Introduction
Inventé en 1891 par le Canadien James Naismith, alors instructeur de sports au Collège de Springfield dans le Massachussetts aux États-Unis, le basket-ball a semble-t-il été désigné en l’espace de quelques décennies comme la pratique sportive de prédilection des communautés afro-américaines (Sudre, 2010). Avec une NBA1 composée à environ 80% de joueurs noirs, le basket-ball professionnel nord-américain est considéré aujourd’hui comme la référence internationale. Pourtant, quand la Basket-ball Association of America, ligue de basket américaine est devenue la NBA en Juin 1946, aucun des membres du championnat n’est de couleur noire : s’installe alors une forte ségrégation raciale et un recrutement de joueurs noirs encore plus difficile que dans les autres disciplines sportives. Ce n’est qu’à la suite des premiers mouvements de déségrégation (printemps 1950), que l’arrivée des premiers joueurs professionnels noirs est un symbole de leur intégration dans le domaine sportif.
Au cours d’une période plus récente, alors que les joueurs d’origine afro-américaine opèrent une dite « mainmise » sur l’activité basket-ball relativement aux palmarès, il semble s’installer désormais une forme plus subtile de discrimination. En effet, alors que le succès des basketteurs noirs est généralement rapporté à leur supposées qualités athlétiques naturelles, via une grille d’interprétation « racialisée » (Jarvie, 1991 ; Sailes, 2010), on constate un phénomène de « ghettoïsation » (Trémoulinas, 2008). Autrement dit, au-delà du constat d’une surreprésentation des joueurs noirs dans les ligues professionnelles majeures, il semble que les positions qui leur sont accordées vis-à-vis des Blancs dans les organisations sportives et sur le terrain soient secondaires, tout comme leurs qualités liées aux fondements du jeu perçues comme moins prépondérantes vis-à-vis de l’issue des rencontres. Ainsi, les stéréotypes raciaux basés notamment sur une dualité « corps-esprit » seraient le fondement de l’application du racial stacking2.
Face à cette problématique, les travaux qui s’intéressent au rôle de l’appartenance ethnique dans le domaine sportif, sont de plus en plus conséquents dans la littérature anglo-saxonne (Coakley & Pike, 2009). À partir des premières études menées notamment dans le domaine de la sociologie sur les effectifs de joueurs issus de minorités dans les ligues de baseball (M.L.B.)3, de football américain (N.F.L.)4 et de basket-ball (N.B.A.), quelques ouvrages clés permettent d’illustrer ce phénomène de discrimination qui reste encore d’actualité (Coakley & Pike, 2009; Edwards, 1973; Jarvie, 1991; Sailes, 2010).
Alors que sur le plan académique ce sont majoritairement des chercheurs anglo-saxons qui procèdent à de telles analyses (Tremoulinas, 2008), en France, la fréquence des polémiques liées à une vison « stéréotypisante » de la performance atteste que le débat sur l’appartenance socio-ethnique dans le milieu sportif, même s’il n’est pas intelligible, semble aussi prégnant.
Pour une approche psycho-sociale liée à l’étude du phénomène de discrimination
À l’aide d’une approche socio-psychologique, ce travail doctoral a eu pour but de déterminer l’existence (ou non) d’effets de discrimination liée à l’appartenance socio-ethnique au sein du milieu sportif
Plus spécifiquement, il s’agissait de mettre en exergue l’importance accordée à l’appartenance socio-ethnique dans un domaine dans lequel les joueurs ou les pratiquants de couleur noire sont généralement majoritaires et valorisés relativement aux joueurs ou pratiquants de couleur blanche. De manière plus fondamentale, le contexte particulier du basket-ball offrait l’opportunité de mieux saisir les mécanismes de catégorisation et de stéréotypie liés à la couleur de peau, puisqu’a priori, il n’y avait aucune raison pour que les sujets, au regard de cette pratique, puissent être soumis à l’application d’une discrimination à l’égard des joueurs noirs (ces derniers étant majoritaires dans les ligues professionnelles et dominateurs vis-à-vis des joueurs blancs au vu de leur palmarès).
