L’analyse des particularités du processus de modernisation et de transition au gouvernement démocratique au Brésil et en Russie constitue un fructueux champ d’étude. L’élan modernisateur, les aspirations démocratiques ont été ce qui, à la fin des années 1980 – début des années 1990, a uni les deux pays aussi dissemblables que le Brésil et la Russie.
1. Peut-on comparer le Brésil et la Russie ? Au départ de la transition démocratique: la dichotomie différences/similitudes
D’une part, le développement des deux pays a suivi des trajectoires historiques divergentes et ils appartiennent à des civilisations distinctes. L’appartenance historique du Brésil au monde occidental entraîne aussi bien l’existence d’un système économique capitaliste qu’une mentalité sociale déterminée – les deux bien différents du cas russe. La différence fondamentale réside aussi dans le domaine des relations interethniques, de la religion, etc.
Si nous considérons la période contemporaine, là encore, les choses se prêteraient plutôt mal à la comparaison. En effet, le mode et les vecteurs de développement de deux pays divergent aujourd’hui à tel point qu’une analyse comparée semble être très malaisée. On a l’impression que la Russie et le Brésil s’engagent sur des voies complètement différentes. Les résultats de la démocratisation et de la modernisation des structures politiques en Russie, dans l’espace post-soviétique, et au Brésil diffèrent aussi sensiblement. Si on compare l’évolution politique de la Russie et des « États post-soviétiques », on pourrait voir que cette évolution « peut emprunter une multitude de trajectoires diverses » et conduire aussi bien « à la consolidation des institutions et des pratiques démocratiques, qu’à un mélange « hybride » de celles-ci avec des structures non démocratiques héritées du passé », et même à une « nouvelle autocratie » (Melville 2004 : 64, 71, 74). Or, le Brésil a obtenu bien des succès dans le domaine de la consolidation de la démocratie. En témoignent la succession des six élections présidentielles démocratiques directes, après vingt années de régime militaire, dont celle du leader de l’opposition de gauche qui a été soutenu à deux reprises, en 2002 et 2006, par plus de 60% des voix (en 2010, l’électorat a voté pour sa successeure, en manifestant ainsi la fidélité à ce choix politique). En témoignent aussi l’expérience des pratiques de participation de la société civile au règlement de grands problèmes nationaux, les îlots de démocratie dite participative qui ont existé, à diverses périodes, à Porto Alegre, São Paulo et dans un grand nombre d’autres villes petites et moyennes, un débat public sur les grands thèmes du développement national, etc.
Avec l’arrivée de la gauche brésilienne au pouvoir, les vecteurs réformateurs dans les deux pays ont encore divergé en affichant leur différenciation: les enjeux pour l’un comme pour l’autre sont différents, et leurs classes politiques ne se ressemblent pas. De telles considérations nous amèneraient à la conclusion que, s’agissant de ces deux États, on peut parler non d’une comparaison mais de саsе studies.
Or, il faudrait le souligner encore une fois, tous ces arguments se rapportent à une période qui pourrait être définie comme le « temps présent ».
Mais, d’autre part, si nous examinons les événements et les phénomènes sociaux de la seconde moitié et de la fin des années 1980–début des années 1990, le tableau change complètement. La place que cette période occupe dans l’histoire pourrait être désignée comme les positions de départ, le début de la transition à la démocratisation, à la modernisation économique et politique de la société. C’est le démarrage des réformes qui décrit ce point de départ d’une évolution offrant réellement au chercheur une belle occasion de se livrer à une analyse d’histoire comparée particulièrement vaste. Les phénomènes de démocratisation, révélés par le cas brésilien, ont obtenu le caractère de lois tendancielles inhérentes à la période post-autoritaire, que l’on a ensuite observées en Russie et dans les pays d’Europe de l’Est.
Dès lors que l’on aborde le début de la transition à la modernisation économique et politique de la société et la comparaison des projets modernisateurs ainsi que des positions de départ vers la démocratisation, il paraît justifié, dans les cas du Brésil et de la Russie, d’évoquer non des analogies ou des coïncidences fortuites, mais une identité de situation historique trouvant son origine au cœur même des transformations. Plus exactement, on peut parler d’une homogénéité typologique des processus qui se sont développés dans ces deux pays, mais aussi sur les immenses espaces géopolitiques de l’Amérique latine, de l’ex-Union soviétique et de l’Europe de l’Est. On retrouve alors un certain nombre de paramètres du développement typologiquement comparables et la similarité des enjeux de modernisation et d’intégration dans les relations économiques internationales. On perçoit également la nature transitoire des sociétés ayant abandonné l’héritage de l’autoritarisme et du totalitarisme et le manque de maturité de la société civile et de la démocratie politique. Autant de caractères communs qui permettent non seulement de comparer les réalités des sociétés post-totalitaires lors de la marche vers la démocratie mais aussi de méditer sur les motifs profonds d’une telle comparaison.
