Intimité avec soi, intimité avec Dieu : la formation des novices dans la Instrucción de maestros y escuela de novicios de fray José de Sigüenza (1544-1606)

DOI : 10.58335/intime.114

Résumés

Ce travail s'appuie sur la Instruccion de maestros y escuela de novicios, petit ouvrage peu connu du hiéronymite fray José de Sigüenza rédigé autour de 1600 et destiné, comme son titre l'indique, à instruire les maîtres des novices. Le contenu de l'œuvre s'inscrit dans la plus pure tradition monastique, reprenant à son compte un héritage patristique cher à l'auteur. À travers une opposition récurrente entre « homme intérieur » et « homme extérieur », l'auteur s'intéresse aux moyens à mettre en œuvre pour revenir à l'observance primitive. Le moine doit pour cela retrouver le sens et le goût de la cellule et faire preuve d'une parfaite maîtrise de son corps. La notion d' « intimité » est ainsi à rapprocher d'une réflexion sur le sens de l'ascèse monastique selon l'idée que la croissance de l’homme intérieur dépend de la mise sous contrôle de l’homme extérieur, de ses passions et de ses appétits. Sans pour autant vouloir heurter la nature humaine ni faire violence à ses tendances, Sigüenza rappelle ainsi que la véritable intimité naît du dialogue avec Dieu et d'un rapport pacifié à soi-même.

My article analyses the Instruccion de maestros y escuela de novicios, a little-known treaty by the hieronymite monk Fray José de Sigüenza, which was written around 1600 to instruct the masters of novices. The work belongs to the monastic tradition and relies upon the author’s knowledge of the patristic knowledge. Relying on the opposition between ‘the internal man’ and ‘the external man’, fray José examines how to return to the primitive observances. The monk must make sense of and find pleasure in his life in his cell, and gain mastery over his body. Fray José’s conception of intimacy results from his reflection on monastic asceticism: the growth of the internal man is made possible by keeping control over the external man’s passions and appetites. While granting the complexity of human nature, Sigüenza calls for a real intimacy, born of a dialogue with god and of a pacified relationship with oneself.

Plan

Texte

Je propose d’aborder la notion d’ « intime » à partir d’un petit traité d’ascétique monastique, portant le titre Instrucción de maestros y escuela de novicios et rédigé autour de 1600 par le moine hiéronymite fray José de Sigüenza1. L’auteur ne doit pas tant sa renommée dans le monde hispanique à l’ouvrage cité qu’à la chronique de son Ordre intitulée Historia de la Orden de San Jerónimo et publiée en deux volumes en 1600 et en 1605. Cet ouvrage retranscrit l’histoire d’un Ordre exclusivement ibérique, confirmé en 1373 par la bulle Salvatori humanis generis du pape Grégoire XI, à la demande d’une poignée d’ermites castillans désireux d’imiter la vie d’ascèse de saint Jérôme2. La troisième partie de la chronique (Livres III et IV) porte sur le palais-monastère de l’Escorial où le roi Philippe II avait décidé d’installer une communauté hiéronymite, consacrant ainsi des siècles d’amitié entre l’Ordre et les souverains espagnols. Historien de son Ordre, connu pour avoir détaillé le programme iconographique attaché à la bâtisse royale mais aussi pour avoir évoqué les derniers instants du roi prudent, fray José de Sigüenza s’est aussi illustré comme bibliste et hébraïsant, féru d’érudition biblique et patristique, suivant en cela les pas de son ami Arias Montano, le célèbre auteur de la Bible Polyglotte d’Anvers. C’est en partie cette amitié, mais aussi sa critique de la théologie scholastique, à laquelle il préfère les études scripturaires, qui le conduisirent devant le tribunal de l’Inquisition pour un procès dont il ne sortira acquitté qu’en 15933.

La Instrucción de maestros serait donc contemporaine des grandes oeuvres publiées par fray José de Sigüenza. Il s’agit avant tout d’un manuel pratique destiné aux maîtres des novices et aux novices eux-mêmes, longtemps resté manuscrit avant sa publication posthume en 1793, soit plus de deux siècles après sa rédaction. En revanche, comme l’ensemble de l’œuvre du Hiéronymite, l’opuscule s’inscrit dans une perspective essentiellement communautaire, Sigüenza concevant avant tout le travail intellectuel comme un service rendu à son Ordre – qu’il s’agisse de faire œuvre d’historien, d’hagiographe ou d’exégète4. Ce désir de servir son Ordre que fray José a pu exprimer toute sa vie durant en assumant successivement les charges de prédicateur, de professeur, de prieur et plus tard de recteur du Collège de saint Laurent de l’Escorial, transparaît donc déjà dans la rédaction de la Instrucción de maestros y escuela de novicios dont les premiers destinataires sont les moines et surtout les novices de l’Ordre.

L’ouvrage recueille les fruits des années consacrées à l’instruction des novices et constitue, par la même occasion, une source précieuse permettant de connaître la spiritualité hiéronymite. Mais les propos de l’auteur de la Instrucción s’inscrivent avant tout dans une tradition spirituelle et monastique multiséculaire marquée par les récits des Pères du désert tirés de la Vie de saint Antoine de saint Athanase ou des Collationes patrum de saint Jean Cassien et les Lettres de saint Jérôme. Sigüenza cite aussi les grands maîtres du monachisme occidental comme saint Bernard, saint Bonaventure ou Denys le Chartreux5. L’ouvrage reflète également à travers ses références, la prédilection du hiéronymite pour le savoir biblico-patristique employé ici à défendre la valeur du monachisme et les vertus de l’observance.

1. De l’homme « extérieur » à l’homme « intérieur » : vers un retour à l’observance primitive

L’inscription de l’ouvrage dans la grande tradition monastique d’Orient et d’Occident vise en effet aussi à rappeler aux Hiéronymites la nécessité de revenir à l’observance primitive, dans un contexte général d’attiédissement des pratiques. Les conseils de direction spirituelle prodigués par José de Sigüenza sont ainsi émaillés de remarques sur l’urgence de retrouver la ferveur des débuts et, pour cela, de choisir de bons maîtres pour les novices :

Il m’apparaît sûrement et clairement que pour une grande part la misère spirituelle dont souffrent les Ordres ainsi que le fait qu’ils aient en partie perdu l’esprit fervent des débuts et qu’ils se soient éloignés de ce siècle d’or que connurent leurs fondateurs, viennent (comme le disait souvent le saint Pontife Pie V) du peu de circonspection et de soin avec lesquels la plupart procède au choix de ce magistère (Sigüenza 1793 : I, 2-3)6.