Afin de répondre à cette problématique, les recherches théoriques et empiriques menées dans le cadre de cette thèse ont poursuivi un objectif double.
D’une part, nous avons mis en évidence que, lorsqu’il est question de l’appartenance ethnique, le processus de catégorisation est déterminant dans le positionnement des individus au sein des organisations sportives. Aussi, la perspective du racial stacking proposée dans le cadre de nos recherches dans le milieu du basket-ball nous a permis de mieux comprendre comment, sur le seul critère de leur couleur de peau, des joueurs issus de minorités sont, de fait, relégués dans des espaces moins importants vis-à-vis de la performance que les joueurs blancs.
D’autre part, nous avons procédé à l’étude des stéréotypes raciaux en interrogeant leur potentiel impact dans le domaine du basket-ball, que ce soit sur le jugement des prestations sportives ou relativement aux sportifs eux-mêmes. La perspective d’étudier les effets du stéréotype par rapport à l’évaluation sociale et l’impact qu’ils peuvent avoir sur le comportement nous a permis de mieux cerner les composantes et les mécanismes sous-jacents à sa construction.
Ces deux objectifs (mise au jour des effets de catégorisation et de stéréotypie) ont fait émerger des questionnements spécifiques vis à vis de populations différenciées (à savoir : non sportifs, sportifs, basketteurs amateurs, basketteurs de haut-niveau, étudiants en formation en sciences et techniques des activités physiques et sportives) et ont nécessité l’aménagement de supports et d’outils adaptés à des contextes variés (naturels, contrôlés ou encore artificiels). Dans tous les cas, la préoccupation de « non-décontextualisation » est restée un objectif majeur.
Le phénomène de racial stacking
Le champ disciplinaire de la psychologie sociale, relativement à la discrimination raciale à l’intérieur du domaine sportif, a vu son développement presque exclusivement concentré aux États-Unis et dans les pays anglophones. Ainsi, il s’agissait, pour nous, en France, de pouvoir déterminer l’éventuelle existence de phénomènes similaires.
L’étude sur le racial stacking que nous avons menée en milieu naturel, en France, (cf. thèse : Chapitre 7. État des lieux du racial stacking en France en milieu naturel) nous a permis de mettre en évidence que l’étiquette catégorielle « Noir » n’y semble pas si saillante qu’aux États-Unis puisque les entraîneurs, s’ils n’en font pas abstraction, ne surreprésentent que tendanciellement les basketteurs blancs au poste de meneur de jeu. Les entraîneurs français semblent donc ne tenir compte de l’appartenance ethnique que vis-à-vis du poste de meneur. Autrement dit, ils paraissent ne pas appliquer de différenciation entre les postes extérieurs et intérieurs mais plutôt entre le meneur et le non meneur puisqu’il y a pas d’effet sur les postes de jeu autres que le meneur. Ainsi, du fait qu’il n’y a pas effet marqué, ils s’avèrent peu sensibles au racial stacking, s’appuyant sans doute, d’abord et avant tout, sur les compétences propres des joueurs (performance) plutôt que sur une différentiation Noirs-Blancs. En cela, l’appartenance ethnique semble peu prégnante dans le placement et dépassée de surcroit, par une pratique probablement axée sur la formation au jeu. Il semble alors que le phénomène de catégorisation Noirs-Blancs dans la pratique du basket-ball en France n’est pas de même nature qu’aux États-Unis.
