Les collectivités territoriales françaises dans le processus d’intégration européenne

DOI : 10.58335/shc.246

Texte

Ma thèse qui porte sur les collectivités territoriales dans le processus d’intégration européenne a consisté en une systématisation du rapport existant entre le droit de l’Union européenne et les collectivités françaises.

A titre liminaire, il convient de rappeler qu’une étude sur les relations entre l’Union européenne et les collectivités ne s’impose pas avec évidence dans la mesure où l’Union est avant tout une construction fondée sur les États. Ces derniers ont en effet un rôle consubstantiel dans le processus d’intégration européenne.

Le processus d’intégration européenne renvoie à la fois à une intégration purement normative et à une intégration institutionnelle, plus rarement définie. Ces deux mouvements descendant et ascendant permettent de rendre compte parfaitement de la dynamique européenne. L'intégration normative est clairement affirmée par le juge de l'Union. Les principes de primauté et d’effet direct fondent le respect du droit de l’Union par les États membres1. Cet objectif d’intégration oblige donc les États membres à respecter leurs obligations européennes. Ces derniers doivent s’assurer de l’application des normes européennes sur l’ensemble de leur territoire. En effet, quel que soit l’autorité à l’origine d’une violation du droit de l’Union, seul l'État pourra faire l’objet d’un recours en constatation de manquement et être condamné par la Cour de justice de l’Union européenne. Les violations du droit de l’Union par les collectivités pourront donc donner lieu uniquement à une condamnation en manquement de l'État membre2.

L'intégration institutionnelle fait référence à la production normative européenne et aux acteurs impliqués directement ou indirectement dans celle-ci. Elle repose à la fois sur une logique communautaire et étatique. Les institutions de l’Union, plus particulièrement la Commission et la Cour, ont incontestablement contribué à renforcer l’intégration européenne en essayant de transcender une logique reposant uniquement sur la somme des intérêts des États membres. Il n’en demeure pas moins que l’organe décisionnaire reste le Conseil, institution qui, par définition, repose sur une logique étatique. La production normative européenne est alors fondée à la fois sur la méthode communautaire et intergouvernementale. Ainsi, «l’étude du système institutionnel communautaire ne peut être réduit aux seules institutions communautaires mais doit nécessairement intégrer la dimension étatique qui en constitue une composante essentielle»3. Les États participent donc à l’élaboration du droit de l’Union d’une part, en arrêtant au plan national la position qui sera défendue au sein du Conseil d’autre part, en défendant cette position. Il appartient donc à chaque État membre d'inclure ou non les intérêts de ses collectivités dans l'élaboration de la position nationale qui sera défendue au Conseil.

Ces considérations sur le rôle central des États dans la construction européenne expliquent, qu’à l’origine, les relations entre l’Union et les collectivités étaient marquées par une indifférence certaine. Le Traité de Rome ne comportait que quelques dispositions relatives aux collectivités. Leur prise en compte dans les traités n’a ensuite cessé de progresser. Ainsi, en vue de pallier le déficit démocratique, critique récurrente faite à l’Union, les dispositions relatives aux entités infra-étatiques vont se multiplier avec l’adoption du Traité de Maastricht. Parmi les avancées importantes, on notera la création du Comité des régions, organe consultatif de défense des intérêts des collectivités dans le processus décisionnel communautaire ou encore la consécration de la citoyenneté européenne.

Le Traité de Lisbonne, reprenant les nombreuses avancées déjà contenues dans le projet de Traité ECE, marque une nouvelle étape dans la prise en compte des autorités régionales et locales. De nombreuses références à ces dernières sont ajoutées dans le corps même du Traité.

Parallèlement, le juge de l’Union tendait de plus en plus à prendre en considération la situation particulière des collectivités territoriales, contribuant à la construction d’un véritable droit européen en la matière4. A cela s’ajoute que la politique de cohésion économique, sociale et territoriale, dont l’objet est la réduction des écarts de développement entre les différentes régions européennes, est devenue pour la période de programmation 2007-2013 le premier poste budgétaire de l’Union.

Les entités infra-étatiques apparaissent donc très clairement comme des «acteurs émergents» de la construction européenne. Plusieurs éléments sont susceptibles d’expliquer ce «saut» quantitatif dans les références faites aux autorités régionales et locales par le droit de l’Union.