C’est précisément cette comparabilité typologique du développement de ces sociétés qui nous autorise à affirmer que le processus de passage de l’autoritarisme à la démocratie engendre des phénomènes socio-économiques et, plus singulièrement, politiques et socio-psychologiques très proches et révèle des affinités de conscience collective. Cela se produit malgré les disparités colossales de caractère de l’évolution historique des pays post-autoritaires et leur appartenance aux différents types de civilisation ou les particularités propres à leur organisation économique, politique et ethno-sociale. Et en dépit de l’enracinement bien différent des structures de marché, des institutions de la société civile, parfois incomparables, et de l’héritage de l’autoritarisme ou du totalitarisme ou de la spécificité de la mentalité politique et de la conscience sociale. Cette réflexion est on ne peut plus pertinente dans l’étude comparative des cas brésilien et russe et permet de déduire certaines lois tendancielles de la transition post-autoritaire.
Des paramètres importants de la profonde ressemblance entre le Brésil et la Russie participent du caractère même de la modernisation.
Jetons un regard rétrospectif sur l’histoire du développement du capitalisme au Brésil (et en Amérique latine) et en Russie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. En Amérique latine, son caractère périphérique était dû à un niveau inférieur de développement des forces productrices par rapport aux pays développés, à la survivance de la pluralité des formes de l’économie avec la prépondérance des formes précapitalistes héritées, dans une grande mesure, du passé colonial et le rôle systémique dévolu à la forme capitaliste. Le trait « générique » du capitalisme latino-américain, sensiblement en retard par rapport à celui des pays « du centre » doté déjà de traits monopolistes (début du XXe siècle), résidait dans son caractère dépendant. Au Brésil, un rôle important a été joué aussi bien par une abolition tardive de l’esclavage (1888) et par la persistance des vestiges précapitalistes archaïsants, qui avaient longtemps freiné le développement du capitalisme, par une polarisation régionale tranchée, historiquement déterminée, et par l’existence des « îlots de sous-développement » à l’intérieur du pays (Nord-Est).
Quant à la Russie, le paradigme de sa modernisation au début du XXe siècle était marqué par de fortes contradictions. D’une part, son économie a connu un essor durant cette période et, d’autre part, un certain nombre de particularités du développement historique de la Russie le rendent comparable à celui de l’Amérique latine. Le capitalisme russe est né assez tardivement. Il se met en place au XXe siècle, empêtré dans une multitude de survivances du servage et des rapports sociaux et politiques semi-féodaux. Avec des traits bien définis : les entraves du passé, le sous-développement économique général par rapport aux pays avancés d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, une réforme agraire excessivement longue et jamais menée à bonne fin, la faiblesse de la bourgeoisie nationale, très conservatrice au plan politique et liée à la bureaucratie du régime autocratique, et le poids relativement élevé du capital étranger. Ces éléments ont déterminé, pour une bonne part, le caractère de la modernisation dans la Russie du XXe siècle.
La modernisation tardive, la ténacité du secteur traditionnel (l’esclavage au Brésil et le servage en Russie), le rôle du capital étranger qui a influé sur les particularités de l’accumulation originelle, la faiblesse relative (par rapport aux pays « du centre ») du capital et de la bourgeoisie locaux, bref, ces traits typiques de l’histoire économique des pays d’Amérique latine étaient propres aussi à la Russie du début du XXe siècle, ce qui permet de les ranger dans « le deuxième échelon » des États engagés dans la voie de développement capitaliste (Dos Reis Velloso 1990 : 32; Plimak, Pantine 1993 : 162-163; Starikov 1992 : 201; Rachkovski 1992 : 120-121; Khoros 1992; Sosnovski 1991; Krassilchtchikov 1993; Krassilchtchikov 2004 : 73).
La version russe du modèle de « développement tardif » est liée, depuis les années 1930, à une économie militarisée et étatisée (« socialisme monopoliste d’État », pour ainsi dire), engendrée par le totalitarisme et stimulée par le danger de guerre, bâtie sur le pouvoir d’une élite bureaucratique. Cette réalité de l’économie soviétique a été à l’origine d’une position de départ extrêmement désavantageuse pour les projets modernisateurs du début des années 1990, caractérisée par « un système économique nationalisé consolidé au moyen d’une suppression forcée des rapports de marché et en substituant aux liens économiques ceux de l’idéologie politique » (Table ronde 1990: 46).
Mais en revenant à la source du mouvement conduisant à un système politique qualitativement nouveau, il convient de noter encore une fois les énormes différences entre les deux pays, qui se sont tissées sur la toile de fond commune que nous avons décrite plus haut.
