Dans un contexte d’internationalisation croissante du sport professionnel, les stratégies du recrutement des centres de formation du football français qui dépendent des clubs professionnels tendent à privilégier certains espaces géographiques (Europe, Afrique, Amérique du Sud…) plus que d’autres et surtout certaines zones (les aires urbaines africaines et sud-américaines) où sont localisées des ressources importantes de jeunes garçons. Ainsi, à travers la mise en place des stratégies nationales et internationales du recrutement, les grandes agglomérations européennes et les pays du Sud deviennent des pôles de détection privilégiés par les dirigeants des centres français mais aussi européens. Plusieurs facteurs expliquent cette attraction : les caractéristiques des jeunes joueurs et les avantages liés à l’environnement du repérage renforcé par des stratégies du recrutement aident et développent les processus économico-sportifs des sélections des joueurs les plus prometteurs. Le football professionnel mondial a changé, le profil des joueurs recherchés a évolué et les modes du recrutement et de formation des sportifs de haut-niveau entraînent une plus forte concurrence entre les clubs. Enfin, les mécanismes du recrutement placent les clubs et leur centre de formation dans un contexte de haute compétitivité, de réseaux et de stratégies du recrutement interdépendantes au marché international de footballeur professionnel et de jeunes footballeurs talentueux.
Mesurer les stratégies complexes du recrutement des centres de formation français dans une perspective géographique conduit à s’intéresser aux acteurs localisés en France et à l’étranger qui interagissent dans les systèmes de sélection des joueurs puis à analyser l’environnement des recrutements opérés sur ces espaces. En effet, la présence des footballeurs professionnels français et étrangers évoluant dans le championnat professionnel du football français constitue l’aspect le plus visible de l’internationalisation des recrutements des footballeurs. Aussi, les recherches réalisées sur les stratégies développées par les clubs français permettent de comprendre les procédures de sélections des jeunes athlètes présents dans les centres de formation du football français entre 2002 et 2007. Des recherches géographiques réalisées entre 2001 et 2008 (Bale, Lanfranchi et Taylor 2001 ; Poli, Magee et Sugden 2002 ; Dietschy 2006 ; Piraudeau 2008) mettent en évidence les spécificités de certains espaces géographiques et les stratégies du recrutement utilisées dans le football professionnel mondialisé.
Au regard des différentes étapes de réalisation, quels sont les principaux résultats mis en lumière qui définissent de nouvelles réflexions et problématiques géographiques ? Notre premier temps d’analyse sera consacré aux motivations personnelles et scientifiques et à l’élaboration de la problématique. Enfin, nous terminerons par la présentation de nos résultats les plus significatifs.
Des motivations personnelles et scientifiques à la base du cheminement analytique
La recherche réalisée est le résultat de plusieurs motivations d’ordres personnelles et scientifiques. Tout d’abord, il s’agissait de terminer un cycle universitaire orienté depuis la troisième année universitaire (licence en géographie-aménagement du territoire) sur la recherche en Géographie du sport. De plus, le football prend depuis plusieurs années une place très importante dans nos sociétés contemporaines. Un regard critique sur la base des stratégies du recrutement des centres de formation du football français qui ne cessent de se transformer depuis le début des années 1970 était nécessaire. En effet, on est passé de stratégies sportives à des stratégies économico-sportives à partir du début des années 1990. Apporter un avis et une vision géographique sur un sujet de société, observer, comprendre et expliquer les objectifs des stratégies spatiales du recrutement mises en place par les dirigeants des clubs s’inscrivent comme les axes majeurs de notre recherche. L’analyse des futurs footballeurs professionnels et des stratégies spatiales du recrutement des futurs footballeurs professionnels menées par les clubs professionnels français consiste aussi à les replacer par exemple dans les débats et les discussions scientifiques. L’étude doit permettre d’éclairer les mécanismes méconnus des stratégies du recrutement et d’apporter de nouveaux éléments de connaissances en Géographie du sport. Enfin, les motivations d’ordres scientifiques se justifient aussi par l’absence d’étude géographique sur les stratégies du recrutement des centres de formation du football français et donc nous souhaitions apporter une analyse géographique sur ce sujet.
De l’élaboration d’une problématique géographique aux difficultés rencontrées au cours de mon analyse
Au regard des motivations, une problématique géographique a émergé sur un thème qui apparaît plus souvent dans le champ du management sportif que dans le domaine de la géographie. Au cours de l’avancée de nos recherches, nous avons ainsi pu définir un cadre d’étude qui nous a permis progressivement de délimiter un raisonnement et des axes d’analyses géographiques ont permis de poser et définir la problématique suivante : Dans quelles mesures les stratégies du recrutement des centres de formation du football français s’organisent-elles dans un marché footballistique concurrentiel et mondialisé régi par des contraintes administratives et territoriales élaborées par les instances nationales et internationales du football ? Les stratégies du recrutement mises en place par les dirigeants des centres de formation du football français sont associées de plus en plus à des stratégies économiques et réalisées à des échelles géographiques plus ou moins larges.