L’appel pressant à l’observance que fait retentir la Instrucción laisse entendre, en contrepoint, les graves entorses à la règle et le relâchement qui commençaient à se faire ressentir dans les couvents hiéronymites7. Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui valut à l’ouvrage de n’être publié qu’un siècle plus tard, aux frais d’une poignée de moines résolus à le tirer de l’oubli. Notons à ce sujet que les propositions de Sigüenza s’inscrivent dans le droit fil des projets de réforme lancés dès l’époque cisnérienne et renforcés après le Concile de Trente, comme le montre l’allusion à saint Pie V dans l’extrait cité. Devenu pape en 1565, ce grand réformateur avait en effet veillé avec un soin particulier à l’instruction du clergé et à la réforme de ses mœurs.

Selon José de Sigüenza, c’est donc avant tout par manque d’instruction que les moines sont dépourvus d’intériorité et simplement bons à rendre un culte extérieur et non en esprit. En ce cas c’est toute la vocation monastique qui perd de sa substance et le moine ne se laisse guider que par ses appétits, comme le pensaient déjà les Pères fondateurs de l’Ordre de Saint Jérôme :

Ces Pères considèrent avec sagesse que tous les maux ou les bienfaits, l’excellence ou la pauvreté des Ordres s’enracinent dans la première instruction reçue par ceux qui viennent à eux car si, lorsqu’ils sont encore tendres et que comme des petits enfants ils désirent le lait maternel, on les instruit et on leur ouvre la voie pour qu’ils deviennent des hommes spirituels et qu’entrant alors en eux-mêmes ils prennent soin de leur âme en s’adonnant à des exercices spirituels et en considérant d’où ils viennent, où ils se trouvent et où ils vont, alors ils grandissent, portent du fruit et rayonnent : ils deviennent une vive clarté dans leur Ordre et sont d’un grand profit pour l’Eglise. À l’inverse, si dès le départ ils négligent cela, ils gagnent en animalité, en bestialité et en fureur, deviennent indignes du pain qu’ils mangent, pensant (et se convainquant faussement) qu’ils sont Religieux, parce qu’ils portent l’habit, qu’ils observent les cérémonies extérieures, qu’ils chantent les heures et qu’ils s’adonnent à quelques petites tâches à certaines heures, ce que ferait n’importe quel ouvrier pour un salaire inférieur : ce sont assurément des hommes extérieurs, des hommes du monde secs et sans esprit qui ont oublié leur vocation première (Sigüenza : II, 204-206)8.

On retrouve sous la plume du Hiéronymite l’antithèse connue entre l’ homme intérieur et l’homme extérieur, antithèse empruntée à saint Paul (II Co 4, 16)9 et qui traversera ensuite des siècles de littérature spirituelle. Si l’on s’en tient à l’étymologie latine du mot intimus, superlatif d’interior, l’intime renvoie précisément à ce qui est tout à fait intérieur. L’homme intérieur, par opposition à l’extérieur, recouvrirait donc la sphère de l’intime au sens où on l’entend étymologiquement, mais aussi selon la définition que le lexicographe espagnol Covarrubias donne du mot íntimo dans son Tesoro de la lengua castellana publié en 1611 : « íntimo : lo muy propio y del alma, como íntimo amigo, el muy amado y querido de corazón ». L’intime se situerait donc, selon Covarrubias, dans la région de l’âme mais aussi dans la sphère privée, de ce qui est « muy propio », de ce qui appartient en propre à l’individu : entendons par là son rapport à lui-même, à son corps et à ses pensées. Si le mot íntimo n’apparaît pas chez Sigüenza, la dialectique de l’interne et de l’externe, omniprésente dans l’opuscule du Hiéronymite, nous servira ici de guide pour dégager les différentes manifestations de l’intime, selon qu’il s’agit d’une intimité synonyme d’intériorité ou d’une intimité relative à l’homme sensible que Sigüenza appelle aussi l’homme extérieur, autrement dit une intimité associée aux corps et à ses manifestations sensitives.

Intimité avec soi et intimité avec Dieu : c’est dans l’entrelacs de ces deux approches que se situerait le combat spirituel du moine, selon l’idée, récurrente chez Sigüenza, que la croissance de l’homme intérieur dépend de la mise sous contrôle de l’homme extérieur, de ses passions et de ses appétits, par une pratique rigoureuse de l’ascèse. Seront donc abordées successivement la question de la mise sous contrôle de l’intime – au sens du rapport au corps et à ses passions – puis celle de l’intimité avec Dieu.

2. « Perder todo el cuidado de sí mismo »: le rôle de l’ascèse monastique

José de Sigüenza le rappelle avec assez d’insistance : l’entrée en religion suppose l’abandon du vieil homme (I, 183), autrement dit une forme de dépouillement : dépouillement de soi et de son ancienne vie, ce qui suppose un dénuement consenti. Ce dépouillement qui compte parmi les motifs de la conversion – on songe à saint François se défaisant de ses vêtements pour épouser Dame Pauvreté – est signifié très concrètement par le geste de se dénuder :

Ainsi, de même que [le nouveau Religieux] n’a gardé sur son corps aucun des habits qu’il portait avant, à l’intérieur comme à l’extérieur, des pieds à la tête et que pour s’en défaire et en revêtir d’autres, totalement différents, il s’en est remis en tout point à celui qui l’a dénudé et revêtu, sans marquer la moindre résistance, ni dire, laissez-moi ceci ou ne m’enlevez pas cela : ainsi doit-il en être pour l’âme. Telles sont l’école et la discipline du Christ et en cela consiste le premier pas sur l’étroit sentier de la vie consacrée, qui est le chemin de la pénitence (Sigüenza : I, 183-184)10.

Mais si ce dépouillement du vieil homme manifesté à travers la symbolique de la prise d’habit marque naturellement un premier pas vers la vie monastique, c’est tout le corps qui doit ensuite manifester ce changement. Le mot compostura apparaît à plusieurs reprises dans la Instrucción de maestros y escuela de novicios pour évoquer cette exigence de donner au corps maintien, réserve et retenue pour donner ici quelques équivalents du terme espagnol. Selon José de Sigüenza cette qualité qu’enseignaient les premiers hiéronymites, est constitutive de l’identité de l’Ordre :

Ces Saints Pères enseignaient à leurs fils une autre règle et doctrine caractéristiques de notre Ordre qui encore aujourd’hui le différencient sensiblement des autres Institutions. Il s’agit du maintien extérieur, qui émane de tous les sens et membres extérieurs, et s’accompagne d’une modestie générale qui rassemble le tout. Je ne saurais dire comment ils enseignaient cela, ni même comment je l’ai appris ni comment tous les novices l’apprennent si rapidement, car au bout de quinze jours même le plus gauche est devenu un maître en la matière. Lorsque l’habit leur tombe dessus, leurs yeux aussitôt se baissent, de sorte qu’il ne semble pas moins malséant pour un Novice de lever les yeux que pour une jeune fille enfermée de commettre une faute grave (Sigüenza : II, 258-259)11.