Avant tout il s’agit de différences fondamentales touchant le caractère du développement socio-économique du Brésil et de la Russie. L’essentiel reste que le Brésil, comme les autres pays d’Amérique latine, représente un État capitaliste dont le système économique est basé sur les rapports de marché. Il n’y était pas question d’une « double transition » : la démocratisation ne se conjuguait pas, comme en Russie, parallèlement au passage à l’économie de marché. Alors que la Russie devait partir de zéro pour s’acheminer d’une économie centralisée, mue par des « ordres impératifs », vers une économie de marché, au Brésil, lors des réformes néolibérales lancées du temps de la présidence de Fernando Collor (1990-1992), la question n’était pas d’introduire la propriété privée, la concurrence et les autres attributs de l’économie de marché, ni de transformer, comme en Russie, les bases du régime économique; il ne s’agissait que de moderniser celui-ci sans s’écarter de la voie déjà empruntée, d’étendre la sphère des relations de marché, de hisser l’économie nationale à un plus haut niveau d’ouverture et de compétitivité pour impliquer davantage son potentiel dans les relations économiques mondiales, dans une économie globale à l’échelle planétaire.
Une autre différence capitale tenait au fait que la Russie s’est engagée dans la démocratisation à partir d’un système totalitaire ne laissant pas de place à la société civile et dont le développement économique et politique était étouffé par la mainmise totale de l’État monopoliste sur toutes les sphères de la vie de la société et de l’individu. Par contre, le régime des militaires brésiliens n’était pas totalitaire mais autoritaire, il n’a pas su écraser entièrement la société civile et il n’a pas « nationalisé » (ou « étatisé ») le système économique. Malgré le durcissement de la censure et les incessantes représailles, la pensée sociale et la culture n’ont pas servi exclusivement aux fins de la dictature. Les institutions de la société civile n’étaient pas détruites, même sous le régime militaire, et une pensée politique indépendante s’est développée au Brésil en devenant par la suite un catalyseur pour les idées de démocratisation.
L’autoritarisme brésilien, usurpateur du pouvoir politique sur lequel il pesait de tout son poids, ne s’étendait pas à l’économie, ce qui le différenciait du totalitarisme soviétique. La grande bourgeoisie brésilienne, même alliée au régime militaire, avait intérêt à se réserver une certaine marge de liberté. Nonobstant la forte présence de l’État dans l’économie brésilienne, affirmer qu’il recherchait un contrôle total sur tous ses leviers serait une erreur : cette économie, dont le vaste secteur public, opérait par-delà certaines restrictions, dans la sphère des rapports de marché. Le désir de rendre leur jeu plus ample et libre dans une économie ouverte a été, en fait, la principale prémisse de la « thérapie de choc » appliquée par Fernando Collor.
En même temps, toutes ces disparités, loin de constituer une pierre d’achoppement pour une analyse comparative, la rendent encore plus indispensable parce qu’elles laissent apercevoir, sur une toile de fond à facettes multiples, la ressemblance frappante qui caractérise certains aspects de la phase initiale de la période transitoire. D’un autre côté, la similarité effective (l’appartenance de la Russie et du Brésil aux pays de la modernisation tardive, plus exposés à l’impact des facteurs externes, et l’insuffisance de l’infrastructure politique comprenant les institutions démocratiques et la société civile) fait ressortir encore plus les parallélismes du développement et amène à la conclusion que, de l’expérience brésilienne de transformations économiques et politiques radicales, certains enseignements peuvent être tirés mettant en lumière des aspects essentiels de l’étape initiale des réformes en Russie, dans les pays de la CEI et d’Europe de l’Est (chronologiquement postérieures à celles du Brésil). Qui plus est, si malgré les différences existantes il est possible de remarquer une assez grande similitude entre certains processus caractéristiques de la période transitoire, on peut en inférer que ces traits communs sont la conséquence d’une concordance intrinsèque de trajectoires, de paramètres et de vecteurs des processus de modernisation, que nous avons notés plus haut.
Autrement dit : les deux pays se sont engagés dans la transition démocratique à partir de deux points différents : la Russie a dû faire une « double transition » (passer simultanément à l’économie de marché, voire au capitalisme, et à la démocratie) alors que le Brésil, déjà capitaliste, ne devait passer qu’à la démocratie (en modernisant et en adaptant encore plus l’économie nationale aux exigences de l’économie globale). Les deux pays très différents, y compris par leur destins historiques, ont pourtant démontré des similitudes pendant la transition démocratique, témoignant ainsi de l’existence de régularités, voire de lois, communes pour les pays post-autoritaires (l’Amérique latine, la Russie, l’Europe de l’Est).
2. Transition démocratique : période initiale de la formation du système de partis politiques au Brésil et en Russie
Certains phénomènes socio-politiques et socio-psychologiques engendrés par les réformes radicales dans les deux pays, par la situation même de « percée démocratique », offrent une matière unique pour l’analyse comparative.
