Introduction
L’enjeu de cet article est de présenter d’une manière synthétique une partie des résultats de notre thèse de Doctorat1.
Notre étude porte sur cinq journaux et magazines d’actualité spécifiquement adressés aux jeunes2, dans le cadre de la problématique suivante : comment la mise en scène du discours de l’autre contribue-t-elle à la construction de l’événement médiatique des présidentielles ?
Nous soulignons l’intérêt de convoquer le concept de « dialogisme interdiscursif » (Moirand 2002) et celui de « discours représenté » (Rabatel 2006) dans l’analyse de la représentation médiatique des élections présidentielles françaises de 2002 et 2007. Le dialogisme interdiscursif correspond au rapport qu’un discours entretient avec d’autres discours produits antérieurement. Il rassemble toutes les représentations ouvertes du discours de l’autre, des hommes politiques aux jeunes lecteurs.
Dans un premier temps, nous exposerons rapidement la problématique de l’hétérogénéité énonciative considérée comme inhérente au discours. Dans un second temps, nous présenterons plusieurs exemples d’analyses de « discours représentés » par la presse d’actualité adressée aux jeunes en précisant les instances énonciatives concernées et en définissant les différents modes énonciatifs utilisés.
1. L’hétérogénéité énonciative au cœur du discours de presse
1. 1. Dialogisme interlocutif /dialogisme interdiscursif
Dans le Dictionnaire d’analyse du discours, Sophie Moirand (2002) précise que le dialogisme - concept proposé par Mikhaïl Bakhtine - peut avoir deux orientations. Elle distingue le « dialogisme interlocutif » du « dialogisme interdiscursif » (2002 : 176). Le dialogisme interlocutif instaure une relation de dialogue proprement dit avec un destinataire réel ou imaginaire : dans notre cas, les jeunes lecteurs-cibles. Et le dialogisme interdiscursif correspond au fait que les discours se reflètent et se reprennent les uns les autres. Ils sont traversés d’échos et de rappels des discours produits antérieurement.
Dans une orientation également bakhtinienne pour une part, Jacqueline Authier-Revuz (1984) pense l’énonciation comme le lieu d’une inévitable hétérogénéité qu’elle décline en deux types : d’une part, l’hétérogénéité « constitutive » tient à ce que le sujet énonciateur , psychiquement clivé, est fondamentalement traversé par le discours de l’autre d’une manière inconsciente et d’autre part, l’hétérogénéité « montrée » s’inscrit à la surface du discours et peut être appréhendée dans une démarche linguistique et pragmatico-communicationnelle. Plus récemment, l’expression employée par Jacqueline Authier (2004) pour caractériser cette hétérogénéité montrée est « Représentation du discours autre ». C’est ce deuxième type d’hétérogénéité, l’hétérogénéité montrée qui nous intéresse particulièrement à travers l’analyse du dialogisme interdiscursif.
Le dialogisme interdiscursif montré nous apparaît dans notre corpus comme relevant d’une stratégie spécifique des journaux.
1. 2. Hétérogénéités, instances discursives, échelle objectivité/subjectivité
Dans son ouvrage Les discours de la presse quotidienne, Sophie Moirand (2007) définit, d’un point de vue méthodologique cette fois, trois niveaux d’« hétérogénéité » du discours médiatique. Ce terme « hétérogénéité », proposé par Moirand (2007 : 10-13), est à prendre dans une acception plus générale que celle d’Authier. Moirand discerne en effet trois niveaux d’hétérogénéité dans le discours journalistique : sémiotique, textuelle et énonciative.
Premièrement, le discours de presse se caractérise par une hétérogénéité sémiotique. Dans une même « aire scripturale », pour reprendre l’expression de Jean Peytard (1993), différents objets sémiotiques coexistent et font souvent jouer une alternance et une combinaison entre iconique et verbal: texte, cadres, photographies, documents infographiques, dessins, etc. Deuxièmement, le discours de presse est marqué par une hétérogénéité textuelle. Différents genres discursifs constituent le corpus de référence : articles, éditoriaux, interviews, témoignages, enquêtes, etc. Enfin, l’hétérogénéité énonciative du discours journalistique se manifeste à son tour à trois niveaux différents.