La compostura qui semble si naturelle au novice devient une habitude prise par le corps sous l’effet de l’âme : les yeux sont continuellement baissés, les mains et les bras maintenus, souvent cachés sous le scapulaire12. Dans cette garde des sens – « esa guarda de los sentidos » (II, 293) – la vue demande une maîtrise particulière car c’est par elle principalement que l’âme se perd13. Dans un autre passage, ce maintien du corps, dans l’intimité de la cellule, au moment du coucher, atteint son paroxysme :

Là, avec beaucoup de retenue et en silence, à la lumière confuse d’une lampe, suffisante pour se diriger mais non pour voir précisément ni se voir, ils [les novices] se dénudent et se couchent avec grande honnêteté, gardant leur scapulaire et une autre petite tunique, de sorte que, comme le disent les Saints, même en dormant (car il n’y a pas là liberté de jugement) l’on puisse voir qu’ils le font religieusement (Sigüenza : II, 426-427)14.

Cet extrait témoigne d’une évidente défiance vis-à-vis de l’intimité corporelle mais plus encore une crainte face à l’abandon au sommeil qui suppose nécessairement une abdication de la volonté et une perte du contrôle de soi15.

Or c’est justement ce contrôle qui est l’essence de l’ascèse : il s’agit de savoir maîtriser son corps et ses appétits afin, comme le dit l’auteur, de « subordonner la sensualité à la raison » (Sigüenza : II, 267)16. Mais le combat spirituel se joue de façon plus essentielle sur un autre terrain que celui des exigences corporelles. Car nombreux sont les exemples de saints anachorètes dont les prouesses ascétiques ne parviennent pas à avoir raison des pensées qui les agitent.

Le patron des Hiéronymites, saint Jérôme, n’a-t-il pas raconté lui-même, dans l’extrait d’une lettre devenu un véritable morceau d’anthologie, comment, le corps anéanti par les jeûnes, brûlé par la chaleur du désert, il se voyait pourtant au milieu des danses des jeunes filles de Rome, tandis qu’en son esprit « bouillonnaient les incendies des voluptés »17? La rigueur des pénitences infligées au corps – longues veilles, jeûne, silice – éveille, en un douloureux contraste, la mollesse et la douceur des pensées les plus lascives. Le corps « moyen de la perfection spirituelle », comme le souligne Ivan Gobry (1997 : 101-105), est donc aussi le siège des tentations les plus grandes et de celles touchant en particulier à la chasteté. Mais ce n’est pas tant le corps qui est coupable que la volonté spirituelle de celui qui cède aux vaines pensées qui l’assaillent. C’est dans le cadre de ce juste combat contre les pensées – los pensamientos – que la fonction de maître des novices apparaît incontournable. Ce maître des novices qui, comme le rappelle Sigüenza, jette régulièrement un œil dans la cellule des jeunes moines pour voir s’ils y occupent bien leur temps, sans paresse ni faiblesse18, est aussi en charge de les aider à discerner entre les pensées bonnes et mauvaises19. Car c’est à lui que le novice s’en remet en toute confiance, comme le jeune enfant abandonné entre les bras de sa mère, tandis qu’elle s’occupe de lui :

Le nouveau Religieux doit s’abandonner en toute chose entre les mains de ses Supérieurs, sans garder le moindre mauvais penchant, la moindre pensée ou le moindre sentiment propres, parce que dans cette parfaite résignation se trouve la clé de la porte et le bien qu’il vient chercher dans l’Ordre ; et pour cela l’humilité est un grand joyau, la mère et le refuge de toutes les vertus et pour l’atteindre il convient de s’imaginer, non seulement petit mais aussi enfant, malhabile et nécessiteux de tout. Et comme qui se laisse faire par sa mère pour se dénuder, s’habiller, se laver, pour assurer sa subsistance et apprendre tout ce qui est nécessaire, comme manger, marcher, regarder, parler, sans marquer la moindre résistance, ainsi le religieux doit-il s’en remettre à son Maître. Parce que telle est la règle que nous a donnée notre Seigneur, en disant : si vous ne vous faites pas comme cet enfant et ne vous humiliez pas comme lui vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux [Math. 18] (Sigüenza : I, 184-185)20.

Le jeune moine, encouragé par le maître des novices, n’aura pas crainte de s’ouvrir à lui de ses pensées les plus honteuses. Et s’il hésite à parler, son aîné lui en fournira l’occasion. Le Père Sigüenza fait preuve sur ce point d’une sensibilité particulière en évoquant combien souvent le souvenir des délices passés, avant l’entrée au monastère, peut venir tourmenter le jeune moine. Et le Hiéronymite de rappeler alors que rien ne sert de chercher à combattre frontalement les dites « pensées ». Le regard fixé sur le Christ, le moine parviendra peu à peu à se défaire des tentations les plus tenaces21. Cette compréhension profonde de la psychologie humaine et de ses faiblesses ne saurait voiler ce qui peut, de prime abord, passer pour une violation de l’intime : que reste-t-il au novice après s’être ainsi mis à nu – pour rester sur une métaphore utilisée par l’auteur – et avoir confessé ses tentations les plus secrètes ?

L’auteur de la Instrucción de maestros semble conscient du problème, bien qu’il n’y fasse allusion qu’en une occasion. Évoquant le sacrement de pénitence, qui est, avec la direction spirituelle, l’une des armes du combat spirituel, il rappelle la nécessité impérieuse de respecter le for interne. C’est pour cette même raison que le novice, invité à se confesser deux fois par semaine, successivement avec son Maître des novices et le Supérieur, garde toujours la possibilité de choisir un autre confesseur, afin que la confession « ne soit pas utilisée comme moyen de gouverner » :

Ces premiers Pères ordonnèrent que les nouveaux Religieux se confessassent au moins deux fois par semaine, une fois avec leur Maître des novices, l’autre avec le Prieur, afin de connaître ainsi la façon de fortifier leurs âmes (et non pour utiliser ce Sacrement comme instrument de gouvernement, ce qui est un abus et une détournement de l’ordre divin) et pour comprendre comment elles peuvent être examinées et de quelle manière elles cheminent dans l’exercice de l’oraison et de la vie spirituelle. Mais pour autant jamais ne leur fut refusée la licence de se confesser quand ils le souhaitaient avec d’autres Religieux du Couvent. Et malgré cela, je peux jurer que pour grand nombre d’entre eux, sur les sept ans de leur noviciat, aucun n’eut recours à cette licence (Sigüenza : II, 424-425)22.

