La problématique de l’identité sicilienne dans l’œuvre de Consolo

DOI : 10.58335/individuetnation.248

Abstracts

En analysant deux nouvelles de Vincenzo Consolo (Il sorriso del marinaio et Retablo), l’auteur de l’article examine comment les personnages de Consolo s’identifient à un paysage spécifique (celui de la Sicile) dont les caractéristiques sont en grande partie imaginaires. La conclusion de l’article est que l’identité, selon l’expression de Ricoeur, consiste en une construction « narrative du soi ».

Through the analysis of two novels written by Vincenzo Consolo (Il sorriso del marinaio and Retablo), the author of the article examines how Consolo’s characters identify themselves with a particular landscape (that of Sicily) which is partly shaped by imagination. The conclusion of the article is that identity is, as Ricoeur puts it, a fictional or “narrative”construction of the self.

Index

Mots-clés

Consolo, identité, paysage, régression

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Nous aborderons le problème de l’identité régionale des écrivains italiens à partir de la notion de distance. On peut en effet remarquer qu’un certain nombre d’auteurs siciliens (mais pas tous) ont créé leurs œuvres sur la Sicile alors qu’ils résidaient depuis longtemps loin de leur province d’origine. Verga est d’ailleurs exemplaire à ce sujet puisqu’il vivait à Milan quand il écrivit ses nouvelles et ses romans véristes. On étudiera donc le concept d’identité en relation avec celui d’éloignement. Cette approche permettra d’envisager indirectement la question complexe de l’identité des immigrés qui peuvent éventuellement se réclamer d’un territoire et d’une culture qu’ils ont abandonnés depuis de nombreuses années. L’œuvre de Consolo se prête assez bien au thème qui est proposé. On sera surtout attentif à la relation qu’entretiennent avec la Sicile les protagonistes de quelques-uns de ses romans en privilégiant le moment où ils rencontrent pour la première fois les rivages de l’île. C’est pourquoi notre corpus sera limité essentiellement à deux récits, Il sorriso dell’ignoto marinaio et Retablo. Dans les deux cas, la Sicile vers laquelle les voyageurs font retour est une Sicile d’autrefois. C’est là une autre caractéristique de l’identité : liée à l’enfance (ou à l’enfance des parents) elle a partie liée avec le souvenir. Aussi suscite-t-elle une géographie en grande partie imaginaire. Pour autant, l’irréalité à laquelle s’identifie le sujet, n’est pas vaine puisqu’elle est un élément essentiel de la construction du « soi ». Mais puisque nous nous interrogerons sur le rôle qu’exercent, dans la formation de l’identité, la distance et l’illusion fictionnelle qu’elle engendre, nous ferons un bref détour par Verga dans la mesure où ce dernier s’est référé explicitement à son expatriation quand il a commencé à écrire l’histoire de Nedda. Dans un deuxième temps, après avoir étudié les formes du « rite de passage » par lequel les personnages de Consolo abordent le sol sicilien, nous analyserons comment se produit le processus d’identification avec le paysage de l’île. Enfin, en étudiant la nature très spécifique de la langue de Consolo, nous essaierons de déterminer à quelle image de la Sicile il s’identifie.

1. Un détour par Verga

Verga publia Nedda en 1874. On sait que ce récit marqua la conversion de l’écrivain au vérisme, c’est-à-dire à la représentation de la réalité sociale sicilienne à la fin du XIXème siècle. Or la nouvelle comporte une sorte de préface dans laquelle le narrateur (qui est visiblement le porte-parole de l’auteur) explique les circonstances qui ont présidé à la naissance du récit. Il dit avoir découvert tardivement le plaisir d’être assis devant la cheminée, de voir la flamme rougir les bûches et de laisser son esprit divaguer en regardant le feu. Voici ce qu’il écrit :

Quand je me fus initié au mystère des pincettes et du soufflet, je m’épris avec transport de la voluptueuse paresse de la cheminée. Je laisse mon corps sur ce petit fauteuil, à côté du feu, comme j’y laisserais un vêtement, abandonnant à la flamme le soin de faire circuler mon sang en l’échauffant et de faire battre plus rapidement mon cœur ; et en chargeant les étincelles fuyantes […] de faire errer capricieusement […] mes pensées. Ce spectacle de votre pensée qui autour de vous volette vagabonde, vous quitte pour courir au loin [...] a des attraits indéfinissables. Le cigare à demi éteint, les yeux mi-clos, les pincettes échappant à vos doigts relâchés, vous voyez l’autre part de vous-même s’en aller au loin, parcourir des distances vertigineuses […]. (Verga 1996 : 33)1

Lorsqu’il rédigea Nedda et qu’il s’apprêtait à écrire ses œuvres majeures, toutes consacrées à la Sicile, Verga résidait à Milan2. Dans le passage cité, il semble établir un lien entre sa nouvelle inspiration sicilienne et sa condition d’écrivain et journaliste milanais comme si la distance et la différence de climat lui avaient été nécessaires pour faire surgir en lui le souvenir de sa terre natale. Le style du paragraphe introductif de Nedda contraste avec l’écriture réaliste du récit proprement dit ; la phrase est embarrassée et la plume reproduit des tournures propres aux auteurs « scapigliati ». Le passage a des allures de conte fantastique : l’âme de l’écrivain quitte le corps qui reste affaissé dans le fauteuil comme un vêtement qu’on a ôté. Le feu purificateur donne à l’esprit une vigueur nouvelle et l’imagination s’en va, pour son compte, par une sorte de dédoublement de la personnalité. L’auteur voit l’autre partie de lui-même qui parcourt des distances vertigineuses comme dans les expériences de spiritisme ou les séances d’hypnose. Pourtant il y a plus de vérité dans ce passage que l’artifice du style ne le laisserait a priori supposer. Car le double (l’âme qui s’enfuit) est l’identité sicilienne de Verga alors que son identité milanaise est le manteau qu’il a quitté.

Dans l’édition Feltrinelli des nouvelles de Verga, Vincenzo Consolo a rédigé une introduction dans laquelle il n’omet pas de commenter les lignes que nous venons de citer. Il écrit notamment :

Cette nouvelle [Nedda] a une attaque liminaire qui est une sorte de rite d’entrée, de début de voyage, de regressus dans un monde éloigné dans le temps, dans l’espace, dans la mémoire ensevelie. Le bourgeois Giovanni Verga, écrivain mondain, devant la cheminée de son appartement de Milan, “le cigare a demi éteint, les yeux mi-clos” s’abandonne au souvenir [...] Avec Nedda, donc le nouveau Verga commence le voyage, qui du seuil de cette première nouvelle […] le conduira au lieu le plus profond, à la réalité tragique d’une humanité véritable : aux chefs d’oeuvre de Jeli il pastore ou de Rosso Malpelo. (Verga, Introduzione Consolo 1992 : 9)3

On remarquera l’importance que Consolo donne à l’incipit de Nedda dans lequel il ne voit pas une introduction somme toute maladroite qu’on pourrait sans inconvénient retrancher de la nouvelle mais « un rite d’entrée » et « le début d’un voyage » sans lesquels Verga n’aurait pas pu écrire les chefs d’œuvre de la maturité. Il est probable, qu’en parlant de Verga, Consolo dise aussi quelque chose de lui-même. Car comme le romancier vériste, il a quitté la Sicile, où il est né en 1933, pour s’établir à Milan dès 1968. Et c’est dans cette ville qu’il a écrit la presque totalité de ses livres4. Consolo ne peut donc pas se désintéresser du paradoxe d’un Verga qui doit apparemment s’éloigner du lieu de son enfance pour en décrire la réalité.