Si à l’origine les États membres de l’Union étaient peu décentralisés5, un mouvement décentralisateur a pu être observé dans de nombreux États membres de l’Union européenne. Tel est le cas de la France qui, depuis son adhésion aux Communautés européennes, a connu deux réformes d’envergure auxquelles on peut ajouter la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010. L’Union européenne, en quête de légitimité démocratique, cherche de plus en plus à s’appuyer sur les collectivités. Mais l’élément essentiel demeure le phénomène d’interaction entre le droit matériel de l’Union et les domaines d’action des collectivités territoriales, phénomène qui n’a cessé de s’amplifier au fur et à mesure de l’élargissement des compétences de l’Union. A chaque révision des Traités, les compétences européennes n’ont cessé de progresser de telle sorte que l’impact du droit de l’Union sur la sphère d’action des collectivités territoriales s’est considérablement renforcé. Aujourd’hui, la plupart de la réglementation applicable aux collectivités territoriales est d’origine européenne. L’action des collectivités s’en trouve parfois totalement bouleversée, tel est le cas en matière d’interventionnisme économique ou encore d’environnement.

Ce développement remarquable des interférences entre le droit de l’Union et les domaines d’action des collectivités territoriales constitue incontestablement le point de départ de cette recherche.

Les études sur les relations s’instaurant entre les collectivités et l’Union européenne se sont d’ailleurs multipliées ces dernières années. La doctrine a manifesté un réel intérêt pour ce sujet6. L’analyse des recherches menées sur cette thématique aboutit à un constat empirique : celui des difficultés rencontrées dans l’application du droit communautaire par les collectivités françaises, sans que ce phénomène ne fasse l’objet d’explications approfondies. Application et participation des collectivités au droit de l’UE étaient étudiés de manière cloisonnée sans être véritablement mis en perspective.

Or, la généralisation de la contrainte normative européenne pesant sur les collectivités justifiait pleinement la recherche d’une systématisation dans le rapport existant entre le droit de l’Union européenne et les collectivités territoriales françaises.

L’étude combinée des mouvements descendant et ascendant révélait l’existence d’un déséquilibre, d’une asymétrie entre l’application du droit de l’Union par les collectivités et leur participation à l’élaboration de ce même droit, les collectivités françaises n’étant pas impliquées avec la même intensité dans les deux formes d’intégration.

Au fond, l’enjeu central de cette étude était de déterminer si ce déséquilibre était ou non un facteur de difficultés dans l’application des normes européennes par les collectivités. Le constat des nombreuses difficultés rencontrées par les collectivités françaises dans l’application du droit de l’Union européenne conduisait logiquement à s’interroger sur une éventuelle corrélation entre les mouvements descendant et ascendant induits par l’intégration européenne. La question de l’intégration institutionnelle, c'est-à-dire de l’association collectivités à l’élaboration du droit de l’Union européenne comme vecteur d’efficacité dans le respect de leurs obligations européennes, se posait avec une acuité toute particulière pour les collectivités territoriales françaises. Alors que l’Union européenne a de plus en plus cherché à intégrer institutionnellement les collectivités, une association plus accrue relevait avant tout du droit interne du fait de la nature particulière de l’Union. Or, contrairement à d’autres États membres, la France n’a associé que très récemment et de manière modique ses collectivités à l’élaboration du droit de l’Union.

Partant de l’analyse de l’impact du droit de l’UE sur les collectivités, un premier constat apparaissait clairement. En matière d’application du droit communautaire, les collectivités territoriales sont dans un rapport d’intégration avec l'État. Elles sont considérées comme des «émanations de l'État»7 et sont ainsi tenues de mettre en œuvre les normes européennes entrant dans leur sphère de compétences, en écartant si besoin est la règle nationale contraire. Le cas des directives est, à cet égard, révélateur. La directive est un acte législatif de l’Union qui lie tout État membre quant au résultat à atteindre, tout en leur laissant le choix quant à la forme et aux moyens. Elles nécessitent donc l’adoption d’un acte de transposition par les autorités compétentes qui disposent pour cela d’un délai. Dans un État unitaire décentralisé comme la France, la charge de transposition et, de manière plus générale l’exécution du droit de l’Union, incombe uniquement au Parlement ou au gouvernement. Néanmoins, à l’expiration du délai de transposition et en cas de défaillance des organes centraux, les collectivités devront appliquer directement la directive dont les dispositions sont claires et inconditionnelles et écarter le droit national contraire8. Le cas échéant, les particuliers pourront se prévaloir des directives non transposées contre une collectivité et pas uniquement contre l’État9.