Au cours de l’analyse, les rencontres avec de nombreux dirigeants de centres de formation répartis sur l’ensemble du territoire national (cf. carte n°1) ont complété la recherche. La hiérarchie et la diversité des acteurs impliqués dans la mise en place des stratégies du recrutement amène à adapter les techniques de recueil de données par rapport aux différents terrains. Le plus souvent, les entretiens téléphoniques et les entretiens en présence ont permis d’obtenir des informations précises sur les stratégies du recrutement ce qui permet ensuite de les confronter aux données transmises par la Fédération Française de Football et la Ligue Professionnelle de Football (annexe 1).
Les deux grandes instances du football national ont transmis des fichiers confidentiels sur les différents joueurs présents dans les centres de formation français entre 2002 et 2007. Aucune difficultés n’ont été rencontrées pour obtenir les différentes informations disponibles au cours des mes années de recherche. La cartographie est un bon moyen de visualiser les différences de stratégies du recrutement mises en place par les centres de formation. Les schémas de synthèse et les graphiques causaux représentant une réalité complexe, complètent aussi l’analyse.
Les résultats les plus significatifs
L’analyse des parcours des joueurs recrutés par les centres de formation du football français permet de définir une typologie des stratégies du recrutement déployées à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle internationale (annexe 2).
Les réglementations nationales et internationales évoluent et peuvent modifier par conséquent les stratégies spatiales du recrutement des centres de formation du football français. Les dirigeants des centres de formation doivent faire face à une « réglementation spatiale » pour détecter des jeunes de moins de 15 ans qui intégreront à l’âge de 15 ans leur centre de formation. La réglementation est mise en place principalement afin d’éviter des déracinements de jeunes joueurs de moins de 15 ans. L’existence d’un espace géographique délimité réglementant la détection et le recrutement a pour objectif d’éviter des conflits entre les centres de formation et de faire grandir et épanouir le jeune joueur dans un espace proche du domicile parental. Selon la catégorie (1 ou 2), les responsables des centres de formation sont obligés de respecter des zones préalablement délimitées par la F.F.F. pour détecter des jeunes joueurs. Les centres de formation de catégorie 1 peuvent repérer des jeunes joueurs dans un rayon de 100 kilomètres par rapport à la localisation de leur club, ainsi que dans la zone de leur ligue. Les centres de formation de catégorie 2 peuvent détecter des jeunes dans un rayon de 50 kilomètres par rapport à la localisation de leur centre ainsi que dans la zone de leur district. Le nombre de centres de catégories 1 et 2 évolue saison après saison. Nous avons uniquement pris en compte les périmètres de détection pour la saison 2004-2005. Les stratégies spatiales du recrutement sont donc soumis aux réglementations spatiales (annexe 3).
En analysant les derniers clubs amateurs fréquentés par les jeunes joueurs recrutés et évoluant dans les centres de formation du football français en 2004, on s’aperçoit que les dirigeants des centres contournent les réglementations spatiales mises en place à l’échelle nationale pour sélectionner leurs jeunes joueurs. En 2004, 29 centres de formation sur 32 recrutent des joueurs en Ile-de-France. Troyes et le P.S.G arrivent en tête de ces clubs recruteurs avec respectivement 77,7 % et 74,7 % de joueurs franciliens. Les centres de Sedan (56,2 %), du Havre (42,4 %), d’Amiens (41,6%), d’Auxerre (32,5 %), de Rennes (27,6 %), de Monaco (23,8 %) ou bien encore de Nantes (23,7 %) démontrent combien les clubs recrutent de manière intensive en région parisienne. En moyenne, les centres de formation recrutent 23 % de jeunes joueurs amateurs évoluant en région parisienne en 2004 (annexe 4).
L’Ile-de-France serait-il un « carrefour stratégique des recrutements » ? Afin de répondre à cette question, pourquoi ne pas comprendre cette spécificité comme une application locale de l’internationalisation des footballeurs ? L’Ile-de-France deviendrait un nouvel espace de recrutement en raison de stratégies volontaires mais aussi de propriétés associées à la population de cette zone. Le développement de plusieurs éléments apparaît indispensable d’être évoqué pour appréhender cet espace géographique.
Les raisons économiques : Les clubs recrutent en Ile-de-France parce qu’ils réalisent une économie d’échelle. La région parisienne est très bien desservie par les moyens de transport (avion, TGV, autoroute…), ce qui permet aux dirigeants des centres de formation français de placer l’espace parisien au cœur de leur stratégie du recrutement ;
Les raisons sportives : il n’existe pas, contrairement aux autres grandes capitales européennes, plusieurs grands clubs capables d’assurer un débouché pour les joueurs, une absence totale de concurrence. Comparée à Londres qui dispose d’une dizaine de clubs professionnels, la région parisienne ne compte que deux clubs professionnels : le Paris Saint-Germain et Créteil qui pour ce dernier ne dispose pas de centre de formation ;
Les stratégies spatiales du recrutement des centres de formation français conduisent à la révélation d’un « profil » de joueur très recherché. Les joueurs de couleur et les joueurs d’origine africaine et sud-américaine sont depuis une dizaine d’années très courtisés par les recruteurs des centres de formation. Evoluant en Afrique ou en France, de nombreux recruteurs orientent leur regard sur ces joueurs. Ils représentent un gage de réussite et répondent à des critères de sélection extrêmement pointus fixés par les différents responsables du recrutement des centres de formation français.