L’identité sicilienne de Verga se manifeste à partir de 1874 quand l’œuvre de l’écrivain a pour sujet presque unique5 la réalité économique et sociale de la province de Catane. Cela revient à dire que l’identité a partie liée avec l’origine. C’est, en tout cas, ce que suggère Consolo quand il dit que Verga trouve sa voix d’écrivain à partir du moment où il « régresse dans un monde éloigné dans le temps, dans l’espace, dans la mémoire ensevelie ».

L’idée de régression est importante dans l’œuvre littéraire et dans les essais critiques de Consolo. On la trouve, par exemple, dans le recueil d’articles Di qua dal faro à propos du voyage de Goethe en Sicile :

La Sicile, qu'est-ce que la Sicile ? Qu'est-ce que le voyage de Goethe en Sicile ? La conclusion nécessaire du regressus aux origines, c'est le voyage des origines au point de convergence de l'histoire et de la civilisation. “La Sicile est pour moi l'annonce de l'Asie et de l'Afrique…” dira-t-il à la veille de son départ pour l'île. Et une fois arrivé, comme au cours d'une initiation à un mystère, ou une descente aux Enfers, des prodiges lui seront révélés hors de lui et en lui. (Consolo 2001 : 247)6

Régresser, c’est revenir sur ses pas, se mettre sur le chemin du retour et mesurer la distance qui nous a éloignés du point de départ. La régression, encore nommée nostos par Consolo, est un acte réflexif comme l’est aussi la revendication de toute identité. Car le je qui se reconnaît dans le moi a conscience de l’intervalle qui l’en sépare. Dans l’incipit de Nedda, Verga décrit une scène où le je voit « le soi comme un autre » et où se réalise ce que Paul Ricœur a nommé l’identité-ipséité (Ricœur, 1990). Ainsi les villes de Milan et de Catane sont-elles les limites de l’espace dans lequel l’écrivain construit l’image de lui-même qu’il veut donner à lire.

La même problématique se retrouve dans I Malavoglia. Car le roman, on le sait, fut précédé d’une nouvelle qui en indiquait les lignes principales. Cette nouvelle, Fantasticheria, répète en l’inversant la situation décrite au début de Nedda : l’auteur qui, cette fois, se trouve en Sicile écrit une lettre fictive à une amie qui est demeurée à Milan. La notion de distance est essentielle pour comprendre la genèse du futur roman. À la riche aristocrate milanaise qui ne peut pas imaginer « comment on peut passer toute sa vie » (Verga 1992 : 104)7 dans un village aussi pauvre qu’Aci-Trezza, Verga répond qu’il suffit « de ne pas posséder cent mille lires de revenu » (Verga 1992 : 104)8 et de regarder la réalité du point de vue des petites gens9. C’est à ce processus, typique de l’œuvre majeure de Verga, que le critique Romano Luperini, indépendamment de Consolo, a lui aussi donné le nom de « régression » dont il donne cette définition :

L’impersonnalité de Verga est […] fondée sur un artifice de régression par lequel l’écrivain « régresse » dans la voix narratrice et le point de vue d’un paysan idéal, en s’annihilant dans le monde représenté. (Luperini 1976 : 47)10

La régression de l’auteur dans une instance narratrice similaire aux pêcheurs qui sont l’objet de la narration signifie que l’écrivain oublie son identité propre (qu’il la quitte comme on ôte un habit) et qu’il s’identifie à la culture et à la société siciliennes vers lesquelles il fait retour. L’identification en effet précède l’identité. La psychanalyse nous apprend qu’il faut s’identifier à une image de soi (stade du miroir) à une figure parentale ou à une figure idéale du moi (stade oedipien) pour s’assurer une identité. Ricœur, de son côté, remarque que la formation de l’identité passe aussi par ce qu’il nomme « l’identité narrative » c’est-à-dire par la construction du « soi » mis en récit dans une fiction. Cela revient à dire que c’est dans l’œuvre des écrivains (dans les récits qu’ils construisent) qu’il faut chercher leur identité et, c’est, par conséquent, en analysant les formes narratives de Consolo qu’on pourra définir sa sicilitude.

2. Le rite de passage

Consolo écrit que l’incipit de Nedda constitue un « rite d’entrée ». On peut dire qu’assez fréquemment les romans de Consolo commencent par un « rite de passage » qui correspond au franchissement du bras de mer qui sépare l’Italie continentale de la Sicile. Ainsi le texte même est-il la mise en récit d’un « voyage » en direction de la terre originelle. Et un moment essentiel est celui où le rivage sicilien se révèle dans les premières blancheurs de l’aube. Le premier chapitre de Il sorriso dell’ignoto marinaio est précédé d’un paragraphe intitulé « antefatto » (antécédents) qui explique que le roman débute par « le voyage en mer d’Enrico Pirajno, baron de Mandralisca, se rendant de Lipari à Cefalù » (Consolo 1976 : 3)11 et les premières pages du livre sont consacrées à la description de la côte au moment où le navire entre dans les eaux du port.

Et maintenant on apercevait la grande île. Les fanaux sur les tours de la côte étaient rouges et verts, ils vacillaient et languissaient, puis reparaissaient vivaces. Le bâtiment avait peu à peu cessé de rouler depuis qu’il s’avançait à l’intérieur du golfe. (Consolo 1980 : 44)12

L’arrivée se fait à l’aube : on voit encore les étoiles quand le bateau s’approche de la jetée mais le soleil est déjà au-dessus de l’horizon quand le bâtiment est à l’ancre et que commencent les opérations de débarquement :

Le soleil rayonnant au-dessus de la ligne d’horizon éclairait le rocher abrupt avec le théâtre, le gymnase et le sanctuaire au sommet, à pic sur la grande étendue d’eau et de terre. Elle était, cette plage, une broderie d’ors et d’émaux. En langues sinueuses, en cercles, en entrelacs, le sable jaune créait des bassins, des canaux, des lacs, des anses. Les eaux contenaient tous les bleus et tous les verts. Là poussaient des roseaux et des joncs, des mousses, des filaments visqueux ; là nageaient des poissons gras, glissaient des hérons paresseux et de lentes mouettes. Sur le sable luisaient la nacre de moules et de coquillages et la blancheur d’astéries calcinées. De petites barques, aux mâts sans voiles, immobiles sur les eaux stagnantes, parmi les dunes, semblaient des débris de marées […] (Consolo 1976 : 7)13

Nous n’avons cité qu’un extrait très court de la description. Mais cela suffit pour qu’on comprenne comment s’effectue « le rite de passage ». Le regard de Mandralisca se perd dans le paysage et va à la rencontre de la Sicile en même temps que le navire s’approche de la rive. Le texte fait écho à la poésie d’Ungaretti 1914-1915 qui raconte l’émergence, au matin, de la côte italienne aux environs de Brindisi après la traversée qui éloignait définitivement le poète de la terre égyptienne14. Rien mieux que l’analogie du retour dans l’île fait comprendre ce qu’est l’identification. Elle est un processus mettant en jeu le regard lequel avance en direction d’une image, en scrute les détails et se donne à la contemplation. Dans Lo spasimo di Palermo, l’écrivain Gioacchino Martinez revenant à Palerme fait le choix de passer de longues heures en train plutôt que de prendre l’avion car il veut, une fois encore, découvrir le panorama de la ville depuis le pont du bateau :

Il revenait dans l’île, le port d’où il était parti, où se conclurait son aventure, sa vie. [...] Mais tout voyage, il le savait, était tempête, tremblement, perte, douleur, enchantement et oubli, dégradation, faute ensevelie, remords, hantise sans fin.

La nuit était paisible, les étoiles, la lune immaculée, le printemps des éveils, l’aube de la promesse, l’amour qui envahit, transfigure, l’instant secret, la joie muette, la lumière qui se répand, la course dans le jardin, le bain dans la mer, l’ascension de la montagne, la vie nouvelle qui palpite dans le sein.

