La construction sociale des miracles de Lourdes

DOI : 10.58335/shc.331

Résumé

Comment expliquer l’existence d’une instance médicale de contrôle des guérisons au sein même du sanctuaire de Lourdes ? Quelle est la place des médecins dans la procédure de reconnaissance des « miracles » ? Présentant les principaux éléments de ma communication, le texte qui suit tente de mieux comprendre comment sont « produits » les miracles de Lourdes.

Texte

Mon travail part d’un étonnement : il existe au sein même du sanctuaire de Lourdes une instance médicale permanente chargée de contrôler les déclarations de guérisons. L’existence d’une telle structure en un lieu de croyance suscite un certain nombre de questions : Pourquoi y a-t-il un Bureau Médical à Lourdes et pas dans d’autres sanctuaires ? Quelle est la place des médecins dans la procédure de reconnaissance des guérisons de Lourdes ? Qu’est-ce qui permet de donner un sens à l’activité des médecins au sein de ce sanctuaire ?

Pour répondre à ces questions, je me suis intéressée à l’histoire des événements de Lourdes (1858) en m’appuyant sur les archives (notamment administratives) de cette périodes réunies par le théologien R. Laurentin (1957-1966). L’analyse de ces pièces montre qu’avant d’être intégré dans le registre du mythe, les visions de Bernadette Soubirous et les premières guérisons de Lourdes ont d’abord constitué un « désordre intolérable » pour ceux qui ont dû en répondre dans l’administration impériale et le clergé. On peut se demander ce qu’il y avait de si inquiétant dans le fait que des gens se soient rassemblé autour d’une jeune fille dans un lieu reculé d’une petite ville de province éloignée de la capitale ? Où était le danger et de quelle nature était-il ?

À cette époque (encore marquée par les différents épisodes révolutionnaires de 1789, les journées de 1830 et celles de février ou de juin 1848), la foule est perçue comme dangereuse car elle semble imprévisible. Et lorsqu’on prend connaissance des archives, on peut constater que l’administration ne commence à prêter attention aux visions de Bernadette qu’en raison de l’extraordinaire mouvement de foules qu’elles provoquent. Plus que l’idée d’apparition mariale, c’est donc le désordre constitué par l’affluence subite et spontanée de milliers de personnes qui inquiète d’abord l’autorité civile.

Que va faire l’administration ? À Paris, le ministre des cultes exige que le désordre cesse. Selon lui, il importe de mettre un terme à ces rassemblements qui risquent de « jeter le discrédit sur le gouvernement de l’Empereur et de compromettre la dignité de la religion et les véritables intérêts du catholicisme ». En effet, l’oratoire populaire qui s’improvise alors autour de la grotte, ne risque-t-il pas de faire concurrence à l’Eglise ? Le préfet fait occuper militairement les abords de la grotte. La dévotion qui s’y improvise est proscrite, traquée par la loi comme un délit.

Mais, face à l’application de ces mesures répressives, la foule gronde. Et, à la colère des foules se rajoute une autre difficulté : Les visionnaires se multiplient aux abords de la grotte. On parle d’une véritable « épidémie ». À cet égard, le commissaire de Lourdes écrit dans un rapport au préfet : « La contagion s’étend chez les enfants de Lourdes. Autour de ceux qui croient voir, les autres s’excitent, baisent la terre, brandissent des chapelets. À défaut de la fontaine interdite, certains hantent les fontaines voisines. C’est comme une éruption qui s’étend sur la surface du pays » (Laurentin, 1958 : 19).

Complètement dépassées par les événements, la police et l’administration impériale s’interrogent : mais que fait l’Église ? Elle hésite. L’évêque de Tarbes a pris connaissance des critiques avancées, dans les journaux, par les rationalistes qui reprochent à la « Sainte Vierge » de « faire des apparitions à Lourdes et non à Paris », de se « montrer à Bernadette et non à l’académie des Sciences ». Face à ces railleries, il souhaite rester prudent. Ce n’est qu’en 1862 (4 ans plus tard !) que, sous la pression du pouvoir politique, il rend son jugement et reconnaît finalement l’authenticité des apparitions et de certaines guérisons.

Ce jugement ne permet-il pas de transformer les foules qui se rassemblaient en ce lieu désert et qui inquiétaient tant l’autorité politique en processions de pèlerins encadrés par l’Église ? Ne donne-t-il pas une forme intelligible et presque rassurante (le culte marial) à ce qui fut, pendant plusieurs année, un désordre innommable et potentiellement dangereux ?