Pour pouvoir parler d’assujettissement, de soumission des collectivités au droit de l’Union, encore faut-il que le non respect de leurs obligations soit assorti de la potentialité d’une sanction. Or, au regard des Traités, seul l'État membre peut faire l’objet d’un recours en constatation de manquement10. Le recours en manquement vise à faire constater qu’un État a manqué à ses obligations européennes. L’initiative appartient à tout État membre de l’Union qui estime qu’un autre État membre n’a pas respecté ses obligations ou à la Commission européenne. Un tel recours signifie que l’État devra donc répondre des illégalités commises sur son territoire y compris lorsque celles-ci seront imputables aux collectivités territoriales ou à leurs groupements11. On peut citer, à titre d’exemple, un arrêt en date du 31 janvier 200812. Dans cette espèce, trois départements français dépassaient régulièrement les seuils de nitrates et de pesticides prévus par la directives 98/83 du Conseil du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. La France a été condamnée en manquement du fait de la violation du droit de l’Union par ses collectivités.

Il paraît opportun de faire remarquer qu’une telle condamnation a un effet purement déclaratoire. Il s’agit d’un simple «rappel à l’ordre» de la Cour qui enjoint à l'État membre de faire cesser au plus vite la violation constatée de ses obligations européennes. Il n’y a, en principe, pas de sanction financière13.

Si le recours en manquement n’est possible qu’à l’encontre de l'État, à l’inverse, le recours en responsabilité concerne pleinement les collectivités dès lors que leur comportement infractionnel vis-à-vis du droit de l’union a entraîné un préjudice. Il pourra alors s’agir d’une responsabilité cumulative de l’État membre et de la collectivité ou exclusive de l’un ou de l’autre. Lorsque la violation du droit de l’Union ayant entraîné un dommage est entièrement imputable à la collectivité, la responsabilité exclusive de celle-ci pourra être engagée. En revanche, lorsque la violation est uniquement imputable à l'État comme par exemple en cas de non transposition d’une directive dans les délais, la responsabilité partagée de l'État et de la collectivité pourra être retenue. L'État condamné ou inversement la collectivité pourra, dans le cadre d’une action récursoire, obtenir un partage de responsabilité. Lorsque l’acte local pris en violation des normes européennes aura fait l’objet d’un contrôle de la part du représentant de l'État, la collectivité ne pourra s’exonérer de toute ou partie de sa responsabilité qu’en prouvant l’existante d’une faute lourde dans l’exercice du contrôle de légalité. Les collectivités françaises se trouvent donc dans une situation particulièrement pernicieuse puisqu’elles doivent, dans certaines hypothèses, supporter les défaillances étatiques en matière de respect du droit de l’Union. De l’étude combinée des recours en manquement et en responsabilité, il peut être déduit que les collectivités territoriales sont les «premiers sujets responsables» vis-à-vis de la bonne application des normes européennes, les risques de sanctions pécuniaires à leur encontre étant plus élevés que ceux pesant sur l'État membre.

Compte tenu du poids des obligations européennes, les risques de violations et donc de mise en jeu de leur responsabilité sont objectivement très importants.

La France, souvent présentée comme l’archétype de l'État centralisé, même si la décentralisation a progressé notamment à travers l’acte II de la décentralisation, doit permettre à ses collectivités de se conformer à leurs obligations communautaires. Si la décentralisation est voulue et organisée par l'État, l’intégration européenne constitue un facteur de plus en plus prégnant quant à la recherche d’une organisation territoriale permettant la pleine application du droit communautaire. La combinaison entre centralisation et décentralisation doit permettre aux normes européennes de déployer la plénitude de leurs effets sur l’ensemble du territoire.

Or, il apparaît que le caractère unitaire de l'État est de nature à limiter l’effectivité du droit de l’Union et donc son application par les collectivités et leurs groupements. On rappellera que l'unité de l'État est liée à l'indivisibilité de la souveraineté, cette dernière se caractérise par « une seule organisation politique et juridique-dotée à elle-seule de la plénitude de la souveraineté-indépendance »14. Ce principe empêche toute atteinte à l'unité du pouvoir normatif de l'État. En matière de normes européennes, cela signifie que leur exécution est centralisée au niveau de l'État. De même, il justifie l'existence d'un contrôle sur les actes des collectivités, contrôle effectué par un représentant de l'État.