C’était le miracle de l’art, la consolation du genêt, l’affection fraternelle, la main tendue au naufragé, l’idée neuve, collective, de bouleverser l’histoire, d’adoucir l’existence. (Consolo 2000 : 116)15

L’accumulation des expressions nominales et le recours à la parataxe qui caractérisent les deux passages cités sont aussi des marques du discours amoureux. Au moment du « passage », Mandralisca reconnaît, dans le paysage de l’île, des ressemblances avec soi. Et, dans la fusion progressive du je et de l’image, se lit l’aventure de Narcisse penché au-dessus de l’eau. En retrouvant sa terre et les lieux de son enfance, le sujet rencontre à nouveau le moi. L’identification est une modalité de la relation amoureuse où l’autre est aussi le même et où idem et ipse se rapportent au même référent16.

C’est dans Retablo17 que la problématique de l’identification est exposée avec le plus de netteté. Le texte a la forme d’un carnet de voyage, celui de Fabrizio Clerici, un peintre milanais qui a entrepris de visiter la Sicile. Clerici explique les raisons de son départ : il veut s’éloigner de Milan, n’étant pas sûr d’être aimé de Teresa Blasco que courtise le jeune Beccaria. Or celle-ci a une double ascendance. Elle est espagnole par son père et sicilienne par sa mère. Estimant qu’il n’obtiendra jamais l’amour de Teresa, Fabrizio Clerici décide de s’éloigner d’elle. Mais sa « pérégrination »18 le conduit en Sicile qui est une des « patries » de la jeune fille à qui le journal de voyage est dédié :

A vous, doña Teresa Blasco, aiguillonnée comme vous l’êtes par l’amour et la nostalgie pour les deux terres ancestrales inconnues ou connues simplement à travers les propos et souvenirs de vos parents, est dédié ce journal de voyage, afin qu’il puisse, de manière minime, satisfaire votre soif pour l’une de vos patries, cette terre maternelle qui vous est chère, l’illustrant et la contant selon la représentation que s’en est fait un pérégrin dénué mais armé d’intérêt à l’instar de celui qui vous écrit. […] il espère que vous pourrez, en le lisant, vivre avec lui le bref temps du voyage dans cette île lointaine, dans cette terre antique des dieux, des arts, des conquêtes et des vestiges délabrés. (Consolo 1988 : 21)19

Il y a quelque chose de paradoxal dans le voyage de Fabrizio. Il désire s’éloigner de Milan pour ne plus rencontrer Teresa ; mais son choix de se rendre en Sicile est une façon de rester proche de celle qu’il dit vouloir oublier. La contradiction signifie que le narrateur (tout comme l’auteur) est déchiré entre Milan et Palerme, entre les deux identités que les deux villes représentent. Le jeune homme et la jeune fille sont l’un et l’autre des déracinés : Teresa se sent « étrangère » (Consolo 1992 : 23)20 dans la capitale lombarde et Clerici, de son côté, a le sentiment d’être rejeté par celle dont l’origine est doublement méridionale.

L’arrivée de Fabrizio à Palerme a lieu au moment de l’aurore. Le narrateur qui est debout sur le château de proue du paquebot est ébloui par la lumière qui se reflète dans l’eau et sur les vitres des hôtels particuliers :

De lumière en lumière, donna Teresita, d’or en or. Je vous présente tout d'abord ma vision première, virginale et initiatique de Palerme. Debout sur le château de proue du packet-boat Aurora, le soleil rasant l'horizon au levant, je voyais la ville qui se portait à ma rencontre, presque dans un rêve et enveloppée de mystère, comme naissant, tardive et silencieuse, des profondeurs de la nuit, dans un léger balancement de cimes, d'arbres, d'aiguilles et de clochers, dans un flamboiement d’émaux, corniches et faïences valenciennes, coupoles mamelonnées, terrasses avec urnes et jarres, dans la blancheur immaculée des marbres des portes, colonnes et monuments, dans un rougeoiement des bastions, fanaux, forts et remparts, dans un éblouissement des vitres des palais et de l’or et des miroirs des voitures qui parcouraient les routes au loin. (Consolo 1988 : 22)21

Clerici est un peintre du XVIIIème siècle et un admirateur de Giacomo Serpotta, sculpteur palermitain spécialiste du stuc22. La description de Palerme qui ouvre le carnet de voyage de Fabrizio est fortement influencée par l’art baroque dont un des buts, on le sait, est de susciter l’émerveillement du spectateur.

3. Énumération et peinture

Au chapitre premier de Retablo, Isidoro, le valet de Clerici, décrit sa stupeur à la vue des stucs qui ornent l’oratoire dédié à Saint-Laurent et Saint François :

J’y entrai et j’eus l’impression d’être entré au Paradis.

Tout autour des murs, au ciel, sur l’autel ce n’étaient que stucs finement modelés, frises, panneaux encadrés, statues, corniches, d’une blancheur de lait, avec par endroits des enchâssures d’or pur éclatant, festons, cartouches, fleurs et feuillages, cornes d’abondance, flammes, coquillages, croix, soleils, panaches, glands, cordons…[…] Mais, plus grandes et attirant davantage le regard, des statues féminines s’avançaient sur des consoles, dames d’une grande beauté, dames nobles, dans des poses gracieuses ou impérieuses. J’étais ébloui, également par un rayon de soleil qui, d’une fenêtre, frappant le grand lustre de cristal, se réverbérait sur mon visage. (Consolo 1988 : 11)23

Il y a des similitudes formelles entre la description de l’arrivée au port et celle de l’oratoire. Dans les deux cas c’est l’objet regardé qui se rapproche du sujet regardant comme si ce dernier n’avait pas conscience de son propre mouvement. L’impression est celle d’un brusque rétrécissement de la distance qui sépare l’espace observé de celui où se trouve l’observateur. Le spectateur est ainsi placé à l’intérieur du tableau, ou du paysage. Il devient une partie de l’objet qui lui fait face. L’écriture de Consolo vise à reproduire l’effet de l’art baroque (en particulier des ciels) qui substitue à l’espace rationalisé des inventeurs de la perspective, un espace fait de multiples emboîtements qui oblige l’observateur à regarder simultanément de plusieurs points de vue lui donnant ainsi l’impression d’être devenu un sujet pluriel. L’étonnement que suscite l’esthétique baroque procède de cette expérience du regard dérouté.

Par le fait même qu’il surprend, l’objet séduit, c’est-à-dire qu’il détourne la vue ; d’abord vers lui puis vers une série d’objets secondaires. Au niveau de l’écriture, Consolo reproduit ce processus de dévoiement. Les yeux de Fabrizio vont de lumière en lumière et d’or en or. Le paysage avance vers lui et l’impression de vertige est suggérée par le balancement des arbres et des rochers qui est en réalité produit par le roulis du navire. Puis, après le premier éblouissement (celui de la conscience sur le point de se perdre) le regard, retenu par le spectacle de la côte, se précipite d’un détail à l’autre.