Il faudrait commencer par les distinctions, puisque l’arrière-fond politique commun des processus de démocratisation était très inégal. Rappelons que le démantèlement du système de « gestion directive » et la formation des mécanismes de marché, la rupture des liens anciens, économiques et sociaux, n’étaient pas du tout caractéristiques du Brésil où le passage du régime des militaires à la démocratie ne visait pas le changement de l’ancien système économique. Aussi, dans la lutte politique au Brésil, surtout lors de l’élection présidentielle de 1989 qui a divisé le pays en deux camps opposés,1 n’y a-t-il pas eu de phénomènes typiques également de la situation russe en 1990–1991 et particulièrement évidents au moment de l’élection présidentielle de juin 1991 ? Principalement, l’orientation des uns sur la priorité de la propriété publique, l’économie planifiée, la domination du parti au pouvoir sur les institutions de l’État et celle des autres – diamétralement opposée – préconisant une transition accélérée à l’économie de marché et l’introduction de la propriété privée. Autre point de discorde en ex-URSS, totalement inexistant au Brésil : l’opposition entre, d’une part, le « Centre » et, d’autre part, la souveraineté des régions (au Brésil, même si les intérêts de « l’União » et des États brésiliens ne concordent pas toujours, les tendances séparatistes capables de menacer l’intégrité nationale n’existent pas).
Le Brésil n’a pas connu le phénomène socio-psychologique de vacuité, d’absence de valeurs non plus. La crise des valeurs est le corollaire inévitable d’une modernisation accélérée et suppose la renonciation à un certain mode d’existence et à certains modèles de comportement; elle rend difficile la modernisation elle-même qui réclame un consensus, une consolidation morale de la société. En Russie la pérestroïka et, ensuite, l’époque des réformes radicales, qui étaient censées répondre aux besoins d’une modernisation accélérée et se sont concrétisées dans le passage à un nouveau régime social (ce qui n’a pas été le cas au Brésil), ne pouvaient pas éviter de susciter un vide dans la conscience de masse. La désintégration de l’URSS a plongé les esprits dans un énorme désarroi. Dans le contexte russe, la vacuité a pris l’allure d’un « effondrement des idéaux » faisant mythifier et endosser un habit romanesque aux images, traditions et catégories de pensée appartenant à un passé depuis longtemps révolu. Un phénomène typique dans tous les États « post-socialistes », Alain Touraine évoquant les récidives des « traditions profondément enracinées », notamment du nationalisme, du populisme, de l’autoritarisme, observées dans les pays d’Europe de l’Est (Touraine 1991 : 84). La nouvelle réalité politique et sociale russe en train de naître lors de la transformation post-communiste, renfermait sensiblement, plus que les autres situations de transition démocratique, un « amalgame complexe de traditions du passé en partie surmontées, en partie transformées » (Melville 2004 : 29).
Revenons donc au parallélisme ayant induit la similarité mais, soulignons-le, sur un arrière-fond de différences.
L’expérience brésilienne de la période initiale de la démocratisation et de la formation de la société civile démocratique a montré un certain nombre de particularités. La présidence de Fernando Collor a été marquée par des conflits opposant le pouvoir exécutif au pouvoir législatif (dans le cadre de cette confrontation entre le gouvernement et le parlement la tactique du président, voire du chef du cabinet, consistait à gouverner par des « mesures provisoires » ne nécessitant pas l’approbation du Congrès) (Roett 1992 : 47; Schneider 1990 : 75). La Russie, au début des années 1990, a dû partir en fait ex nihilo en s’attaquant à la création d’un système politique qui aurait un gouvernement compétent, un parlement efficace et instaurerait le multipartisme et une réelle séparation des pouvoirs. Mais l’activité pratique de ces derniers, en gestation, leur incapacité à atteindre un consensus, le caractère conflictuel de leurs relations réciproques (ce qui, en général, n’est pas rare lors de la transition à la démocratie) gênaient sensiblement le processus de démocratisation politique. Ces facteurs, auxquels s’ajoutait la fragilité de la tradition d’engagement politique des masses, sont devenus, au début des années 1990, un obstacle à la formation d’un système politique démocratique. « Discuter sur un pied d’égalité, se faire des concessions mutuelles, transiger ne sont pas des attitudes qui caractérisent la politique intérieure russe » (Doubovtsev, Rozov 2007 : 13). Cette charge conflictuelle était typique pour la Russie aussi bien avant la Révolution de 1917 que pendant la période soviétique; « cela trouvait son expression dans le penchant pour un État centralisé, une attitude négative envers les compromis et accommodements de toute sorte…; dans la certitude que les chefs ont toujours raison, etc. » (Lebedeva 2001). Une culture politique polarisée, caractéristique de cette période, ne laissait pas non plus atteindre un consensus quant aux choix du développement, à la façon de réformer la société.
Il en était de même pour la période initiale de la formation du système de partis politiques au Brésil. L’avènement de la démocratie y a donné naissance à une multitude de partis (tenus, pour la plupart d’entre eux, pour des marionnettes ou des partis « de poche ») en quête d’une place au soleil à côté des « grands », dont quelques-uns ont été fondés à la seule fin d’appuyer, comme le veut la constitution brésilienne, une candidature à la présidence avant de s’esquiver furtivement de la scène politique, une fois leur mission accomplie; le Parti de la Reconstruction Nationale (PRN) de Fernando Collor en est un exemple patent. En Russie, le démantèlement du système de parti unique a produit une kyrielle de partis n’ayant aucun poids dans la vie politique réelle, sans représentativité notable (à l’exception du Parti communiste de la Fédération de Russie, apparu comme successeur du PCUS et tirant sa force, au début des années 1990, d’un électorat durablement fidèle). Ces partis avaient un caractère fragmentaire et leur profil politique était manifestement empreint de clientélisme et de corporatisme, alors qu’eux-mêmes rappelaient pour beaucoup des clubs politiques. Aussi la période en question se caractérise-t-elle par la méfiance d’une grande majorité de Russes à l’égard des partis politiques comme tels : ne leur faisaient confiance que seulement 10% des citoyens (Table ronde 2006 : 36).
