La médiacritique de masse

Analyse sémio-linguistique des métadiscours à prétention critique (télévision, presse écrite, radio, Internet)

DOI : 10.58335/shc.154

Plan

Texte

Nous avons travaillé dans le cadre de notre maîtrise et de notre DEA, sur deux émissions télévisées. Pour la première, Strip-Tease1, nous nous sommes intéressée à la focalisation et à la construction du point de vue qui en découle; pour la seconde, Culture Pub2, nous nous sommes interrogée sur la réalité de sa dimension critique, par ailleurs revendiquée. Notre travail de thèse poursuit ces premiers questionnements, leur donnant plus d'ampleur d'une part car il s'applique à un domaine plus large, les médias, et d'autre part car il replace ces interrogations spécifiques dans un cadre énonciatif commun, celui de la construction de la relation entre le destinataire et le destinateur.

Préambule

Dès leurs débuts, les médias de masse produisent des discours abondants et variés sur eux-même. Que ce soit des émissions sur les coulisses de la télévision, des bêtisiers, des « zappings », il s'agit toujours d'un retour réflexif sur ce qui a déjà été diffusé dans la presse, sur Internet, à la radio ou à la télévision. Ces dernières années, ce sont particulièrement les discours à prétention critique qui se sont développés. En effet, après avoir été discutés, analysés, « décryptés »… de l’extérieur par le monde universitaire comme par leurs utilisateurs, les médias s’attachent à se critiquer eux-mêmes tout en affichant une vocation éducative : il « faut » faire prendre conscience aux téléspectateurs de ce qu’ils regardent, lisent ou entendent. L’État3 mais également de « simples citoyens4 » se donnent pour mission d'apporter un regard critique vis-à-vis des médias et plus particulièrement de la télévision. Et les médias relaient ce devoir civique en diffusant des discours censés les remettre en cause.

Notre intérêt s’est donc porté sur la singularité et les enjeux de ces textes qui allieraient aspect critique et aspect didactique. Partant, nous nous sommes concentrée sur ce que nous appelons la médiacritique. Il s'agit ici d'un terme emprunté à Jean Peytard (1990) que nous nous sommes approprié pour le détourner de son sens originel, entendant par là un genre rassemblant tout programme médiatisé ayant une prétention critique envers les médias.

Nous partons du postulat, à la suite de Roland Barthes (1966) que, pour être vraiment critique, c'est à dire donner à son destinataire la capacité de prendre de la distance pour qu'il devienne critique à son tour, la médiacritique devrait posséder certaines caractéristiques, dont la didacticité qu'Algirdas-Julien Greimas définit comme une compétencialisation, c'est à dire une mise en œuvre de moyens permettant la hausse des compétences du destinataire. Or, nous posons l’hypothèse que les médias ne font que construire une image critique. Ils font croire à leur destinataire qu’ils lui octroient un « pouvoir-faire », qu’ils augmentent sa capacité à « être critique » en créant une relation particulière avec lui.

Nous avons constitué notre corpus guidée par le projet de construire un objet d'étude cohérent, c'est à dire clairement délimité à des textes médiatiques prétendant critiquer les médias mais diffusés par quatre supports différents. Nous reviendrons sur le choix de ces textes, chacun d'entre eux offrant la possibilité de vérifier (ou non) les observations faites sur l'un.

Dans un premier temps, nous les avons décrit de manière globale, mettant au jours leurs caractéristiques principales : contexte, construction, énonciation.... Dans un second temps, nous avons procédé par « coup de projecteur », mettant en lumière des éléments, des séquences dont l'analyse fine étayait nos hypothèses. Notre travail n'a pas l'ambition d'être exhaustif mais vise l'exemplarité, la mise en évidence d'un fonctionnement commun aux textes médiacritiques par delà leurs différences de support. Il s'appuie autant sur des concepts linguistiques que sémiotiques. En effet, si les premiers nous ont permis de cerner le fonctionnement des interactions langagières tel que l'entend Catherine Kerbrat-Orecchioni, le rôle de l'argumentation selon Chaïm Perelmann... les seconds et notamment, les théories liées à l'énonciation développées par Joseph Courtès, Algirdas-Julien Greimas, Herman Parret... nous ont offert la possibilité de dépasser nos premières conclusions pour envisager la communication en fonction des stratégies mises en place par l'énonciateur. Notre travail tente de construire des passerelles entre sciences du langage et sciences de l'information et de la communication, se concentrant sur la production d'une mise en condition d'une réception.

