Anna de Noailles : entre prose et poésie

DOI : 10.58335/shc.240

Plan

Texte

Cette thèse est consacrée à l’œuvre d’une femme, d’un écrivain inspiré : Anna de Noailles. A l’origine de cette rencontre, il y eut la découverte fortuite de l’un de ses derniers recueils de poèmes, L’Honneur de souffrir. La lecture de cet ouvrage me bouleversa et je décidai de poursuivre plus avant. Mes premières recherches ont été également motivées par la nécessité de trouver un sujet pour mon mémoire de maîtrise. J’ai donc réalisé deux travaux liminaires à cette thèse qui m’ont permis de me rendre compte qu’il n’y avait pas d’études sur la prose de la poétesse. J’ai alors pris le contre-pied des analyses jusqu’alors effectuées essentiellement sur sa poésie en consacrant mon travail à la catégorie la moins connue de son œuvre, à savoir les romans et recueils en prose. De fait, ces textes constituant une part importante de sa bibliographie n’avaient jamais été traités dans leur ensemble, tant par la critique littéraire qu’universitaire, ce qui justifiait une analyse exhaustive.

Dès mes premières prospections, un personnage extraordinaire s’est dessiné. Pourtant qui se souvient de cet écrivain adulé en son temps ? Princesse d’ascendance orientale et roumaine, née à Paris dans une époque de bouleversements et de transition, Anna Elisabeth Bassaraba de Brancovan, comtesse de Noailles, a laissé une œuvre vaste et polymorphe, constituée de recueils de poésie, de prose, de romans, de récits autobiographiques, d’une multitude d’articles de presse, de préfaces ou encore de discours et d’hommages (voir la bibliographie ci-après).

Une autre source d’étonnement guida en filigrane mon parcours dans l’œuvre noaillienne : l’appel de la poésie ressenti de façon très précoce par le futur écrivain. Il faut déjà souligner que la petite cadette grandit au sein d’une famille aristocratique cultivée1 et très soudée dont l’entourage insigne était particulièrement stimulant. Cette coterie, composée d’artistes et d’intellectuels tels que Marcel Proust, Frédéric Mistral, Ignace Paderewski, Sully Prudhomme, évoluait entre Paris et la Savoie. Ainsi partaient-ils tous, chaque été, en villégiature à Amphion-les-Bains, où, autour de la magnifique demeure touchant le lac Léman, le vaste jardin enchanteur, habité par des animaux en liberté, ne cessait de subjuguer la jeune fille. Dès lors, elle désira sans relâche fusionner avec la nature et tous les éléments de l’univers. Durant toute sa vie, Anna trouva à la fois inspiration et protection dans cet Éden tout autant réel que symbolique. Grâce à cette révélation, sa destinée semblait parfaitement tracée : la poésie s’affirma comme le médium entre l’être, l’espace et le temps.

Outre la nature, ses principales thématiques littéraires portent sur la musique qui habitait véritablement les deux lieux de vie de la famille – en partie grâce au talent pianistique de sa mère – et, sur l’amour, découvert grâce à la lecture des œuvres d’Alfred de Musset, de Pierre Loti ou d’Anatole France. Par conséquent, la nature, la musique et l’amour constituent les arcanes majeurs de l’œuvre noaillienne.

En 1900, dès la parution des premiers poèmes dans la presse, Anna de Noailles, âgée de vingt-quatre ans, connut un succès immédiat ; l’année suivante, Le Cœur innombrable fut un triomphe. Elle devint le poète de toute une génération qui trouva dans son style poétique de nouvelles émotions, une fraîcheur sensuelle non dépourvu d’une réelle exigence stylistique. Cette entrée fracassante en littérature devait se répéter à chaque nouvelle parution. Anna de Noailles devint un personnage respecté et incontournable, rapidement surnommée « l’égérie de la Troisième République ». Toutefois, la publication de ses ouvrages s’est produite dans un contexte historique et social singulier, entre tensions et enjeux cruciaux. Parmi ceux-ci, il faut évoquer la question du roman – genre qui semblait alors en péril – l’apparition des avant-gardes artistiques et la montée passablement dérangeante du féminisme. Effectivement, dans cette société encore fortement marquée par le pouvoir de l’armée et l’observation des principes religieux, l’arrivée massive des femmes dont l’émancipation passait aussi par la prise de la plume, bousculait l’ordre établi. Leurs comportements et leurs œuvres ont souvent été jugés trop provocants, suscitant une méfiance certaine voire un rejet radical. Anna de Noailles elle-même n’a pas échappé à ces critiques acerbes, en particulier à cause de sa liberté de jugement et de sa hardiesse. Le Visage émerveillé, par exemple, roman le plus controversé de l’auteur dans lequel une jeune religieuse tombe amoureuse d’un peintre qu’elle introduit nuitamment dans le couvent, provoqua un véritable scandale. De même, sa poésie allusive aux tendances syncrétiques classa ses recueils définitivement – et de son vivant – parmi les ouvrages peu recommandables et « malsains2 ».