En premier lieu, le discours journalistique est un lieu de rencontre de différentes sources énonciatives. Il existe un entremêlement de voix issues de différentes instances discursives : « instance journalistique », « instance politique », « instance civique » et « instance civique dite en herbe »3.
En deuxième lieu, l’hétérogénéité énonciative se manifeste dans les différentes manières adoptées par le locuteur-énonciateur4 représentant pour représenter le discours autre. Moirand parle quant à elle de différentes « attitudes » et Authier de différents « modes » énonciatifs (modes indirect, direct, etc.)5.
En dernier lieu, l’hétérogénéité énonciative se définit en rapport à une visée plus ou moins objective, autrement dit, elle doit être enfin pensée sur une échelle qui représenterait les discours qui se veulent les plus objectifs à une extrémité - Moirand parle à ce propos d’« énonciation objectivisée » - et les discours à « énonciation subjectivisée » à l’autre extrémité (Moirand 2007 : 12).
2. Différents modes de représentation du discours autre
Venons-en à présent à l’analyse que nous avons effectuée. Pour constituer l’un des trois sous-corpus de travail que nous avons étudié dans notre thèse, nous avons repéré toutes les représentations du discours autre6 à partir de la définition des différents modes énonciatifs proposée par Authier (2004) en les classant par instances et par modes. Les quatre modes énonciatifs de représentation du discours autre proposés par Authier sont les suivants : discours indirect, discours direct, modalisation du dire comme discours second et modalisation autonymique d’emprunt. Cette catégorisation nous a aidée afin de donner une configuration canonique pour chaque mode. Mais le discours de presse présentant une structure énonciative complexe, les configurations telles que nous les avons rencontrées dans le corpus étaient multiples et étaient souvent marquées par un « effacement énonciatif » (Vion 1998)7. Nous présentons plusieurs exemples de traces de dialogisme interdiscursif montré ou exemples de représentations du discours autre.
2. 1. Discours indirect
Commençons par les représentations du discours autre en mode indirect. Nous analysons le discours indirect (ou DI) de façon plus large que dans les définitions traditionnelles. Le DI est en général défini ainsi : les paroles rapportées sont contenues dans des propositions subordonnées introduites par un système du type : « dire + que ». Pour nous, le DI est considéré comme une forme basée sur la reformulation par le locuteur-énonciateur représentant du propos de l’énonciateur représenté. Par conséquent, l’ensemble de la mise en mots relève du locuteur-énonciateur représentant, ici le journaliste. Il est impossible de déterminer si le vocable ou l’expression est un mot créé par le locuteur-énonciateur représentant ou si ce mot est repris du discours de l’énonciateur représenté. Dans le mode de représentation au DI, on a donc une homogénéité entre le discours représentant produit par l’instance journalistique et le discours autre représenté. La configuration canonique de la représentation en DI est la suivante :
RDA en DI : [DRant= X + V + DRé]
Le discours représentant est constitué d’une mention de l’origine énonciative, d’un verbe attributif du dire et du discours représenté. L’abréviation « DRant » signifie « discours représentant ». « DRé » signifie « discours représenté ». La lettre « X » correspond à la mention de l’origine énonciative. La lettre « V » indique qu’un verbe attributif du dire est présent. L’homogénéité est représentée par le signe « = » et par les crochets qui regroupent l’ensemble de ces composants.
Il s’agit du troisième mode le plus utilisé dans le corpus étudié. Dans la plupart des exemples relevés, un verbe d’attribution de parole est présent ainsi que la mention de l’origine de l’énonciation représentée, comme dans la configuration canonique. La nature du verbe de parole a un rôle très important dans ce type de représentation du discours autre car il permet d’interpréter l’attitude adoptée par le journaliste vis à vis du propos représenté.
