Présentation générale
Les applications de la pratique médicale sont larges et ne laissent pas sans poser des questions juridiques, c’est particulièrement le cas de la thérapie génique. Ce traitement innovant et de haute technicité consiste à corriger le patrimoine génétique d’un patient. Les erreurs génétiques sont courantes mais certaines provoquent des dysfonctionnements biologiques graves voire morbides qu’il est impossible d’enrayer sans la thérapie génique1.
D’un point de vu médical, la correction du patrimoine génétique implique de détecter et d’identifier les erreurs génétiques qui causent les troubles biologiques puis d’élaborer un vecteur biologique transporteur du brin d’ADN sain appelé gène-médicament. La thérapie génique est synonyme de manipulations génétiques, c’est en cela qu’elle pose une série de questions juridiques et éthiques2.
Lorsque j’ai commencé mes recherches, la thérapie génique était considérée comme une pratique médicale expérimentale. Son efficacité était remise en cause et elle faisait l’objet de vives critiques3. Comme tout traitement expérimental, son utilisation s’était soldée par de francs succès4 mais surtout par plusieurs accidents, mortels pour les plus graves5, survenus en France et aux Etats-Unis. Aujourd’hui, grâce à la persévérance de certains chercheurs, la thérapie génique a réussi à s’imposer comme un véritable traitement. Même si la plupart des protocoles, développés à ce jour, sont encore expérimentaux, le premier médicament de thérapie génique (la GLYBERA), développé par la société Néerlandaise UNIQURE, a obtenu l’autorisation de mise sur le marché de la Commission européenne et est distribué depuis le milieu de l’année 2013.
L’objectif de mon travail n’était certainement pas de prouver l’efficacité de la thérapie génique, je laisse cette charge au personnel médical qualifié. Cependant, je ne pouvais pas me permettre de réfléchir à l’efficacité de l’encadrement juridique de la thérapie génique sans m’être assurée que cette voie thérapeutique innovante avait toutes les chances de dépasser le stade expérimental et de devenir, dans un avenir plus proche qu’il n’y paraît, un traitement ordinaire reconnu et encouragé. L’encadrement juridique d’une pratique médicale participe à son développement.
Mes travaux se sont construits autour de quatre axes : la mise en lumière de la complexité de l’encadrement juridique actuel des essais cliniques (I), la recherche de la pertinence de l’encadrement juridique de la relation médicale (II), l’encadrement contractuel (III) puis l’encadrement légal (IV) de la thérapie génique.
I. La mise en lumière de la complexité de l’encadrement juridique actuel des essais cliniques
Il est constant, en droit de la santé, de différencier les règles de droit privé et de droit public. Cela a une incidence directe sur le droit applicable au milieu hospitalier public ou privé. Ainsi, les médecins d’une clinique privée se voient appliquer le droit civil, dit droit privé, et les praticiens hospitaliers de l’hôpital public se voient gérer par les règles du droit administratif, dit droit public. Cela engendre une disparité des règles juridiques applicables et une considération différente du patient des établissements de soins publics et de celui des établissements de soins privés6. A cette complexité juridique, il faut ajouter la différenciation faite entre l’activité médicale ordinaire et l’activité de recherche7.
Les traitements innovants, comme la thérapie génique, sont qualifiés de recherches biomédicales. La loi prévoit, en ce cas, un encadrement spécial qui tend à protéger, notamment, le consentement du patient bénéficiaire.
Dans un premier temps, face à un tel dispositif juridique, mon premier constat a été de considérer que, logiquement, l’encadrement juridique des recherches biomédicales était légal puisque prenant source dans la loi.
Dans un second temps, il m’est apparu que les auteurs semblent différencier la pratique médicale selon que son activité est dite courante ou dite expérimentale. Cela revient à dire que l’on appliquerait les règles juridiques de la relation médicale en cas de traitement ordinaire et les règles juridiques de la recherche biomédicale en cas d’essai clinique. Or, cet argument m’a semblé très vite précaire au regard de ce qu’est l’activité de recherche sur le terrain8. La proposition d’un traitement expérimental résulte, tout comme dans le cas d’un traitement ordinaire, de l’interaction entre le médecin et son patient ; il m’est alors apparu que les règles de droit commun applicables à la relation médicale ne pouvaient être écartées et que mes travaux m’obligeraient à m’interroger sur la pertinence de l’encadrement juridique de la relation médicale.