3. Leadership politique sous la démocratisation : populisme et/ou autoritarisme?
Le rôle particulier du leader politique a été mis en relief au cours de la transition démocratique au Brésil. À notre avis, dans ce cas-là, il est possible de constater que cette régularité politique importante, formée pour la première fois au Brésil, est apparue plus tard en Russie et dans tous les pays de l’Europe de l’Est en voie de transition vers la démocratie. Il va sans dire que le problème du leadership politique, l’accroissement du poids politique du leader charismatique et populiste, apparaissent comme des traits typiques des sociétés où la démocratie a été introduite de manière rapide, inespérée. Une démocratie, précoce, qui ne s’appuie pas sur une longue tradition historique et qui ouvre les portes de la société à de larges masses, exclues de la vie politique et de la société civile. Il s’agit de la situation, très évidente au Brésil et en Russie, provoquée quand « les identités et les groupements des intérêts traditionnels s’affaiblissent et les partis au pouvoir sont incapables de donner une réponse adéquate aux problèmes urgents » (Novaro 1996 : 93).
Il s’agit de la « double désarticulation » : 1) au sommet du système politique, la crise des partis et des institutions gouvernementales et 2) des acteurs politiques organisés… Dans une situation critique d’une telle échelle, c’est un système sans représentation interne qui commence à se former (Novaro 1996 : 93-94). Et cela conduit à une autonomisation des institutions politiques, ouvrant le chemin a un populisme qui entre en scène (Novaro 1996 : 94).
Selon Camille Goirand, le nouveau leader se présente d’abord comme un outsider, au sens politique et non sportif : celui d’une totale nouveauté. Ce type de leader se positionne en tant qu’indépendant des grands partis politiques, influents et tout-puissants. Cet outsider accuse les autorités, les riches, les omnipotents et, par conséquence, devient un héraut de la rupture, du changement radical. L’arrivée de l’outsider au pouvoir est fondée sur la « double espérance » – l’attente du renouvellement général et l’aspiration au changement du cours de la vie politique. Le phénomène le plus paradoxal survient quand le leader-outsider devient président : Collor, ayant promis de « tuer le tigre de l’inflation », de « faire une véritable révolution morale sans précèdent » n’a pas accompli ses promesses : rien dans ses déclarations n’est devenu réalité (Goirand 2005-2006 : 11-13, 19-21).
La méfiance envers les partis, une mentalité « tsariste » (selon le vocabulaire politique russe) façonnée par le paternalisme traditionnel datant de l’époque de l’autocratie, majoritaire au sein d’une population séduite par l’idée d’un pouvoir fort, centralisé et incarné par un monarque absolu, un secrétaire général ou un président (Table ronde 2006 : 36; Chestopal 2000 : 222; Chestopal 2002 : 371) : autant d’éléments qui ont exigé la quête d’un leader charismatique. Il ressort de l’expérience brésilienne que les époques transitoires font appel à un nouveau type de leadership politique. Une opinion publique tentée par le populisme et l’aura des leaders charismatiques, combinée avec un système faiblement structuré de partis politiques, représente un trait caractéristique de la culture politique et de la mentalité sociale, qui s’est révélé clairement dans les pays post-autoritaires, en l’occurrence au Brésil et en Russie au matin de la démocratisation. La personnification du pouvoir et de la politique, l’attente de l’avènement d’un chef charismatique et l’espoir d’un miracle se retrouvent dans les deux case studies puisque la prise de conscience de la nécessité de moderniser les vieilles structures économiques a commencé « en haut », elle a mûri au sein de l’appareil du parti/État (en ex-URSS) et de l’élite de l’armée au pouvoir (au Brésil). Outre les circonstances déjà exposées – un État-Léviathan, la conscience sociale empreinte de paternalisme du pouvoir, un développement insuffisant des procédures démocratiques au Brésil ou leur inexistence en Russie, l’absence de savoir-faire et de pratique de ces procédures, etc. –, un tel point de départ dans le contexte d’abandon des modèles de développement et des fondements de l’existence de jadis, a été extrêmement propice à l’émergence dans l’arène de la vie politique de leaders populistes charismatiques.