La peinture baroque parce qu’elle multiplie les points de fuite produit une impression d’abondance ou d’excès. En outre le regard du spectateur doit passer par celui des personnages représentés pour explorer tous les aspects de la représentation picturale. Dans une description, on ne peut en revanche s’affranchir du sens de la lecture. Mais alors que dans les œuvres classiques, l’auteur impose un espace unique (celui que délimite son regard omniscient) par l’utilisation qu’il fait des prépositions, ou par l’importance qu’il donne à certains objets plutôt qu’à d’autres, Consolo tend à estomper la hiérarchie des perceptions. Pour cela il a recours à l’énumération, c’est-à-dire à une forme relevant de la parataxe qui, à la structure des différents plans, substitue un mouvement continu des yeux qui passent d’un substantif à un autre. Regardant le rocher de Cefalù, le baron Mandralisca pense aux phénomènes naturels qui érodèrent la falaise puis au paysage nouveau qui se forma :

Et dehors, c’était le vide. Tourbillons de jours et de soleils et d’eaux, vents en rafales et en spirales, mur de grès qui s’effrite, dune qui s’aplanit, colline, glissement de pierre, érosion. Le chardon émerge, tend sa fleur tremblante et diaphane à l’œil creux de l’âne blanc. Lumière qui brûle, mord, dévore côtés, arêtes, contours, efface tons et taches, décolore. Elle pétrit les buissons, blanchit les ramilles et au-delà de la plaine d’écailles et d’horizons dissout et mélange les masses. (Consolo 1980 : 52-53)24

En suivant les mots, le regard du lecteur voit les différents éléments du paysage, contenus les uns dans les autres, enchevêtrés, comme faits d’une matière composite. Chaque partie est un panorama dans le panorama, le détail de la fleur renvoie au tout de la lumière qui abolit l’horizon. Comme dans les trompe-l’œil ou les jeux de miroirs, chaque mot de l’énumération est un reflet des autres et ceux-ci, par analogie, amènent une série de termes nouveaux.

Il est important que Fabrizio Clerici soit un peintre. En faisant des esquisses des monuments qu’il découvre au cours de son voyage, il s’approprie le paysage sicilien ; il en fixe une couleur, un détail. Surtout il scrute dans les pierres les marques qu’y a gravées le temps, c’est-à-dire, selon son expression, « l’immobilité et la métaphysique » :

Immobilité et métaphysique que l’art représente toujours, j’entends la peinture, même celle qui simule le mouvement, comme les batailles d’Uccello et de Leonardo, ainsi que la sculpture, jamais la musique et la poésie, qui, comme la vie, se déroulent dans le temps, fût-il ardent et bref, et tendent au silence.

C’est pourquoi à partir d’aujourd’hui je veux par-dessus toute chose représenter les pierres, modelées par le soleil, les pluies et les vents ou ces autres, abruptes et délabrées, qui depuis les civilisations englouties, dans les reliefs et les creux, les enceintes magnifiques et les temples, les hypogées et les labyrinthes souterrains, portent de l’homme les signes incertains et sibyllins, les symboles non décryptés et inquiétants. Un amas de pierres dans les déserts démesurés, où se sont pétrifiées, outre la famille humaine, la famille du dieu Faune, celles de Flore et de Vertumne. (Consolo 1988 : 24-25)25

Dans Il sorriso dell’ignoto marinaio, le baron Mandralisca est présenté comme un amateur d’art et un collectionneur. Dans son palais de Cefalù il a rassemblé des peintures siciliennes, espagnoles ou napolitaines, des vases grecs, des sculptures, des pièces de monnaie, des médailles ou des lampes à huile26. Mais surtout Mandralisca est à la fois un botaniste et un malacologue et l’auteur d’un catalogue en plusieurs volumes sur les mollusques des Madonie.

Un catalogue est un ouvrage qui répertorie, énumère, reproduit par des dessins des classes entières d’objets : plantes, insectes, médailles, fibules, amphores, fragments d’inscriptions, urnes funéraires etc. Le collectionneur est un érudit qui se comporte en Don Juan : dans chaque pièce de sa collection il croit reconnaître et posséder tout le champ scientifique duquel il se réclame. En réunissant des plantes, des fossiles ou des antiquités, c’est son amour de la Sicile que déclare à chaque fois Mandralisca et c’est, à travers le personnage du baron, son identité sicilienne que revendique Consolo.

Fabrizio Clerici, de son côté, a la passion de l’archéologie. Voici ce qu’il écrit dans son journal de voyage quand il découvre le site de Sélinonte :

Là m’attendait et me saisit un autre océan de pierre : une tempête solide de socles, de tambours, d’architraves, de chapiteaux, de temples, d’autels, de cellae, de niches, d’agoras, de logis, d’échoppes ; et moi au milieu de tout cela, sur des vagues et des ondulations grimpant des escaliers et dévalant dans des hypogées, je nageai avec ivresse. (Consolo 1988 : 69)27

Fabrizio a le sentiment de se trouver dans l’océan des ruines, et il traduit stylistiquement son impression en recourant à l’accumulation des mots. Toute énumération est l’image du chaos et le début de son déchiffrement. Elle reproduit la confusion des origines et les premières formes d’organisation. Clerici croit voir dans le magma des pierres et de la terre l’irruption de la vie :

[…] et j’ai l’impression ici même, comme jamais, de voir la vie, de la comprendre et de l’aimer, d’aimer cette terre comme si elle était mienne, ma terre, la terre de tout homme, de vous aimer [Teresa Blasco], et désespérément …Vous, ou la vie ? Ou moi-même qui vis ? Qu’il est ambigu, qu’il est inintelligible, ce fastidieux élan, ce sentiment intense que nous appelons amour ! (Consolo 1988 : 70)28

Le peintre narrateur décrit ici le processus de l’identification ou de la régression tel que nous l’avons défini plus haut. Le sujet se confond avec l’objet en l’occurrence avec la terre sicilienne. Fabrizio est « lui-même » dans « l’autre ». Car pour Clerici l’île est la patrie de Teresa, la sienne donc puisqu’il aime la jeune fille, mais surtout la patrie de tout homme ou plus exactement de tout homme occidental. Parlant du voyage de Goethe, Consolo écrit que « la Sicile fut la conclusion nécessaire du regressus aux origines »29. La formule s’applique aussi à la pérégrination de Fabrizio et plus généralement aux romans de Consolo. Pour ce dernier en effet la littérature (dont le nostos et le franchissement du bras de mer sont une métaphore) naît du désir d’un retour à l’antériorité, c’est-à-dire à la sicilitude, mais aussi à la grécité, plus visible à Ségeste, à Sélinonte et à Agrigente que partout ailleurs. Le voyage dans l’île est donc nécessairement une exploration du passé, ce qui revient à dire que le territoire est le lieu d’une histoire et par conséquent d’une identité.

Dans chacun de ses romans Consolo fait une part égale au paysage et aux monuments. Et il redoute que quelque chose ne puisse se perdre des particularités naturelles et artistiques de l’île. Les ouvrages de Consolo sont des livres-musées en ce sens qu’ils conservent les strates d’époques antérieures dont la mémoire est menacée par le syncrétisme culturel qui s’est accéléré à partir du dernier quart du XXème siècle. Sur ce point précis on pourrait rapprocher Consolo d’écrivains ou philosophes tels que Milan Kundera, Jan Patocka ou Alain Finkielkraut pour lesquels il est impératif aujourd’hui de « cultiver l’héritage du passé » que les médias ou les opinions publiques tendent à liquider. La question de la langue est au cœur de cette problématique.