Voici dans l’exemple suivant plusieurs représentations en DI avec présence de verbes d’attribution de parole :
(1) « Les chiens ne font pas des chats :
[…] Malgré ce désir, et bien qu'on puisse parler aujourd'hui sans tabou de politique en famille, à peine la moitié des jeunes interrogés avouent en discuter avec leurs parents. « C'est l'un des sujets les moins abordés entre parents et enfants, analyse Anne Muxel (DD). Il arrive bien après les études et l'argent. Mais, quand on en parle, la famille reste l'interlocuteur privilégié. ». C'est d'autant plus paradoxal, note Vincent Tournier, que l'intérêt pour la politique augmente avec le niveau d'études, et que la proportion de jeunes diplômés a bondi en trente ans (DI). Sans entraîner pour autant une explosion de l'activité politique. Il met cet écart sur le compte de la méfiance générale pour le monde politique, terni par les affaires. Et rappelle que les jeunes sont souvent plus exigeants que leurs parents en matière de rigueur morale, avant de réviser parfois leur jugement par la suite. (2DI) […] Carine Didier et Frédéric Niel » (PHOSPHORE-EP02-02-05_n°251_p58)
Dans cet exemple, Phosphore reformule le discours de Vincent Tournier, enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques de Grenoble, à l’aide de verbes attributifs de parole à « focalisation cognitive » (Rabatel 1998) plus ou moins neutre : « note », « met sur le compte de » et « rappelle ». Lorsque le verbe de parole introduit une certaine subjectivité comme c’est le cas ici avec le verbe « mettre sur le compte de », il a tendance à constituer un marqueur médiatif puisqu’il influence l’interprétation du lecteur en mettant en doute le contenu du discours représenté.
Voici un autre exemple où le verbe ne semble pas être utilisé fortuitement :
(2) « France : Le film Féroce sort malgré Le Pen.
Vendredi dernier, le tribunal de Paris a refusé de reporter la sortie du film Féroce, prévue demain. La demande avait été déposée par le Front national. Le parti de Jean-Marie Le Pen juge diffamatoire ce film sur l'extrême droite. » (L'ACTU-EP02-02-04-16_n°950_p6) (DI)
Dans cet exemple, le verbe utilisé (« juge ») pour introduire le discours représenté de Le Pen a une double focalisation : une focalisation cognitive (dans le sens de « penser ») et affective (dans le sens de « critiquer négativement »). L’utilisation de ce verbe permet au journaliste de prendre de la distance face au discours représenté en faveur du FN.
2. 2. Discours direct
Dans le cas de la représentation au discours direct (ou DD), les mots du discours représenté sont montrés comme étant ceux de l’énonciateur convoqué. Le journaliste s’efface pour donner des effets de réel et cela peut accréditer l’autorité du discours représenté. Le DD donne l’illusion de l’objectivité. C’est apparemment la forme la plus littérale de la reproduction de la parole d’autrui mais ce n’est qu’une apparence car il y a bien une modification du propos due à la sélection, au contexte d’insertion. Voici la configuration canonique pouvant définir le mode de représentation en DD :
RDA en DD : [DRant= X + V] + [DRé]*
De la même manière que pour la configuration du DI, les abréviations « DRant » et « DRé » signifient « discours représentant » et « discours représenté ». La lettre « X » correspond à la mention de l’origine énonciative. La lettre « V » indique qu’un verbe attributif du dire est présent. L’hétérogénéité entre « discours représentant » et « discours représenté » est formalisée par la séparation en deux groupes créés par les crochets. L’étoile « * » précise que l’on montre explicitement la délimitation du discours représenté grâce à des marques para-verbales (utilisation des deux points, des guillemets, de l’italique ou encore d’encadrés8).