Une explication pourrait venir du fait que, dans le contexte français, les joueurs noirs sont valorisés lorsqu’ils sont américains à la différence des joueurs noirs ayant une autre origine. Les postes centraux, généralement réservés aux joueurs blancs lorsque vient s’appliquer le racial stacking, sont souvent également occupés par des joueurs noirs à la condition qu’ils soient américains. Face à des athlètes venus d’un pays où ils sont reconnus dans le domaine du basket-ball, à savoir les États-Unis, les entraîneurs semblent considérer les Noirs avant tout comme des Américains. En référence à une pratique américanisée dont le vecteur principal est la NBA, force est de constater que la représentation du basketteur noir est très certainement cristallisée autour des exploits des Américains. Nous pouvons donc ainsi proposer l’interprétation que cette double appartenance (noir, américain), dans certaines circonstances, minimise l’effet du clivage des catégories socio-ethniques.
Effet de catégorisation
Vu cette situation particulière en France où le racial stacking est peu apparent, on aurait pu s’attendre à ce que les comportements des sujets soient peu ou pas discriminants. Il s’agissait alors de déterminer si des participants blancs allaient adopter une attitude non discriminante en s’appuyant sur la position privilégiée des Noirs-américains dans le domaine du basket-ball et ou bien au contraire, mettre en place des biais catégoriels « classiques » en favorisant les joueurs appartenant à leur propre groupe (Blancs).
Un premier support expérimental (cf. thèse : Chapitre 8. Biais de catégorisation et racial stacking), au sein duquel nous avons manipulé l’appartenance catégorielle à l’aide d’un montage vidéo, nous a permis de mettre en évidence l’application d’un biais de racial stacking par les répondants. Les sujets mettent en œuvre une surreprésentation de joueurs blancs aux postes centraux (extérieurs) et de joueurs noirs aux postes non centraux (intérieurs). Pour une partie des sujets, à savoir les sportifs, le fait de partager comme la « cible » (basketteurs) l’affiliation au domaine sportif entraîne une atténuation des effets de discrimination, l’appartenance croisée réduisant comme attendu les effets de catégorisation.
Par ailleurs, lorsque l’on sollicite des pratiquants par le biais de l’utilisation d’un jeu vidéo (cf. thèse : Chapitre 12. Basket-ball et monde virtuel), nous aurions pu présupposer que les avatars minimisent, voire suppriment toute sorte de discrimination. Cependant, que ce soit avant ou après le match (lors du remplacement des joueurs), les résultats vont dans le sens d’une surreprésentation des joueurs blancs aux postes centraux, notamment celui de meneur de jeu, de même que d’une surreprésentation des joueurs noirs aux postes non centraux, notamment celui de pivot, ces effets étant potentialisés par l’issue positive de la rencontre. L’artificialité de la situation, qui a priori devrait détacher les sujets des appartenances ethniques, n’empêche aucunement l’apparition de phénomènes discriminatoires.
De plus, au cours de ces deux études (cf. thèse : Chapitre 8. Biais de catégorisation et racial stacking ; Chapitre 12. Basket-ball et monde virtuel), la présence d’un poste de jeu polyvalent, pouvant être considéré à la fois comme extérieur et intérieur, aurait pu ne pas être concerné par le phénomène de catégorisation. Cependant, lorsque ce joueur polyvalent est Blanc, les sujets définissent son rôle comme central alors que lorsqu’il est Noir, il est plutôt spécifié comme étant non central. Ainsi, que ce soit en associant un joueur à une position de jeu ou bien en spécifiant sa fonction après l’avoir sélectionné, le choix des sujets est principalement et prioritairement guidé par l’appartenance socio-ethnique des cibles.
Suivant les résultats obtenus et en accord avec le principe selon lequel les individus manifestent leur rapport à l’autre par le langage, nous pouvions nous attendre à ce que le phénomène de catégorisation conduise à des mécanismes discursifs discriminants (cf. thèse : Chapitre 10. Biais discursifs). Effectivement, lorsque les sujets endossent le rôle d’un entraîneur ayant pour tâche d’annoncer à un joueur son retrait de l’équipe, on constate un investissement, mesuré par la longueur, l’argumentation, l’élaboration et la richesse du discours, moindre face à un basketteur noir que face à un basketteur blanc. De plus, conformément aux principes de la catégorisation croisée, on constate également un effet moins marqué chez les sportifs que chez les non sportifs, l’écart restant néanmoins significatif.