4. L’histoire de la langue dans la langue

Lorsque Consolo s’installa à Milan à la fin des années soixante, on parlait beaucoup de crise du roman en Italie, c’est-à-dire de la crise du roman réaliste. La critique ne portait pas seulement sur les contenus mais aussi sur le type de langue qu’avaient choisi les romanciers. En particulier l’usage de l’italien standard, celui de la jeune démocratie, – tel qu’il avait été utilisé par les écrivains au lendemain de la guerre – était condamné à la fois par les intellectuels du groupe ‘63 et par ceux qui s’étaient regroupés autour de la revue Officina. Pasolini était le plus polémique : pour lui, l’italien des médias était la langue du pouvoir et il reprochait à la télévision d’avoir contribué à la disparition des dialectes, c’est-à-dire des cultures régionales. Défenseur de toutes les minorités et de toutes les différences, contraire à toutes les formes d’homogénéisation de la pensée ou des modes de vie, il pensait que la question linguistique devait être au centre du débat littéraire. À la langue moyenne des classes moyennes (c’est-à-dire de la bourgeoisie) Pasolini opposait l’italien et le romanesco des « ragazzi di vita » vivant dans les « borgate » à la périphérie de Rome. Dans les revues littéraires aussi il était beaucoup question de régionalisme et de littérature dialectale. Consolo était de ceux qui estimaient qu’on ne pouvait plus écrire en recourant à l’italien standard parce que l’expérience des auteurs néoréalistes avait échoué. Dans Lo spasimo di Palermo, l’écrivain Gioacchino Martinez explique qu’il abhorre le roman « ce genre dépassé, corrompu, impraticable ». (Consolo 2000 : 105)30 Mais pour autant Consolo n’a jamais voulu s’inscrire dans la tradition dialectale. Sans doute parce qu’il s’adressait à un public qui n’était pas d’abord sicilien, ensuite parce qu’il pensait que la production dialectale avait le plus souvent donné lieu à des œuvres d’une médiocre qualité véhiculant les clichés entretenus par une classe de notables provinciaux hostile aux idées neuves et surtout au progrès social31. Refusant donc à la fois le dialecte et la langue moyenne, Consolo s’est créé une langue propre dans laquelle on reconnaît la conception que l’auteur se fait de la littérature : comme le texte qu’elle exprime la langue participe au nostos, c’est-à-dire au voyage régressif en direction des origines. L’italien de Consolo laisse voir les diverses strates formées par l’histoire de la langue. Les mots qu’utilise l’écrivain ne sont jamais détachés de leur étymon32. Les formes archaïques33 côtoient les formes modernes parce que celles-ci sont issues de celles-là et que bien souvent elles les contiennent encore. En outre, à travers les énumérations, Consolo dresse un catalogue de la langue et répertorie aussi bien les termes littéraires34 et précieux que les expressions locales, les mots rares, ou des mots plus courants mais employés dans un sens vieilli. La narratologie enseigne que les textes se réfèrent, implicitement ou non, à d’autres textes écrits précédemment. De la même façon, pour Consolo, les formes lexicales renvoient à celles qui furent les leurs antérieurement. C’est ainsi qu’il « greffe la langue de la mémoire sur la langue commune ». À cela il faut ajouter que, dans Retablo, à cause de la matière du roman, Consolo réactualise l’italien du XVIIIème siècle et, pour la même raison, celui du XIXème siècle dans Il sorriso dell’ignoto marinaio.

La langue n’est donc par pour lui le révélateur neutre qui fait apparaître les personnages et les événements du récit car elle fait partie de la matière même qui est l’objet de la narration. C’est pourquoi Consolo se sent proche des poètes. Pour ceux-ci également les formes verbales recèlent la réalité qu’elles expriment35. Dans Il viaggio di Odisseo, l’écrivain confirme sa méfiance du roman et préconise « une narration poématique »36 c’est-à-dire une narration qui soit « chant et enchantement, révélation et occultation, vérité et mensonge, muse et sirène, mémoire et oubli ». (Consolo 1999 : 38) Et cette manière de récit, le baron Mandralisca (sur ce point interprète de l’auteur) la met au service de ceux qui n’ayant pas les moyens de l’écriture ou de la parole ne peuvent pas faire valoir leurs raisons ou dire leurs sentiments. Ainsi Consolo régresse-t-il dans le personnage. Ce qui le différencie de Verga ; car la régression de ce dernier se faisait en direction du narrateur. Consolo à l’inverse s’identifie à l’image de cet « autre » sicilien dans lequel il reconnaît une possible construction de « soi ».

On peut voir, au début de Retablo, comment la voix narratrice se déplace dans le corps du personnage. Le valet de Fabrizio Clerici, ancien frère mendiant sans instruction, dit son amour pour une jeune fille qu’il a aperçue penchée à la fenêtre d’une maison de Palerme. Le je du texte décline ainsi le nom de la femme aimée :

Rosalia. Rosa et lia. Rose qui a enivré, rose qui a troublé, rose qui a éventé, rose qui a corrodé, qui a dévoré mon cerveau. Rose qui n’est point rose, rose qui est datura, jasmin, giroflée et violette ; rose qui est plumeria, magnolia, fleur d’orange et gardénia. Puis le couchant, aux vêpres, lorsque dans l’azur paraît la sphère d’opaline et que l’air n’arde plus, verse une miséricorde de fraîcheur et la brise marine franchit la grille du jardin, se coule entre les colonnettes et les palmes du cloître, cueille, entraîne, épand des souffles fragrants, des senteurs distillées, des baumes résineux. (Consolo 1988 : 11)37

Bien sûr ce n’est pas le valet Isidoro qui s’exprime ici, mais l’auteur qui, par une sorte de transfert donne à son personnage ses facultés d’expression. En même temps, la voix qui se fait entendre n’est pas entièrement celle de Consolo mais plutôt celle d’un sujet dont l’identité est en partie celle d’un autre. Contre Flaubert on peut dire qu’aucun auteur n’est ses personnages ; mais, avec lui, on peut aussi affirmer qu’aucun romancier ne met pas le poids de son identité dans les êtres de fiction dont il raconte les vies. Ainsi la figure du narrateur est-elle le produit d’un compromis : distincte de l’auteur et du personnage elle résulte d’un processus mesuré d’identification. Par cette expression nous voulons suggérer que la régression de l’écrivain dans les divers protagonistes de ses récits n’aboutit probablement pas à un anéantissement du sujet dans l’objet de la narration. Il serait donc peut-être plus juste de parler d’identification partielle. Du reste, si on excepte les cas extrêmes, on peut estimer que le mouvement par lequel on se projette dans un autre revendiqué comme « soi » manifeste plus un désir ou une aspiration qu’un acte porté jusqu’à son terme. Toute identité a sa part de fragilité. Entre « le même » et le « soi » il y a un intervalle que ne supprime même pas la construction narrative.

Nous avons souligné comment le rite de passage, c’est-à-dire le franchissement du bras de mer, permet de retrouver les traces de l’origine, qu’il s’agisse de l’histoire naturelle qui marque les paysages ou de celle « plus alarmante »38 des hommes qui se lit sur les monuments. Mais pour Consolo, régresser en direction de l’île natale, c’est mesurer à rebours le chemin qui le sépare de la Sicile. Le nostos fonctionne à la manière de la remémoration. L’imagination, alors qu’elle va vers le passé, sait que celui-ci est révolu. Dans le dialogue déjà cité, Il viaggio d’Odisseo, Consolo remarque que l’aventure d’Ulysse doit être rapprochée du mythe d’Orphée. On peut en effet observer que, dans ce dernier mythe, le protagoniste aussi « régresse » vers la partie de sa vie qui est perdue parce qu’elle se trouve de l’autre côté du Styx. La mémoire croit retrouver l’objet qui est au royaume des morts mais il suffit qu’elle prenne conscience de l’acte par lequel elle se souvient pour qu’elle perde à nouveau l’objet qu’elle croyait avoir rappelé.

Le mythe d’Orphée est utilisé par Consolo dans Retablo. Clerici, alors dans la petite île de Motyé, réussit à faire dégager de la terre d’un champ la statue antique d’un aurige. Il la fait emmener par bateau jusqu’à Trapani, mais à cause d’une tempête la statue est rejetée à la mer.