En matière d'exécution du droit de l'Union, la France montre des défaillances persistantes notamment en ce qui concerne la transposition des directives ; ce qui lui vaut parfois le qualificatif d’ « homme malade de l’Europe ». Les collectivités territoriales ne peuvent donc se fier aveuglément au droit national. Elles doivent effectuer une véritable veille juridique, ce qui n’est pas aisée dans la mesure où aucun droit à l’information n’est organisé à leur profit. Ce défaut d’information se fait ressentir notamment dans le cadre des phases pré-contentieuse et contentieuse précédant tout arrêt en constatation de manquement. La phase pré-contentieuse se traduit par un dialogue entre la Commission et l'État défaillant, celui-ci dispose alors de deux délais successifs pour faire cesser la violation du droit de l’Union et ainsi éviter l'introduction d'un recours. A l’issu de cette phase, si l'État est toujours défaillant la Commission pourra alors saisir la Cour. Or, les collectivités sont totalement exclues de ce dialogue et ce, alors même qu’elles sont à l’origine du manquement. A cet égard, l’affaire dite des marchés de définition est tout à fait significative. L’article 73 du CMP prévoyait cette spécificité française qui permet à une collectivité, lorsque celle-ci n’est pas en mesure de préciser l’étendue et la nature de ses besoins, de faire réaliser des études préalables avant la réalisation du marché d'exécution. Un premier marché est donc attribué pour « définir », un second pour exécuter. La réglementation française prévoyait que la mise en concurrence pour le second marché était limitée aux seuls titulaires du marché de définition15. En février 2008, la Commission a introduit un recours en manquement contre la France du fait de la non conformité de cette procédure avec les prescriptions communautaires en matière de mise en concurrence. Les collectivités n’ont pas été associées aux phases pré-contentieuse et contentieuse. Elles se sont retrouvées alors dans une situation d’insécurité juridique difficilement tenable. Deux alternatives s’offraient à elles : soit suspendre leurs comportements potentiellement infractionnels le temps de la procédure, soit continuer à ne pas tenir compte de l’affaire pendante et prendre le risque que leur responsabilité soit engagée. Finalement, la France sera condamnée en manquement le 10 décembre 2009 au titre de sa procédure de marché de définition16. Cet exemple illustre parfaitement la position très délicate dans laquelle se trouvent les collectivités. Elles sont clairement mises à l’écart de l’exécution du droit de l’Union, ce qui peut s’avérer problématique.

Cette considération est renforcée du fait des nombreuses défaillances existant dans le contrôle de légalité, ce dernier ne saurait constituer un rempart efficient contre les éventuelles illégalités européennes des actes des collectivités territoriales. Les services préfectoraux n’ont pas intégré de manière satisfaisante le référentiel communautaire.

Un même constat s’impose quant à la forme décentralisée de l'État. Celle-ci est également un facteur de limitation de la bonne application du droit de l’Union par les collectivités. La France se caractérise par une multiplicité de centres décisionnels locaux. A cet égard, elle fait clairement figure d’exception dans le paysage territorial européen. Sur les plus de 92 000 collectivités territoriales que compte l’Union européenne, la France totalise plus du tiers des entités infra-étatiques européennes avec 36 682 communes, 101 département, 26 régions auxquelles s’ajoutent les 2 611 établissements publics de coopération intercommunale. La taille moyenne d’une commune française est d’un peu moins de 1 600 habitants contre près de 17 000 pour les collectivités de base belges et 12 000 pour les communes allemandes. L’inconvénient de ce « nanisme communal »17 est indéniable vis-à-vis de l’application du droit de l’Union. En effet, les petites communes sont beaucoup plus démunies. Elles ont des moyens financiers limités, ce qui les empêche d’avoir recours à une expertise juridique extérieure. On pense notamment à la complexité du droit des marchés publics qu’elles doivent nécessairement appréhender dans la gestion de leurs services publics. Un constat similaire s’impose lorsqu’elles veulent bénéficier de crédits européens au titre de la politique régionale en tant que porteurs de projets. La difficulté des dossiers à monter les pousse le plus souvent à renoncer. En outre, dans certains domaines, la mise en conformité avec le droit de l’Union peut s’avérer ardue voire impossible du fait des investissements très lourds à réaliser tel est le cas en matière d’environnement.

La répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales mais également entre les différentes catégories de collectivités est également de nature à entraver l’application des normes européennes. Celles-ci sont enchevêtrées de telle sorte qu’il est parfois difficile de savoir « qui fait quoi ? », ce qui augmente les risques d’application variable des normes européennes. Les régions, collectivités valorisées par l’Union européenne, mériteraient de se voir reconnaître une certaine prééminence sur les autres collectivités dans les domaines irrigués par le droit de l’Union européenne et nécessitant un pilotage fort. Tel est le cas, par exemple, de l’environnement, domaine dans lequel l’enchevêtrement des compétences entre l'État et les niveaux de collectivités a été un facteur de multiplication des violations du droit communautaire. En donnant aux collectivités régionales un véritable rôle de chef de file, elles deviennent garantes de l’action des autres collectivités, ce qui réduit l’éclatement des responsabilités en la matière. L'État n’a plus qu’un seul interlocuteur, le niveau régional, ce qui est facteur de plus de cohérence dans les actions entreprises.

Ainsi, l’intégration du droit de l’Union se trouve à la fois encadrée par le caractère unitaire et la forme décentralisée de l'État. Si le principe européen d’autonomie institutionnelle interdit à l’Union européenne de s’immiscer dans l’organisation interne des États membres, ces derniers ne sauraient exciper de cette même organisation pour se soustraire à leurs obligations européennes. Les risques de condamnations en manquement à répétition de la France du fait de ses collectivités semblent induire à la recherche d’un nouvel équilibre dans les rapports centre/périphérie.

En France, l’accroissement des obligations européennes des collectivités n’a pas été compensé de manière significative par une association de ces dernières à l’élaboration du droit de l’Union.

Même si juridiquement rien ne contraint à une telle implication, beaucoup d'États membres ont fait ce choix. Il s’agit d'État fédéraux ou régionaux mais également d'États unitaires décentralisés à l’instar du Danemark. Cette implication trouve principalement sa justification par l’impératif d’application du droit de l’Union. Ainsi, associer les collectivités à l’élaboration du droit de l’Union serait un facteur d’amélioration de son application. Plusieurs éléments sont susceptibles d’expliquer ce lien entre le mouvement ascendant et le mouvement descendant, le premier permettant d’améliorer le second. En premier lieu, telle une association permet la mise en place d’un droit à l’information notamment sur les projets de textes européens sur lesquels elles sont consultées. En second lieu, cela permet aux entités infra-étatiques de faire part des éventuelles difficultés que pourraient leur poser la mise en œuvre de certaines normes. On pense tout particulièrement au droit européen de l’environnement qui impose souvent des investissements très importants aux collectivités territoriales notamment aux petites communes, investissements qui ne sont parfois réalisables que sur plusieurs années. Ainsi, l’association des collectivités territoriales serait un facteur de réalisme dans l’élaboration de certaines normes européennes dont la dimension territoriale est indéniable.

Partant de ce constat, intégration normative et intégration institutionnelle seraient intimement liées voire indissociables. L’Union a cherché à impliquer de plus en plus les collectivités territoriales à l’élaboration institutionnelle des normes européennes. Malgré le phénomène d’ « européanisation » des États membres, ces derniers restent souverains, c’est à eux qu’il appartient principalement d’associer institutionnellement leurs collectivités notamment à l’élaboration des positions nationales. La France est longtemps restée hermétique à une telle implication. Elle n’a associé que très récemment et de manière modique ses collectivités à l’élaboration du droit de l’Union. L’intégration institutionnelle des collectivités territoriales françaises va donc se traduire par une asymétrie entre leur participation directe à la production normative européenne et celle organisée au plan interne.

Au plan de l’Union, la création du Comité des régions par le Traité de Maastricht est venue consacrer la place et le rôle des collectivités territoriales dans le système institutionnel européen. Créé sous la pression des Länder allemands, le rôle du Comité des régions est de représenter les intérêts des collectivités auprès des institutions européennes. Chaque État membre dispose d’une délégation composée de représentants des collectivités. Les compétences du Comité n’ont cessé de s’amplifier depuis sa création de telle sorte qu’il est aujourd’hui consulté de manière obligatoire par la Commission, le Conseil ou le Parlement européen dans un très grand nombre de domaines. Il peut également prendre l’initiative d’émettre un avis dans tous les cas où il le juge opportun. Cette capacité d’auto-saisine est centrale. Elle a incontestablement servi de moteur à l’évolution du Comité. Ce dernier a ainsi multiplié les avis d’initiative dans les domaines qui, de façon illogique, ne faisaient pas partie de ses consultations obligatoires, ainsi qu'à chaque révision des traités. Cette stratégie s’est révélée payante. L’étude de ses avis met en relief qu’il a influé tant sur la modification des traités que sur la législation de l’Union.

