). De facto, l'informel joue un rôle social en palliant l'oisiveté.

Par ailleurs, à défaut d’être le moteur du développement ou un vecteur de protection sociale, l'informel devient une forme de production et de distribution qui se limite à l’usage immédiat de biens et services. Il s'agit, par exemple, des ventes d'articles prêt-à-porter, de l'ensemble des restaurations rapides, des réparations à la minute, etc. En résumé, il rassemble des hommes et des femmes qui tentent d’organiser leur existence, tantôt dans l’unité domestique, tantôt dans l’espace plus large du quartier, de la ville, du pays. Ces personnes ne sont ni des salariés au sens « marxiste » du terme, ni des travailleurs indépendants au sens occidental. L’idée d’être bien installé dans un bureau et percevoir un salaire déterminé à chaque fin du mois s’est progressivement effacée de la conscience collective. Cet aspect légitimant l'informel provient de la situation d’« urgence permanente » de survie où la valeur du travail réside dans sa rentabilité immédiate et pécuniaire. Le propos suivant, tenu par l'un de nos enquêtés, nous en dit davantage : « Face à l’ampleur du chômage, les travailleurs informels ne cherchent qu’à gagner leur vie. L’État doit les laisser tranquille car il n’est même pas en mesure de leur proposer d’autres alternatives. »

En revenant sur les résultats d'enquêtes chiffrés, nous constatons que la plupart des répondants (51,3 %) ne font même pas la distinction entre travail informel ou travail formel, tant qu’ils ont de quoi (sur)vivre. Beaucoup réduisent la formalité à la bureaucratie moderne sans connaître les différentes possibilités d’organiser les activités de subsistance.

Enfin, le travail informel permet d'éviter – à juste titre – les actes dommageables pour soi et pour les autres, comme le vol. L’impératif de la subsistance s'inscrit dans une logique de légitimité à la limite de la légalité et de la morale. Un père de famille dira : « On a besoin de manger et, au lieu de voler, on travaille ainsi. » Ce dernier extrait d'entretien nous renseigne sur la dynamique d'ensemble de la société malgache actuelle.

Conclusion

Pour terminer, nous aimerions reprendre les propos de Serge Latouche selon lesquels « la réussite de l’informel tient profondément à son irrationalité, c’est-à-dire au fait qu’on a affaire à une réalité qui n'entre pas dans le schéma du paradigme occidental. Et cela, même si certains phénomènes comparables peuvent aussi être observés en Occident, même si, à la limite, le développement économique de l'Occident devrait être réinterprété, à la lumière de l'analyse de l'informel. » (Latouche S. 1991, p.66)

Bibliographie

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CARDI François (2011), « Le rapport pédagogique : un rapport de forces ? » in TRIPIER Pierre (dir.), Agir pour créer un rapport de force, Paris, L’Harmattan, pp. 99-113.

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KASËR Lothar (2008), Voyage en culture étrangère, Guide d’ethnologie appliquée, trad. fr., Cléan d’Andran, Excelsis (1re éd. en allemand : 1997).

LATOUCHE Serge (1991), « Les paradoxes de la "normalisation" de l’économie informelle », Les pratiques juridiques, économiques et sociales informelles : actes du Colloque international de Nouakchott, 8-11 décembre 1988, ed. J-L Lespès. S.I. Paris, Université d'Orléans, PUF.

MARESCA Sylvain (2001), La photographie. Un miroir des sciences sociales, Paris, L’Harmattan.

OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre (2005), Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, Karthala.

POLANYI Karl (2011), La Subsistance de l’Homme, La place de l'économie dans l’histoire et la société, trad.fr, Paris, Flammarion, (1re éd. en anglais : 1977).

TARRIUS Alain (2002), La Mondialisation par le bas : les nouveaux nomades de l’économie souterraine, Paris, Balland.

Notes

1 Sylvain MARESCA (2001), La photographie. Un miroir des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, p. 239. Retour au texte

2 Cf. François CARDI (2011), « Le rapport pédagogique : un rapport de forces ? » in TRIPIER Pierre (dir.), Agir pour créer un rapport de force, Paris, L’Harmattan, pp. 99-113. Retour au texte

3 Cf. http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&view=article&id=17828:francetelecomorange- Retour au texte

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Citer cet article

Référence électronique

Tiana Harivony Andriamanampisoa, « Le secteur informel sur les Hautes terres centrales de Madagascar », Sciences humaines combinées [En ligne], 15 | 2015, publié le 01 août 2015 et consulté le 28 mars 2024. DOI : 10.58335/shc.399. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=399

Auteur

Tiana Harivony Andriamanampisoa

Docteure en sociologie, C3S - EA 4660 - UFC