II. La recherche de la pertinence de l’encadrement juridique de la relation médicale
Au regard du clivage existant entre droit privé et droit public, la relation médicale est qualifiée de contrat médical en droit privé tandis qu’elle est considérée comme statutaire en droit public. Le patient est un usager du service public à l’hôpital alors qu’il est client à la clinique. Cette distinction sémantique a une importance capitale en droit.
La qualification de contrat médical en droit privé est issue de la jurisprudence MERCIER de 1936, les juges de la Cour de cassation ont considéré que les rapports privilégiés entretenus entre le médecin et le patient ainsi que les obligations respectives, qui en découlent, s’apparentent à un contrat9. Cette jurisprudence a été fortement mise à mal par un arrêt récent du 3 juin 2010 qui sanctionne un défaut d’information d’un médecin par une responsabilité civile délictuelle au lieu de contractuelle10. Cet arrêt divise les auteurs. La doctrine majoritaire s’appuie sur cet arrêt pour démontrer l’insuffisance et l’inefficacité du contrat médical afin de conclure à son rejet11. Cette position a le mérite de rejoindre les règles applicables en droit administratif où le contrat médical, par principe, n’existe pas. Cependant, d’un point de vue de la rigueur juridique, cet arrêt est ponctuel puisque des jurisprudences postérieures consacrent à nouveau l’application du contrat médical. Il est alors prématuré de parler de revirement de jurisprudence.
Ma démonstration sur l’efficacité du contrat médical s’est confrontée à la difficulté majeure de la disparité des règles juridiques applicables en droit médical en raison du clivage existant entre droit privé et droit public.
Les auteurs constatent pour la plupart que ce clivage entre droit public et droit privé rend l’encadrement juridique de la relation médicale difficilement appréhendable et qu’une uniformisation des règles de droit public et de droit privé s’imposent12. La position de la doctrine majoritaire de rejeter l’application du contrat médical m’apparaît comme une solution de facilité qui ne correspond pas à la réalité de la nature de la relation médicale. C’est pourquoi, j’ai tenté de prendre position contraire de cette doctrine majoritaire en expliquant que la qualification du contrat médical devait être maintenue et qu’elle pouvait être étendue au secteur public. Cela est, certes, extraordinaire au regard du droit public mais il n’est pas rare qu’un praticien hospitalier exerce une activité libérale au sein d’un hôpital13. Partant, le contrat médical existe déjà dans le secteur public. Rien ne contredit sa possible reconnaissance juridique.
L’uniformisation des règles juridiques applicables à la relation médicale, par l’intermédiaire du contrat, est une étape primordiale dans la construction de ma pensée sur l’encadrement juridique de la thérapie génique et, plus généralement, de la recherche biomédicale.
III. L’encadrement contractuel de la thérapie génique
La thérapie génique est une recherche biomédicale qui élève le médecin au rang d’investigateur, mais surtout qui soumet la conduite de l’essai clinique à l’intervention obligatoire d’un troisième acteur en la personne du promoteur. Cela conduit à rechercher si la qualification de recherche biomédicale a une incidence sur les rapports contractuels qu’entretiennent le patient et le médecin investigateur puis à se demander si la situation de ce promoteur vis-à-vis de l’investigateur et du patient peut elle-même être qualifiée de contractuelle.
Constatant que le patient, l’investigateur et le promoteur apposent leurs signatures sur le protocole de recherche de sorte que le malade connaît les tenants et les aboutissants de l’essai clinique ainsi que le rôle respectif de ses interlocuteurs, j’ai estimé que les relations existantes entre ces trois acteurs ne pouvaient être autres que contractuelles et interdépendantes :
- Le contrat de recherche régit les rapports entre le promoteur et l’investigateur. Chacun de ces acteurs a un rôle précis dans la conduite de l’essai clinique. Le promoteur s’occupe de l’organisation de la recherche pendant que l’investigateur la met en œuvre.