Hormis le Comité, l’utilisation d’autres types d’associations institutionnelles relève du choix discrétionnaire de chaque État membre, créant ainsi une participation à géométrie variable entre les différentes collectivités européennes. Ainsi, certains représentants de régions dotées d’une part du pouvoir législatif ont la possibilité de participer au Conseil. D’autres collectivités disposent également de représentants au sein des comités d’assistance auprès de la Commission et du Conseil.

De manière plus officieuse, les collectivités ont développé des relations directes avec les institutions de l’Union à travers leurs opérations de lobbying leur permettant d’influer parfois de manière significative sur l’élaboration de certaines normes. A titre d’exemple, le bureau Bretagne-pays de la Loire-Poitou-Charente fait partie du réseau « régions européennes sans OGM » qui regroupent quarante-trois collectivités régionales de différents États de l’Union. Les différentes actions de ce réseau lui ont permis de s’imposer comme une intermédiaire naturel entre le niveau politique et économique. Le rapport du Parlement européen sur les OGM reprend d’ailleurs un certain nombre d’amendements proposés par ce réseau.

Si le Comité des régions se montre très actif sur la scène européenne, il reste «enfermé» dans sa condition de simple organe consultatif. Il est de plus en plus pris en étau entre la participation directe de certaines entités subétatiques au processus décisionnel et le développement d’un lobbying actif des collectivités auprès des institutions de l’Union. Les collectivités françaises voient leurs intérêts défendus, au plan institutionnel, uniquement par le Comité des régions, seul organe commun à toutes les collectivités. La seule autre alternative pour elles, en l’état actuel du droit national, est de développer le plus possible leurs activités de lobbying auprès des institutions. Toutefois, il faut bien comprendre que le développement d’un lobbying actif des collectivités auprès des institutions européennes est un facteur potentiel de discrédit de l'État membre. En effet, ce dernier peut défendre une position totalement contraire lors du processus décisionnel de celle suggérée par ses collectivités directement auprès des institutions de l’Union européenne. D’autant plus que l'État central n’associe que très peu ses collectivités à l’élaboration des positions nationales, les difficultés posées par l’application de certaines législations peuvent totalement lui échapper. D’une certaine manière, tant que le droit national ne développera pas une association étroite des collectivités à l’élaboration des positions nationales ainsi qu’un droit à l’information à leur profit18, il encouragera indirectement les collectivités à continuer à développer des liens directs avec les institutions de l’Union. Pour certains, cette « convergence entre les régions et la commission (…) relèvent d’une stratégie d’encerclement des États»19. L’'État a donc tout intérêt à associer ses collectivités de manière officielle à la production normative européenne.

Pourtant au plan interne, l’association des collectivités à l’élaboration du droit de l’Union reste très limitée.

Le Sénat qui, selon l’article 24 alinéa 3 de la Constitution, assure la représentation des collectivités territoriales, pourrait jouer un rôle. D’autant plus que le rôle européen des assemblées législatives vis-à-vis de la production normative européenne a clairement été revalorisé. Toutefois, la seconde chambre n’a pas cherché à défendre les intérêts des collectivités notamment par le biais des résolutions européennes prévues à l’article 88-4 de la Constitution. En vertu de cette disposition, chaque assemblée a, en effet, la possibilité, d’adopter une résolution lui permettant d’exprimer sa position sur tout projet d’acte européen ainsi que tout autre document émanant d’une institution européenne. Si l’Assemblée nationale a adopté beaucoup de résolutions ayant pour objet la défense des intérêts des collectivités20, il est tout à fait significatif que le Sénat n’ait pris aucune résolution en ce sens. Cela s’explique aisément par le fait que la seconde chambre représente de manière très imparfaite les collectivités territoriales. La composition du collège électoral, combinée avec la répartition départementale des sièges sénatoriaux, engendre une surreprésentation des communes et des départements ruraux. Le Sénat assure donc une représentation déformée du paysage territoriale français notamment en laissant une place très marginale aux collectivités régionales. Il est d’ailleurs tout à fait significatif « que lorsque les gouvernements de droite ou de gauche ont eu à désigner la délégation française au Comité des régions, ils ont choisi d’attribuer la moitié des sièges aux représentants des régions, un quart à ceux des départements et un autre quart à ceux des communes ; c’est ainsi qu’ils ont pensé que l’on devait représenter les collectivités territoriales d’aujourd’hui »21. Cette comparaison ne peut qu’interpeller. La représentation des collectivités territoriales au plan interne n'est pas la même qu'au plan de l'Union.