La représentation au discours direct est le mode le plus largement utilisé pour les quatre instances par les cinq journaux étudiés. Dans le cas du DD, les mots du discours représenté sont montrés comme étant ceux de l’énonciateur convoqué qui en a toute la responsabilité. Le DD garantit un fort effet de crédibilité, puisqu’il prétend ne pas altérer le discours d’origine. Il est difficile d’évaluer la distance qui est prise par l’instance journalistique puisque le DD joue sur l’effet d’objectivité.
Il arrive souvent qu’il n’y ait pas de verbes d’attribution de parole dans le discours de presse d’actualité adressée aux jeunes car des rubriques spéciales ont été mises en place pour représenter le discours autre. Cette représentation qui permet au journal de prendre de grandes distances vis à vis du discours représenté, afin de feindre la non-prise en charge, est en général renforcée par une mise en forme iconique spéciale, comme dans la rubrique « C’est dit » dans le journal L’Actu présentant le discours représenté dans une bulle de parole juxtaposée à la représentation photographique de l’énonciateur représenté. Exemple :
(3) « C'est dit : « La force de l'équipe de France, c'est son côté multiracial. C'est aussi celle de la France. Il est nécessaire que Le Pen récolte un minimum de voix. » Marcel Desailly, capitaine des Bleus (à France Soir) » (L'ACTU-EP02-02-04-27_n°959_p7) (DD)
Il s’agit dans cet exemple d’une autre configuration du DD car il y a un double marquage délimitant le dire au service de l’effacement énonciatif (guillemets et présence d’un cadre).
Le verbe attributif du dire est souvent remplacé par les deux points (dans les entretiens, les analyses et les interviews) comme dans l’extrait suivant :
(4) « À chaque élection, les sondages font la une des journaux. Ils sont érigés en faits certains et non présentés comme des chiffres servant à étayer les analyses des journalistes politiques. Emmanuel Kessler, le rédacteur en chef de la radio BFM, l'a bien compris : « Si nous avions, par notre travail, été davantage à l'écoute de la France réelle qu'à celle des pourcentages, sans doute aurions-nous pu percevoir et avertir lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs du danger qui guettait notre pays. » Une leçon pour la prochaine fois... » (L'ACTU-EP02-02-04-27_n°959_p3) (DD)
Les deux points ainsi que l’italique sont deux autres types de marquage de délimitation du dire ce qui fait que dans cet extrait, on considère le DD comme triplement marqué. On dira dans ce cas que le DD représenté est hypermarqué.
2. 3. Modalisation du dire comme discours second
Concernant la modalisation du dire comme discours second (ou MD), il s’agit, comme pour le DI d’une reformulation mais où le journaliste prend ses distances. La MD se sert d’indicateurs de cadres médiatifs (modalisations par le conditionnel9, marqueurs du type « selon X » et modalisations grâce à la présence de verbes d’attributions de parole comme « prétendre », « insinuer ») cela afin de bien préciser qu’il ne s’approprie pas le discours représenté (ni même le conteste). Dans le cas de la représentation en MD, on a à la fois une homogénéité entre discours représentant et discours représenté puisque l’ensemble de la mise en mots relève du locuteur-énonciateur représentant et une hétérogénéité introduite par les cadres médiatifs. La configuration canonique de la représentation en MD est la suivante :
RDA en MD : [DRant= MM + X + V + DRé]
Comme pour le DI, l’homogénéité est représentée par les crochets qui regroupent l’ensemble de ces composants. L’abréviation « MM », signifiant « marqueur médiatif », signale l’émergence d’une hétérogénéité qui n’est pas formellement représentée.
La modalisation du dire comme discours second est le mode le moins utilisé par la presse d’actualité adressée aux jeunes. Concernant ce mode, il s’agit, comme pour le DI d’une reformulation mais où le journaliste prend ses distances grâce à l’insertion d’indicateurs de marqueurs médiatifs. Il y a une hétérogénéité entre ce que dit le journaliste et le discours de l’acteur représenté.