Cette transparence du moine devant celui qui est en charge de sa progression spirituelle est, de fait, moins à entendre dans le sens d’une violation de l’intime – malgré l’existence possible d’abus – que comme la conséquence de l’oubli de soi dont parle Sigüenza au début du deuxième traité : « debe perder todo el cuidado de sí mismo, y dejarse al gobierno de quien le ha de criar » (I, 186). Cet oubli de soi, qui est plus précisément la perte du souci de soi, est une conséquence de l’offrande que le novice a faite de sa vie.

L’intimité avec soi – l’intimité corporelle, mais aussi celle des pensées secrètes – se retrouve donc sous étroite surveillance, afin de permettre le parfait développement de la véritable intimité avec Dieu. Selon la dialectique entre l’interne et l’externe évoquée précédemment, l’homme extérieur, par sa retenue, contribue à la croissance de l’homme intérieur mais il en est aussi le reflet. Il s’agit là d’une affirmation récurrente sous la plume de Sigüenza : « il est avéré que celui dont le regard est tourné vers l’extérieur n’est pas bien enraciné dans son cœur » (Sigüenza : II, 261)23. On peut lire encore cette autre allusion : « le désordre extérieur trouve sa racine dans l’esprit mal discipliné : lorsque celui-ci rompt les liens de la modestie, les membres extérieurs tirent chacun de leur côté sans aucun frein » (Sigüenza : II, 263-264)24. Le but étant d’ajuster l’homme intérieur et extérieur, l’être spirituel et sensitif, il n’y a donc aucun mépris de l’homme extérieur, malgré la sévérité des traitements infligés au corps. Celui-ci doit simplement être éduqué – et donc aussi contrôlé – afin de permettre la croissance intérieure et un enracinement du moine en son centre qui est le cœur. En ce sens, il y a bien un ordre de priorité : si fray José ne néglige pas les aspects relatifs à l’intimité avec soi – présence à son corps et à ses nécessités mais aussi à ses pensées – il n’accorde de véritable importance qu’à l’intimité partagée avec Dieu.

3. Une intimité habitée

Car dans la vie monastique la véritable intimité est une intimité habitée par cet autre qui est Dieu, lequel est « plus intime à moi-même que moi-même » pour citer la célèbre phrase de saint Augustin qui, d’un trait de génie, accole à l’intérieur – intimo meo – un comparatif intimior pour désigner en l’homme un lieu plus intime, plus profond que lui-même25. Si le mot « intimité » ou l’adjectif « intime » n’apparaissent pas sous la plume de Sigüenza, pas plus que le mot « intériorité », nombreux sont toutefois les termes et les expressions pour dire la vie intérieure : « dentro de sí », « dentro de sí y de Dios », « hombre interior », mais aussi – métaphoriquement – « celdilla interior » (« petite cellule intérieure »), « cámara o retrete26 » (« chambre haute », retraite ou cabinet) :

On leur enseignait ensuite à maintenir leurs sens sous une garde inviolable, à ne pas proférer un mot une fois commencé l’Office divin, à moins qu’il n’y ait une nécessité impérieuse : ils gardaient les yeux baissés, sans les autoriser à se poser au sol plus loin que leurs pieds ou au-delà du livre où l’on lit et chante, sans tourner la tête ni marquer la moindre légèreté, tout en intériorité et comme cachés en Dieu. Telle était, disaient-ils, la chambre haute ou le cabinet où le Christ nous demande d’entrer, une fois la porte bien fermée pour prier dans le secret le Père éternel, qui daigne se laisser appeler notre Père (Sigüenza : II, 293)27.

Ce langage métaphorique trouve aussi son envers lorsque la vie intérieure est en péril. Si le moine connaît la dispersion, la chambre haute devient alors une « auberge sans porte ouverte à tous les vents » (« hechas las almas un mesón sin puertas, para que entren y salgan cuantos quisieren », II, 283).

L’intériorité du moine doit donc être cultivée au risque, sinon, de le voir ne rendre à Dieu qu’un culte extérieur fait d’habitudes et de répétition. Les lieux sont pour cela essentiels. La clôture a déjà permis une première rupture avec le monde. Mais c’est au sein de l’espace claustral que le moine doit rechercher silence et solitude dans la retraite de sa cellule.

La cellule doit être aussi consubstantielle au moine et à la vie monastique que peut l’être l’eau au poisson comme le rappelle l’auteur de la Instrucción avec cette comparaison suggestive empruntée aux pères du désert Moïse l’Éthiopien et Antoine le Grand :

De même que le poisson qui demeure quelque temps hors de l’eau sur le sable sec finit par mourir, de même le Religieux, s’il se tient hors de la Cellule, meurt ou du moins (comme le poisson hors de son élément) s’attiédit et perd ses bonnes dispositions (Sigüenza : II, 236)28.

Dans son souci de voir chaque moine se recueillir dans sa cellule l’auteur de la Instrucción rejoint ce que les Chapitres généraux de l’O.S.H. ont énoncé à plusieurs reprises depuis la deuxième moitié du XVe siècle, à savoir la nécessité d’occuper le temps libre par des « exercices saints »29. « Paradis de l’âme »30, « fabrique de saints »31 la celda est le réceptacle de l’intimité silencieuse du moine, le lieu d’un échange intime, qui est celui-là même de la prière mais à condition, justement, que cette solitude soit habitée et qu’elle ne soit pas simple mise à l’écart, simple solitude du corps : « aprovecha poco estar solo con solo el cuerpo, si no le hace compañía el alma » (Sigüenza : II, 239).

Le moine n’y est pas livré à ses propres pensées mais constamment sollicité par la prière et la lecture, selon l’injonction bien connue de saint Jérôme : « que toujours te garde le secret de ta chambre, que toujours à l’intérieur l’Époux y joue avec toi. Tu pries, c’est parler à l’Époux; tu lis, c’est lui qui te parle » (Ep. 22, 25)32. Longtemps faite à haute voix, la lectio divina est une véritable « lecture priée » selon une expression de Dom Jean Leclercq qui dit bien la nature d’un exercice situé à mi-chemin entre contemplation et étude. Le bien ultime que l’on recueille de cette retraite est la « quietud del alma », variation de l’ otio – ou de son équivalent grec l’hesychia – longuement décrit par Dom Jean Leclercq comme une « prégustation du ciel », résultat du juste milieu trouvé entre le negotium ou vaine agitation et l’otiositas (1990 : 67-69). L’otio n’est donc pas l’oisiveté mais une attitude de repos intérieur qui n’exclut pas, bien au contraire, les différentes activités propres à la cellule. Sigüenza offre à ce sujet une formule bien frappée: « la mer ne rejette pas avec autant de force les corps morts que ne le fait la cellule et même un Ordre religieux avec les oisifs » (II, 238)33. Car la cellule est aussi le lieu du combat spirituel par excellence, le moine y étant guetté par toutes sortes de dangers : l’oisiveté, on l’a vu, mais aussi l’acédie, et enfin l’assaut des pensées34.