Il y a une certaine convergence doctrinale sur la nécessité de réformer l’actuelle composition du Sénat afin qu'il assure une représentation des collectivités dans leur réalité d'aujourd'hui. Néanmoins, les nombreuses tentatives avortées montrent que sans réelle volonté politique, une telle réforme ne pourra aboutir.

Une commission consultative d’évaluation des normes a tout de même été créée en 2007. Celle-ci est composée de 22 membres dont 13 élus locaux. La commission est obligatoirement consultée sur les mesures d’exécution règlementaires ainsi que sur les propositions de textes législatifs de l’Union ayant un impact technique et financier sur les entités infra-étatiques. La création de la commission marque un véritable progrès dans l’association des collectivités territoriales françaises à l’élaboration et à l’exécution du droit de l’Union. Toutefois, elle ne peut être saisie concernant les projets de textes européens que par le Secrétariat générale des affaires européennes, ce qui traduit une certaine hétéronomie. Même si sa création récente empêche un bilan trop hâtif, il semblerait que la commission organise une association des collectivités territoriales très a minima. A ce jour, la commission n’a jamais été consultée sur des propositions de textes de l’Union alors même que des actes législatifs concernant au plus haut point les collectivités ont été adoptés depuis sa création.

Que ce soit de manière indirecte par le biais des résolutions adoptées par le Sénat ou, de manière directe, à travers la commission consultative d’évaluation des normes, l’association des collectivités territoriales sur les projets de textes communautaires est, à ce jour, inexistante. C’est ainsi que les modalités d’une véritable association des collectivités à la production normative européenne, par la création d'un organe composé uniquement de représentants des collectivités, semblent s’imposer.

En conclusion, on remarquera que si l'État n’a aucune obligation quant à l’association de ses collectivités à l’élaboration des positions nationales, celle-ci n’en comporte pas moins deux enjeux essentiels.

L'État ne saurait continuer à afficher des résultats contingents tout en revendiquant un rôle politique majeur sur la scène européenne. Or, l’association des collectivités est indubitablement un facteur d’amélioration de la qualité des normes européennes et, par suite, de leur application par les collectivités. On ne saurait que trop insister sur le fait qu’en présentant une orientation éludant la dimension territoriale, l'État défend au sein du Conseil, une position qui n’est pas conforme à la réalité, il n’anticipe pas les effets qu’auront les normes sur ses collectivités, ce qui augmente les risques de manquements. Alors que l’effacement des États est souvent annoncé du fait de la place grandissante des collectivités au plan de l’Union, le positionnement du problème se trouve, selon nous, ailleurs. Si l'État n’associe pas ses collectivités à l’élaboration des positions nationales, celles-ci, dans une situation d’insécurité juridique, vont effectivement chercher à développer de plus en plus de rapports directs avec les institutions européennes, ce qui, à plus ou moins long terme, est un facteur d’altération du rôle de l'État. En revanche, en impliquant ses collectivités, l'État renforce incontestablement son poids politique sur la scène européenne notamment en arguant du caractère démocratique de la position qu’il défend.

L’autre enjeu subséquent à une association des collectivités territoriales est l’amélioration du déficit démocratique. La finalité de l’intégration européenne étant de créer une «union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens». Les collectivités territoriales tendent à être considérées comme «l’intermédiaire naturel entre l’Europe et les peuples, le relais sans lequel l’Europe risque de n’être qu’une construction abstraite éloignée de la vie et des aspirations de ses populations»22. L’implication des collectivités serait alors un moyen de remédier en partie à la crise démocratique que traverse l’Union. En associant tous les niveaux de représentation élus démocratiquement, la démocratie européenne gagnerait en continuité. Les collectivités françaises en ne «subissant» plus la construction communautaire mais, au contraire, en étant considérées comme des acteurs à part entière de celle-ci, constitueraient des relais privilégiés du message européen auprès des citoyens, renforçant par là même leur sentiment d’appartenance à l’Union.