Nous présenterons dans une première partie les grande lignes de notre thèse, les caractéristiques des différents programmes constituant notre corpus, leurs points communs et les conclusions de nos analyses. Nous nous attarderons dans une seconde partie sur deux points centraux de notre thèse qui ont structuré nos recherches : le rapport entre scientificité et vulgarisation et les caractéristiques de l'énonciation médiacritique métadiscursive.

Les grandes lignes de la thèse

Arrêt sur Images, une émission emblématique

Volonté de paraître didactique

Nous avons commencé par intégrer dans notre corpus le métadiscours produit par l'émission télévisée Arrêt sur Images5, émission emblématique de la critique télévisuelle. Cela dit, et bien que producteur, réalisateur et diffuseur annoncent un discours scientifique et raisonné (l'émission est présentée ainsi par le site de la chaîne : « ce décryptage pertinent permet ainsi une véritable éducation aux images »), nous la considérons sous l'angle du prototype défaillant. En effet, à l'aide d'analyses sémio-linguistiques d’extraits, nous avons constaté que sa volonté didactique s'arrêtait à l'annonce d'un « décryptage » des médias et de son apprentissage. Nous avons relevé par exemple que l'utilisation de paraphrases, de reformulations servait plus la mise en cohérence du discours que la transmission de savoir. Il s'agit en fait de paraître didactique.

Volonté critique

Quant à l'activité critique qu'elle revendique, elle en construit l'apparence à l'aide d'un discours de type mea culpa qui se déploie notamment dans la chronique du médiateur, chronique qui donne la parole aux téléspectateurs et enjoint à l'équipe d'Arrêt sur Images de justifier ses choix (mais sans que ces (auto)critiques ne remettent jamais en cause la légitimité de l'émission). Par ailleurs, elle juge les autres médias en fonctions de critères non explicités, relevant en général de la déontologie journalistique et de l'éthique des chroniqueurs de l'émission.

Conclusions

Sous couvert d'analyser scientifiquement la télévision et les médias, Arrêt sur Images diffuse des discours convenus sur eux mais surtout, construit avec son téléspectateur une relation privilégiée, basée sur la complicité et l'ironie. Nous avons donc envisagé de confronter ces premières conclusions avec l'analyse de la médiacritique supportée par d'autres médias, l'enjeu étant d'identifier une stratégie transmédiatique commune.

La Lettre à Zélie, un regard intimiste

Big Bang Blog et La Lettre à Zélie exhibent tout deux une certaine proximité avec le lecteur. Cette chronique hebdomadaire de François Gorin publiée dans Télérama est placée à la fin du magazine (dernière ou avant dernière page). Elle pourrait, par symétrie, répondre symboliquement au courrier des lecteurs, un journaliste du magazine écrivant à une lectrice-téléspectatrice ou, au contraire, être la voix des téléspectateurs-lecteurs qui n'écrivent pas. Elle aborde le thème des médias et de la télévision en particulier sous l'angle de la quotidienneté : François Gorin commente les programmes télévisés au regard de l'expérience qu'il en a fait. Il parle de ce qu'il a vu mais se focalise surtout sur ce qu'il a ressenti. Il s'agit alors non plus d'analyser un fonctionnement mais d'une part de constater l'emprise que ces objets ont sur tout un chacun, la place qu'ils prennent dans leur vie et d'autre part de pousser le lecteur à se reconnaître dans ces situations.