L’application des stratégies du recrutement des centres à l’échelle nationale met en lumière des espaces géographiques plus ou moins convoités (annexe 5). Selon les réglementations spatiales élaborées par les instances du football français, les économies d’échelle et le profil de joueur recherché, les dirigeants des centres orientent leurs stratégies du recrutement sur des espaces géographiques définis.
A l’échelle internationale, le choix de l’Afrique de l’Ouest par les centres de formation du football français analysés révèle comme une détermination des dirigeants français d’être implantés et d’étendre leur choix de joueurs sur le continent africain. Plus de la moitié des centres français développent des stratégies en Afrique de l’Ouest (annexe 6).
Toutefois, tous les pays de cet espace africain ne bénéficient pas de la même attention. Certains pays comme la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal… dégagent des liens très forts avec les clubs français depuis plusieurs années. « Les joueurs africains sont recrutés par les pays où le cordon historique entre les pays coloniaux et les ex-colonies sont étroits. En fait, cette géographie de mobilité des joueurs réaffirme une véritable logique de transfert qui s’inscrit dans le processus du lien post-colonial entre les pays tels que le Portugal et l’Angola, la France et la Côte d’Ivoire, ainsi que l’Angleterre et le Nigeria, le Ghana et la Zambie » (Boli, 1998, p. 2). Les liens historiques sont l’un des éléments d’explication mais d’autres facteurs suscitent l’attention.
Les avantages d’être implanté en Afrique de l’Ouest sont nombreux pour les centres de formation français. Les dirigeants français et les intermédiaires africains soulignent les opportunités économico-sportives de s’installer en Afrique de l’Ouest. La multiplication des centres européens implantés ces dernières années en Afrique de l’Ouest confirme l’intérêt des dirigeants des clubs professionnels de football pour cet espace. Au regard des stratégies du recrutement sur l’espace africain, de nombreux responsables de centres français estiment que la proximité avec les pouvoirs politiques locaux facilite leur implantation et leur développement. Les relations bilatérales entre leur club et les instances administratives africaines aident la diffusion de l’image du club français et permet d’établir des liens de confiance. De nombreux dirigeants français reconnaissent qu’il est aisé de développer des stratégies du recrutement rapidement dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Les risques financiers sont donc minimisés. L’implantation des clubs dans certains pays peut être un moyen d’échanges bilatéraux. Les centres français recrutent des jeunes joueurs prometteurs et les pays africains profitent des joueurs recrutés puis formés pour faire progresser leur équipe nationale. Un autre facteur explique le choix des pays d’Afrique de l’Ouest à l’échelle mondiale. Il s’agit de l’abondance d’une population masculine, jeune et investie par la pratique footballistique. Malgré des infrastructures d’entraînement de moyenne voire de faible qualité, l’engagement des jeunes pour le football est régulier et soutenu.
L’analyse des stratégies spatiales vient compléter certains travaux, par exemple ceux de Raffaele Poli sur la place des joueurs africains dans les stratégies économiques des clubs professionnels.
Chaque centre de formation français dispose de leurs propres stratégies du recrutement développées en France et à l’étranger. La conception d’un modèle représentant les deux principaux types d’actions développées à l’échelle nationale (annexe 7). Il existe une variété de positions entre ces deux types d’opérations du recrutement des centres français. Les centres de formation se livrent une véritable concurrence pour recruter les meilleurs jeunes évoluant en France et à l’étranger comme les grandes entreprises cherchent à recruter les meilleurs ingénieurs. Les dirigeants des centres élaborent des stratégies complexes pour repérer et sélectionner les meilleurs joueurs évoluant dans un espace géographique délimité.
Afin de conclure sur les différents résultats obtenus, cette recherche a permis de contribuer à une meilleure connaissance du fonctionnement des stratégies spatiales du recrutement des centres de formation du football français et leur importance dans le système productif des footballeurs professionnels. Mon travail de recherche a permis de déceler les dysfonctionnements et les améliorations possibles aux différentes stratégies du recrutement étudiées aux bénéfices des instances fédérales, des clubs français et européens et des spécialistes du recrutement. Cette recherche universitaire peut être à la base de nouvelles décisions et ouvre aussi de nouveaux questionnements. Analyser la géographie des licenciés, la place de l’Etat et des fédérations sportives dans le sport professionnel dans les prochaines années, les conséquences des nouvelles réglementations nationales et internationales sur les stratégies développées par les clubs français et européens peuvent être quelques exemples de nouvelles pistes de recherche.