Adieu, donc, adieu, jeune homme de Motyé, dieu ou athlète, figure, effigie véritable ou idéale, qui que tu sois, paix et repos à toi, au fond de la mer, à nous sur la barque et à terre quand nous y parviendrons et tant que nous durerons. Tout vient de la mer, tout s’en retourne à la mer. Adieu. Seule importe la vie, la vie humaine, sacrée, intangible ; ensuite vient tout le reste : philosophie, science, art, poésie, et beauté... (Consolo 1988 : 83)39

L’origine à laquelle les personnages, porte-parole de l’auteur, s’identifient, se révèle sous la forme de vestiges : restes de temples, sarcophages vides, paysages transformés, objets dispersés. Le fragment est une métaphore du passé parce qu’il est un objet dont la présence témoigne d’un contexte anéanti. Les fossiles dans les couches géologiques et les archaïsmes dans un état postérieur de la langue ont une signification identique. Ainsi la « régression » de Consolo se fait-elle en direction d’une Sicile dont les cultures grecque et baroque doivent être réanimées pour qu’elles ne s’abolissent pas dans la réalité contemporaine. Alors qu’il se trouve devant le temple de Ségeste Fabrizio Clerici prend tout à coup conscience des raisons qui l’ont conduit à voyager et à écrire :

(Pourquoi voyageons-nous, pourquoi venons-nous jusqu’en cette île lointaine, marginale ? Nous prétendons le faire pour admirer les vestiges, les restes du passé, de notre culture et de notre civilisation, mais la véritable cause réside dans l’insatisfaction de l’époque que nous vivons, de notre vie, de nous-mêmes, et dans le besoin de s’en détacher, d’en mourir et de vivre dans le rêve d’ères révolues, anciennes, qu’avec la distance nous nous figurons telles des époques d’or, poétiques comme il advient toujours dans l’irréalité des rêves, j’entends des rêves comme substance de nos désirs. Le voyage, toutefois, en tant que détachement éloignement de la réalité qui nous appartient se présente toujours comme un rêve. Et c’est rêver encore davantage que d’écrire, d’écrire en évoquant le passé comme suspension du présent, de la vie quotidienne. Et c’est rêver enfin, sous sa forme suprême, que d’écrire le récit d’un voyage, d’un voyage dans la terre du passé. Comme ce journal de voyage qu’il me plaît de tracer pour vous, ma Dame. Je m’interroge : est-ce que je rêve, enfermé dans ma maison déserte de Milan, ou est-il vrai que je voyage présentement, que je me trouve ici foulant le sol de la célèbre de Ségeste ?) (Consolo 1988 : 50)40

La citation semble faire allusion au paragraphe qui introduit Nedda. Fabrizio se demande s’il voyage réellement ou s’il est en train de rêver dans son appartement de Milan. À nouveau Consolo affirme qu’écrire c’est voyager, voyager « dans la terre du passé ». C’est, par conséquent, régresser vers le lieu des origines lequel est peut-être inventé pour qu’il réponde à un désir insatisfait. C’est là un aspect important de l’identité. L’image du « soi » dans laquelle le je se reconnaît comporte une part d’irréalité. On se compare le plus souvent à des modèles fictifs. Ce que Ricœur nomme « l’identité narrative », à savoir la construction de soi dans une narration, n’est pas sans rapport avec « le roman de famille » que, selon Freud, l’enfant invente pour se créer des images parentales conformes à ses fantasmes. L’identité relève en partie de l’imaginaire. Il se peut même qu’elle soit une illusion dont le but est de masquer le défaut d’être qui menace toujours l’individu (et peut-être en particulier l’individu contemporain).

Le thème de l’illusion est très présent dans Retablo. Le titre même du roman fait référence au Retablo de las maravillas de Cervantès, un intermède qui n’est pas étranger à la question de l’identité puisque, selon les forains qui montrent le retable à la foule, seuls ceux qui ne sont ni juifs ni convertis ni bâtards peuvent voir les merveilles du tableau. Bien sûr, celui-ci n’est qu’une planche de bois brut, mais aucun spectateur n’ose dire qu’il ne voit rien de peur d’être pris pour un non catholique et, par conséquent, pour un mauvais Espagnol. Ainsi peut-on être amené à se donner une identité illusoire afin de se protéger de ce que l’on est (ou n’est pas) réellement.

Le thème de l’illusion est encore présent à un autre endroit du texte. On sait qu’Isidoro, le valet de Clerici, est amoureux de la belle Rosalia qu’il a perdue aussitôt après l’avoir aimée. À la fin du roman, une confession de Rosalia répond symétriquement à celle d’Isidoro qui ouvre Le retable. La jeune fille explique qu’elle a volontairement disparu, ne voulant pas que le bonheur d’une nuit d’amour soit ruiné par les désenchantements qu’aurait immanquablement procurés une vie conjugale passée dans les bas quartiers de Palerme. De soi, Rosalia ne laisse à Isidoro qu’une image idéalisée, l’image de cette femme parfaite dont le valet est tombé amoureux41, et qu’il reconnaît dans l’allégorie de la Veritas sculptée par Giacomo Serpotta. L’amour de l’autre et l’amour de soi (et de soi comme un autre) ne peuvent pas vivre sans une part d’illusion. La sicilitude de Consolo lui est d’autant plus nécessaire qu’à la déculturation qui touche la société italienne il oppose la grécité, le baroque et la raison, c’est-à-dire une identité « reconstituée »42 qui est celle d’une Sicile dans laquelle il puisse reconnaître une image analogique de soi.

Consolo, Vincenzo (1976). Il sorriso del marinaio, Torino : Einaudi.

Consolo, Vincenzo (1980). Le sourire du marin inconnu, trad. Mario Fusco et Michel Sager, Paris : Grasset.

Consolo, Vincenzo (1992). Retablo, Milano : Mondadori.

Consolo, Vincenzo (1988). Le Retable, trad. Soula Aghion et Brigitte Pérol, Paris : Le Promeneur/Quai Voltaire.

Consolo, Vincenzo (1998). Lo spasimo di Palermo, Milano : Mondadori.

Consolo, Vincenzo (2000). Le palmier de Palerme, trad. Jean-Paul Manganaro, Paris : Seuil.

Consolo, Vincenzo (2001). Di qua dal faro, Milano : Mondadori.

Consolo, Vincenzo / Nicolao, Mario (1999). Il viaggio di Odisseo, intr. di Maria Corti, Milano : Bompiani.

Luperini, Romano (1976). Verga e le strutture narrative del realismo, Padova : Liviana Editrice.

Ricœur, Paul (1990). Soi-même comme un autre, Paris : Seuil.

Verga, Giovanni (1992). Novelle, introduzione di Vincenzo Consolo, a cura di Francesco Spera, (= Universale Economica Feltrinelli, I classici, 2035), Milano : Feltrinelli.

Verga, Giovanni (1996). Cavalleria rusticana et autres nouvelles, éd.bilingue, trad. Préface, notes, Gérard Luciani, Paris : Gallimard.

Notes

1 « Quando mi fui iniziato al mistero delle molle e del soffietto, mi innamorai con trasporto della voluttuosa pigrizia del caminetto. Io lascio il mio corpo su quella poltroncina, accanto al fuoco, come vi lascerei un abito, abbandonando alla fiamma la cura di far circolare più caldo il mio sangue e di far battere più rapido il mio cuore; incaricando le faville fuggenti [...] di far errare capricciosamente [...] i miei pensieri. Cotesto spettacolo del proprio pensiero che svolazza vagabondo senza di voi, che vi lascia per correre lontano [...] ha attrattive indefinibili. Col sigaro semispento, cogli occhi socchiusi, le molle fuggendovi dalle dita allentate, vedete l’altra parte di voi andar lontano, percorrere vertiginose distanze [...] » (Verga 1992 : 15-16). Return to text

2 Verga résida à Milan de 1872 à 1893 tout en faisant d’assez longs séjours à Catane. À partir de 1894 il revint dans sa ville natale mais se déplaça fréquemment à Rome et à Milan. C’est pendant son séjour milanais qu’il écrivit toutes ses œuvres véristes majeures de 1874 à 1889. Return to text