- Le contrat médical régit les rapports entre le patient et le médecin. La nature expérimentale de la recherche n’a pas d’incidence sur l’existence du contrat médical. Il n’existe pas assez de différences fondamentales entre l’activité de recherche et l’activité de soins ordinaire pour remettre en cause la nature et l’encadrement contractuel de la relation médicale. Toutefois, le fait que la thérapie génique soit une recherche biomédicale a une incidence directe sur le patient qui se voit octroyer une protection juridique accrue. Le formalisme juridique est plus strict. La recherche biomédicale existe, contrairement à l’activité de soins courante, que si elle a été préalablement consentie par le patient en la forme écrite et par les autorités sanitaires compétentes14.
- J’ai estimé que la signature du protocole de recherche par le patient et les acteurs de la recherche établissait l’existence d’un lien contractuel entre le promoteur et le patient. Malgré le silence du droit sur la question, un lien contractuel tacite existe entre le patient et le promoteur même s’ils n’ont pas de contacts directs.
Chacun de ces liens contractuels engendrent des obligations dont le manquement est soumis à responsabilité contractuelle. Le contrat a pour rôle de régir les relations particulières existantes entre le patient et les acteurs de la recherche. Dans certains cas particuliers, la loi peut apporter une protection au patient que le contrat ne lui offre pas. Cela vaut en cas de manipulations génétiques.
IV. L’encadrement légal de la thérapie génique
L’encadrement légal prévoit de protéger les personnes lorsqu’elles se soumettent à la modification de leur patrimoine génétique.
La loi interdit la thérapie génique germinale qui permet la manipulation des gènes qui ont vocation à être transmis à la descendance15. Cette limite essentielle fait l’objet de discussion16 mais elle doit être, à mon sens, maintenue parce que cette pratique présente un risque eugénique17 non négligeable et parce que les médecins ne peuvent pas maîtriser totalement les règles de l’hérédité. Le hasard est une donnée constante du brassage génétique.
La loi tente de protéger les éléments qui composent le corps humain. Cela a une incidence sur la disposition du matériel génétique par l’individu titulaire ou par les tiers. Mes travaux ont été l’occasion de démontrer que l’attache du patrimoine génétique à la personne humaine le protège de sa disposition par les tiers et de la patrimonialité.
La réflexion sur l’encadrement légal de la thérapie génique permet de mettre en lumière toutes les lacunes du droit en matière de définition de la vie humaine. Mais cet encadrement légal a surtout vocation à assurer la protection de l’intégrité du patient ainsi que de son patrimoine génétique et, plus généralement, de l’espèce humaine. Cela est sans nul doute une condition essentielle dans la protection de la diversité biologique.
Conclusion
Les manipulations génétiques sont porteuses d’espoir mais elles peuvent représenter un risque non négligeable pour les personnes qui s’y prêtent18. « Les perspectives offertes par les biotechnologies ne doivent pas occulter les risques liés à ces techniques. L’utilisation maximale du potentiel des biotechnologies (…) ne doit se faire que dans le respect de la santé du consommateur et des valeurs fondamentales de notre société »19. Le contrat médical a seulement vocation à encadrer les relations entre le médecin et le patient, c’est en cela que l’encadrement légal de la thérapie génique apparaît nécessaire.
La réflexion de l’encadrement juridique des manipulations génétiques de l’être humain met en exergue l’équilibre fragile entre la préservation des intérêts de la médecine, du patient, des industries pharmacologiques et la préservation de l’intégrité des personnes. Le contrat est adapté dans l’encadrement des relations médicales mais l’ingérence de la loi est indispensable pour la protection de l’individu et de l’espèce humaine.
La thérapie génique est une avancée indéniable pour la connaissance scientifique, mais elle représente surtout un progrès dans le traitement des maladies génétiques de l’homme20. Elle doit demeurer cela et seulement cela, le droit est le gardien de cet objectif.