Au terme de ce petit détour historique, on s’aperçoit qu’autour des événements de Lourdes, il y avait deux niveaux différents de contrôle social : celui de l’administration impériale et celui de l’Église. Le savoir médical viendra s’insérer entre ces deux strates disciplinaires. L’étude de l’histoire permet de comprendre que le regard porté par les médecins sur les guérisons déclarées « miraculeuses » s’inscrit d’abord dans une stratégie plus vaste de contrôle social des événements. Car, s’il faut calmer les agitations et canaliser les foules, il faut également éteindre les innombrables rumeurs qui propagent et multiplient de façon imaginaire les cas de guérisons spontanées. C’est dans le cadre de cette stratégie d’encadrement des événements que s’inscrit, en 1883, au sein du sanctuaire de Lourdes, la création d’une instance médicale chargée de contrôler les revendications de guérisons miraculeuses.

À un deuxième niveau, la création du Bureau Médical de Lourdes permet aussi de répondre à un autre problème. En effet, que cette instance ait vu le jour au moment précis où la médecine parisienne atteignait le sommet de sa gloire internationale pour ses travaux sur l’hystérie n’est peut-être pas une coïncidence ! Il faut réagir, entre autres, contre J.-M. Charcot et son École de la Salpetrière qui invalident toute procédure de reconnaissance miraculeuse en soutenant que les saints, les martyrs et les miraculés relèvent simplement de mécanismes psychopathologiques et que les guérisons supposées miraculeuses s’expliquent en terme de conversion hystérique.

De ce point de vue, le dispositif que l’Église met en place avec la création du Bureau Médical peut se comprendre comme une réplique. Afin de neutraliser et rejeter les attaques des adversaires des miracles, les médecins du Bureau Médical vont être explicitement chargés de faire la distinction entre les guérisons « hystériques » et celles relevant de véritables troubles « organiques ». Ils doivent, en quelque sorte, trier les véritables guérisons inexplicables susceptibles de convaincre les sceptiques en rejetant les fausses déclarations de guérisons qui risqueraient de jeter le discrédit sur le lieu saint. Autrement dit, la Salpêtrière lance cette attaque : "Ce que Lourdes fait, nous pouvons aussi bien le faire. Nous faisons des convulsions, nous pouvons aussi faire des guérisons". Ce à quoi Lourdes rétorque : "Guérissez tant que vous voudrez. Il y a un certain nombre de guérisons que vous ne pourrez pas faire et que nous ferons".

C’est bien dans cette perspective que, d’une manière générale, les médecins de Lourdes mettront systématiquement l’accent sur :

  • « des retours à la santé en l’absence de toute médication appropriée » ;
  • le caractère « imprévisible » de guérisons, comme « émanant d’une cause libre dominant la matière et les lois qui la régissent » ;
  • la « suppression de la convalescence » constituant, « sans doute possible, le signe irrécusable, la preuve palpable de l’extraordinaire dans la guérison ».

Ainsi, l’un des responsables du Bureau Médical écrira en 1911 : « On voit guérir à Lourdes instantanément des lésions matérielles de tissus organiques, sur lesquelles la suggestion est sans effet. Il n’y a qu’à Lourdes qu’on observe des cicatrisations instantanées de plaies ! Qui donc oserait comparer ces pauvres malades qui touchent aux dernières limites de la résistance, à ces fascinées de la Charité qui s’endorment en fixant un miroir à alouettes ? » (Boissarie, 1911 : 94).

Il est intéressant de noter que les critiques avancées par les opposants aux miracles sont intégrées dans le fonctionnement du Bureau Médical et même utilisées afin de renforcer la crédibilité des guérisons. Mais, à cette époque, les médecins de Lourdes vont encore plus loin. Si l’hystérie constitue l’occasion d’une attaque c’est aussi celle d’une opportunité. À leurs détracteurs, ils n’hésitent pas à rétorquer : « Les maladies nerveuses ! Nulle part on ne les connaît, on ne les étudie mieux qu’à Lourdes. C’est une clinique sans rivale et par le nombre et par la variété des sujets. Au lieu de se moquer du spectacle de Lourdes, les médecins devraient profiter de ce champ incomparable d’observation. Venez examiner nos malades ! Jamais clinique n’a été ouverte comme la nôtre à tous les médecins qui se succèdent pendant toute la durée des pèlerinages et dont le nombre s’accroît chaque année » (Boissarie, 1911). Au début du XXe siècle, les médecins de Lourdes estiment même pouvoir former sur cette question une troisième école (l’École de Lourdes) à côté de celles de la Salpêtrière et de celle de Nancy.