La vertigineuse ascension au sommet du pouvoir d’un homme politique inconnu comme Fernando Collor était dans une grande mesure due, étant donné la situation désastreuse des Brésiliens mal lotis, à une habile exploitation des traits particuliers de leur conscience sociale, comme la foi en l’omnipotence du leader charismatique, l’attente de bienfaits dispensés promptement par le chef suprême, la croyance de pouvoir enrayer sur-le-champ l’approfondissement de la crise socio-économique. En s’engageant dans la bataille de l’élection présidentielle avec son programme populiste de la « priorité des pauvres » aux dépens des « riches », Collor a tenté un procédé forcément gagnant et qui, pour une bonne part, allait lui valoir plus tard la victoire : il a proclamé haut et fort la nécessité d’un « leader nouveau », non entaché de liens avec l’ancien establishment « corrompu et incompétent » et, de ce fait, capable de régler en peu de temps les problèmes accumulés depuis des décennies. Ayant embrassé la carrière politique au début de 1989, Collor, ce rejeton d’une élite provinciale à l’esprit aventuriste, a terminé cette année comme président élu du plus grand pays du continent (Werneck Vianna 1990; Schneider 1990; Fiori 1990; Diniz 1990b; Antunes 2004).
Les époques de transition, où le système social en perte d’équilibre se voit plongé dans le chaos, font croître le rôle des leaders charismatiques et font renaître le mythe du « sauveur ». La tradition historico-culturelle et spirituelle du Brésil reste fortement marquée par la foi en ce héros-sauveur charismatique, doué de qualités surhumaines et investi de la mission divine de délivrer le peuple de la misère, de l’oppression et de la pauvreté; c’est ce rôle-là qu’a endossé Collor (Rubim 2000 : 47; Langue 2007 : 12; Pulo 1989; Jornal da Bahia 1989; Tribuna da Bahia 1989). De la même manière « le mythe du sauveur correspond entièrement au tableau socio-politique et psychologique de la réalité russe », notamment lorsqu’un « ordre nouveau se cristallise peu à peu dans le tréfonds du chaos » (Slizovski, Choulenina 2006 : 138, 139).
La croyance massivement répandue en un héros qui viendrait « sauver la nation » et dont on pourrait attendre des « miracles », s’est manifestée avec une force particulière en ce moment de rupture brutale dans l’histoire de la Russie qu’a été l’élection présidentielle du 1991 (l’élection de Boris Eltsine). La mentalité tenant du paternalisme du pouvoir, fondant ses espérances sur un « bon tsar » et faisant appel au « numéro un », – tous ces paramètres de la conscience de masse induits par l’absence ou l’inefficacité des normes juridiques démocratiques dans la tradition historique russe, ont joué leur rôle dans les péripéties de la lutte politique et ont acquis une force nouvelle dans un contexte historico-psychologique inédit.2 L’éternelle attente d’un miracle était liée aussi à une autre particularité propre à la conscience de masse en Russie : vouloir compter non sur ses propres forces mais, à nouveau, sur un dirigeant plein de sagesse, le fameux « seigneur » qui a survécu à tous les stades de l’histoire russe, celui qui viendra faire régner la justice (« la foi inextinguible et presque matérialisée dans la conscience, dans le sage leader qui assurera salut et protection » (Slizovski, Choulenina 2006 : 137). Les données des sondages sociologiques attestent que, en juin 1991, les électeurs ont voté moins pour les programmes des candidats que, avant tout, pour la personnalité du prétendant. Le vainqueur, devenu à l’issue de cette lutte le premier président de la Russie (Boris Eltsine), apparaissait aux yeux de ses fidèles comme le symbole de leurs souhaits et de leur foi dans la possibilité d’une « autre » voie de développement, comme un « sauveur », voire un « messie », appelé à tirer un trait sur le passé et à se mettre à la tête de la marche vers une vie nouvelle. Un nouveau phénomène s’est alors produit : un tel leader se fait proclamer « président de tout le peuple » (« de tous les Russes », « de tous les Brésiliens ») et invoque sa relation directe avec le peuple; dans le cas de la Russie, l’image de « président élu par le peuple entier » devait incarner en quelque sorte et le parti, et l’État et toutes les institutions politiques de la société non structurée. Il y avait toutefois le revers de la médaille : l’exemple de Collor montre que se démarquer de la base politique constituée par les partis influents et les mouvements sociaux pourrait entraîner son isolement par rapport à la société (Fiori 1990 : 63-64; Junho Penha 1990 : 55-56; Faro de Castro, Valladão de Carvalho 2002 : 120 ; Soares 1990 : 30).