Big Bang Blog, liberté et interactivité

Big Bang Blog est tenu par trois chroniqueurs d'Arrêt sur Images (Daniel Schneidermann, David Abiker et Judith Bernard). C'est une des raisons qui nous a poussée à le sélectionner : il permettait aux chroniqueurs de rentrer en contact plus directement avec leurs téléspectateurs. Ainsi, si ce blog s'affiche comme étant dédié au médias — comme l'indique son sous-titre : « Les médias changent le monde. Internet change les médias. Big Bang Blog explore tout ce qui craque. Et tout ce qui résiste. » —, ses animateurs ne se cantonnent pas à ce sujet et introduisent d'autres thèmes plus ou moins proches, plus ou moins personnels, sur un ton détendu. Ils abordent par exemple des questions politiques, racontent leur grossesse, etc.... Aussi, ce blog, comme presque tous les blogs, permet aux utilisateurs de poster des commentaires à la suite des billets. Ces différents points renforcent la relation entre les animateurs-chroniqueurs et les utilisateurs-téléspectateurs mais donnent également l'illusion aux utilisateurs d’avoir un « pouvoir » — être libre, agir — supérieur à celui octroyé par les autres médias. Le blog leur octroie un statut presque équivalent de celui du chroniqueur : comme lui, il vont pouvoir écrire pour exprimer leur point de vue, leur ressenti ou initier de nouvelles discussion et leur production a la potentialité d'être lue par un très grand nombre de personnes.

J'ai mes Sources, au service des auditeurs... et des journalistes

Enfin, l’émission radiophonique J’ai mes Sources, présentée par Colombe Schneck (ex chroniqueuse d'Arrêt sur Images) et Nicolas Demorand sur France Inter, consacre, du lundi au vendredi, un peu moins d'une demi-heure aux médias. Sous couvert d'observer attentivement le monde des médias pour y déceler des informations peu publicisées voire cachées, l'émission fait la promotion de programmes, de livres, d'événements... qu'elle a jugé intéressants, offre la possibilité aux journalistes de parler de leur métier ou encore, critique (dans le sens commun du terme) les émissions jugées non dignes d'intérêt. Ainsi, certains invités comme Nicolas Beytout (journaliste au Figaro) peut s'exprimer relativement facilement, son discours étant peu contredit tandis que Bruno Mouron et Pascal Rostain (deux paparazi) endossent le rôle des mauvais journalistes qui pervertissent la profession. Finalement, l'enjeu réel de cette émission est de tenir les auditeurs informés de l'actualité des médias tout en construisant et en faisant partager sa conception de cet univers et plus spécifiquement du journalisme.

Conclusion

Nos premières observations nous ont permis de poser l'hypothèse suivante : ces différents objets médiatiques mettent en place une « critique légitimante », c'est à dire que cette critique est trop superficielle pour remettre en cause le fonctionnement des médias, elle se contente d'accompagner leur évolution, de montrer du doigt ce qui déroge à des normes non formulées. Ces textes prétendent agir pour le bien de tous et jugent de ce qu’il convient de faire en tant que professionnel des médias mais aussi, et surtout, de ce qu’on doit faire en tant qu'être humain vivant en société. Cette façon de parler des médias, et plus particulièrement de la télévision, construit une relation spécifique entre l’énonciataire et l’énonciateur basée sur les non-dits et les représentations communes. En utilisant l'humour, en faisant référence à des récits d'expériences sensibles, en rediffusant des extraits ou en citant des paroles tenues par d'autres, ces textes visent non seulement la réaction mais également l'implication de leur public dans leurs discours. Ces séquences ont un rôle d'embrayeur (au sens de Joseph Courtès, 1991) c'est à dire qu'elles introduisent dans l'énoncé des éléments issus d'une autre situation qui créent une illusion énonciative, et projettent le destinataire dans cette énonciation. Ces séquences joue sur le système de croyances du destinataire, l'encourageant à se positionner par rapport aux faits (re)présentés, à exercer sa compétence. Or, comme nous l'avons souligné précédemment, la médiacritique de masse n'apporte pas vraiment les outils pour analyser les médias. Elle fait seulement croire à une hausse du savoir-faire et du savoir-être de son destinataire et par conséquent, lui fait croire à la légitimité de ses jugements. Nous mettons en évidence ce phénomène avec l'analyse de deux exemples représentatifs du fonctionnement de la médiacritique métadiscursive.

Nous avons choisi de revenir sur deux points fondateurs de la médiacritique : les promesses de scientificité que ce genre transmédiatique peut faire et la spécificité de son écriture qui en découle.