Afin de bien comprendre le rôle des médecins du sanctuaire il importe sans doute de rappeler ici que la procédure de reconnaissance des guérisons miraculeuses de Lourdes s’articule en trois phases et repose sur une division du travail entre médecins et ecclésiastiques :

1. À un premier niveau, composé par un médecin permanent (nommé par l’évêque de Lourdes) et par l’ensemble des médecins de passage présents au sein du sanctuaire, le Bureau Médical se présente comme un « comité d’experts » dont le rôle est d’établir

- la certitude rétrospective de la maladie,

- la réalité de la guérison déclarée,

- le caractère "inexplicable" ou non de cette dernière.

En outre, cette instance est chargée de déterminer si, sur le plan médical, les trois caractéristiques traditionnelles exigées par l’Église sont présentes :

  • l’instantanéité de la guérison,
  • l’absence de convalescence,
  • et la persistance de la guérison.

2. Si un dossier de guérison parvient à franchir ces épreuves, il est présenté au Comité Médical International de Lourdes (CMIL), organe consultatif supérieur constitué d’une vingtaine de médecins permanents (nommés par l’évêque de Lourdes).

Cette seconde instance médicale a pour tâche de diligenter une seconde expertise sur les cas de guérisons instruits par le Bureau Médical. Il s’agit de confirmer que la guérison ne trouve « aucune explication naturelle, susceptible d’être retenue par la science ». En fonction des conclusions d’expertises, ce comité pourra décider de présenter le dossier à l’évêque du diocèse de la personne « guérie ».

3. Dans une troisième étape, le dossier quitte le domaine strictement médical pour être soumis au jugement de l’évêque. Ce dernier s’appuie sur l’avis d’une commission canonique diocésaine chargée de réexaminer la guérison en référence au contexte de la grâce et aux critères de la foi, et prend seul la décision de proclamer le miracle.

Pour donner une idée de l’effet filtrant de cette activité de contrôle, il suffit de rappeler que, depuis 1858, les autorités médicales de Lourdes ont enregistré un peu plus de 7000 déclarations de guérisons, qu’environ 2000 d’entre elles ont été estimées « inexplicables en l’état des connaissances médicales », mais que seulement 69 ont été reconnues « miraculeuses » par l’Église.

Cette procédure a fonctionné pendant presque 70 ans, mais progressivement un problème semble s’être progressivement installé en raison duquel il n’y aurait plus de miracle à Lourdes. On retiendra ici qu’en 1999, concernant la demande de reconnaissance de Jean-Pierre Bély, le terme « miracle » n’est pas prononcé par l’évêque d’Angoulême qui se contente de reconnaître officiellement sa « guérison » au terme d’un parcours de 11 ans de procédure ! La demande de reconnaissance d’Anna Santaniello connaît le même sort : en 2005, l’archevêque de Salerne a considéré ne pas pouvoir donner « une conclusion en faveur du miracle, sans pour autant la nier » ? Quant aux deux précédentes guérisons, elles ont été reconnues en 1989 et 1978 : « À peine un miracle tous les dix ans » commente un journaliste du journal Le Monde

À Lourdes, tandis que l’évêque déplore « la prudence actuelle des médecins qui hésitent trop souvent à formuler un diagnostic de guérison », les médecins du sanctuaire s’interrogent : « Aujourd’hui les évêques n’osent plus parler de miracle. Pourquoi ? Comment en est-on arrivé là ? ». On peut observer la chose suivante : la médecine positiviste de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui se voulait « scientifique » et qui revendiquait la capacité à produire des faits robustes et sûrs, a progressivement cédé la place à une médecine relativiste où l’incertitude est désormais reconnue et assumée. Ce changement de posture a eu, paradoxalement, une incidence directe sur le nombre de miracles reconnus à Lourdes. Le constat d’une « raréfaction des miracles » s’explique en effet par la forte diminution de la reconnaissance des guérisons « certaines, définitives et inexplicables » par le dispositif d’expertise médicale.

Deux raisons peuvent être invoquées :

1. Les critères canoniques utilisés à Lourdes pour reconnaître le caractère inexplicable d’une guérison datent du XVIIIe siècle et ne semblent plus adaptés à la configuration actuelle des techniques de diagnostic et aux formes de la prise en charge thérapeutique du malade.