Le recueillement de la cellule où le moine se fait l’intime de Dieu n’est toutefois pas entièrement dépendant du lieu. Il s’agit avant tout d’une attitude intérieure que le moine doit conserver en toute occasion, en gardant constamment une forme de recueillement, autrement dit en recréant cette « petite cellule intérieure » évoquée par la mystique Catherine de Sienne : « finalemente procure andar en todo tiempo muy recogido dentro en su corazón, haciendo de él una celdilla, como lo hacía Santa Catalina de Siena » (Sigüenza : I, 248-249)35. Cette cellule intérieure qu’est le cœur, où l’on peut vivre en intimité avec Dieu, devient ainsi un lieu de retraite privilégié au milieu des sollicitations de la vie quotidienne. L’auteur nous offre en définitive une vision de plus en plus resserrée de la sphère de l’intime avec une succession d’espaces concentriques et clos qui marquent une séparation graduelle d’avec le monde : d’abord une première séparation matérialisée par l’espace claustral, puis une seconde symbolisée par la cellule et enfin l’ultime retranchement qu’est le cœur, véritable chambre haute où grandit l’intériorité de ceux qui aiment Dieu.

CONCLUSION

Profondément enracinée dans la tradition monastique d’Orient et d’Occident, la Instrucción de maestros y escuela de novicios n’a pas pour but d’ouvrir une voie nouvelle : purement pratique, l’ouvrage fait entendre de façon personnelle et familière la voix paternelle du maître des novices soucieux de mener avec eux cette « éducation de l’intime » qui consiste à donner au corps sa juste place et à ordonner les pensées afin de mieux s’ouvrir au dialogue intime avec Dieu. Si cette œuvre de Sigüenza emprunte à plusieurs traditions elle semble toutefois principalement nourrie par l’enseignement des Pères du Désert. On retrouve sous la plume du Hiéronymite la simplicité et l’efficacité des apophtegmes des Pères égyptiens mais aussi leur sens aigu de l’ascèse, laquelle, sous des formes diverses, doit conduire à un surcroît d’intériorité36. Comme dans la tradition du monachisme égyptien, la distinction entre l’homme intérieur et l’homme extérieur ne se pose pas sur le mode de la rivalité ou de l’opposition car l’ascèse, qui vise à contrôler l’homme extérieur, n’est jamais une fin mais seulement un moyen37.

Ainsi, loin d’annuler son rapport au corps et à lui-même, le dialogue intime du moine avec Dieu le rend à lui-même, dans une relation à soi et aux nécessités corporelles plus ajustée : nourriture modérée, sommeil limité, vêtements sobres mais adaptés. Les pensées intimes, souvent porteuses de tentations diverses, ne doivent pas être éliminées par la force car ça ne serait pas les vaincre mais au contraire les exacerber. Elles sont ordonnées à ce bien supérieur qu’est la relation avec Dieu. En cela Sigüenza offre une véritable sagesse, fécondée par une expérience monastique multiséculaire, qui consiste à ne pas vouloir heurter frontalement la nature humaine ni à faire violence aux tendances. Ainsi, en se faisant peu à peu l’intime de Dieu, le moine accède à une forme d’oubli de soi qui le conduit à la vraie connaissance de lui-même.

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Madec, Goulven (1994). Petites Etudes augustiniennes de Goulven, Paris : Institut d’Etudes augustiniennes.

Madrid, Ignacio de (1973). « Teoría y práctica de la lectura espiritual en la Orden de San Jerónimo », in Studia Hieronymiana, Madrid : Ribadeneyra, vol. I, 139-161.

Rubio González, Lorenzo (1976). Valores literarios del Padre Sigüenza (= Colección Castilla, 4), Valladolid : Universidad de Valladolid.

Sigüenza, José de (1600). Segunda parte de la Historia de la Orden de San Jerónimo dirigida al Rey nuestro Señor Don Felipe III, Madrid : Imprenta Real.

Sigüenza, José de (1605). Tercera parte de la Historia de la Orden de San Jerónimo dirigida al Rey nuestro Señor Don Felipe III, Madrid : Imprenta Real.

Sigüenza, José de (1907-1909). Historia de la Orden de San Jerónimo, Madrid : Bailly-Baillère e Hijos (NBAE t. VIII et XII).

Sigüenza, José de (1793). Instrucción de maestros, y escuela de novicios, arte de perfección religios y monástica. Segunda edición, aumentada con dos Tratados : uno de Educación Práctica; del mismo Autor. Y otro pequeño; de la manera de confesarse las personas instruidas y virtuosas. [ca. 1600], Madrid : En la Oficina de Don Benito Cano, 2 vols.

Carlos Vizuete Mendoza, Juan Carlos (1999). « Novicios, maestros y la obra de fray José de Sigüenza », in La Orden de San Jerónimo y sus monasterios – Actas del Simposio (I), 1/5-IX-1999 (= Colección del Instituto Escurialense de investigaciones históricas y artísticas, 16), 125-147.

Zarco Cuevas, Julián (1928). El proceso inquisitorial del P. Fr. José de Siguënza (1591-1592) in Religión y cultura, t. I, 38-59.

Notes

1 Instrucción de maestros, y escuela de novicios, arte de perfección religiosa y monástica. Segunda edición, aumentada con dos Tratados : uno de Educación Práctica; del mismo Autor. Y otro pequeño; de la manera de confesarse las personas instruidas y virtuosas. La première édition du texte a été réalisée en 1712 par le moine hiéronymite fray Pablo de San Nicolás puis « quelques moines hiéronymites » selon la mention faite dans le titre de la seconde édition, assurèrent la parution d’une édition augmentée en 1793. La date exacte de rédaction de l’ouvrage pose question : proposant initialement 1580 – d’après ce que dit la dédicace qui commence ainsi : « A la juventud religiosa por mano de los RR. PP. Maestros de Novicios » –, Lorenzo Rubio González estime qu’elle est trop précoce et que l’ouvrage correspondrait plus vraisemblablement aux années 1582-1584 alors que Sigüenza occupait les fonctions de maître des novices au Parral (Rubio González 1976 : 158-162). Toutefois, une étude plus récente de Melquiades Andrés fixe la date de la rédaction aux environs de 1600 et rattache directement la rédaction de l’ouvrage à celle de la deuxième partie de la Historia de la Orden de San Jerónimo (Andrés Martín 1994 : 172). Selon lui, Sigüenza était à cette date fort de expérience que lui avait donnée, non sans douleur, son procès inquisitorial et ses fonctions successives de prieur et donc davantage disposé à dispenser par écrit un enseignement sur la vie monastique. Juan Carlos Vizuete Mendoza (1999 : 142-143) confirme cette approche selon laquelle la Instrucción serait le fruit de la maturité, avis que nous partageons également. Retour au texte