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Notes

1 CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL, aff. 6/64, Rec. 1964, p. 1141. Retour au texte

2 Par exemple, CJCE, 22/06/1989, Fratelli Constanzo c/ Comune di Milano, aff. 103/88, Rec. 1989, p. 1839. Retour au texte

3 RIDEAU Joël, « Le système institutionnel communautaire et les formes d’États membres » in L’État autonomique : forme nouvelle ou transitoire en Europe ?, (Sous la direction DE BIDEGARAY Christian), Economica, 1994, p. 157. Retour au texte

4 Par exemple, CJCE, 06/09/2006, Portugal c/ Commission, aff. C-88/03, Rec. 2006, I-7115 ; CJCE, 11/09/2008, Union General de Trabadojes de la Rioja, C-428/06, Rec. 2008, I-6747 ; CJCE, 9/06/2009, Commission C/ Allemagne, aff. C-480/06, Rec. 2009, I-4747. Retour au texte

5 A l’exception de l’Allemagne qui était déjà un État fédéral. Retour au texte

6 Par exemple PONTHOREAU Marie-Claire, « La question de la participation des collectivités territoriales françaises à l’élaboration nationale du droit communautaire », AJDA, n°21-2004, 7/06/2004, p. 1125 et s. ; MONJAL Pierre-Yves, Le droit communautaire applicable aux collectivités territoriales. Les nouveaux enjeux, Territorial éditions, 2006, 138 p. Retour au texte

7 HECQUARD-THERON Maryvonne, « La notion d’État en droit communautaire », RTD eur., octobre-décembre 1990, p. 695. Retour au texte

8 CE, 20/05/1998, Communauté de communes de Piémont de Barr, RFDA, n°14, mai-juin 1998, p. 609 à 619. Retour au texte

9 Il y a une présomption d'effet direct des directives, présomption qui est réfragable. Retour au texte

10 Article 260.1 du Traité FUE. Retour au texte

11 Le manquement peut être le fait d’un État fédéré, CJCE, 28/02/1991, Commission c/ Allemagne, aff. C-131/88, Rec., 1991, I- 825 ; d’une région autonome, CJCE, 14/01/1988, Commission c/ Belgique, aff. jointes 227/85 à 280/85, Rec. 1988, I-1 ; d’une collectivité territoriale, CJCE, 5/10/2000, Commission c/ France, aff. C-16/98, rec. 2000, I- 8315. Retour au texte

12 CJCE, 31/01/2008, Commission c/ France, aff. C-147/07, Rec. 2008, I-120. Retour au texte

13 Le Traité de Lisbonne ajoute une exception notable au caractère en principe purement déclaratoire d’un premier arrêt en constatation de manquement. L’article 260.3 prévoit, en effet, qu’en cas de non transposition d’une directive, l’État pourra se voir infliger une sanction pécuniaire dès le premier arrêt en constatation de manquement. Retour au texte

14 MELIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand, PACTET Pierre, Droit constitutionnel, Armand Colin, 27e édition, 2008, p. 41. Retour au texte

15 La France avait modifié une première fois cette disposition en 2006 à la suite d'une première condamnation, CJCE, 14/10/2004, Commission c/France, aff. C-440/02, Rec. 2004, I-9845. Retour au texte

16 CJUE, 10/12/2009, Commission européenne c/ république française, aff. C-299/08, non encore publié. Retour au texte

17 AUBELLE Vincent, « La commune, échelon de proximité, une mystification ? », Pouvoirs locaux, n°83, décembre 2009, p. 75. Retour au texte

18 Droit qui devrait concerner à la fois les projets de textes, la législation ainsi que l’information dans le cadre des phases pré-contentieuse et contentieuse. Retour au texte

19 CHICOYE Cécile, « La politique communautaire de cohésion économique et sociale », AJDA, 20/12/1991, p. 875. Retour au texte

20 Cet intérêt de l’Assemblée nationale pour la défense des intérêts locaux s’explique par le cumul des mandats. Retour au texte

21 SAVY Robert, « Réformer le Sénat et le principe de «non tutelle». Sur deux mythes constitutionnels », Pouvoirs locaux, n°75, décembre 2007, p. 140. Retour au texte

22 CRAVATTE Henri, « La Conférence européenne des pouvoirs locaux », Annuaire européen, Vol. X, 1962, p. 43. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Mathilde Boulet, « Les collectivités territoriales françaises dans le processus d’intégration européenne », Sciences humaines combinées [En ligne], 8 | 2011, publié le 01 septembre 2011 et consulté le 21 novembre 2024. DOI : 10.58335/shc.246. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=246

Auteur

Mathilde Boulet

Docteur en Droit, CRJFC - EA 3225 - UFC