Prenant en exemple un des critères qui posent problème actuellement, l’évêque de Lourdes explique : « Théoriquement, il faut que nulle médication n’ait été donnée ou, s’il est avéré que des médicaments ont été prescrits, qu’ils n’aient pu avoir d’action utile. Cela rend impossible la reconnaissance de toute guérison miraculeuse d’un cancer ». Imagine-t-on en effet un cancéreux venant à Lourdes sans avoir subi au préalable une chimiothérapie ou une radiothérapie ? « Même si, poursuit l’évêque, le traitement paraît inefficace et si la personne guérit en priant Notre-Dame de Lourdes, la guérison ne pourra jamais être retenue, car il sera toujours possible de dire que, finalement, c’est le traitement qui a agi pour la guérison » (cité dans l’édition du journal Le Monde du 27 mars 2006).

2. La notion de guérison a connu une évolution dont il convient de tenir compte : Si pendant la première moitié du XXe siècle, les cas de tuberculose sont surreprésentés parmi les miracles reconnus, la période suivante compte davantage de maladies dégénératives (scléroses en plaques notamment) où les rémissions peuvent être longues et pour lesquelles, lorsque des améliorations sont constatées, les médecins hésitent à se prononcer de manière certaine et définitive.

Ancien responsable du Bureau Médical, le Docteur P. Theillier souligne le fait que « la médecine est devenue une science du probable, du provisoire, parfois même de l’inexplicable relatif. Dès lors lorsqu’on parle à propos d’une guérison de son caractère "certain, définitif, inexplicable", n’est-on pas déjà très éloigné de la situation actuelle du savoir médical et de sa pratique ? Le type de conclusion transmis actuellement par la commission médicale peut-il remplir les conditions de l’Église qui, elle, continue de "tabler" sur des constatations indiscutables ? Il y a là un problème d’épistémologie assez difficilement dépassable aujourd’hui » (Theillier, 2011).

Si une partie importante de la constatation du miracle repose sur la valeur de la connaissance produite par les médecins et sur la solidité que l’on prête à leurs expertises, il faut reconnaître, dans le même temps, que dans la mesure où cette base se fragilise, le miracle s’écroule… Les médecins du sanctuaire ne peuvent plus jouer le jeu de la vérité et des certitudes que l’Église attend d’eux. Et n’est-ce pas précisément parce qu’ils estiment ne plus être autorisés à parler de "guérisons certaines et définitives" que les évêques, de leur côté, ne prononcent plus le terme "miracle" dans leurs mandements ?

L’expertise médicale des guérisons déclarées au sein du sanctuaire, dont dépend la constatation des miracles à Lourdes, est progressivement devenue un obstacle à toute reconnaissance miraculeuse. Par sa volonté de faire reposer la constatation du miracle sur l’expertise médicale des guérisons déclarées, l’Église n’a donc pas seulement produit un effet sur ses détracteurs rationalistes. Ce geste a fini par l’affecter elle-même, en conduisant à une progressive raréfaction des miracles à Lourdes. Ne pouvant laisser la situation en l’état, c’est donc à son propre geste, qu’elle cherche à répondre aujourd’hui.

Comment tente-t-elle de sortir de l’impasse ? En créant une nouvelle catégorie de guérison :

Certains médecins pensent, en effet, que la procédure suivie jusqu’à présent à l’inconvénient de laisser au bord de la route de nombreux cas de guérisons très convaincants en raison d’un diagnostic insuffisamment assuré, de l’existence d’une « surcharge fonctionnelle ou hystérique » dans le tableau clinique, de l’absence d’un seul examen complémentaire ou encore d’une interprétation ambiguë d’un examen paraclinique… Tout cela peut engendrer la réfutation d’un dossier.

Le Docteur P. Theillier reconnaît : « Qu’il faille déjouer un maximum de pièges toujours possibles, nous en sommes tous convaincus, mais le risque est de prendre trop de précautions et de ne garder que ce qui ne pose pas de problèmes médicaux, ce qui est devenu de plus en plus rare aujourd’hui : avec les progrès de la médecine et l’inflation des examens, on en arrive toujours à mettre en doute un point ou un autre et à estimer qu’il est impossible d’aboutir à une certitude quelconque » (Theillier, 2008 : 124-125).