2 Vers le milieu du XIVe siècle, après un long silence, l’expérience initiée en Palestine par saint Jérôme séduit en Italie les plus fervents zélateurs de l’idéal érémitique. Se multiplient alors les fondations placées sous son patronage. Le mouvement gagne l’Espagne et y fait ses premiers adeptes qui seront les fondateurs du futur Ordre de Saint Jérôme, confirmé en 1373 par le Pape Grégoire XI. Coupé dès lors de sa matrice italienne, l’Ordre entame une existence strictement ibérique, consacrée à la vie contemplative et à la liturgie dont la splendeur exercera une fascination durable sur les souverains espagnols. Pour l’histoire de l’Ordre voir Sigüenza 1600 et 1605. Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage ont été publiées successivement en 1907 et 1909 puis, plus récemment, en 2000 par Francisco Javier Campos y Fernández de Sevilla (Campos y Fernández de Sevilla 2000a). Retour au texte

3 Parmi les nombreuses études consacrées au Père Sigüenza, nous ne citerons ici que l’ouvrage collectif qui fut publié à l’occasion du IVe centenaire de la mort du Hiéronymite (1606-2006) et offre une approche réactualisée de sa vie et de son œuvre : La Ciudad de Dios, Homenaje al P. Fray José de Sigüenza en el IV Centenario de su muerte († 1606). Au sujet du procès inquisitorial qu’eut à subir le Père Sigüenza, on lira avec profit les travaux de Henry Charles Lea (Lea 1907 : 168-171), de Julián Zarco Cuevas (Zarco Cuevas 1928 : 38-59), de Gregorio de Andrés (Andrés 1975) et de Marcel Bataillon (Bataillon 1998 : 786-792). Retour au texte

4 Francisco Javier Campos y Fernández de Sevilla évoque, en effet, le « sens de la responsabilité institutionnelle » du hiéronymite (2000b : 10). Dans un même ordre d’idée Annie Frémaux-Crouzet souligne le don total de sa personne à l’Ordre de Saint Jérôme (2006 : 114-115). Retour au texte

5 Notons aussi que le troisième traité consacré à l’oraison s’inspire directement du Libro de oración (Salamanque, 1554) de fray Luis de Granada à partir duquel l’auteur décrit les différents moments de la prière (préparation, lecture, méditation, contemplation, action de grâces et prière de demande) et le déroulement des différentes méditations attachées à chaque jour de la semaine. Retour au texte

6 « Para mí tengo por cosa cierta y clara, que la mayor parte de la miseria espiritual que las Religiones padecen, y el haber degenerado en parte del fervoroso espíritu en que fueron instituidas, y el estar tan trocado aquel dorado siglo que los Fundadores de ellas gozaron en sus principios, todo ha nacido (como solía decir muchas veces el Santo Pontífice Pío V) de la poca circunspección y cuidado que por la mayor parte suele haber en la elección de este magisterio » (Sigüenza 1793 : I, 2-3). Bien que rédigé selon toute probabilité autour de 1600, nous ne retenons ici que la date de la 2e édition de l’ouvrage – 1793 – consultée pour cette étude. Sauf mention spécifique de notre part, toutes les références concernant José de Sigüenza se rapportent à la Instrucción de maestros y escuela de novicios et seuls seront précisés les volumes (I ou II) et les pages concernés. Retour au texte

7 Les premiers Pères de l’O.S.H. avaient des vues très précises sur la formation des novices comme le rappelle José de Sigüenza dans la Historia de la Orden de San Jerónimo (II, Livre 2, chap. XXI-XXX) que publie à nouveau la deuxième édition de la Instrucción de maestros y escuela de novicios. Le manque d’instruction engendre des moines dépourvus d’intériorité et simplement bons à rendre un culte extérieur et non en esprit : voir Sigüenza : II, 204-206. Retour au texte

8 « Consideran aquellos Padres prudentemente, que todo el daño o provecho, la excelencia o la pobreza de las Religiones consistía en la primera instrucción de los que a ella vienen; que si cuando son tiernos, que como infantes pequeñuelos desean la leche, los industrian, les abren el camino para que sean varones espirituales, y entrando dentro de sí tratan el negocio de sus almas, dándose a ejercicios espirituales, y advirtiendo su estado donde salieron, donde están, donde caminan : crecen, aprovechan, lucen : vienen a ser un claro resplandor en la Religión, y en la Iglesia de gran provecho. Y por el contrario, descuidándose al principio en esto, se hacen aquí dentro más animales, bestiales, furiosos, indignos del pan que comen, pensando entre sí (y asegurándose falsamente) en este pensamiento que son Religiosos, porque traen el hábito, hacen las ceremonias de fuera, cantan las horas, trabajan en algunas hacendillas a ciertas horas, que lo haría cualquier peón por harto menos jornal : hombres del todo exteriores, temporales, secos, sin espíritu, olvidados de su llamamiento ». Retour au texte

9 « C’est pourquoi nous ne faiblissons pas. Au contraire, même si notre homme extérieur s’en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (II Co 4, 16). Retour au texte

10 « Así como en el cuerpo no le quedó ningún hábito de los que antes traía, dentro ni fuera, desde los pies a la cabeza; y para quitárselos y vestirse otros, totalmente diferentes, se entregó de todo punto al que le desnudó y vistió, sin hacer ningún género de resistencia, ni decir, dejadme esto, o no me quitéis estotro : lo mismo debe pasar en el alma. Esta es la escuela y disciplina de Cristo, y el primer paso en la senda angosta de la Religión, que es el camino de la penitencia ». Retour au texte

11 « Otra regla y doctrina muy propia de esta Religión enseñaban aquellos Santos Padres a sus hijos, que aun hoy en día hace no pequeña diferencia con ella a otras. Esta es la compostura exterior, que se causa de todos los sentidos y partes de fuera, con una general modestia, que lo abraza todo. Esto no sabré decir cómo lo enseñaban, ni aun sé cómo lo aprendí, y aprenden todos los Novicios tan presto, porque dentro de quince días el más torpe sale Maestro. En cayéndole el habito encima luego lo primero se caen los ojos de tal suerte, que no parece menos deshonesto alzar la vista un Novicio, que a una doncella encerrada una notable travesura ». Retour au texte

12 « En los demás sentidos, les enseñaban la misma mortificación: las manos y los brazos compuestos, que no se viesen jamás sueltos, ni de fuera, sino para los oficios que no se excusan: el andar sosegado y grave: los oídos muy atentos a los mandatos y avisos de los Superiores, a la lección de la palabra divina, cercados de espinas, para que no lleguen las palabras vanas de poca edificación : que es decir que el que se las dice, eche de ver que las oyen de mala gana, y no las ose decir otra vez » (Sigüenza : II, 263). Retour au texte