Par conséquent, au-delà de nous informer de l’existence d’une discrimination liée à la couleur de peau dans le domaine du basket-ball, ces résultats mettent au jour l’importance de la catégorisation sociale, se marquant par la tendance à défavoriser les membres de groupe d’appartenance différente, même lorsque les enjeux et les supports ne s’y prêtent pas.
Nous pouvions à ce stade nous demander si ce processus observé en situation distanciée (spectateurs) se retrouverait chez des acteurs de terrain. Nous avons tenté d’explorer le phénomène de catégorisation du point de vue des basketteurs en situation de comparaison sociale grâce un outil d’investigation des représentations mutuelles (cf. thèse : Chapitre 13. Diagnostic des relations intergroupes au basket-ball). Les résultats permettent de montrer que les sujets, en l’occurrence des basketteurs blancs, accordent plus de statut dans l’équipe aux joueurs blancs et qu’ils les estiment plus compétents lorsqu’il s’agit de conceptualiser le jeu. Les joueurs noirs, quant à eux, sont « ghettoïsés » dans des secteurs de jeu considérés comme ayant moins d’emprise et sont davantage perçus comme une communauté dont les membres se ressemblent (assimilation) tout en se différenciant des autres basketteurs (contraste).
Ainsi, que ce soit dans un contexte manipulé (jeu vidéo), contrôlé (vidéo) ou en situation de comparaison sociale (directement sur les acteurs), la catégorisation Noirs-Blancs semble suffisante pour provoquer des effets de discrimination. Les sujets, qu’ils soient non sportifs, sportifs confirmés ou en formation à l’expertise sportive, favorisent les joueurs blancs en les avantageant dans la relation lorsqu’ils parlent d’eux (estimation, discours) et en les positionnant aux postes les plus importants, le meneur étant considéré comme celui qui remplit le plus les critères de centralité (cf. thèse : Chapitre 11. Le concept de centralité au basket-ball).
Le phénomène de stéréotypie
En postulant que les compétences attribuées aux joueurs ne peuvent être généralisables en fonction de leur groupe d’appartenance et que les stéréotypes raciaux restent des construits sociaux, il s’agissait non seulement de mettre en évidence une dichotomisation « corps-esprit » selon l’appartenance des joueurs mais surtout d’exposer précisément les dimensions susceptibles de favoriser des conduites discriminantes. De plus, notre objectif était de dégager le lien entre la particularité des postes, à savoir les qualités inhérentes que les joueurs devraient posséder pour les occuper, et les stéréotypes liés à l’appartenance ethnique. Autrement dit, il s’agissait de déterminer les composantes du stéréotype « Noir » et du stéréotype « Blanc » à l’œuvre dans le jugement et la rationalisation du placement des joueurs (en lien avec le racial stacking).
En mettant les sujets, tant sportifs que non sportifs, dans un rôle de sélectionneur devant justifier ses choix, nous avons pu dégager (cf. thèse : Chapitre 9. Biais de stéréotypes) que les caractéristiques mentales et le leadership sont des compétences beaucoup plus attribuées aux joueurs blancs tandis que le versant physique est préférentiellement accordé aux joueurs noirs. De plus, les sujets sportifs sont davantage soumis aux stéréotypes, allant même par exemple jusqu’à priver les joueurs noirs d’une dimension comme l’habileté à lire le jeu, qu’ils occupent un poste central ou non central. Dans ce cas, contrairement aux effets attendus par la catégorisation croisée, l’appartenance au domaine sportif renforce les effets de stéréotypie.