3 « Questa novella in limine ha, nell’attacco, come una sorta di rito d’ingresso, d’inizio di viaggio, di regressus in un mondo lontano nel tempo, nello spazio, nella memoria sepolta. Il borghese Giovanni Verga, scrittore mondano, davanti al caminetto della sua casa milanese, “col sigaro semispento, con gli occhi socchiusi” si abbandona al ricordo [...] Con Nedda dunque il nuovo Verga inizia il viaggio, che dalle soglie di questa prima novella [...] lo porterà al punto più profondo, alla tragica realtà di una vera umanità: lo porterà ai capolavori di Jeli il pastore o di Rosso Malpelo. » (Verga 1992, Introduzione Consolo : 9). Return to text

4 si l’on met à part Ferita d’aprile. Return to text

5 En réalité, après 1874, Verga écrira plusieurs romans psychologiques ayant une filiation directe avec ses premières œuvres. Return to text

6 « E la Sicilia, cos'è la Sicilia? Cos'è il viaggio di Goethe nell'isola? // È la conclusione necessaria del regressus alle origini, è il viaggio alle origini, al punto di convergenza della storia e della civiltà. “La Sicilia è per me un preannuncio dell'Asia e dell'Africa...” dirà alla vigilia della partenza per l'isola. In cui una volta giuntovi, come in una iniziazione misterica, o una discesa agli Inferi, gli saranno rivelati, fuori di sé e dentro di sé, veramente dei prodigi. » (Consolo 2001 : 247). On trouve aussi dans Di qua dal faro un texte intitulé I ritorni dans lequel l’auteur examine la relation qu’entretinrent avec la Sicile des écrivains tels que Verga, Vittorini, Brancati et Stefano d’Arrigo. Consolo souligne l’importance du nostos chez tous ces romanciers au nombre desquels il se range en remarquant que dans L’olivo e l’olivastro, le héros revient dans l’île et, comme Ulysse, découvre que celle-ci, pendant le temps de son absence, a été ravagée par l’injustice et la cupidité. Return to text

7 « Diceste soltanto ingenuamente: Non capisco come si possa viver qui tutta la vita. » (Verga 1992 : 104). Return to text

8 « basta non possedere centomila lire di entrata » (Verga 1992 : 104). Return to text

9 Le passage est très connu et amplement cité : « [… per compredere [...] bisogna farci piccini anche noi, chiudere tutto l’orizzone tra due zolle, e guardare col microscopio le piccole cause che fanno battere i piccoli cuori. » (Verga 1992 : 104). Return to text

10 À ce type d’impersonnalité fondé sur la régression, Romano Luperini na donné le nom « d’impersonalità a parte obiecti » et il oppose cette forme d’impersonnalité à celle de Zola qui consiste en une observation rationnelle et dépassionnée de la réalité sociale (« impersonalità a parte subiecti ») (Luperini 1976). Return to text

11 « Viaggio in mare di Enrico Pirajno, barone di Mandralisca da Lipari a Cefalù » (Consolo 1976 : 3). Return to text

12 « E ora si scorgeva la grande isola. I fani sulle torri della costa erano rossi e verdi, vacillavano e languivano, riapparivano vivaci. Il bastimento aveva smesso di rullare man mano che s’inoltrava dentro il golfo. » (Consolo 1976 : 3). Return to text

13 « Il sole raggiante sopra la linea dell’orizzonte illuminava la rocca prominente, col teatro, il ginnasio e il santuario in cima, a picco sopra la grande distesa di acque e di terra. Era, questa spiaggia, un ricamo di ori e di smalti. In lingue sinuose, in cerchi, in ghirigori, la rena gialla creava bacini, canali, laghi, insenature. Le acque contenevano tutti gli azzurri, i verdi. Vi crescevano canne e giunchi, vischiosi filamenti; vi nuotavano grassi pesci, vi scivolavano pigri aironi e lenti gabbiani. Luceva sulla rena la madreperla di mitili e conchiglie e il bianco d’asterie calcinate. Piccole barche, dagli alberi senza vele, immobili sopra le acque stagne, fra le dune, sembravano relitti di maree. » (Consolo 1976 : 7). Return to text

14 Le voyage eut lieu en 1912. Return to text

15 « Tornava nell’isola, il porto da cui era partito, in cui si sarebbe conclusa la sua avventura, la sua vita. [...] Ma ogni viaggio, sapeva, era tempesta, tremito, perdita, dolore, incanto e oblio, degrado, colpa sepolta, rimorso, assillo senza posa. // Era notte placida, le stelle, l’immacolata luna, la primavera dei risvegli, l’alba della promessa, l’amore che invade, trasfigura, il segreto istante, la muta gioia, la luce che si spande, la corsa nel giardino, il bagno in mare, l’ascesa al monte, la vita nuova che palpita nel grembo. // Era il miracolo dell’arte, la consolazione delle ginestra il fraterno affetto, la mano porta al naufrago, l’idea fresca, collettiva di svolgere la storia, lenire l’esistenza. » (Consolo 1998 : 116). Return to text

16 Peut-être est-ce là la raison pour laquelle, dans les civilisations de la solitude et du désamour, l’individu ressent le besoin de se trouver à tout prix une identité. Return to text

17 Consolo 1992. Return to text

18 « Peregrinazione » est le titre donné par Consolo au journal tenu par Fabrizio. L’analogie entre le texte et le voyage est ici explicite. Return to text

19 « A voi, doña Teresa Blasco, che amor per le due terre pungola avite e nostalgia d’ignote, o note se per le parole e il ricordo de’ vostri genitori, è dedicato questo giornale di viaggio acciocché possa in picciol modo satisfare la sete vostra per una delle patrie, quella materna e cara, illustrando e narrando d’essa quale si rappresenta a un pellegrino spoglio ma armato d’interesse come colui che scrive. [...] spera voi possiate leggendolo vivere secolui il breve tempo del viaggio in quest’isola lontana, in questa terra antica degli dei, delle arti, delle conquiste [...] ». (Consolo 1992 : 23-24). On remarquera que la situation imaginée par Consolo (un carnet de voyage écrit pour faire connaître la Sicile à une interlocutrice restée à Milan), reproduit celle de Fantasticheria. Return to text

20 « A voi, donna bella e sagace, amica mia, che un padre di Spagna e una madre di Sicilia ornaro di virtù speciali ma resero al contempo estranea alla città che dimorate, alla grande Milano [...] ». (Consolo 1992 : 23). Return to text

21 « Di luce in luce, donna Teresita, di oro in oro. Vi rappresento in prima la visione, virginia e pifània di Palermo. In piedi sul cassero di prora del packet-boat Aurora, il sole sul filo in oriente d’orizzonte, mi vedea venire incontro la cittate, quasi sognata e tutta nel mistero, come nascente, tarda e silenziosa, dall’imo della notte, in oscillìo lieve di cime, arbori, guglie e campanili valenciani, matronali cupole, terrazze con giare e vasi, in latteggiar purissimo de’ marmi nelle porte, colonne e monumenti, in rosseggiar d’antemurali, lanterne, forti, e di castell’a mare, in barbaglío di vetri de’ palagi e d’oro e specchi di carrozze che lontane correvano le strade […] » (Consolo 1992 : 24-25). Return to text

22 Giacomo Serpotta transforma la technique du stuc en ajoutant de la poudre de marbre au plâtre et à la chaux, donnant ainsi à ses statues une patine brillante qu’il eût été impossible d’obtenir autrement. Return to text