L’apparition dans les sociétés post-autoritaires d’une variété de leaders de l’époque transitoire comme des soi-disant « nouveaux hommes politiques », fortement teintés de populisme est ainsi la conséquence d’une multitude de facteurs : de la déconstruction des attitudes socio-psychologiques traditionnelles à l’altération de la configuration établie des rapports sociaux, en passant par l’écroulement des anciens fondements de l’existence et l’émergence d’optiques, de comportements, de motivations, d’un mode de vie… bref, de notions du bien et du mal complètement nouveaux, inconnus et insolites aux yeux des larges couches de la société. Ces « nouveaux » leaders – propulsés sur la scène politique par la grandiose vague d’anticipation née dans une société agitée par de fortes impulsions, désireuse de régler sur-le-champ des problèmes économiques, sociaux et politiques brûlants, certains accumulés depuis des décennies –, ne tarissaient pas de promesses à propos de « lendemains » où l’on irait cueillir les fruits d’un miracle économique et politique. Bref, aucun des attributs du populisme n’était absent. Rappelons-nous l’essentiel du dessein formé par ce classique populiste brésilien qu’était Fernando Collor : ancrer dans la conscience collective l’idée que le pays avait besoin d’une nouvelle figure politique exempte d’allégeance aux partis traditionnels et de liens avec l’ancien establishment incompétent, corrompu, clientéliste et donc incapable de régler des problèmes sociaux urgents (Hermet 2001 : 110).
Un tel schéma se joint parfaitement au « phénomène Jirinovski » qui s’est manifesté lors de l’élection présidentielle de 1991 et qui, depuis, est devenu l’objet des études sociologiques, qui figure dans les ouvrages et manuels de politologie à titre d’exemple classique d’un projet populiste méticuleusement élaboré. L’analogie avec le Brésil est en l’occurrence on ne peut plus directe. Les propos tenus à cette époque par le politicien issu de la nouvelle génération Vladimir Jirinovski, qui reprennent presque mot pour mot les appels d’un Collor dont il n’aurait jamais entendu parler, illustrent on ne peut mieux la thèse notoire que dans des situations de crise dont nous avons décrit plus haut les symptômes, le comportement politique du « nouveau leader » devient une sorte de loi tendancielle de la période transitoire. Lors de sa campagne électorale, Jirinovski devenu un personnage vraiment nouveau dans la politique russe d’alors, disait dans ses interviews télévisées :
« Tandis que tous les autres prétendants sont tous de l’équipe ancienne et vous n’avez rien à attendre d’eux car ils ont épuisé leur potentiel, moi je suis un homme nouveau aux idées neuves. Je n’ai pas été lié avec les anciennes structures du pouvoir ni corrompu par elles, je ne suis pas responsable des erreurs commises précédemment. Ceux qui aujourd’hui sont devenus candidats aux présidentielles, eux, ils ont déjà gouverné avec le résultat que vous connaissez. Avec les pouvoirs les plus illimités, ils ont non seulement manqué de s’en servir mais aussi ils ont conduit le pays dans l’impasse. Je vous proposerai, moi, de
snouvelles idées, un nouveau concept de l’organisation de l’État, je mettrai en œuvre une nouvelle politique, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur».
L’atout majeur employé par Jirinovski consistait à prétendre qu’il était « comme tout le monde » : « Je suis comme vous : issu des classes moyennes, avec un salaire comme vous l’avez tous, avec un deux-pièces. Je suis votre candidat ».
Comparons-le aux appels et aux déclarations de Collor à la veille des élections :
« Les anciens dirigeants volaient le peuple… Leur administration incompétente a conduit le pays dans une impasse, ce sont des pourris liés par de milliers de liens aux structures anciennes… Ce sont eux qui ont mis le pays dans un état de crise. Moi, homme nouveau, je peux vous apporter un renouveau »;
« Devenu président, je prendrai des mesures contre l’inflation et la corruption, je mettrai en pratique une politique sociale visant à améliorer de façon radicale la situation du peuple »;
« Je suis quelqu’un comme vous. Je connais les soucis d’une ménagère, d’un employeur, d’un étudiant… ».
Sans doute s’agit-il ici moins de la parfaite similitude de discours politique (bien que, en soi, elle constitue un phénomène frappant) que de la similitude de situations historiques et socio-psychologiques.
Aussi le succès remporté par Jirinovski venant, avec 6 millions de suffrages, en troisième position après ses deux concurrents (pourtant beaucoup mieux connus des électeurs et occupant une place privilégiée dans la hiérarchie politique), si sensationnel qu’il aurait pu paraître alors, n’était-il ni accidentel ni surprenant. « Jamais encore dans l’histoire de l’Europe et de l’Amérique un politique inconnu de tous n’a recueilli 6 millions de voix en 20 jours », ainsi le prétendant lui-même a commenté les résultats des élections. « Jirinovski a mis dans le mille en créant l’image d’un homme qui survient à l’improviste, que personne ne connaissait jusque-là et avec une réputation que rien n’a ternie », écrivait-on à son sujet (Todres 1991). On aperçoit, au-delà des thèses de Jirinovski, les prises de position des couches sociales et des groupes d’opinion les plus hétérogènes mais suffisamment représentatifs, et pour chacun d’entre eux une formule séduisante et facile à comprendre : aux pauvres et aux infirmes il a promis de « secouer les rupins », aux riches – la sécurité, aux ouvriers – la protection contre la « bourgeoisie qui s’engraisse », aux patrons – des opportunités et les conditions de business, aux militaires – l’honneur et la dignité rendues à l’armée, aux affamés – du pain, aux retraités – une vieillesse tranquille (Andreev 1991).