Ce mode est principalement au service des sondages. Lorsque le journal publie un sondage, il le fait en insérant plus ou moins de distance. Exemple :
(5) « […] Et à la veille de l’élection présidentielle, une majorité de Français (65%) seraient, selon un sondage RMC – 20 minutes, favorables à un gouvernement composé de personnalités de bords politiques différents, rassemblés autour d’un projet commun. (MD) » (LesCLESdel'actualité-EP07-07-04-10_03-28_n°704_p7)
Dans cet exemple, on a deux types de marques introduisant une distance par rapport au discours représenté : le journal utilise le conditionnel qui est un marqueur médiatif (« seraient » : « V-MM ») ainsi que le marqueur « selon » (« MM »).
Dans l’extrait n°6, correspondant à la configuration canonique, le sondage est introduit par le marqueur médiatif « d’après » :
(6) « D’après notre sondage, la majorité d’entre vous estime qu’il [Jacques Chirac] aura été un bon président pour la France. » (CITATO-EP07-07-03_n°22_p6) (MD)
L’emploi d’un présent simple plutôt qu’un conditionnel fait que le journaliste ne prend pas de recul face au discours représenté. Le dire est ainsi présenté comme une évidence, ce qui donne d’après nous un effet de non-prise en charge du point de vue du discours représenté. Cette représentation du dire peut aussi être considérée comme une forme d’argumentation indirecte car le sondage n’a pas vraiment de valeur étant donné la question posée. Stratégiquement, la rédaction donne une bonne image de l’ancien président en s’effaçant derrière un sondage. On imagine que si le résultat du sondage avait été en défaveur de ce dernier, le sondage n’aurait pas été publié. Le point de vue de l’énonciateur représenté en faveur de Chirac (relevant de l’instance journalistique « sondage BVA-Citato-Le Mouv’ » et de l’instance civique en herbe) est mis en avant. L’instance journalistique qui s’efface se pose en « sous-énonciateur » (Rabatel 2004 : 10) afin de garantir un effet d’objectivité, signifiant : « ce n’est pas nous qui le disons, c’est vous ».
2. 4. Modalisation autonymique d’emprunt
Passons à présent au dernier mode de représentation du discours autre. Dans la modalisation autonymique d’emprunt (ou MAE), le journaliste reformule en général le début du discours représenté puis met à distance le reste du discours à l’aide de marques formelles (italique et/ou guillemets). La partie du dire représenté qui est mise à distance peut être très courte, elle peut correspondre à une formule ou encore juste à un mot. Dans ce cas, on parle d’îlots textuels pour caractériser la petite partie du discours originel représenté. La configuration en MAE semble à première vue produire le plus grand effet de distanciation dans la mesure où le locuteur-énonciateur se déresponsabilise doublement. Mais cette remarque ne se vérifie cependant pas toujours dans l’analyse du discours de presse d’actualité adressée aux jeunes. L’utilisation d’une MAE permet au journaliste de s’effacer derrière le discours représenté tout en se dégageant de toute la responsabilité quant au contenu de ce discours. Le journaliste possède donc des moyens pour influencer l’interprétation du lecteur. La MAE a une caractéristique particulière, celle de fonctionner à la fois sur une homogénéité entre discours représentant et discours représenté et une hétérogénéité qui est introduite par des marques explicites de délimitation du DR. La configuration de la MAE est donc la suivante :
RDA en MAE : [DRant= X + V + DRé1/2] + [DRé2/2]*
La première partie de cette configuration est la même que celle de la représentation en DI et fonctionne sur une homogénéité entre discours représentant et la première partie plus ou moins longue de discours représenté (« DRé1/2 »). L’hétérogénéité entre le « discours représentant » et la deuxième partie du « discours représenté » (« DRé2/2 ») est formalisée par la séparation en deux groupes créés par les crochets. Et l’étoile « * » précise que l’on montre explicitement la délimitation du discours représenté grâce à des marques para-verbales. Cette configuration permet de souligner que cette représentation du discours autre n’est pas un fragment de DD inséré dans le DI mais relève bien de la MAE.