Zoom sur deux principes

Rapport entre sciences et médiatisation : la vulgarisation

Nous avons cherché à déceler les promesses que ces textes font à leurs destinataires. Nous nous sommes donc penchée sur leurs présentations, qu'elles soient faites par les chaînes ou radios qui les accueille ou par leurs énonciateurs eux-mêmes. Nous avons complété cette approche par l'étude de ce qu'Eliseo Veron appelle le contrat de lecture, c'est à dire les caractéristiques formelles de ces textes telles que la présence de démonstration, l'explication technique de phénomènes médiatiques et la présence de professionnels des médias ou d'universitaires. Ces regards croisés ont construit, dans les cas d'Arrêt sur Images, J'ai mes Sources et de manière moins marquée pour Big Bang Blog, l'attente de textes peut-être pas scientifiques mais du moins vulgarisés.

Cette scientificité (nous modalisons car il s'agit alors d'une image scientifique et non plus de propriétés véritables) se manifeste notamment avec la présence d'invité expert et/ou scientifique.

Présentation de l'extrait

L'exemple que nous étudions est tiré de J'ai mes Sources du 12 octobre 2007 intitulé « La diversité dans les séries télé ». Eric Macé, chercheur au centre d'analyse et d'intervention sociologique (EHESS-CNRS) s'exprime au sujet de l'évolution des rôles assumés par les personnages d'origine maghrébine. Il cite l'exemple de Plus Belle la Vie et analyse la façon dont des personnages d'origine maghrébine sont intégrés dans la série. Il constate que plutôt que casser les stéréotypes, elle les évite. Mais la série évolue avec l'arrivée d'une jeune fille portant le voile.

Description et analyse de l'extrait (voir annexe 1)

Le chercheur s'adresse directement à ses destinataires, que ce soit ses interlocuteurs directs, en présence, ou les destinataire indirects, les auditeurs. Il les interpelle par un « vous » qui les englobe dans la même entité. Il assure par exemple : « vous savez que la fiction, c'est une manière d'explorer les mondes possibles », « vous savez que les immigrés ont des enfants ». Il valorise ici le savoir des destinataires, les séduits en utilisant l'affirmative tout en donnant des informations à ceux qui ne les connaîtrait pas. Eric Macé se construit en tant qu'énonciateur pédagogue et par symétrie, construit la place de ces auditeurs élèves. Il va donc apprendre quelque chose à des destinataires qui ne savent pas ou qui savent moins que lui. Ainsi, il adapte son discours : il reformule par exemple le terme « subjectivité » en « expression de soi ». Il fait, selon la définition classique, de la vulgarisation. En effet, le discours scientifique est produit par des spécialistes et s'adresse uniquement à d'autres spécialistes. Il use d'une « langue » particulière, de terminologies. La vulgarisation postule un discours médiateur entre la science et le grand public mais, comme le note Dominique Wolton (1998), il est en réalité plus complexe car quatre acteurs interviennent : la science, la politique, la communication et les publics. Nous allons donc essayer de mettre en évidence comment les interactions entre ces différents acteurs peuvent jouer sur la transmission du savoir et sur sa scientificité. Eric Macé reprend une démarche en apparence scientifique : il constate un changement « or récemment » et s'interroge par rapport à l'évolution de cette nouvelle situation « qu'est-ce que ça va devenir ? ». Sa réponse est immédiate « j'en sais rien ». Mais cette première réponse n'est donnée que pour la forme, il enchaîne en faisant des hypothèses quant à la suite de la série, hypothèses signifiées par le conditionnel : « on pourrait dire que finalement, ce qui pourrait se passer ». Il les appuie en donnant pour évident le postulat que « la fiction, c'est explorer des mondes possibles ». Ce concept n'est pas expliqué mais exemplifié par ces deux hypothèses. Or, il ne précise pas dans quel domaine il se situe, comme si l'expression « mondes possibles » était une locution courante au sens univoque. En effet, ce dont il parle ne correspond pas à la définition des mondes possibles théorisée par Umberto Eco (1985) par exemple (qui est, pour aller très vite, la construction d'un univers cohérent dans lequel une fiction se déploie), et renvoie plus à des possibilités scénaristiques. Il justifie ensuite le choix de ces exemples en citant une série canadienne qui exploite le thème de la rencontre entre la religion et l'homosexualité. Il compare l'emploi que cette dernière fait des stéréotypes liés à la religion avec celui qu'en font les séries françaises mais il ne prend pas le temps d'expliquer où se trouvent les stéréotypes dans le second cas et en quoi elle les détourne (si elle les détourne).