13 « Tiénese por cosa averiguada que el que tiene derramada la vista por defuera, no anda muy dentro de su corazón. Grande argumento de la liviandad del alma la de los ojos. Grande argumento de la liviandad del alma la de los ojos. Quien anda con cuidado de advertir lo que en su corazón se trata, y lo que habla Dios con él, no es posible no traerle grande de huir lo que estorba tanto esta atención. Y como son tan fuertes los objetos que se lanzan por la vista para divertir este delicado sosiego, el que en esto a los principios se descuida, queda muy inhábil para la vida espiritual que emprende » (Sigüenza : II, 261-262). Retour au texte

14 « Allí con mucha compostura y silencio, a la luz confusa de una lámpara, que basta para atinar, y no para distinguir, ni verse, se desnudan, y con mucha honestidad, quedando con escapulario, y otra túnica pequeña, se echan de tal suerte, que como dicen los Santos, aun durmiendo (donde no hay libertad de juicio) se eche de ver que hay Religión ». Retour au texte

15 C’est pour cette même raison que certains moines décident, face aux « songes vains » de la nuit et autres fantaisies de l’esprit de ne pas se dénuder et de demeurer assis jusqu’aux premières lueurs de l’aube : « A otros también, el enemigo envidioso les despertaba los pocos humos que habían quedado, representándoseles en ellos imaginaciones feas, sueños vanos, ya demasiado tristes, ya en extremo alegres, tentando por todas partes, por ver si podría tener en vasos tan limpios alguna cosa menos pura. Fatigaba a algunos de esta suerte porfiadamente. Tomaban por remedio (cuando podían hacerlo) no desnudarse, ni tornar a la cama, arrimándose a un rincón o asentándose en el suelo, continuando después de algún breve reposo de la cabeza, la Oración que se comenzó a las doce de la media noche, con las Misas del Alba, y con la Prima, gastando algún rato en la lección santa, pasando de ella a la oración, porque alternando y variándose, se hiciese mas fácil el trabajo de tan prolija lucha, aguardando el Aurora deseada, llamada así esta mensajera del Sol, por el rocío que cae con el aire fresco que entonces se levanta (...) » (Sigüenza : II, 335). Retour au texte

16 « Sujetar la sensualidad a la razón ». Retour au texte

17 Dans un style littéraire très soigné, le Docteur de l’Église décrit lui-même ses tentations au désert dans sa célèbre Lettre 22 adressée à la vierge Eustochium, véritable petit traité d’ascétique qui a durablement marqué le monachisme occidental : « Oh ! combien de fois, moi, qui étais installé dans le désert, dans cette vaste solitude torréfiée d’un soleil ardent, affreux habitat offert aux moines, je me suis cru mêlé aux plaisirs de Rome ! J’étais assis, solitaire, car l’amertume m’avait envahi tout entier. Mes membres déformés se hérissaient d’un sac. Malpropre, ma peau rappelait l’aspect minable de l’épiderme d’un nègre. Chaque jour pleurer, chaque jour gémir ! Toutes les fois que, malgré mes résistances, le sommeil m’accablait soudain, mes os, presque désarticulés, se bisaient sur le sol nu. De la nourriture et de la boisson, je ne dis rien : les malades eux-mêmes n’usent que d’eau froide ; accepter un plat chaud, c’est un excès. Or, donc, moi, oui, moi-même, qui, par crainte de la géhenne, m’étais personnellement infligé une si dure prison, sans autre société que les scorpions et les bêtes sauvages, souvent je croyais assister aux danses des jeunes filles. Les jeûnes avaient pâli mon visage, mais les désirs enflammaient mon esprit, le corps restant glacé ; devant ce pauvre homme, déjà moins chair vivante que cadavre seuls bouillonnaient les incendies des voluptés ! » (Saint Jérôme 1982 : Tome I, Ep. 22, 117-118). Retour au texte

18 « Mandábales a todos, que tuviesen las puertas de las celdas abiertas, porque pudiese el Prelado sin llamar, ver si ocupaban bien el tiempo que se les concedía, por su antigüedad, y flaqueza : los unos, y los otros lo gastaban bien » (Sigüenza : II, 329-330). Retour au texte

19 « (...) Debe ser muy avisado de tener mucha cuenta con los pensamiento, porque muchas veces en los que parecen muy buenos, se transfigura el demonio en Ángel de luz, como es tan sagaz y astuto » (Sigüenza : I, 187). Retour au texte

20 « (...) Debe el nuevo Religioso entregarse de todo punto en las manos de sus Superiores, sin quedarle ningún resabio, propio parecer o sentimiento, porque en esta perfecta resignación está la llave de la puerta y del bien que viene a buscar a la Religión ; y para esto es grande joya la humildad, madre y amparo de todas las virtudes, y para alcanzarla, es necesario imaginarse, no solo pequeño, sino niño, inhábil, necesitado de todo. Y como aquel se deja tratar de la madre para desnudarle, vestirle, limpiarle, mantenerle y enseñarle todo cuanto ha menester, comer, andar, mirar, hablar, sin hacer ningún género de resistencia; así ha de ponerse él en las manos de su Maestro. Porque ésta es la regla que dio el mismo Señor, diciendo: si no os hiciéredes como este niño, y os humillaredes como él, no entraréis en el Reino de los Cielos [Math 18] ». Retour au texte

21 Sigüenza : II, 159. Retour au texte

22 « Ordenaron aquellos Padres primeros, que los nuevos Religiosos se confesasen por lo menos dos veces cada semana, con su Maestro uno, con el Prelado otra, para conocer de aquí el aprovechamiento de las almas (no para tomar este Sacramento por instrumento de gobierno, que es abuso, y trastornar el orden divino) para entender cómo se examinan, y cómo caminan en el ejercicio de la oración y vida espiritual. No por esto se les negó jamás licencia para confesarse cuando quisiesen con otros Religiosos del Convento. Y con ser esto así, osaré jurar de infinitos de ellos, que en los siete anos de su Noviciado no usaron de esta licencia ». Retour au texte

23 « Tiénese por cosa averiguada que el que tiene derramada la vista por defuera, no anda muy dentro de su corazón ». Retour au texte

24 « Sale la descompostura exterior de la raíz de dentro del ánimo mal disciplinado : cuando éste rompe las cuerdas de la modestia, los miembros de fuera tiran cada uno por su parte sin freno ». Retour au texte

25 « Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo » (Confessions, III, 6, 11). Traduite littéralement la phrase signifie « tu étais plus intérieur que l’intime de moi-même et supérieur au plus élevé que moi-même ». Augustin signifie ainsi à la fois l’immanence et la transcendance de Dieu à l’homme et à son âme. Pour une analyse complète de ce passage on pourra se référer au chapitre 9 de l’ouvrage de Goulven Madec (Madec 1994 : chap. 9 « Conversion, intériorité, intentionnalité », 151-162). Retour au texte