La MAE est le deuxième mode de représentation du discours le plus utilisé. Les MAE les plus courantes (correspondant à la configuration canonique) mentionnent le nom du sujet des dires et se présentent comme ceci : origine énonciative, verbe d’attribution de parole (verbe le plus souvent déclaratif), reformulation brève du discours autre et mise entre guillemets de l’extrait du discours autre en subordonnée (introduite par que) :
(7) « […] Le projet du PS, lui, est plus flou, il se limite à affirmer qu'il « entend faire de la lutte contre le changement climatique une priorité essentielle de son action » (MAE). […] Cécile Amar » (PHOSPHORE-EP02-02-04_n°250_p28)
Ce mode de représentation est une forme hybride proche à la fois du DI (reformulation), du DD (monstration des dires de l’énonciateur représenté) et de la MD (la MAE est aussi parfois introduite par le marqueur médiatif « selon »).
L’extrait n°8 est un bon exemple illustrant la mutation du DD en MAE. Le verbe attributif du dire se confond avec le verbe du discours représenté, il fait une transition sans marque syntaxique de distanciation entre discours représentant et discours représenté :
(8) « […] Le candidat UMP Nicolas Sarkozy veut « supprimer les cloisonnements des marchés du travail, en particulier pour les jeunes » (MAE). […] » (PHOSPHORE-EP07-07-02_n°308_p16)
Le choix du verbe à focalisation cognitive « veut » relève de la responsabilité du journal. On aurait pu imaginer une formulation du type : « Nicolas Sarkozy a dit qu’il voulait « supprimer les cloisonnements des marchés du travail, en particulier pour les jeunes » ».
La représentation du discours en MAE a enfin pour effet de mettre à distance, et donc de ne pas prendre en charge, une partie du discours représenté qui figure entre guillemets. Exemple :
(9) « Quatre favoris et autres candidats :
Jean-Marie Le Pen :
Son programme :
[…] Le FN veut réserver les aides sociales aux seuls Français et supprimer le regroupement familial (DI). Il entend rétablir la peine de mort pour « les crimes les plus odieux » (MAE) […] » (LesCLESdel'actualité-EP07-07-04-10_03-28_n°704_p8-10)
Cette non-prise en charge du discours représenté est renforcée par l’utilisation du verbe attributif du dire médiatif « il entend rétablir » (« V-MM ») à portée évaluative qui permet de glisser dans le discours représenté une critique négative. On aurait d’ailleurs pu imaginer dans la première partie de l’extrait une autre mise à distance concernant le segment « aux seuls Français ».
Conclusion
En conclusion, nous souhaitons souligner le fait que le choix de représenter les discours autres en tel ou tel mode n’est pas anodin. Les quelques configurations observées montrent à quel point l’événement politique peut être représenté de manières sensiblement différentes. Bien que montrant de forts effets d’objectivité, le mode indirect et la modalisation du dire comme discours second font intervenir la subjectivité des locuteurs-énonciateurs qui reformulent à leur manière les discours sources. Le mode direct et la modalisation autonymique d’emprunt garantissent plus ou moins de fidélité au discours source mais cela ne signifie pas que la subjectivité des locuteurs-énonciateurs soit absente. De nombreuses représentations du discours autre constituent des arguments ad verecundiam (ou argument de soumission) permettant aux journalistes de soumettre le jeune lecteur à l’autorité du discours représenté, interdisant ainsi toute contradiction ou affichage d’une opinion personnelle (Plantin 2005 : 95-96). La représentation du débat politique cherche plus à présenter des opinions d’une manière consensuelle qu’à provoquer explicitement des controverses. La représentation médiatique des présidentielles n’incite ainsi guère les jeunes à débattre.
Le présent article s’est focalisé sur l’hétérogénéité énonciative ; il serait utile d’affiner cette analyse en prenant en compte les hétérogénéités textuelles et sémiotiques et en mettant en valeur d’une manière plus précise le lien existant entre discours représentés et effets argumentatifs indirects.