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Aurore Després (dir.), Gestes en éclats. Art, danse et performance

Garance Dor
p. 203-205
Référence(s) :

Aurore Després (dir.), Gestes en éclats. Art, danse et performance. Dijon : Les Presses du réel, 2016. 536pp.

Texte intégral

1Gestes en éclats évoque le livre d’artiste, le livre-jeu, dense et labyrinthique. L’ouvrage, dirigé par Aurore Després, frappe d’abord par son aspect visuel. Un rabat aux signes graphiques énigmatiques liste une série de mots isolés (verbes ou noms communs) qui sont en réalité les titres des textes composant l’ouvrage. Chaque mot est le déclencheur ou le noyau d’une problématique pour les 40 auteurs qui contribuent à cet ouvrage. Cette intrigante et dynamique liste de mots clefs, remplaçant les titres, sera ensuite suivie non pas d’un plan de l’ouvrage mais d’une cartographie de celui-ci, mettant en scène sur la page les différentes contributions et le nom de leurs auteurs. Les signes graphiques, déjà présents sur le rabat viennent alors s’ordonner et s’attribuent à chacun des textes comme un logo. Cette cartographie de l’ouvrage spatialise les interventions dans quatre zones délimitées par des pointillés, qu’Aurore Després nomme des « focus » et qui agiront comme des guides. Je les cite : « 1/ Notion de performances, 2/ Performance et document, 3/Dispositifs, espaces, temps, 4/ Corps, gestes, politiques ». Aurore Després précise que les textes, bien que rassemblés sous ces focus auraient pu tout aussi bien être vus sous l’angle d’un autre : « le lecteur peut tout aussi bien en changer ».

  • 1 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 35.

2Si ces gestes d’écriture sont « en éclats », c’est que l’ouvrage collectif assume sa diffraction, il s’agit d’un parcours de lecture faits d’écarts plus que de liens comme le précise la directrice de l’ouvrage. C’est en refusant de traiter les questions de performance d’une manière unitaire que l’introduction cite Deleuze et Guattari lorsqu’il s’agit « d’agencer dans l’hétérogène1 » (Mille plateaux p. 35). La tâche confiée au lecteur semble être de relier ou de rapprocher les différentes interventions.

3Plusieurs contributions reviennent sur le vocabulaire et le lexique de la danse et de la performance. Les différents auteurs tentent de cerner l’objet de la recherche notamment autour du mot « performance » devenu nébuleux, polymorphe et semblant être en perpétuelle extension. Antoine Pickels, partant de l’impossibilité à trouver une définition de la performance propose alors de l’étudier par la recherche de qualités ou de comportements qu’elle supposerait, notamment la fragilité. David Zerbib traite également la question de la définition de la performance. Il convoque Nelson Goodman et propose, plutôt que d’essayer de formuler une réponse à cette notion qu’il juge indéfinissable, de réfléchir à « ce que signifie être en performance ». Céline Roux étudie le changement lexical dans le champ chorégraphique et repère l’arrivée de nouveaux termes correspondant à un déplacement des enjeux chorégraphiques. Il ne s’agit plus par exemple de signer une « chorégraphie » mais d’en revendiquer la « conception », ou la « proposition ». Ce déplacement des termes ou l’utilisation d’un champ lexical extérieur à la discipline provient, selon Céline Roux, du rapprochement du champ chorégraphique et de celui des arts plastiques à travers l’art conceptuel. Ainsi explique-t-elle l’apparition et l’utilisation des mots « performance, environnement et installation » dans la danse contemporaine.

4Une autre thématique parcourt plusieurs textes autour de la notion de documents et de leur utilisation dans les arts vivants. La performance comme la danse, arts de l’éphémère, cherchent perpétuellement à préserver, pérenniser et transmettre leurs gestes. Marie Quiblier étudie la question de l’activation des documents dans la danse contemporaine au travers des œuvres Roman Photo et Flip book de Boris Charmatz, pièces construites à partir d’un livre de photographies de Merce Cunningham, mais aussi de la pièce Débords d’Olga de Soto d’après La Table verte un ballet de Kurt Jooss (1932) et de la pièce Tout ceci (n’) est (pas) vrai de Thierry Bae d’après La danse de la santé, un manuscrit rédigé en 1849 par un masseur. La question de la reprise et de la réinvention liée également à la question archivistique est au cœur du texte d’Aurore Desprès : Showing-redoing. Elle examine d’ailleurs les mêmes œuvres que Marie Quiblier. Aurore Desprès détermine son titre en empruntant une formule de Richard Schechner définissant la performance comme « showing doing » et modifie celle-ci en y ajoutant la question fondamentale de la réitération. Les réactivations scéniques s’appuient sur une interprétation de traces ou de documents devenant de véritables partitions à activer. Les archives vivantes sont également le sujet d’Isabelle Barbéris qui différencie toutefois l’archive du document. Elle décèle et classe les démarches d’activation de l’archive en trois catégories permettant de regrouper les différentes expérimentations.

5La singularité de la démarche de Laurent Pichaud est également à retenir. Il livre un texte protéiforme où il utilise le document de sa propre recherche scientifique sur Déborah Hay intégré à d’autres éléments pour créer une partition scénique qu’il active lors de colloques en « performant la recherche ».

6La spécificité de l’ouvrage Gestes en éclats réside dans sa liberté de ton, invitant aussi bien des artistes que des théoriciens venant de différents champs : arts plastiques, spectacle vivant (danse, performance), et poésie sonore. Les articles sont classés par ordre alphabétique en fonction de leurs mots clefs : le livre s’ouvre sur « Agencement » et se clôt sur « Transistor », un texte de Loïc Touzé et Mathieu Bouvier qui propose de composer une danse par télépathie en séparant les danseurs dans des studios différents puis en confrontant le résultat au sein d’un espace commun. Loïc Touzé nous livre son dispositif, nous explique le fonctionnement de cette expérience de la vision et l’analyse.

7Gestes en éclats est constitué aussi bien de publications scientifiques, de journaux de travail sous forme de notes (Laurent Pichaud) que de scripts ou partitions de performances. Chaque contribution ouvre un champ d’investigation au vaste potentiel et le lecteur se trouve stimulé par cette prolifération autant que dérouté puisque chaque contributeur prend une ligne divergente. L’ouvrage excite la curiosité de par sa forme comme par ses contenus autant qu’il nous égare en nous donnant la licence joyeuse de nous perdre pour mieux tisser des liens.

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Notes

1 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 35.

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Pour citer cet article

Référence papier

Garance Dor, « Aurore Després (dir.), Gestes en éclats. Art, danse et performance »Interfaces, 40 | 2018, 203-205.

Référence électronique

Garance Dor, « Aurore Després (dir.), Gestes en éclats. Art, danse et performance »Interfaces [En ligne], 40 | 2018, mis en ligne le 21 décembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/interfaces/610 ; DOI : https://doi.org/10.4000/interfaces.610

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