L’appartenance à la communauté sportive engage les pratiquants d’activités physiques à adopter des conduites plus « stéréotypantes » que les non sportifs qui, étant donné leur connaissance moins approfondie des stéréotypes, ne mobilisent pas autant de représentations et de croyances stéréotypiques. Il semble que les sportifs, qui possèdent plus de « facilités » à mobiliser les représentations sociales du milieu, disposent de plus de « supports » pour mettre en œuvre la discrimination tandis que les non sportifs, pourtant tout aussi discriminants, n’ont pas les éléments de contenu nécessaires.
L’immersion à l’intérieur d’un univers virtuel qui aurait dû désactiver tous stéréotypes (cf. thèse : Chapitre 12 Basket-ball et monde virtuel), n’empêche pas les sujets d’estimer plus favorablement les avatars blancs quant à leur habileté à lire le jeu et les avatars noirs quant à leur détente et leur rapidité. Même lorsque les compétences sont parfaitement déshumanisées et totalement contrôlées, les stéréotypes s’avèrent prégnants ; l’issue positive du match, quant à elle, les renforce, de la même manière que nous l’avions déjà constaté au travers de l’application du racial stacking.
Lorsque l’on s’adresse directement à des basketteurs blancs (cf. thèse : Chapitre 13. Diagnostic des relations intergroupes au basket-ball), on constate qu’ils attribuent massivement les caractéristiques « mentales » aux joueurs blancs et des caractéristiques « physiques » aux joueurs noirs. Cette attribution stéréotypique se révèle être essentiellement due au déficit des compétences « mentales » des joueurs noirs, cette privation étant activée par la majorité des sujets. Par ailleurs, ce phénomène de discrimination privative se retrouve dans les discours (cf. thèse : Chapitre 8. Biais discursifs) puisque les basketteurs blancs sont explicitement dotés de qualités « mentales » tandis que les basketteurs noirs en sont explicitement privés (par la négation : « ne pas »).
Tout se passe comme si les individus se référençaient à une approche stéréotypante à la fois pour les joueurs blancs (« mentaux ») et les joueurs noirs (« physiques »). Ce système est à mettre en relation avec la hiérarchisation Noirs-Blancs dans la mesure où les joueurs noirs sont relégués à des postes moins importants où les strictes compétences « physiques » sont nécessaires alors que les joueurs blancs possèdent les qualités « mentales » pour conceptualiser le jeu, caractéristique des postes centraux
Au regard de cette série de résultats qui nous a conduit à constater l’existence d’effets de discrimination chez des spectateurs sportifs et non sportifs ainsi que chez des basketteurs amateurs dans la comparaison sociale, il restait à étudier l’impact de ces phénomènes stéréotypiques chez des basketteurs de haut-niveau en confrontation directe avec des alter ego.
Pour l’étude de la menace du stéréotype (cf. thèse : Chapitre 14. Analyse qualitative des effets de menace du stéréotype sur la performance), il s’agissait de déterminer dans quelle mesure l’évaluation de compétences congruentes ou non congruentes avec les stéréotypes de son groupe d’appartenance pouvait influencer certains comportements et ressentis chez des basketteurs. De prime abord, la menace du stéréotype, qui devait toucher prioritairement les joueurs blancs, n’a semblé avoir d’effet que sur les joueurs noirs lors de la série évaluative des compétences physiques. Cependant, les résultats mettent en évidence que, pour les basketteurs blancs, la situation d’évaluation quelle qu’elle soit est en elle-même menaçante tandis que pour les joueurs noirs elle est boostante, les amenant à améliorer leurs performances. Ce ne serait donc pas le contenu du stéréotype qui prédominerait mais l’évaluation à l’intérieur du domaine qui serait favorisant pour les joueurs noirs. Il est probable que le basket-ball, pour les Noirs, puisse être un faire-valoir de leurs compétences. Ainsi, pour être menaçants, il semble que les stéréotypes ne soient pas forcés d’être opérationnalisés relativement à la dualité corps-esprit. À partir du moment où, sur le terrain de basket-ball, il est question d’évaluation, les joueurs noirs semblent se considérer au regard de leurs réactions vis-à-vis de la menace comme étant plus avantagés. Cependant, il est néanmoins possible qu’en milieu exclusivement Noir ou Blanc, toute possibilité de comparaison sociale puisse être exclue.