De ce point de vue, la question qui sous-tend ce travail de thèse s’impose d’elle-même : pourquoi, alors qu’elle jouissait d’une renommée poétique notoire et incomparable, Anna de Noailles a-t-elle pris le risque d’écrire en prose ? Tout d’abord, on constate que ses trois romans3 s’intercalent entre d’autres types de production : ils ont été publiés de manière rapprochée et consécutive au début de la carrière de l’écrivain. D’où cette interrogation complémentaire : quel est le lien et la cohérence de cette œuvre multiforme ? Ce qui débouche aussi sur le sens et la fonction de l’écriture chez Noailles. Le Visage émerveillé, par exemple, fournit un élément de réponse. En effet, intercalé entre les deux autres romans, plus longs, il s’avère une exception. Rédigé en quelques jours, cet ouvrage a constitué une sorte de délassement, presque un jeu pour Noailles alors alitée et malade. L’écriture romanesque prend de ce fait une autre signification : elle devient une activité ludique.

Afin d’apporter des réponses à ces vastes questions, il est apparu indispensable de rappeler les influences préexistantes à la composition et les événements biographiques qui ont déclenché l’écriture, comme, par exemple, sa complexion valétudinaire, son histoire d’amour avec Maurice Barrès ou encore la Première Guerre mondiale. Noailles elle-même insiste particulièrement sur l’importance de ces faits dans son autobiographie, Le Livre de ma vie, dans divers entretiens parus dans la presse ou encore dans la préface écrite pour le recueil Derniers vers et Poèmes d’enfance : « Que la route où l’on marchait en chantant fût si ardue, que la ruse et la cruauté des pièges fussent sans limites, je ne l’eusse pas imaginé. J’ai connu dès l’enfance, par rafales, le souhait de n’être point venue dans la vie. Chaque événement qui arrête ou élance plus tard l’existence, et même le tranquille arrangement des jours mornes, me semblèrent excéder le pouvoir de la vaillance. A peine ai-je le courage de refaire par le souvenir le trajet que j’ai accompli dans un ouragan de témérité, et de résignation violente, mais s’il fallait encore choisir l’arme d’un déchirant triomphe, je demanderais au destin la poésie, raison incluse dans la musique, indication du rêve que les harmonies de l’univers ne proposent qu’à l’instinct, et que le verbe confie à l’intelligence4. »

Par conséquent, seule une analyse systématique et fournie des textes devait faire émerger les réponses à ces interrogations. Les clés de compréhension ne pouvaient venir que d’une recherche minutieuse des textes et des facteurs qui ont contribué à leur naissance. La méthode de travail choisie devait, par conséquent, s’accorder à ces multiples aspects et donc être pluridirectionnelle.

La méthode

Dans un premier temps, la démarche adoptée s’articule autour d’une double approche à la fois transversale, c'est-à-dire fondée sur des va-et-vient entre poésie et prose, et verticale, soit sur l’analyse des textes en prose eux-mêmes. A cette première étape s’est imposée, dans un deuxième temps, la nécessité de recontextualiser la production littéraire d’Anna de Noailles qui, comme je le mentionnais ci-dessus, a toujours découlée des événements de sa vie. Cette dimension globalisante implique donc l’élargissement des supports de l’étude, et, de ce fait, d’autres types de documents doivent être pris en compte. Parmi ceux-ci figurent les nombreux carnets de notes de l’auteur, une partie de sa correspondance, quelques textes inédits susceptibles d’apporter un éclairage nouveau sur la problématique et le déchiffrage des manuscrits qui a apporté nuance et finesse à l’analyse. En outre, la reconstitution de faits plus personnels comme sa relation amoureuse avec Maurice Barrès (qui eut une importance considérable5 souvent éludée par la critique) ou encore la lecture de témoignages de contemporains, à l’instar du médecin de Noailles qui laissa quelques notes cruciales apportent des éléments de compréhension incontestables.