La vulgarisation permet à l'auditeur de comprendre de manière globale le propos du scientifique mais elle ne rend pas compte de la complexité de ses recherches. La médiatisation des savoirs scientifique entraîne un glissement des enjeux : il s'agit de plaire, de séduire un public le plus large possible en le valorisant, en le faisant rire etc....

La majorité des textes médiacritiques métadiscursifs tendent vers la scientificité sans réussir à l'atteindre mais cette caractéristique ne leur est pas propre. Par contre, la médiacritique adopte, quel que soit son support, une posture commune. cette posture énonciative est caractérisée par la relation qui se noue entre l'émetteur, son objet de discours et le récepteur.

Caractéristiques de l'écriture médiacritique métadiscursive

Énonciation et manipulation

Pour Algirdas-Julien Greimas et Jacques Fontanille (1991), 1’énonciation doit être considérée comme un acte de communication : c’est une activité cognitive, c’est-à-dire que le destinateur transmet une information au destinataire — il « fait savoir ». Mais surtout, cette activité permet de « manipuler » le destinataire pour qu’il adhère au propos du destinateur. Le terme « manipulation » (Joseph Courtès, 1991 : 109) n’a ici aucune coloration morale ou psychologique ; la manipulation est une activité « factitive » : un énoncé de faire régit un autre énoncé de faire (faire-faire). Nous étudions donc les stratégies mises en place pour provoquer chez le destinataire une action, que cette action ait lieu ou non. Les textes médiacritiques usent de divers procédés pour manipuler leur destinataire. Cela dit, le débrayage énonciatif est le lieu privilégié par chacun d'entre eux pour la manipulation. Il s'agira de l'insertion de récits d'expériences (vécues ou fictionnelles) dans les textes écrits ou de la diffusion d'extraits d'autres programmes dans les textes audio(visuels). Notre analyse des premières secondes de l'émission Arrêt sur Images, intitulée « Noirs visibles, à quel prix » en est un exemple. Il s'agit de l'insertion d'une publicité étrangère (voir annexe 2)

La manipulation, située entre le vouloir du destinateur et la réalisation effective du programme narratif par le destinataire, joue sur la persuasion, articulant le faire persuasif du destinateur et le faire interprétatif du destinataire (voir annexe 3)

La phrase introduisant cet extrait « une erreur s'est glissée, cherchez la bien ! » est une manipulation par provocation : elle met en doute les compétences modales du destinataire son savoir et son pouvoir faire : sera t-il capable de trouver l'erreur ? Par conséquent, le manipulé doit choisir entre deux images de sa compétence et, s'il se laisse manipuler, il voudra « chercher l'erreur ». L'extrait devient alors le lieu dans lequel le destinataire exerce sa compétence ou plutôt, réalise une performance. Dès la fin de l'extrait, le présentateur donne la réponse à sa question : c'est une erreur de représenter un blanc pour servir des noirs6. Il s'agit ici de la sanction. Dans un premier temps, c'est le Faire de la performance du destinataire qui est évalué en fonction de sa conformité avec ce qui lui était demandé et avec un système axiologique. Dans un second temps, c'est l'Être qui est évalué en fonction de la véracité de sa compétence7.

Cette sanction n'est possible qu'en fonction de l'existence d'un système de valeurs, une axiologie non explicite, construite par le destinateur et qu'il veut faire partager au destinataire.

Le tableau de l’annexe 4 en retrace les grandes lignes.