23 « Entrai: mi pave d’entrare in paradiso. // Torno torno alle pareti, in cielo, sull’altare, erano stucchi finemente modellati, fasce, riquadri, statue, cornici, d’un color bianchissimo di latte, e qua e là incastri d’oro zecchino stralucente, festoni, cartigli, fiori e fogliame, cornucopie, fiamme, conchiglie, croci, raggiere, pennacchi, nappe, cordoncini... [...] Ma più grandi e più evidenti erano statue di donne che venivano innanti sopra mensolette, dame vaghissime, nobili signore, in positure di grazia o imperiose. Ero abbabliato, anche per un raggio di sole che, da una finestra, colpendo la gran ninfa di cristallo, venia ad investirmi sulla faccia. » (Consolo 1992 : 17-18). Return to text

24 « E fuori era il vuoto. Vorticare di giorni e soli e acque, venti a raffiche, a spirali, muro d’arenaria che si sfalda, duna che si spiana, collina, scvolío di pietra, consumo. Il cardo emerge, si torce, offre all’estremo il fiore tremulo, diafano per l’occhio cavo dell’asino bianco. Luce che brucia, morde, divora lati spigoli contorni, stempera toni macchie, scolora. Impasta cespi, sbianca le ramaglia, oltre la piana mobile di scaglie orizzonti vanifica, rimescola masse. » (Consolo 1976 : 8). Return to text

25 « Stasi e metafisica che mai sempre l’arte rappresenta, la pittura intendo, eziandio quella che finge movimento, siccome le battaglie d’Uccello e Leonardo, e la scoltura, giammai la musica e poesia, le quali, come la vita, si svolgono nel tempo, sia pure acceso e breve, e tendono al silenzio. // Laonde, d’oggi in avante io voglio sovr’ogni cosa raffigurar le pietre, da soli e venti e piogge modellate, o l’altre dirupate e frante, che dell’uomo, da civiltà estinte, per rilievi e incavi, per eccelse mura e templi, e ipogei e sotterranei laberinti, portano i segni incerti e sibillini, i simboli indecifrati e allarmanti. Pietre sopra pietre in deserti magni, ove, oltre l’umana, puranco la famiglia di Fauno e di Flora e di Vertunno si è pietrificata. » (Consolo 1992 : 29) Return to text

26 Dans Il sorriso del marinaio on a cette description du cabinet où travaille Mandralisca : « Dentro vetrine e teche, sul piano di tavolini e di consolle le cose più svariate: teste di marmo, mani, piedi e braccia; terre cotte, oboli, lucerne, piramidette, fuseruole, maschere, olle e scifi sani e smozzicati, medaglie e monete a profusione; conchiglie e gusci di lumache e chioccioline. » (Consolo 1976 : 36). Return to text

27 « Là un altro mar di pietra m’attendeva e mi ghermiva, una tempesta solida di basamenti, di tamburi, d’architravi, di capitelli, di templi,di are, di celle, di nicchie, d’agorà, di case, di botteghe, e io dentro, su onde e avvallamenti, su per le scale e sotto in ipogei, ebbro vi natava. » (Consolo 1992 : 101-102). Return to text

28 « […] e qui come mai mi pare di veder la vita, di capirla e amarla, d’amare questa terra come fosse mia, la terra mia, la terra d’ogni uomo, d’amare voi, e disperatamente…Voi o la vita? O me medesimo che vivo? Com’è ambiguo, com’è incomprensivo questo molesto impulso, questo sentire intenso che chiamiamo amore! » (Consolo 1992 : 103). Au XVIIIème siècle, c’est-à-dire à l’époque où se déroule l’action du roman, les ruines de Sélinonte ne se présentaient pas comme aujourd’hui mais bien comme cet amas de pierres que décrit Consolo et qui fut illustré par Jean-Pierre-Laurent Houel (1735-1813) au cours de son voyage en Sicile, à Malte et dans les îles éoliennes. Return to text

29 Cf. note 5. Return to text

30 « Aborriva il romanzo, questo genere scaduto, corrotto, impraticabile. » (Consolo 1998 : 105) Return to text

31 Dans Retablo, par exemple, Clerici assiste à une dispute entre académiciens d’Alcamo visant à déterminer s’il faut écrire un sicilien basé sur le toscan ou un toscan développé à partir de racines siciliennes. Le passage est burlesque et Fabrizio feint un malaise pour ne pas arbitrer entre les deux factions (39-40). Return to text

32 Il utilise par exemple la forme garofalo plus proche de l’étymologie gréco-latine caryophyllum que le toscan garofano. Autre exemple de forme « étymologique » : escì. Return to text

33 Òmini, l’armi, iddio, vieppiù, civiltate. Return to text

34 Exemples : diruto, susseguente, secolui, acciocché, lepòre. Return to text

35 En particulier, à la page 105 de Lo spasimo di Palermo, Consolo rend hommage, sans le nommer, à Andrea Zanzotto. Return to text

36 Il s’agit de la transcription d’un dialogue de Consolo avec Mario Nicolao à propos de l’Odyssée. (Consolo / Nicolao 1999 : 38) Return to text

37 « Rosalia, Rosa e lia. Rosa che ha inebriato, rosa che ha confuso, rosa che ha sventato, rosa che ha roso il mio cervello e se l’è mangiato. Rosa che non è rosa, rosa che è datura, gelsomino, bàlico e viola; rosa che è pomelia, magnolia, zàgara e cardenia. Poi il tramonto, al vespero, quando nel cielo appare la sfera d’opalina, e l’aere sfervora, cala misericordia di frescura e la brezza del mare valica il cancello del giardino, scorre fra colonette e palme del chiostro in clausura, coglie, coinvolge, spande odorosi fiati, olezzi distillati, balsami grommosi. » (Consolo 1992 : 9). Return to text

38 Cf. note 27. Return to text

39 « Vai, dunque, vai, giovine di Mozia, atleta o iddio, sagoma, effigie vera o dieale, chiunque tu ti sia, pace e quiete, a te in fondo al mare, a noi sopra la barca, e a terrra, quando v’arriverremo e fino a che duriamo. Tutto viene dal mare e tutto nel mare si riduce. Addio. Prima viene la vita, quella umana, sacra, inoffendibile, e quindi viene ogni altro: filosofia, scienza, arte, poesia, bellezza… » (Consolo 1992 : 125). Return to text

40 « (perché viaggiamo, perché veniamo fino in quest’isola, remota, marginale? Diciamo per vedere le vestigia, i resti del passato, della cultura nostra e civiltate,ma la causa vera è lo scontento del tempo che viviamo, della nostra vita, di noi, e il bisogno di staccarsene, morirne, e vivere nel sogno d’ère trapassate, antiche, che nella lontananza ci figuriamo d’oro, poetiche,come è sempre è l’irrealtà dei sogni., sogni intendo come sostanza de’ nostri desideri. Mai sempre tuttavia, il viaggio come distacco, come lontananza dalla realtà che ci appartiene, è un sognare. E un sognare è vieppiù lo scrivere, lo scriver memorando del passato come sospensione del presente, del viver quotidiano. E un sognare infine, in suprema forma, è lo scriver d’un viaggio, e d’un viaggio nella terra del passato. Come questo diario di viaggio che io per voi vado scrivendo, mia signora. Mi chiedo: sogno, chiuso nella mia casa deserta di Milano, o egli è vero che io sto viaggiando, che mi trovo ora qui, sul suolo della celebre Segesta?) » (Consolo 1992 : 70). Return to text

41 Cf. l’amour courtois. Return to text

42 Il s’agit d’une identité fondée sur une culture « européenne » et laïque. Return to text

References

Electronic reference

Claude Imberty, « La problématique de l’identité sicilienne dans l’œuvre de Consolo », Individu & nation [Online], vol. 4 | 2011, 28 June 2011 and connection on 21 November 2024. DOI : 10.58335/individuetnation.248. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/individuetnation/index.php?id=248

Author

Claude Imberty

Professeur émérite, Centre interlangues EA 4182, Université de Bourgogne, 2, boulevard Gabriel, 21000 Dijon – claude.imberty [at] wanadoo.fr