Puis, dans un troisième temps, dans le but d’avoir une vision plus large des enjeux littéraires de l’époque et afin de mieux jauger les textes de Noailles, il s’est avéré indispensable de lire de nombreuses œuvres de cette période. Enfin, à cette base documentaire conséquente s’est greffé un vaste corpus de références théoriques.

Ces outils critiques sont de plusieurs ordres : en amont, le début du XXe siècle a été traité d’une manière générale, à la fois sous l’angle historique et synchronique. Puis, après avoir éclairci les tenants et les aboutissants de cette époque, une série de références théoriques a permis d’éclaircir les enjeux des différents genres abordés : le conte, la nouvelle, la poésie, des ouvrages portant sur le roman, à la fois sur la notion de genre en lui-même (origines et évolution) puis sur les instances et le genre narratifs (G. Lukacs). Enfin, un regard sur des méthodes critiques plus récentes telles que celles de Genette, Todorov, Barthes, Jakobson, a permis de complexifier et d’affiner la première lecture. En outre, dans une approche comparatiste, un parallèle a été effectué avec les méthodes employées du temps de Noailles, ce qui explique les références à Blum, Rivière, Maurras, Gourmont... C’est également dans cette perspective qu’ont été exploités les nombreux articles critiques sur les textes noailliens, qu’ils aient été écrits en son temps ou plus récemment. En dernier lieu, une base d’ouvrages spécialisés en philosophie, des dictionnaires et usuels de métrique ou encore de musique, ont été nécessaires afin d’approfondir certaines notions plus spécifiques.

Par conséquent, cette complémentarité des sources aboutit à considérer autrement l’œuvre de cet écrivain que comme une suite d’ouvrages désuets. On constate effectivement qu’ils émanent d’une femme en prise avec la réalité de son temps et pour laquelle l’écriture n’était pas un simple passe-temps de personne oisive et fortunée ; critique qui fut d’ailleurs longtemps adressée aux lecteurs6. Ainsi peut-on apprécier, par exemple, la modernité de certains passages et l’intemporalité des sujets abordés, comme dans le recueil en prose Passions et Vanités où sont décrits les pompeux et désuets dîners en ville ou encore la nouvelle mode, trop peu féminine, des cheveux courts. De ce fait, une évaluation critique plus juste et plus honnête que celle que l’on pouvait lire à l’époque émerge de l’ensemble. Plus précisément, si le lyrisme noaillien peut paraître aujourd’hui ampoulé voire amphigourique, la justesse du ton, des émotions et tout simplement les sujets traités démentent cette première impression. L’extrême correction de la langue, le choix précis du lexique en rendent l’abord parfois ardu mais la fréquentation des textes amoindrie cette difficulté. De même, la philosophie empirique qui se dégage de l’œuvre, sans être particulièrement originale dans le fond, n’en est pas point poignante. Il n’y a aucune mièvrerie chez Noailles, pas d’histoires de mariage alambiquées mais davantage la conscience du passage éphémère de toute chose et surtout de l’amour. Ses différents romans qui, en définitive, forment une véritable trilogie sentimentale, se fondent sur la supériorité de l’intelligence cherchant un sens à la souffrance. La mort devint alors une présence quotidienne et obsédante qui satura progressivement tous les recueils de prose ou de poésie. Néanmoins, si cette façon de ressentir n’a plus cours aujourd’hui, elle n’en a pas pour autant perdue sa force suggestive ni sa beauté. On ne peut qu’admirer cette vision esthétisante de la vie dont l’artiste est seul capable d’en révéler la beauté et les mystères.

Les difficultés rencontrées et les résultats obtenus

La progression de ce travail ne s’est pas effectuée sans mal. La première difficulté rencontrée provint de l’élaboration du corpus. En effet, l’intention première était d’embrasser toute la prose d’Anna de Noailles, quel qu’en fût le genre. Mais il est apparu rapidement que le champ d’étude était trop vaste, à cause, en particulier, du nombre d’articles parus dans la presse. Il a donc fallu distinguer les différents ouvrages et styles afin d’établir un classement. Une partition entre les textes biographiques et les textes fondés sur une trame imaginaire semblait la plus pertinente. Nous avons donc décidé, en accord avec mon directeur de thèse, Monsieur Curatolo, de limiter cette étude aux ouvrages fictionnels (voir bibliographie ci-après) même si cette frontière reste chez Noailles assez poreuse et peut sembler quelque peu arbitraire.