Apports de la recherche
D’une part, nous avons montré que, bien que le contexte soit a priori favorable à la non-discrimination, il s’applique incontestablement un phénomène de catégorisation. De même, bien qu’atténués par l’existence d’appartenances croisées, les mécanismes de catégorisation, y compris ceux implicites, sont activés chez des sujets qui manifestent des biais pro-endogroupaux. Via les représentations que les sujets se font à propos des individus ou des groupes, ils appliquent une catégorisation dans le but de maintenir ou de rehausser leur estime de soi ou bien encore de répondre à une menace identitaire. Au travers du filtre de leur représentation, même lorsqu’elle devrait être a priori plus favorable pour l’exogroupe, dans le domaine d’activité spécifique et particulier du basket-ball, les sujets modifient spontanément les informations disponibles à propos des joueurs. De plus, relativement à leur appartenance ethnique, ils activent les dimensions qui leur sont les plus avantageuses du point de vue de l’identité sociale.
D’autre part, nous avons mis en exergue que, dans le domaine sportif, les sujets puisent dans les stéréotypes pour alimenter les effets de la catégorisation Noirs-Blancs. Ils tentent de « rationaliser » l’ordonnancement des joueurs au sein de l’équipe (racial stacking) en faisant appel au stéréotype « physique » associé aux joueurs noirs et « mental » attribué aux joueurs blancs. Plus précisément, la catégorisation croisée semble limiter l’intensité des effets de la catégorisation, alors que dans le même moment elle renforce les effets liés aux stéréotypes. Autrement dit, le fait d’être sportif, engage à mobiliser davantage de croyances stéréotypiques, c'est-à-dire de « connaissances » qui ne seraient pas aussi disponibles pour des individus hors du champ sportif.
Par ailleurs, au travers des effets constatés relatifs à la menace générée par les stéréotypes, il apparaît que la situation d’évaluation dans le domaine du basket-ball est menaçante pour les joueurs blancs tandis qu’elle est boostante pour les joueurs noirs, indépendamment des contenus qu’elle évalue.
Conclusion
Nous nous sommes appliqués, au-delà de fournir les preuves empiriques qu’il subsiste encore malgré tout aujourd’hui des oppositions catégorielles Noirs-Blancs dans le contexte sportif, à comprendre leurs déterminants et leurs impacts.
Il a ainsi été mis en évidence que les pratiquants noirs sont prioritairement affectés aux postes considérés comme les plus « physiques » et les plus risqués en termes d’intégrité corporelle, tandis que leurs homologues blancs se voient attribuer les postes les plus « stratégiques » et les plus prestigieux.
Aussi, il conviendrait désormais de s’appuyer précisément sur ce constat et ces acquis afin de procéder à une possible remédiation de la discrimination raciale dans le milieu du basket-ball ; ceci en reconsidérant l’approche de cette pratique, depuis la sensibilisation et la formation des plus jeunes, l’accompagnement et la mise en œuvre de situations de terrain destinées à l’entraînement, jusqu’à la détection et le recrutement des joueurs par les dirigeants.
Dans tous les cas, la mutualisation des recherches en sciences humaines et sociales portant sur les différentes minorités ne pourra qu’enrichir la compréhension des relations Noirs-Blancs. Que ce soit dans un but fondamental d’éclaircissement et d’approfondissement des mécanismes intergroupes ou dans un but appliqué à des contextes bien précis, la compréhension des déterminants de la discrimination demeure encore une question de première importance.