Ce système consiste en une opposition entre des valeurs euphoriques et des valeurs dysphoriques. Pouvoir et savoir faire sont, dans cette situation énonciative où la volonté d'apprendre est affichée comme une priorité, des valeurs positives tandis que leur impossibilité est connoté négativement. Le destinateur, grâce aux diverses manipulations énonciatives, sous-entend que pouvoir « trouver l'erreur » témoigne d'un savoir-faire et est donc de l'ordre de l'analyse d'image. Ainsi, si le destinataire a effectivement trouvé l'erreur, il est valorisé et même validé en tant que personne compétente, capable d'analyser les images.

Conclusion

La médiacritique de masse fait croire à la hausse du savoir-faire et du savoir-être de son destinataire. Elle lui fait croire à la légitimité de ses jugements alors qu’elle ne lui a pas nécessairement apporté les outils pour le faire. La médiacritique métadiscursive, n'apprend pas à analyser les médias mais produit un discours axiologisé qui incite son destinataire à accepter cette idéologie. Il existe donc un décalage entre le but affiché de la médiacritique, sa volonté didactique et ce qu'elle est. En somme, la médiacritique métadiscursive construit chez son destinataire un regard citoyen qui le pousse à être vigilant vis-à-vis des médias mais qui masque les manques didactiques de ce genre. Nous poursuivons actuellement nos recherches sur la médiacritique en suivant deux axes : d'une part nous questionnons le lien entre l'aspect critique et le caractère interactif de sites Internet dédiés à la critique des médias. Notre but est de comprendre comment les stratégies énonciatives mises en place par ces textes construisent leur image critique et, dans le même mouvement, encouragent les internautes à participer à leur construction. L'étude du site @rretsurimages.net dont la vocation explicitement annoncée est d'offrir une « réflexion critique sur les médias » prolonge ainsi notre thèse et nous permet de mesurer les écarts et les ressemblances entre la version télévisée et celle Internet. D'autre part, nous envisageons de construire une typologie dédiée à la médiacritique métadiscursive télévisuelle, typologie dont l'enjeu est de saisir la diversité de ce type d'émission et de cerner les différentes orientations que peut prendre ce genre : +Clair et le Zapping sur Canal +, Médias le magazine et Revu et corrigé sur France 5, Toutes les Télés du Monde sur Arte, Culture Pub sur NT1, Morandini, Les Perles du Net sur Direct 8, Parlons Blog sur LCP... (pour ne citer que la TNT) sont des émissions appartenant au genre médiacritique métadiscursif mais qui n'ont ni les mêmes enjeux, ni ne font les mêmes promesses à leurs téléspectateurs.

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Annexe

Annexe

Annexe 1

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Annexe 2

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Annexe 3

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Annexe 4

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Notes

1 Programme franco-belge créé en 1985 et diffusé de manière périodique depuis 1992 sur France 3 Retour au texte

2 Émission diffusée sur M6 de mars 1987 à juin 2005 Retour au texte

3 Nous relevons, entre autres, dans un article publié en 2005 sur le site vie publique.fr que « l’éducation aux médias a été récemment réaffirmée dans la nouvelle loi d’orientation sur l’avenir de l’école » (http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/education-aux-medias-recueil-pratiques-innovantes.html). Retour au texte

4 Ainsi Acrimed (Action CRItique Médias), association loi 1901 qui réunit des journalistes, des universitaires… et des « usagers des médias » (http://www.acrimed.org/rubrique287.html). Retour au texte

5 Émission présentée par Daniel Schneidermann et diffusée de 1992 à juin 2007 sur France 5 Retour au texte

6 Il s'agit bien sûr d'une réponse ironique. L'analyse du ton de l'extrait est un trait pertinent que nous avons choisi de ne pas développer ici dans un souci d'économie. Retour au texte

7 La médiatisation ne permet pas au destinateur de vérifier lui-même la performance du destinataire, ce dernier s'auto-évaluera donc en fonction de la solution donnée Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Véronique Madelon, « La médiacritique de masse », Sciences humaines combinées [En ligne], 4 | 2009, publié le 01 septembre 2009 et consulté le 22 novembre 2024. DOI : 10.58335/shc.154. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=154

Auteur

Véronique Madelon

Docteur en Langues, LASELDI - EA 2281 - UFC