La deuxième difficulté résidait, il y a quelques années, dans l’acquisition des livres. Depuis, ils ont été numérisés par la Bnf et, aujourd’hui, certains d’entre eux ont même été réédités (Le Visage émerveillé, Passions et Vanités, et un choix de textes en prose).

D’un point de vue scientifique, le manque d’études sur le sujet a quelque fois semblé une sorte de vide paralysant, et, de ce fait, l’ampleur de la tâche et le manque d’orientation ont souvent été décourageants. De même, il a été difficile de trouver la juste proportion entre théorie littéraire et analyse approfondie des textes noailliens car la disparition quasi totale de l’auteur et de son œuvre (donc sa réhabilitation) passait nécessairement par une analyse pointue et complète de chaque texte dans le but d’en extraire objectivement les qualités et les faiblesses. Cependant, peu d’interlocuteurs se sont montrés disposés à collaborer et à faire aboutir mes recherches à l’exemple des héritiers ou des ayants droit de Noailles qui ne se sont pas montrés coopératifs ni désireux d’entretenir particulièrement la mémoire de leur aïeule. De même, il a fallu vaincre certaines réticences initiales et batailler pour imposer ce sujet sans modifications. En définitive, ces années ont été très difficiles, sur beaucoup de plans, mais réellement enrichissantes et passionnantes : il en résulte un véritable accomplissement personnel.

De plus, cette thèse a permis de combler un vide dans le champ des études des œuvres d’Anna de Noailles. Même si ce n’est qu’un début puisque, comme je l’indiquais ci-dessus, il reste encore à étudier toute la partie autobiographique également écrite en prose et les nombreux articles de presse. Il se dégage des ouvrages étudiés des caractères communs portant sur une relative originalité tant sur la forme que sur le fond. Tout d’abord, ces romans, construits sur une trame simple, déploient toutes leurs richesses grâce à la minutie et la justesse des analyses, la puissance suggestive des émotions et des sensations retranscrites au moyen d’images inédites. Jean Rostand rappelle à ce sujet qu’Anna de Noailles « connaissait le secret des bizarres accouplements verbaux7 ». On peut également souligner que ces récits ne sont pas dépourvus d’humour ni d’une fine causticité qui rappelle, sans conteste, celle de Marcel Proust, son grand ami. Ensuite, une unité thématique traverse la prose noaillienne, comme le prouve la mise en forme progressive d’une philosophie de l’amour (voire d’une esthétique, en référence à la définition de Charles Maurras : « l’esthétique est la science du sentiment »). Ainsi les romans lui ont-ils servis à formaliser différemment et de manière plus approfondie une problématique de l’amour qui a été parachevée dans le recueil Les Innocentes ou La sagesse des Femmes. Dans la quinzaine de textes qui composent cet ouvrage, Anna de Noailles envisage diverses situations amoureuses analysées de manière didactique et dogmatique. Chaque « cas » au sens d’une expérience scientifique devient exemplaire et doit servir de modèle, d’enseignement. L’écrivain se transforme alors en un docte et sage conseiller…

L’hypothèse initiale de cette thèse se confirme donc : les trois romans d’Anna de Noailles ont procédé d’une étape, ou mieux d’une transition. En fait, ils ont constitué un passage ayant permis à l’auteur de prendre conscience de son incapacité à se réaliser dans ce genre : cette incursion mitigée dans le roman fut, pour elle, une expérience, une sorte d’essai voire de tâtonnement. D’ailleurs, elle finit par admettre que l’écriture romanesque la mettait dans une posture inconfortable proche de l’impudeur. Enfin, les critiques globalement négatives émises sur La Domination ont contribué à l’abandon de ce genre par l’écrivain. En outre, Anna de Noailles connaissait très bien les faiblesses de ses romans. Elle affirmait dans une préface que « rien n’est plus rare qu’un très beau roman » et elle n’avait qu’un seul critère de jugement : qu’il recèle « des qualités puissamment humaines ». Le non achèvement d’un quatrième roman, Octave, confirme la théorie initiale. De là découle une autre conclusion cruciale : cette méthode a permis de prouver que la forme et le format d’écriture noailliens ont évolué vers plus d’épurement et de sobriété. En définitive, les compositions ont été élaguées, écourtées au fur et à mesure. En clair, le format le plus idoine et le plus percutant se révèle être, en définitive, pour Noailles, la pièce courte, qu’il s’agisse de poésie ou de prose. Les derniers recueils entérinent cette évolution. Les Innocentes et Exactitudes restent, à ce titre, des ouvrages particulièrement réussis comme L’Honneur de souffrir l’est pour la poésie.