L’expérience russe a montré encore une variété du phénomène populiste de « l’homme politique nouveau » (là encore, une analogie avec le cas brésilien : « le phénomène Collor ») : personnification de l’idée même de la tradition, ce « nouvel homme politique » de la première moitié des années 1990, arrivé au pouvoir par la voie démocratique, manifestait sa propension à l’autoritarisme, au volontarisme, son incapacité à rechercher et à obtenir le consensus social (« le phénomène Boris Eltsyne »). Ce phénomène de populisme dont le revers de la médaille est constitué par le « nouvel autoritarisme », est très typique de l’Amérique latine et comme tel, il a été bien étudié par les politologues latino-américains. Né sur la vague de la méfiance envers les institutions représentatives, de la critique de la bureaucratie et de la corruption, le populisme, en inculquant aux masses la foi en la possibilité de trouver une solution rapide et facile aux problèmes sociaux complexes, s’oppose aux partis et à toutes les autres institutions politiques anciennes. Cet avatar du populisme, surtout de droite, s’appuie sur les vieux préjugés autoritaristes et paternalistes des vastes couches de l’électorat. Il est, de ce fait, capable non seulement de susciter la démocratisation et l’engagement politique des masses mais aussi d’ouvrir la voie au « nouvel autoritarisme ». En Russie, durant la période de transition démocratique, ce phénomène de populisme vs autoritarisme présentait une spécificité supplémentaire due aux particularités historiques du pays. Bien que l’histoire de la Russie ait connu tous les types de leaders politiques décrits par la politologie contemporaine : démocratique (parlementaire), aristocratique (dynastique), autoritaire, c’est ce dernier qui est devenu dominant en raison de la totalité des conditions historiques réunies, d’un développement mobilisateur, etc. (Slizovski, Choulenina 2006 : 12, 13).
C’est au type autoritaire de leader populiste qu’il convient de relier le paradoxe mis en lumière par l’expérience brésilienne de la « thérapie de choc » et advenu en Russie : le style autoritaire dans la réalisation des réformes de marché néo-libérales et donc visant aussi à la démocratie politique. L’expérience brésilienne a manifesté que le leader populiste arrivé au pouvoir par la voie démocratique, sur la base des élections directes et conforme aux lois constitutionnelles, se transforme simultanément en volontariste et autoritaire (Hermet 2001 ; Hermet 2003 : 5-18 ; Panizza 2005). La politique de Collor affichait un style autoritaire marqué. Quand les réformes se sont heurtées à des difficultés et que leur effet était parfois directement opposé aux attentes, les autorités ont eu de plus en plus recours aux méthodes directives de gestion de l’économie puisque les mesures censées assurer le retrait immédiat de l’État de la sphère économique, offraient en même temps l’exemple de son intervention la plus brutale. Le style autoritaire de Collor s’est traduit aussi par sa mauvaise grâce à collaborer avec le parlement (Bresser Pereira 1990 : 94; Fiori 1990 : 66, 69; Diniz 1990b : 19-20; Guimarães 1990 : 20 ; Diniz 1990a : 16, 18).
En Russie, un tel style tenait de la continuité logique de l’emploi des méthodes purement administratives, traditionnelles dans son histoire, pour mettre en œuvre des réformes politiques et économiques dans les conditions où les groupes et les couches de la société demeuraient entièrement soumis à la « verticale d’un pouvoir d’État paternaliste ». En s’appuyant sur des méthodes administratives, il « formait dans une grande mesure lui-même les rapports et les groupes sociaux, qui apparaissaient non pas comme une articulation des intérêts socio-économiques déclarés mais comme une création bureaucratique » (Melville 2004 : 36; Kliamkine 1993). « Les penchants autoritaires du président Eltsyne lui-même… se sont traduits dans le style directif et volontariste de son gouvernement » (Melville 2004 : 41). Au début des années 1990, la presse russe avait beaucoup parlé de la conviction du gouvernement quant à une plus grande efficacité du « contrôle administratif de l’économie » par rapport à la tâche, plus complexe, de relance de la concurrence et de l’initiative privée, de même que des opinions, assez populaires à cette époque, de certains hommes politiques qui préconisaient la nécessité de créer « un système d’administration spéciale pour la période transitoire afin de défaire l’économie étatique et d’entamer le passage au marché » (Finansovaïa gazéta 1993; Rossiïskaïa gazéta 1992).
Soulignons-le encore une fois : ces facteurs de la démocratisation post-autoritaire, à côté d’autres, qu’a fait apparaître l’expérience du Brésil corroborée par celle de la Russie, sont caractéristiques précisément pour la période initiale de la modernisation politique.
Ainsi les réalités de la Russie et du Brésil, vues à la lumière de l’analyse comparée, permettent de redonner une nouvelle optique à l’étude de la transformation radicale des sociétés post autoritaires, de mieux comprendre les métamorphoses et les paradoxes de l’époque transitoire.3
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