26 Pour le mot retrete, le lexicographe Sebastián de Covarrubias nous donne la définition suivante dans le Tesoro de la lengua castellana (1611): « El aposento pequeño y recogido en la parte más secreta de la casa y más apartada ». Cette définition rejoint celle donnée par Covarrubias pour le terme cámara (« el aposento recogido, después de la sala y cuadra, en que duerme el señor »). Retour au texte

27 « Enseñábaseles luego una inviolable guarda de los sentidos, que no se hablase palabra comenzado el Oficio Divino, sin grave necesidad: los ojos recogidos, sin darles licencia a mas distancia que el suelo adonde ponen los pies, o al libro donde se lee o canta, sin volver cabeza ni mostrar género de liviandad, sino todo dentro de sí y de Dios. Decían que esta es la cámara o retrete donde nos manda Cristo entrar, cerrada bien la puerta para orar en escondido al Padre Eterno, que no se desdeña llamarse nuestro ». Retour au texte

28 « Como el pez se detiene algún tiempo fuera del agua en lo seco de la arena luego muere, de la misma suerte el Religioso si se detiene fuera de la Celda, o muere, o por lo menos (como el pez fuera de su elemento) se resfría y queda como enajenado del buen propósito ». Retour au texte

29 La première allusion à la nécessité d’occuper les heures qui ne sont pas consacrées aux offices du chœur remonte à un Chapitre privé de 1468 que Sigüenza mentionne dans sa chronique de l’Ordre. Le Chapitre Général de 1483 fait allusion à la manière précise d’occuper le temps libre. Les « exercices saints » consistent, suivant les facultés de chacun, à « écrire des livres ou corriger ceux que d'autres ont écrits, les relier, chanter, étudier la grammaire » (voir Madrid 1973 : 146-150). Retour au texte

30 « Es como un paraíso del alma, donde se está siempre alabando a Dios, gozando sus divinos favores, donde se alcanza una agradable libertad, donde se esconde aquel bien, colmo de todos los bienes » (Sigüenza : II, 232). Sigüenza fait ici allusion à la phrase de saint Jérôme : « Considère ta cellule comme un paradis, cueille les divers fruits des Livres saints » rappelle encore Jérôme au jeune Rusticus (Ep. 125, 7). Retour au texte

31 « Oficina donde se hacen los Santos » (Sigüenza : II, 231). Retour au texte

32 On se réfèrera en particulier à l’article de Paul Antin au sujet des textes écrits par Jérôme sur la solitude et le silence (Antin 1968 : 291-304). Retour au texte

33 « No echa de sí el mar con tanta fuerza los cuerpos muertos como la Celda y aun la Religión a los ociosos ». Retour au texte

34 D’où la nécessité de savoir passer d’une activité à une autre, afin de tromper l’ennui. C’est le conseil que donne Sigüenza aux novices, s’inspirant ici de l’expérience de saint Antoine du désert : « Enseñábanle luego diversas maneras de ocupaciones santas, para que huyese este peligro, que orase un rato, escribiese otro, y otro leyese, dejando lo uno, pasase a lo otro, gastando dulcemente el tiempo en la Celda. Deprendieron esto nuestros Santos Ermitaños y nuevos Jerónimos de lo que escribe San Atanasio de San Antonio, que estando un día cansado de estar en la Celda, lleno de tristeza y relajado, le apareció un Ángel, y le dio por consejo que no se ocupase mucho tiempo en una cosa, porque no le cansase, ni enojase, y después no le diese gusto de volver a ella; sino que después de haber hecho un rato en uno, pasase a otro, variando estos ejercicios, dejándolos con gana de tornar a ellos » (Sigüenza : II, 238-239). Retour au texte

35 Ayant vécu dans le tourbillon des affaires du monde, donc loin de l’abri offert par la cellule, Catherine de Sienne (1347-1380) développa l’idée que chacun devait se construire une « petite cellule intérieure » où trouver la connaissance de soi et l’intimité avec Dieu. Elle écrivait ainsi à un ami : « Bâtissez-vous deux maisons, un maison réelle dans votre cellule, et une autre maison spirituelle que vous devriez toujours transporter avec vous – la cellule de la vraie connaissance de soi, où vous trouverez à l’intérieur de vous la connaissance de la bonté de Dieu ». Extrait cité par Hilda Graef (Graef 1972 : 206). On notera comment, pour la jeune mystique, la connaissance de soi est profondément unie à la connaissance de Dieu : en s’approfondissant, la connaissance de soi et de son néant conduit à la découverte de la miséricorde divine et de l’amour divin qui siège en chacun. Retour au texte

36 Sur les pratiques ascétiques des Pères du Désert, voir Gobry 1997 : 116-126. Avec les apophtegmes des Pères du désert, Sigüenza émaille également volontiers son discours de sentences forgées par lui-même, au travers desquelles se fait entendre sa propre voix et donc aussi l’expérience du maître des novices. Mais c’est toute la saveur d’une sagesse populaire, où il est possible de voir un écho de la tradition parémiologique castillane qui perce à travers des formules dont la portée spirituelle n’empêche ni l’humour ni un solide sens du concret : « religioso sin silencio es caballo sin freno, castillo sin puerta y viña sin cerca » (Sigüenza : II, 255) ; « el que tiene derramada la vista por defuera, no anda muy dentro de su corazón » (Sigüenza: II, 261) ; « no echa de sí el mar con tanta fuerza los cuerpos muertos como la Celda y aun la Religión a los ociosos » (Sigüenza : II, 238). Retour au texte

37 Les différentes expressions de l’ascèse observée par les Pères du Désert (jeûne, sommeil limité, silence, travail) où l’on retrouve, dans les grandes lignes, les préconisations de Sigüenza, s’accompagnent toujours d’une relative mesure chez les Égyptiens. En effet, comme le rappelle Ivan Gobry, « ils savaient que la mortification a pour but d’abaisser la chair pour élever l’esprit, non pas pour la mutiler et la réduire à néant, mais pour la mettre entre parenthèses afin que l’esprit, libéré d’elle, s’épanouisse selon sa propre mesure » (1997 : 124). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Pauline Renoux-Caron, « Intimité avec soi, intimité avec Dieu : la formation des novices dans la Instrucción de maestros y escuela de novicios de fray José de Sigüenza (1544-1606) », L'intime [En ligne], 3 | 2012, publié le 25 septembre 2012 et consulté le 22 novembre 2024. DOI : 10.58335/intime.114. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/intime/index.php?id=114

Auteur

Pauline Renoux-Caron

Maître de Conférences, CRES-LECEMO / Université Sorbonne nouvelle - Paris 3, 13, rue de Santeuil 75231 Paris