Ce travail a aussi révélé la cohérence intrinsèque et globale de l’œuvre. En effet, comme cela a été souligné, la prose s’appuie aussi sur un style éminemment poétique, avec, par exemple, le traitement des couleurs et l’emploi des figures de rhétorique. De ce fait, les textes en prose de Noailles acquièrent une plus grande lisibilité et une certaine uniformité dès lors que l’on prend également en compte la poésie. Ainsi le rapprochement entre les différents genres se justifie-t-il parfaitement chez Noailles car la poésie et la prose s’éclairent mutuellement : il n’y a point de franche dichotomie entre matière poétique et matière en prose. Ici l’on peut convoquer Stéphane Mallarmé (1842-1898), qui dans sa réponse à Jules Huret rappelle que : « Le vers est partout dans la langue où il y a rythme, (…). Dans le genre appelé prose, il y a des vers, quelquefois admirables, de tous rythmes. Mais en vérité, il n’y a pas de prose : il y a l’alphabet et puis des vers plus ou moins serrés, plus ou moins diffus8. » Plus encore, Noailles n’utilise pas la prose pour exprimer telle chose plutôt qu’une autre, tel sentiment plutôt qu’un autre. C’est clairement cette écriture poétique, ce style unique qui confère cohérence et singularité à l’ensemble de l’œuvre noaillienne.

En outre, cette thèse, qui a fait émerger l’unité interne de l’œuvre et en a dégagé les lignes de force, démontre que cet écrivain n’est pas un auteur mineur qui n’aurait laissé qu’une œuvre désuète et inconsistante. Par conséquent, cette analyse invite également à prendre en compte et à jauger l’évolution des goûts et des sensibilités, phénomène indépendant des qualités ou des défauts intrinsèques d’une œuvre, d’une personnalité, voire d’un genre. Ces divers changements ont probablement conduit à l’incompréhension et la désaffection que nous avons aujourd’hui de la plupart des ouvrages de ce début de XXe siècle.

Pour conclure, à la mort d’Anna de Noailles, un critique s’interrogeait déjà sur « la force d’éternité » de son œuvre avant de rappeler : « Quoi qu’il arrive, les amoureux, les rêveurs, les poètes n’abandonneront pas l’œuvre de la comtesse de Noailles. On ira toujours y chercher quelque image imprévue, quelque paysage singulier, quelque couleur inattendue9. » Il semble aujourd’hui que les récentes rééditions et le regain d’intérêt suscité aussi par l’écriture féminine lui donnent raison. La postérité en littérature ne dépendrait-elle que d’une mystérieuse périodicité ?

Bibliographie

Bibliographie sélective

Œuvres d’Anna de Noailles

Le Cœur innombrable, Calmann-Lévy, 1901. Rééditions : Helleu, 1918, Librairie des Champs-Élysées, 1931 ; Grasset, 1957

L’Ombre des jours, Calmann-Lévy, 1902. Réédition : Société du Livre d’Art, 1938.

La Nouvelle Espérance, Calmann-Lévy, 1903.

Le Visage émerveillé, Calmann-Lévy, 1904.

La Domination, Calmann-Lévy, 1905.

Les Éblouissements, Calmann-Lévy, 1907.

Les Vivants et les Morts, Fayard, 1913.

De la Rive d’Europe à la rive d’Asie, Dorbon Aîné, 1913.

Les Forces éternelles, Fayard, 1920.

Discours à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, La Renaissance du Livre, 1922.

Les Innocentes ou la Sagesse des femmes, Fayard, 1913. Réédition : Crès, 1926 et Buchet-Chastel, 2010.

Poème de l’amour, Fayard, 1924.

Passions et Vanités, Crès, 1926.

L’Honneur de souffrir, Grasset, « Les Cahiers Verts », 1927.

Poèmes d’enfance, Grasset, 1928.

Exactitudes, Grasset, 1930.