Devant la difficulté à reconnaître les miracles sur le plan médical, une question de fond se pose aux acteurs de la procédure : « Les guérisons observées à Lourdes doivent-elles continuer à constituer un événement rare propre à se rapporter uniquement à la catégorie du miracle tel qu’il est défini par les règles canoniques, ou bien doivent-elles être aussi reçues, en première intention, comme une manifestation de la compassion de Dieu pour tous » (Theillier, 2008 : 126) ? En d’autres termes, le miracle doit-il rester miraculeux ?

En cherchant à trouver une issue, les médecins eux-mêmes considèrent qu’il est temps de prendre conscience que les guérisons retentissantes (parce que corporelles, physiques et visibles) qui ont jusqu’ici forgé la notoriété du sanctuaire cachent « les innombrables guérisons intérieures et spirituelles, non visibles, que tout un chacun peut vivre à Lourdes » (Theillier, 2008 : 127). Pour eux, les plus grands miracles de Lourdes ont aujourd’hui lieu à la chapelle de la Réconciliation » ! En d’autres termes : « Lourdes, si ça ne guérit plus, ça fait tout de même du bien » !

Les responsables et organisateurs de pèlerinages participent à cette transformation

  • en encourageant, par exemple, les pèlerins à concevoir, avant tout, leur séjour à Lourdes comme un « ressourcement spirituel » ;
  • en les invitant à exprimer autrement leurs demandes de guérison ;
  • en leur apprenant à ne pas formuler de prières pour eux-mêmes mais à prier ensemble pour les autres…

De leur côté, les médecins s’accordent sur l’idée d’introduire dans les miracles une deuxième catégorie de guérisons (les guérisons « exceptionnelles »). « Il ne s’agit pas, précisent les médecins, de faire une deuxième catégorie au rabais où l’enquête diagnostique serait moins sérieuse, mais de faire une catégorie différente qui regroupera des guérisons qui n’ont pas la prétention d’être "inexpliquées" mais seulement hautement improbables. Ce ne seront donc pas des guérisons forcément "inexplicables" mais tout à fait "exceptionnelles" qui auront, en tout état de cause, fait l’objet d’une vérification sérieuse, solidement étayée » (Theillier, 2006 : 2).

Pour conclure, on remarquera au terme de ce parcours que, de la fin du XIXe au début du XXe siècle, la conception de la guérison à Lourdes se retourne comme un gant : autrefois rejetées, les guérisons dites « psychiques » sont aujourd’hui mises au premier plan. On passe progressivement de la guérison extraordinaire à la guérison intérieure. La guerre contre les théoriciens de l’hystérie étant terminée, les mondes autrefois strictement séparés du corps et de l’esprit se décloisonnent, permettant à une nouvelle conception de la guérison d’émerger : elle devient une « expérience totale », physique, psychique et spirituelle. Les médecins du sanctuaire n’hésitent plus à parler de « délivrance » et de « libération » en relation avec « la paix du cœur retrouvée ». Les prothèses et les béquilles qui, autrefois, étaient suspendues aux parois de la Grotte (et qui témoignaient des nombreuses guérisons physiques), ont été décrochées à l’attention d’autres soutiens susceptibles de « remettre les hommes debout ». En suivant cette évolution du rôle des médecins dans le sanctuaire n’accompagnons-nous pas l’évolution de la conception de la santé et du rôle social de la médecine depuis la fin du XIXe siècle ?

Bibliographie

AMIOTTE-SUCHET, Laurent, 2007. « Le miracle des cœurs. La production d’un lien socioreligieux chez les pèlerins de Lourdes », Esprit critique, n°10.

BOISSARIE, Gustave, 1911. Lourdes, les guérisons, Troisième série. Paris, Maison de la Bonne Presse.

LAURENTIN, René, 1958. Lourdes, Documents authentiques, Tome 3. Paris, P. Lethielleux.

THEILLIER, Patrick, 2006. Bulletin du Bureau Médical de Lourdes, n°294, Avril 2006.

THEILLIER, Patrick, 2008. Lourdes, des miracles pour notre guérison. Paris, Presses de la Renaissance.

THEILLIER, Patrick, 2011. Conférence à l’abbaye de Saint Wandrille, octobre 2011.

Citer cet article

Référence électronique

Laetitia Ogorzelec, « La construction sociale des miracles de Lourdes », Sciences humaines combinées [En ligne], 12 | 2013, publié le 01 septembre 2013 et consulté le 21 novembre 2024. DOI : 10.58335/shc.331. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=331

Auteur

Laetitia Ogorzelec

Docteure en sociologie, LASA - EA 3189 - UFC