Le Livre de ma vie, Hachette, 1932. Rééditions : Mercure de France, 1976 ; Bartillat, 2008.

Derniers Vers, Grasset, 1933.

Derniers Vers et Poèmes d’enfance, Grasset, 1934.

Douze poèmes, Calmann-Lévy, 1946.

Quelques ouvrages sur Anna de Noailles

BARGENDA, Angela : La poésie d’Anna de Noailles, L’Harmattan, 1995.

BORELY, Marthe, L’émouvante destinée d’Anna de Noailles, éd. Albert, 1939.

BRASILLACH, Robert : Portraits, Plon, 1935.

BROCHE, François : Anna de Noailles : un mystère en pleine lumière, R. Laffont, 1989.

BUFFENOIR, Hippolyte : Grandes dames contemporaines. La Comtesse de Noailles et ses poésies, H. Leclerc, 1903.

COCTEAU, Jean : La Comtesse de Noailles, oui et non, Perrin, 1963.

CORPECHOT, Lucien : Souvenirs d’un journaliste, Plon, 1937.

DU BOS, Charles : La Comtesse de Noailles et le climat du génie, La Table ronde, 1949.

FOURNET, Charles : La Comtesse de Noailles, Roulet, Genève, 1950.

GOURMONT, Jean de : Muses d’aujourd’hui – Essai de physiologie poétique, Mercure de France, 1910.

GREGH, Fernand : La Comtesse de Noailles, F. Paillart, Abbeville, 1933.

HIGONET-DUGUA, Élisabeth : Anna de Noailles – Cœur innombrable, éd. Michel de Maule, 1989.

LARNAC, Jean : Comtesse de Noailles, sa vie, son œuvre, éd. du Sagittaire, 1931.

MASSON, Georges-Armand : La Comtesse de Noailles, son œuvre, portrait et autographe, Document pour l’histoire de la littérature française, éd. du carnet critique, 1924.

MIGNOT-OGLIASTRI, Claude : Anna de Noailles, une amie de la Princesse Edmond de Polignac, Méridiens-Klincksieck, 1986.

PERCHE Louis : Anna de Noailles, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1964.

PERRY, Catherine : Persephone unbound, Dionysian aesthetics in the works of Anna de Noailles, Lewisburg-Bucknell University Press, Londres, 2003.

LA ROCHEFOUCAULD, Edmée de : Anna de Noailles, éd. Universitaires, 1956.

Notes

1 Anna de Noailles en témoigne à plusieurs reprises dans ses écrits autobiographiques. A titre d’exemple, on peut citer cette phrase extraite de la préface des Poèmes d’enfance : « La poésie était tenue en suprême honneur dans la maison de mes parents. […] Il ne se passait guère de jours où l’un des amis de mes parents […] ne récitât quelque poème d’Hugo. » Derniers vers et Poèmes d’enfance, Grasset, 1933, p. 150-51. Retour au texte

2 Abbé Louis Bethleem, Romans à lire et romans à proscrire, Edition de la Revue des Lectures, Paris, 1928, p. 155-56. Retour au texte

3 La Nouvelle Espérance, 1903, Le Visage émerveillé, 1904, La Domination, 1905. Retour au texte

4 Préface au recueil Derniers vers et Poèmes d’enfance, op. cit., Grasset, 1933, p. 158. Retour au texte

5 Ce point est confirmé par leur correspondance, Cf. bibliographie ci-dessous, et par les nombreuses dédicaces de leurs œuvres qu’ils se sont adressées réciproquement tout au long de leur vie. Retour au texte

6 Pierre-Daniel Huet définissait la lecture comme « un agréable amusement des honnêtes paresseux ». Lettre-Traité sur l’origine des romans (J. Mariette, 1771), A. G. Nizet, 1971, p. 46. Retour au texte

7 Préface, Choix de poésie, 1976. Retour au texte

8 Jules Huret : Enquête sur l’évolution littéraire, José Corti, 1999 (1891). Retour au texte

9 Fernand Demeure, La Volonté, 3 mai 1993. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Marie Lise Allard, « Anna de Noailles : entre prose et poésie », Sciences humaines combinées [En ligne], 8 | 2011, publié le 01 septembre 2011 et consulté le 19 avril 2024. DOI : 10.58335/shc.240. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=240

Auteur

Marie Lise Allard

Docteur en Littérature, Centre Jacques Petit - EA 3187 - UFC